Section 2 L'EGALITE PAR LA DIFFERENCIATION : L'EGALITE
DES CHANCES PAR LES ACTIONS POSITIVES
La recherche de l'égalité entre les sexes a
travers l'égalité formelle ne permet pas d'aboutir a
l'égalité substantielle et ce, a cause des différences
biologiques et ou sociales qui existent entre les hommes et les femmes. Aussi,
l'égalité des sexes s'est orientée non plus vers
l'égalité entendue comme identité des droits mais
l'égalité construite a partir des différences. C'est le
développement de la théorie de l'égalité des
chances qui part du principe que les personnes étant soumises a des
conditions différentes, il faut procéder a une égalisation
des conditions de départ pour garantir l'égalité dans
la
43 COOK Rebecca, op. cit., p 39.
jouissance de certains droits44. Aussi faut-il
conférer a chaque individu la chance de prétendre pour
lui-même a la garantie des droits vis-à-vis de la loi. Il s'agit
ici non plus d'instituer des droits égaux maisun droit spécifique
a travers des protections et privileges. Les notions de discrimination positive
et de parité sont ainsi venues a la rescousse de la notion
d'égalité45. Ces deux approches partent de la prise en
compte des différences pour construire l'égalité
substantielle.
Paragraphe 1 La discrimination positive.
La discrimination positive est une rupture
d'égalité, justifiée par une situation
d'inégalité et destinée a rétablir ladite
égalité4o. [lle consiste a rééquilibrer
la situation de groupes considérés comme
défavorisés en leur créant un statut
privilégié47. La logique qui soutient cette
démarche est très bien explicitée par ce discours d'un
ancien président américain : "Imaginons un cent metres dans
lequel l'un des coureurs aurait une jambe attachée. Durant le temps
qu'il lui faut pour parcourir 10 metres, l'autre en aurait déjà
parcouru 50. Comment rectifier cette situation? Doit-on simplement
délivrer le premier coureur et laisser la course se poursuivre en
considérant qu'il y a désormais 1égalité
des chances1? Pourtant, un des coureurs a toujours 40 metres
d'avance sur l'autre. Est-ce que la solution la plus juste ne serait pas de
permettre a celui qui était attaché de rattra per son retard ? Ce
serait agir conséquemment dans le sens de
l'égalité48.
Ainsi, l'approche "affirmative action" ou discrimination
positive en francais en ce qui concerne l'égalité, s'oriente vers
la mise en ceuvre de mesures visant a
44Mise en oeuvre en 1960 aux Etats-Unis pour
remédier aux problèmes de d'inégalités
socio-économiques surtout en matière dSéduction
entre les différentes races. Lire a ce sujet Thermes Julie, Essor et
déclin de l'affirmative actionles étudiants noirs a Havard, Yale
etPrinceton, Paris, ed CNRS histoire, 1999, 426p.
45 ADRINNI, S., Du droit égalitaire aux discriminations
positives dans la législation italienne, un parcours conceptuel, in
DEVILLE, Anne, PAYE, Olivier, (dir.), Les femmes et le droit- Constructions
idéologiques et pratiques sociales, Bruxelles, Publication des
facultés universitaires de Saint-Louis, 1999, p. 44.
46RENUCCI, J.-F., op. cit., P.113.
47 SLAMA, A. G., <<Contre la discrimination positive. La
liberté insupportable >>, Pouvoirs, n° 111, p.143.
Publié en ligne sur le site de l'observatoire du communautarisme:
http:IIwww.communautarisme.netIdocsIagslamadiscrimination-positive.pdf
48 Lyndon B. Johnson, Pdt des USA le 4 juin 1985 cité par
Le Trehondat, P., Silberstein, P, Vive la discrimination positive, plaidoyer
pour une république des égaux, Paris, Syllepse, 2004, P.7
corriger les désavantages séculaires
qu'entraInent les inégalités des rapports sociaux entre les
hommes et les femmes.
La discrimination positive en matière
d'égalité des sexes consiste en un traitement différentiel
entre hommes et femmes afin de remédier aux inégalités de
fait. Il s'agit de discrimination a rebours. Dans le cadre de la lutte contre
la discrimination, sont menées des actions positives qui sont des
actions temporaires visant a éliminer la discrimination passée ou
actuelle subie par un groupe de personnes en leur accordant certains avantages
préférentiels49. Cela peut être des encadrements
spécifiques ou des mesures d'incitation souvent en direction du groupe
défavorisé pour lui permettre d'entrer en compétition sur
le même pied d'égalité que le groupe qui dominait.
Cette approche qui dépasse la logique collective du
droit de l'homme est jugée inégalitaire et contraire au principe
de la non-discrimination. Les mesures préférentielles
accordées a un sexe particulièrement porteraient atteinte a
l'égalité formelle des sujets de droit devant la
loi50. Les mesures individuelles de correction
d'inégalités collectives sont nécessairement injustes et
discriminatoires envers ceux qu'elles frappent51.
Le Comité des droits économiques, sociaux et
culturels des Nations Uniess'est prononcé sur cette polémique en
affirmant que : "l'adoption a titre tern poraire de rnesures spéciales
destinées a garantir aux hornrnes, aux fernrnes et aux groupes
défavorisés l'égalité de fait ne constitue pas une
violation du principe de non-discrirnination"52. Le Comité
des droits de l'Homme mis en place dans le cadre du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques fait la même observation en
précisant que "l'application du principe d'égalité suppose
de la part des Etats l'adoption de rnesures en faveur de groupes
désavantagés,
49Agence Intergouvernementale de la Francophonie, op.
cit., P.19.
