Les instruments financiers utilisés par les pays (ou
les structures publiques) pour se refinancer à long terme sur
l'euromarché sont nombreux. De caractéristiques et de
structurations différentes, ceux-ci proviennent de même, de
diverses origines. On distingue à titre d'exemple ; des Parallel bonds
émis par la République d'Autriche en janvier 1997, des Dual
currency bonds émis par l'Export Developpement Corporation en 1985, des
Petrobonos et Tesobonos mexicains en 1994 et 1995. Mais chacun d'eux est
structuré en fonction des particularités des économies et
des objectifs à atteindre.
L'appétit «insatiable » des investisseurs
pour la détention de nouveaux produits financiers, a frappé les
obligations classiques (les straight bonds) d'obsolescence. Ces derniers ne
sont plus attrayants parce qu'ils ne répondent plus aux goûts et
aux besoins du moment des investisseurs (placement, couverture, arbitrage).
Ainsi, les techniques de montages se sont-elles aussi compliquées, pour
répondre de façon adéquate à la demande de nouveaux
produits. C'est pourquoi il nous apparaît utile d'indiquer dans la
présente étude, un cadre potentiel d'analyse du montage des
titres souverains, particulièrement pour l'Etat de Côte d '
Ivoire.
Celui-ci sera d'ailleurs accompagné de propositions des
techniques de structuration et de sélection des instruments
financiers.
3.1 Cadre d'analyse du montage des titres souverains
Le montage de l'opération d'émission
d'euro-obligation devrait trouver sa source dans l'analyse minutieuse de la
balance de paiement. La balance de paiement pour un pays, est un état
comptable qui retrace pour une période donnée, le solde des
opérations avec le reste du monde, en ce qui concerne les
échanges de biens et services. On déduit ainsi, la balance des
opérations courantes, à partir de la confrontation des soldes
précédents. Si cette dernière est déficitaire, le
pays est importateur net de capitaux, dans le cas contraire, il en est
exportateur net.
Aussi, le rétablissement de l'équilibre
comptable, nécessiterait que le pays qui se trouve dans une situation
déficitaire s'endette en devises et, prête sa monnaie, s'il se
trouve en situation d'excédents.
Les renseignements que nous pouvons extirper de cette balance
de paiement pour le montage des caractéristiques initiales de nos
euroobligations sont le choix de la devise d'émission,
l'appréciation du risque de change et l'identification des flux sur
lesquels il est possible d'adosser1 le service de la dette.
3.1.1 Le choix de l'eurodevise
Pour des pays faibles financièrement comme les pays en
voie de développement, l'endettement devrait se faire dans une devise
forte2, et cela pour deux raisons principales: d'une part,
l'endettement en devises fortes permet d'attirer des investisseurs
internationaux qui peuvent alors prêter dans leur monnaie domestique et
donc s'affranchir de la gestion du risque de change. D'autre part, les
crédits aux pays en développement étant
caractérisés généralement par un risque de
marché
1 A l'instar du mécanisme de compte séquestre
ouvert spécialement dans les livres de l'agent financier pour garantir
le service de la dette.
2 Les principales devises fortes sont le dollar ($); l'euro ( ),
la livre sterling (£), le yen et le Franc suisse.
très élevé, les éléments
touchant à la liquidité, sont particulièrement stimulants
pour les investisseurs. Or, la liquidité ne serait garantie que par la
"profondeur" de l'offre de capitaux voire la disponibilité de capitaux,
qui ne demeure considérable que pour les devises fortes.
A ce niveau, il est possible d'apprécier cette offre de
capitaux, par l'étendue de la zone d'émission de la monnaie
ciblée (nombre de pays couverts, populations concernées,...) et
le volume des transactions opérées dans celle-ci (voir annexe
3).
Toutefois, indépendamment des contraintes liées
à l'offre de capitaux, deux facteurs sont aussi déterminants du
point de vue de l'émetteur, dans le choix de la devise d'endettement: ce
sont les taux d'intérêt internationaux (courants),
l'évolution du taux de change et la courbe de taux des obligations
d'Etat.
Le niveau des taux d'intérêt internationaux
courants, donc le coût présent de l'endettement, jouerait pour sa
part, un rôle important dans le choix de la devise d'endettement. En
effet, un taux d'intérêt trop élevé
accroîtrait la charge de dette et pourrait aliéner l'Etat
emprunteur. L'estimation du coût de l'emprunt se fait en
référence à deux types de taux : un taux du type
monétaire pour la monnaie d'émission et un taux du type
obligataire pour la dette elle-même. Pour cette raison, le choix de
l'eurodevise va reposer sur la structure par terme des taux
d'intérêt et à la courbe des taux des obligations
d'Etat.
