2.2 Les contraintes du marché
L'absence d'une réglementation spécifique aux
opérations se déroulant sur le marché international des
capitaux n'exempte pas les émetteurs de tenir compte de certaines
contraintes dans leur stratégie de levée de fonds sur
l'euromarché.
La vague de déréglementation comme nous l'avons
souligné tantôt, a favorisé l'émergence d'agences de
notation qui se donnent pour activité principale d'assigner une note ou
rating à chaque titre de dette émis sur les marchés. Ces
notes sont alors censées traduire le risque contrepartie en donnant une
idée assez précise du risque que prendrait un investisseur qui
souhaite souscrire à ces titres de dette souverains.
2.2.1 Notation et processus de notation de
l'émission A- La notation
La déréglementation des marchés
financiers internationaux, appuyée par le contexte d'instabilité
des années 90 (crises de dettes souveraines), a suscité chez les
agents économiques, le souci de se préoccuper du risque-pays des
émetteurs. Il s'est donc dégagé une forte demande
d'informations concernant l'évaluation des profils-pays et des effets
des différentes manifestations du risque. C'est en réponse
à cette pression exercée par les agents économiques, que
le rating a été envisagé. Les agences qui en sont
chargées, ont pour rôle d'analyser le risque de défaut des
émetteurs sur l'euromarché. Les études qu'elles
mènent, aboutissent à des notes synthétiques, sous forme
alphabétique ou alphanumérique, pour faciliter une comparaison
universelle des titres de dette.
Une fois obtenue, les notes sont
réévaluées durant toute la vie de l'emprunt et traduisent
au fil du temps, le risque-pays des émetteurs. Les critères
utilisés par les agences peuvent être quantitatifs ou qualitatifs.
Les données nourrissant chaque critère, sont collectées
soit au plan national auprès de la Banque Centrale, du Ministère
de l'Economie et des Finances,... soit au plan international auprès de
la Banque Mondiale, du FMI, de l'OCDE,....
Le choix de chaque indicateur comme l'a souligné
Yasmine Guessoum (2004), résulte de l'interaction entre précision
des analyses quantitatives et complexité des faits réels.
Il convient dans la mesure où, la notation constitue
un instrument stratégique pour l'émetteur, d'étudier les
familles de critères proposés par les trois principales agences
de rating. Nous les avons sélectionnées en raison de leur
notoriété, du fait qu'elles utilisent des notations de
même type (alphabétique et alphanumérique),
et du fait qu'elles ciblent généralement le même type
d'agents.
Il s'agit des agences que nous avons citées plus haut
: Fitch Ratings, Moody's et Standard & Poor's.
Les critères de rating Fitch ; il s'agit d'une liste
des sujets abordés lors des entretiens de notation, effectués par
les experts de Fitch avec les autorités compétentes des pays
sujets au rating. Ce processus étant par nature prospectif, les besoins
d'information s'étendraient généralement sur au moins cinq
années révolues et deux années prévisionnelles, la
première étant l'année de la mise en place de
l'étude.
Fitch intervient dans 75 pays et couvre tous les principaux
secteurs économiques. Elle se charge de noter près de 70 Etats et
plus de 100 collectivités locales. Les thèmes utilisés
à cet effet, se présentent sous forme de 14 groupes au sein
desquels 103 critères sont réunis, faisant de Fitch, l'agence de
rating disposant de l'éventail de critères le plus large et le
plus détaillé.
Les critères de Rating Moody's ; le champ
d'étude de Moody's couvre un échantillon de 100 pays, par le
biais d'un système d'évaluation du risque basé sur des
variables d'ordre politique et économique. Celles-ci sont au nombre de
50, réparties sur 5 grandes familles de critères.
Les critères de rating Standard & Poor's (S &
P) ; le champ d'étude de S & P, couvre un échantillon du
risque de 77 pays et se base sur un système d'évaluation du
risque souverain composé de 47 critères répartis sur 9
thèmes couvrant les plans politique et économique.
Pour plus de détails concernant la composition de ces
familles de critères, il est nécessaire de se
référer à l'annexe 2.