50 VOGEL-POLSKY, E.,op. cit., p. 18.
S1DEKEJJ%ATER DEFOSSEZ, F., L'égalité
des sexes, Connaissances du droit, Paris, Dalloz, 1998, p. >>.
S2united Nations Committee on Economic, Social and Cultural Rights,
op. cit..
visant a atténuer ou a sup primer les conditions qui
font naItre ou contribuent a perpétuer la discrimination interdite par
le pacte"53.
Le principe d'actions positives est donc admis par les
conventions internationales sur les discriminations, dans la mesure oC.i elles
sont temporaires54. Au niveau régional, la Charte
Européenne des droits de fondamentaux55 ainsi que le
Protocole de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples relatif
au droit des femmes en Afrique56 incitent même les Etats
parties a prendre des mesures positives pour encourager l'égalité
des sexes.
Mais, malgré le caractère temporaire que doivent
revêtir les mesures de discriminations positives et leur acceptation par
les instances internationales des droits de l'homme, il est évident que
les résultats de cette mesure créent une autre
inégalité.
D'abord, en ce qu'elle contredit le principe de
l'égalité devant la loi qui est un fondement de la
démocratie. Et ce a double titre : en créant des
inégalités au bénéfice de certaines personnes, elle
déplace l'injustice au lieu de la combattre; mais également, elle
renforce le repli identitaire des bénéficiaires57.
Ensuite, en rompant avec l'égalité formelle, les actions
positives aboutissent a une catégorisation des individus engendrant
souvent une stigmatisation des groupes qu'elles visent a
protéger58. La discrimination positive renforcerait ainsi les
particularités des groupes bénéficiaires au lieu de les
intégrer. Cette approche risquerait ainsi de faire éclater la
société surtout
53 Le Trehondat, P., Silberstein, P., Vive la discrimination
positive, plaidoyer pour une république des égaux, Paris,
Syllepse, 2004, P.17
54 La Convention sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination raciale de 1965 ainsi que la convention de 1979 sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination envers les
femmes.
55L'alinéa 2 de l'article 23 de la charte
précise que le principe de l'égalité n'empêche pas
le maintien ou l'adoption de mesuresprévoyant des avantages
spécifiques enfaveur du sexe sous-représenté.
56 Le dernier alinéa de l'Article 2 du protocole invite
les Etats a <<prendre des mesures correctives etpositives dans les
domaines oh des discriminations de droit et defait a l'égard desfemmes
continuent d'exister >>.
57 SLAIVIA, A. G., op. cit., pp. 133-134.
58LOC}jACK, D., Les droits de l'Homme, Paris, Ed. La
Découverte & Syros, 2002, P.90.
qu'elle crée des exceptions a la règle commune,
ce qui contribue a fragiliser la confiance sur laquelle se bötit une
société démocratique59.
Ceci se justifie d'autant plus dans les cas oi elle minimise
la prise en compte du mérite au profit d'autres critères, elle
comporte le risque de promouvoir des personnes moins compétentes. Aussi,
la discrimination positive pour l'égalité des sexes a du mal a ((
éviter ce férninisrne au rabais qui consiste a attribuer
systérnatiquernent aux fernrnes des positions de pouvoir, de
cornrnandernent ou de responsabilité qui n'ont d'autres justifications
que l'appartenance au genre )) ~0.De fait, de la pensée
suivant laquelle ((il est rnoins corn pétent parce qu'il n'a pas
été recruté au rnérite , les
bénéficiaires de la discrimination positives passeront rapidement
a une forme de stigmatisation plus grave qui est: ((il n 'est pas corn
pétent parce qu 'il est de tel sexe 61. Et Comme le souligne
Francois de Kevnas, " de telles pensées sont évidemment peu
propices a une véritable inégalité des
sexes"62. Au delà du fait d'être inégalitaires
envers ceux qui en pötissent, les actions positives sont donc sources
d'inégalités pour ceux qui en bénéficient.
Les limites de la discrimination positive dans le cadre de
l'égalité des sexes sont résumées de la
manière suivante par Simona Andrinni ((... en reconnaissant a la fernrne
sa condition de désavantagée, en la protégeant et en lui
accordant les rernèdes pour sortir de sa condition, on la destine, en
rnêrne tern ps, a derneurer éternellernent dans cette condition
(deuxièrne)B63.
Cette approche dite qualitative de l'égalité des
chances a été suivie d'une approche dite quantitative : la
parité.
59 SLAMA, A.G., op. cit. , pp. 135-136
60 NGAKOUTOU, T. , Femmes africaines et démocratie, Dakar,
éd UNESCO, 1995, P.16
61Le POURHIET, A. M., <<Pour une
analyse critique de la discrimination positive >>, Le débat, 2001,
n° 114, p.174 en ligne sur le site de l'observatoire du communautarisme.
http:IIwww.communautarisme.netIPour-une-analysecritique-de-la-discrimination-positive
a251.html
62DEKEUWER DEFOSSEZ, F., op. cit., p. 75.
63ADRINNI, S., op. cit., p. 37.
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