3.1.1.1 La structure par terme des taux
d'intérêt
La structure par terme des taux d'intérêt
décrit le lien entre rendement et échéance. Elle donne une
indication des taux du type monétaire. On appelle alors la courbe de
taux ou de rendement, la représentation graphique de la relation reliant
les taux d'intérêt des titres à leur terme.
La construction d'une telle courbe est effectuée
à partir d'un échantillon de titres. Pour que la relation soit
correctement décrite, il est nécessaire que les titres retenus
relèvent d'une même classe de risque, à défaut de
quoi les rendements observés reflèteraient
l'échéance mais aussi le risque de crédit. Pour
éviter cette difficulté, certaines agences1 ont
recours à des titres présentant une qualité de signature
homogène.
La courbe de taux est un outil qui permet d'orienter le chef
de file dans le choix de l'eurodevise, grâce à l'observation du
comportement des taux longs par rapport aux taux courts. La pente de la courbe
dépend fondamentalement des anticipations des opérateurs sur
l'évolution des taux à court terme; c'est ce que traduit la
figure 4.
Ainsi:
Si les opérateurs anticipent une croissance des taux
d'intérêt à court terme, durant les prochaines
périodes, le taux long courant est supérieur au taux court
courant. Inversement, un écart (spread) positif entre taux long et taux
court courant signale des anticipations haussières des opérateurs
sur les taux courts,
Si les opérateurs anticipent la stabilité des
taux courts, la courbe de rendement est plate, le spread est nul,
Une courbe de rendement inversée est le résultat
d'une anticipation à la baisse des taux.
1 ICAP Pic, Bloomberg, Reuters, Datastream
Figure 4 : la courbe des taux d'intérêt dans
le monde (février 2005)
Source: ICAP Pic
Les courbes de taux d'intérêt ci-dessus sont
pratiquement de forme "normales" (taux long terme supérieurs aux taux
court terme), ce qui signifie que les marchés s'attendent à une
progression des taux à court terme par rapport à leurs niveaux
actuels une fois que la croissance économique aura retrouvé son
dynamisme. On ne manquera pas de remarquer la faiblesse des taux
d'intérêt japonais : l'Etat japonais s'endette à 30 ans
à 2,3%. Ceci veut dire que si l'Etat de Côte d'Ivoire prend la
décision d'emprunter à cette période, il lui est plus
favorable d'emprunter en yen pour 30 ans que de s'endetter dans une autre
devise, ceteris paribus. En effet, au moment de l'édition de cette
courbe, force est de constater que les yens coûtent moins cher que les
autres devises sur toutes les échéances. Toutefois, en
considérant les
prix relatifs (taux de change) du FCFA et du yen, on pourrait
être amené à reconsidérer cette assertion.
L'écart révélé en confrontant les
taux d'intérêt de deux monnaies, représente la base
d'intérêt (Différentiel d'intérêt).
Lorsque que cette dernière est nulle, on parle alors de
parité terme/comptant (la courbe des taux présente une forme
plate); en outre si nous prenons en exemple l'euro comme la monnaie de
référence et que cette base est négative, on peut dire
alors qu'il y a un déport de la devise (le dollar par exemple). Dans le
cas contraire, si cette base est positive la devise est en report (le taux de
report est également appelé taux swap1). Une monnaie
en déport signifie qu'au moment de l'emprunt, qu'elle est mieux
rémunérée (elle coûte chère) sur le
marché international. Elle est donc appelée à se
déprécier à terme, tandis que lorsqu'elle est en report,
elle est moins bien rémunérée au moment de
l'évaluation et donc appelée à s'apprécier.
La mise en place du financement international va consister en
outre, à étudier les conditions offertes par diverses places
financières en différentes devises, puis à comparer le
coût (en terme de taux de change) de ces différentes solutions une
fois rapportées à la même devise. Le taux de change, est le
prix relatif entre deux monnaies. Dans notre situation, il s'agit de la monnaie
domestique (FCFA) et de la devise d'émission. Il faudrait toutefois
garder à l'esprit que dans le cas de la Côte d'Ivoire, le FCFA n'a
réellement2 de prix relatif que par rapport à l'euro.