La répartition des notes attribuées aux titres
de long terme par les agences de rating, tel que le montre le tableau 9, se
fait globalement sur deux grandes catégories :
- Moody's stratifie davantage son échelle, en
associant aux catégories allant de Aa à Caa, les indices 1, 2 et
3 afin de déterminer, la position exacte de chaque émetteur au
sein de la catégorie à laquelle il appartient (1 : tête de
catégorie, 2 : milieu de catégorie et 3 : fin de
catégorie),
- S & P en fait autant avec l'adjonction des signes + et
- aux catégories allant de AA à CCC, afin de déterminer
avec plus de précision, la position relative d'un émetteur dans
l'échelle des notes (+ : tête de catégorie, aucun : milieu
de catégorie et - : fin de catégorie),
- Fitch applique aussi les nuances + et - aux
catégories allant de AA à CCC (+ : tête de
catégorie, aucun : milieu de catégorie et - : fin de
catégorie).
Par ailleurs, en tenant compte de ces nouvelles
échelles, il est possible de regrouper les notes en sous
catégories suivant la qualité du titre sujet au rating, en
préservant toutefois, la limite entre les catégories
d'investissement de sécurité et spéculatif.
Moody's
|
S & P
|
Fitch
|
Interprétation
|
Investment grade
|
Catégorie investissement
|
Niveau
d 'investissement
de sécurité
|
1ère Catégorie
|
Aaa
|
AAA
|
AAA
|
Qualité maximale
(probabilité de risque minimal)
|
Aa1
|
AA+
|
AA+
|
Qualité élevée (probabilité de
risque très faible)
|
Aa2
|
AA
|
AA
|
|
AA-
|
AA-
|
|
A+
|
A+
|
Qualité favorable (probabilité de risque
faible)
|
A2
|
A
|
A
|
|
A-
|
A-
|
|
BBB+
|
BBB+
|
Qualité correcte (probabilité de risque
normalement
faible)
|
Baa2
|
BBB
|
BBB
|
|
BBB-
|
BBB-
|
|
Catégorie spéculative
|
Niveau
d 'investissement
de sécurité
|
2ème Catégorie
|
Ba1
|
BB+
|
BB+
|
Faible protection contre les éléments
spéculatifs (probabilité d'évolution du risque)
|
Ba2
|
BB
|
BB
|
|
BB-
|
BB-
|
|
B+
|
B+
|
Faible probabilité de respect des engagements (Risque
significatif avec marge de sécurité)
|
B2
|
B
|
B
|
|
B-
|
B-
|
|
CCC+
|
CCC+
|
Eventualité d'un défaut proche (risque
considérable)
|
Caa2
|
CCC
|
CCC
|
|
CCC-
|
CCC-
|
|
CC
|
CC
|
Eventualité d'un défaut imminent (risque
élevé)
|
C
|
C
|
C
|
|
D
|
DDD
|
En défaut (risque excessif)
|
|
|
DD
|
|
|
D
|
|
Tableau 10 : Interprétation des échelles
employées par les agences Moody's, S&P et Fitch
Source: Fitch Ratings, Méthodologie de
Notation des Risques Souverains, Fitch Sovereign Ratings, Fitch Inc., New York,
2002, p.15.
Moody's, Moody's Rating Methodology Handbook, Sovereign,
Moody's Investor Service Inc., New York, April 2002, p.102.
http://www.standardandpoors.com/Europe/francais/Fr_resource_center/criteres.html.
Il ne faudrait pas perdre de vue que tout rating
représente une image ponctuelle de la situation politique et
économico-financière d'un pays. C'est pourquoi, afin de lui
donner un caractère dynamique, les agences de notation effectuent une
mise sous surveillance permettant de signaler les tendances éventuelles
que pourrait subir le rating ultérieurement. Pour ce faire, chaque
agence détermine une "matrice de transition" qui donne la
probabilité de voir une dette bénéficiant au départ
d'une notation donnée, être notée différemment au
bout de 1 an, 2 ans...