A cet effet, le taux de change du FCFA contre les autres devises, ne pourrait
s'établir que par rapport à l'euro, avec lequel il y a une
parité fixe (1 = 655,9573). L'estimation du taux de change
à terme (cours à terme), s'effectue généralement
via le calcul des points à
1 Etant le pourcentage à ajouter au prix comptant pour
obtenir le taux à terme
2 A. Nicolas, le FCFA et l'euro contre l'Afrique, Editions
Solidarité Mondiale A.S, 2000, P.41 3 Au moment où cette
étude est menée
terme ou le calcul direct des cours à terme, lorsque
les points sont donnés par une agence (Financial Times par exemple). Les
points représentent des fractions d'une unité monétaire
donnée et l'unité de point représente la
1000ème partie de l'unité monétaire
donnée. Grâce à celle-ci, on détermine les taux de
report/déport1 entre deux monnaies pour choisir le placement
adéquat dans une devise. Il est alors possible comme dans le cas des
«dual currency bonds2» cités plus haut,
d'opérer par le biais des taux de report/déport, des arbitrages
de temps entre devises. En d'autres termes, il est possible d'émettre
dans une devise favorable (en report) et de procéder au remboursement,
dans une devise appelée à se déprécier (en
déport). La couverture dans le cas d'espèce peut se faire soit en
plaçant la monnaie en déport jusqu'à
échéance ou en swappant3 carrément la devise
d'emprunt contre celle de rembours ement.
L'écart entre le différentiel de change
(Base de change) et le différentiel d'intérêt
(Base d'intérêt), représente le "taux
intrinsèque" (Base intrinsèque) que l'émetteur devra
supporter, en plus du taux d'emprunt de la dette si la base joue en la
défaveur de la monnaie d'émission à utiliser. En
conséquence, le coût final pour lui, est composé du taux de
revient effectiø de l'emprunt en devise et du coût de couverture
de la base intrinsèque. Ce taux intrinsèque est un "coupon
supplémentaire" à payer pour couvrir le différentiel
intrinsèque défavorable. Dans le cas de la Côte d'Ivoire,
si elle emprunte en euro, la base intrinsèque est seulement égale
à la base d'intérêt, la base de change étant nulle
en raison de la fixité du régime
1 Différence entre le taux à terme et le taux
comptant qui représente la base de change (différentiel de
change)
(Base<0 = déport et Base> 0 = report)
2 Emis par euro export en .....
3 En échangeant avec d'autres opérateurs
4Le taux de l'emprunt majoré du taux actuariel
de tous les frais d'émission (appelé encore taux de sortie)
de change. La couverture lorsque la base intrinsèque
joue en la défaveur de l'emprunteur, pourrait s'opérer de deux
manières: soit en identifiant les flux à séquestrer
pour sécuriser le coût total ou soit en utilisant les contrats
financiers pour couvrir sa position.
3.1.1.2 la courbe de taux des obligations
d'Etat
Le second élément à prendre en
considération pour le choix de la devise d'émission, c'est la
courbe de taux des obligations d'Etat de la monnaie d'émission. Elle
donne une indication des taux du type obligataire. Cette courbe de taux qui
relie le coût des obligations aux échéances, devra jouer le
rôle de taux plancher que les investisseurs exigeront au moins de
l'émetteur pour prétendre émettre dans la monnaie
d'émission pour un même niveau de risque. A ce taux de
référence ou taux sans risque, une marge reflétant son
niveau de risque sera alors ajoutée pour constituer le coût final
de la dette. Ainsi, pour une émission en dollar, l'on se
référera à la courbe des T-bonds américains.
Pour les émissions en yen, ce sera les Japanese Government Bond
et les Gilts Britanniques, pour les émissions en livre
sterling. Comme illustration, nous avons ci-contre la courbe de taux des
obligations de l'Etat Français1 appelées OAT
françaises (Obligations A Terme françaises).
1
http://www.aft.gouv.fr
On remarque que l'Etat Français selon cette courbe de
taux, peut émettre une dette à 48 ans à un coût de
moins de 4%. Cette véritable «manne» pour les finances
publiques françaises s'explique par le niveau excellent du rating Fitch
en 2005 (AAA). Pour exploiter cette aubaine, la France a émis en janvier
2006, une dette (par émission d'OAT) à 50 ans à un
coût de 4%. Les OAT françaises constitueraient le benchmark des
titres de dette de la zone euro.