A titre d'exemple, voici ci-dessous présentée, la
"matrice de transition" de S&P :
Rating initial
|
AAA
|
AA
|
A
|
BBB
|
BB
|
B
|
CCC
|
D
|
RA
|
AAA
|
90,34
|
5,62
|
0,39
|
0,08
|
0,03
|
0
|
0
|
0
|
3,54
|
AA
|
0,64
|
88,78
|
6,72
|
0,47
|
0,06
|
0,09
|
0,02
|
0,01
|
3,21
|
A
|
0,07
|
2,16
|
87,94
|
4,97
|
0,47
|
0,19
|
0,01
|
0,04
|
4,16
|
BBB
|
0,03
|
0,24
|
4,56
|
84,26
|
4,19
|
0,76
|
0,15
|
0,22
|
5,59
|
BB
|
0,03
|
0,06
|
0,40
|
6,09
|
76,09
|
6,82
|
0,96
|
0,98
|
8,58
|
B
|
0
|
0,09
|
0,29
|
0,41
|
5,11
|
74,62
|
3,43
|
5,30
|
10,76
|
CCC
|
0,13
|
0
|
0,26
|
0,77
|
1,66
|
8,93
|
53,19
|
21,94
|
13,14
|
|
Tableau 11 : Matrice des transitions de S&P au
bout d'un an (en %)
RA : Rating Abandonné,
Source:
http://www.standardandpoors.com/
(Credit Week, June 2001)
Ce tableau se lit de la manière suivante :
l'émission bénéficiant d'une notation initiale AAA a une
probabilité de 90,34 % de la conserver. Il y a une probabilité
à 5,62 % de passer de AAA à AA, de 0,39 % de passer de AAA
à A....
Grâce à la "matrice de transition", les agences
de notation, déterminent ensuite les taux de défaut
cumulés qui leur permettent d'associer systématiquement à
chaque note, un qualificatif suivant : positive
(indiquant la possibilité d'une hausse), negative
(pour une baisse), evolutive (pour un changement dont la
direction n'est pas déterminée) et stable (pour un
maintient de la note au niveau actuel).
Année Risque
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
10
|
15
|
AAA
|
0,00
|
0,00
|
0,03
|
0,06
|
0,10
|
0,51
|
0,51
|
AA
|
0,01
|
0,04
|
0,09
|
0,16
|
0,25
|
0,79
|
1,07
|
A
|
0,04
|
0,11
|
0,19
|
0,32
|
0,49
|
1,41
|
1,83
|
BBB
|
0,22
|
0,50
|
0,79
|
1,30
|
1,80
|
3,68
|
4,48
|
BB
|
0,96
|
2,97
|
5,35
|
7,44
|
9,22
|
15,00
|
16,36
|
B
|
5,30
|
11,28
|
15,88
|
19,10
|
21,44
|
27,88
|
29,96
|
CCC
|
21,94
|
29,25
|
34,37
|
38,24
|
42,13
|
46,53
|
48,29
|
Invesment grade (BBB et au- dessus)
|
0,08
|
0,19
|
0,31
|
0,51
|
0,72
|
1,71
|
2,14
|
Speculative grade
|
4,14
|
8,34
|
11,93
|
14,67
|
16,84
|
22,85
|
24,58
|
|
Tableau 12 : Matrice des taux de défaut
cumulés de S&P (en %)
Source:
http://www.standardandpoors.com/
(Credit Week, 31 Janvier 2001)
Ce tableau se lit de la manière suivante : le pays qui
émet pour 15 ans, des titres de dette ayant la note AAA à
l'année 0, à une probabilité d'être
défaillant: nulle, les deux années qui suivent l'émission;
de 0,03, la troisième année,...de 0,51 % la 15ème
année.
En somme, les agents économiques disposent de grilles
de lecture détaillée leur permettant de se faire une idée
assez précise du niveau de risque encouru lors de l'investissement dans
les titres d'un pays sujet au rating. Connaître les critères et
leur contenu, permet à l'émetteur d'être plus regardant sur
ces derniers. En clair, il apparaît nécessaire d'opérer les
réformes indiquées au niveau des indicateurs clés dans le
souci de permettre l'obtention d'un bon rating, coût de financement
oblige !