Lorsque ces taux de référence sont
établis, on évalue l'écart entre ces taux et un indice
global calculé par la Banque JP Morgan pour les titres des pays en voie
de développement1 : il s'agit de l'indice EMBI Global
(Emerging Bond Index, voir annexe 4). Les titres qui constituent cet indice
respectent quatre critères principaux :
- totaliser un montant d'émission de plus de 500 millions
de dollars ;
- notation au moins de BBB+ ou Baa1
- maturité de plus de un an
- coté sur les marchés plus de 75% du temps et,
l'information sur son cours doit être diffusée par une agence
internationale (Euroclear par exemple).
Pour pouvoir s'identifier à un pays de l'indice EMBI
Global, l'Etat de Côte d'Ivoire devrait pouvoir émettre des titres
qui respectent les critères précédents. A ce moment
là seulement, il sera possible de se faire une idée du spread
exigé par les investisseurs sur les titres de dette de l'Etat de
Côte d'Ivoire, en se référant à l'écart de
l'indice EMBI Global par rapport au benchmark obligataire choisi.
On peut constater, qu'il s'agisse des taux du type
monétaire ou du type obligataire, des spreads se dégagent et
peuvent mettre en jeu l'intégrité
1 Ce sont: le Mexique, le Brésil, le Venezuela, la
Turquie, les Philippines, la Colombie, la Malaisie, la Pologne, le Panama,
l'Argentine, le Qatar, la Bulgarie, le Pérou, l'Afrique du Sud,
l'Equateur, le Maroc, le Nigeria, l'Ukraine et l'Egypte
de l'emprunt. Ces spreads pourraient coûter cher
à l'émetteur si aucun mécanisme de couverture n'est
envisagé sur la base de l'identification des flux devant servir à
la sécurisation de l'emprunt.
2.1.2 La sécurisation de l'emprunt
(mécanismes de couverture)
L'identification des flux pourrait se faire en se
référant à la structure du commerce extérieur.
Cette structure prend généralement en compte : les biens, sujets
au commerce ; la structure géographique des exportations (la composition
en devises des recettes d'exportation) ; la forme, le circuit, le volume et le
rythme des flux de transaction. Il est en outre possible de renforcer cette
couverture en flux, par les réserves de change constituées par la
Banque Centrale. Il s'agit en fait de dévier des flux particuliers vers
un agent chargé du service de la dette (l'agent financier avec lequel le
contrat de fiducie est signé) de sorte à renforcer la
sécurité de l'opération.
Les contrats financiers sont dits aussi contrats à
terme et permettent aux différentes parties aux contrats de
répartir les risques les uns sur les autres, de sorte que le risque
initial pour chacun soit mitigé. Dans le cas d'une émission
internationale, il s'agira de trouver les conditions dans lesquelles le
coût de l'emprunt plus le coût de couverture reviennent moins chers
par rapport à un emprunt domestique du même genre (emprunts
obligataires). Lorsque cette opportunité se présente, on parle
alors de l'existence d'une « fenêtre d'émission ». C'est
à ce niveau que d'un point de vue financier, il devrait s'opérer
l'arbitrage entre une dette interne et une dette externe. En d'autres termes,
il ne serait pas intéressant pour un Etat de contracter un passif
externe par émission d'obligations internationales, si une telle
fenêtre n'est pas ouverte.
Il s'agira donc pour le chef de file de rechercher des
"fenêtres d'émission" qui peuvent exister sur les places
financières, en raison de l'imperfection1 du marché
international des capitaux. Des simulations seront en conséquence
effectuées pour cibler les conditions d'émission les plus
intéressantes pour l'émetteur:
- Emprunter en USD puis swaper en EURO et convertir en
FCFA
- Emprunter en JPY puis swaper en EURO et convertir en
FCFA
- Emprunter en GPB puis swaper en EURO et convertir en FCFA Il
s'agira donc de comparer par exemple, laquelle des modalités cidessus
revient la moins chère en terme de point de base, qu'un emprunt
domestique. De la sorte, la base de change est couverte en cas de variation
défavorable du taux de change de la devise d'emprunt. Pour tenir compte
de toutes ces contraintes dans la structuration des obligations, il existe
diverses formes d'obligations qui ont déjà été
utilisées antérieurement par certains états et organismes,
et dont il convient d'en exposer ici, quelques unes.