B- Processus de notation de l'émission
Les agences de notation, notent généralement
sur la demande de l'émetteur, ce qui leur permet d'accéder plus
facilement à l'information privilégiée (Plan de
développement à moyen, long terme; rencontre avec les
autorités de la Banque Centrale, du Ministère de
l'économie,...). L'attribution d'une note sans la collaboration de
l'émetteur est assez rare et tributaire de la qualité de
l'information disponible. En outre, si l'émetteur n'a pas besoin de
cette notation immédiatement, elle peut rester confidentielle, on parle
alors d'un shadow rating.
Comité de notation
Décision Réunion avec l'agence l'émetteur
décide ou non de
d'obtenir le rating présentation, rendre la notation
publique Questions-réponses
Processus d'émission
j
40 jours 90 jours
Préparation par l'émetteur Analyse par l'agence
(Document de support,...)
Figure 3: Processus d'obtention d'un rating
Après l'obtention du rating, il appartient au syndicat
bancaire d'enclencher le processus d'émission en analysant
minutieusement les conditions fiscales et réglementaires qui sont
offertes sur différentes places financières (le market rate). La
réussite de l'opération serait en partie fonction de cette
prospection parce que même si le marché international des capitaux
est déréglementé, les investisseurs eux, restent encore
soumis à leur réglementation locale. La charge
reviendrait donc au chef de file de détecter les
possibles volants, les leviers juridiques et fiscaux qui pourraient être
utilisés au profit de l'émetteur pour une mobilisation optimale
tout en sécurisant les fonds.
2.2.2 Analyse et choix stratégique des places
financières internationales
Dans une opération d'euro-émission, le choix d'une
place financière pourrait s'avérer judicieux pour deux raisons
principales : pour des considérations réglementaires et pour des
considérations fiscales. Pour assurer la liquidité des titres
ainsi que pour des raisons publicitaires, le chef de file de l'émission
sera amené à faire coter le «papier ». A cet effet,
chaque place financière définit un minimum de formalités
juridiques à remplir, pour pouvoir faire accéder le titre, au
marché secondaire.
Les places financières de Londres et de Luxembourg,
ont bâti leur réputation sur la flexibilité de leur
environnement fiscal, réglementaire et financier, ce qui leur permet de
concentrer sur elles, une partie importante de l'activité
financière mondiale. En conséquence, l'inscription à la
cote d'un titre Etat sur ces places financières, assurerait une
publicité automatique à l'émission et permettrait
d'accroître la liquidité du titre.
En outre, bien que l'euromarché soit un marché
considéré comme déréglementé, certaines
législations trouvent néanmoins à s'appliquer. Lors d'une
émission internationale, le syndicat de direction devra tenir compte des
réglementations locales qui peuvent restreindre, voire interdire
l'accès au marché euro-obligataire. En effet, dans certaines
juridictions comme les Etats-Unis, le Canada et le Japon, la publicité
de
l'émission est sujette à de strictes limites
alors que d'autres comme le Royaume-Uni, une approche plus libérale est
adoptée1.
En conséquence, les réglementations nationales
des juridictions où les titres seront offerts devraient faire l'objet
d'une analyse préalable de la part du syndicat bancaire. Cette analyse
pourrait s'avérer nécessaire pour deux raisons : d'une part, ces
réglementations varient d'un pays à l'autre, d'autre part,
certains pays ont adopté des législations extrêmement
protectrices qui restreignent les possibilités de proposer les titres
dans le public.
Il apparaît tout de même nécessaire comme le
suggère l'ICMA, de prendre en compte la loi nationale ou celle du pays
de dénomination de la monnaie. Ce, dans la quête de synergies
réglementaires et fiscales. Ensuite il faudrait noter que le contrat de
souscription devrait inclure des clauses visant la soumission aux
législations sur les valeurs mobilières des Etats
concernés. Toutefois, il est important de souligner selon l'ICMA, deux
pratiques du marché des émissions internationales : lorsque
l'émission se fait en dollars américains ou lorsque
l'émission donne lieu à une distribution mondiale des titres,
c'est la législation américaine qui s'applique.
Conformément donc à cette législation très
protectrice en la matière, des clauses de restrictions de vente seraient
insérées de façon quasi-systématique dans les
contrats de souscription pour empêcher que les euro-obligations soient
offertes au public et puissent, de cette manière, échapper aux
législations locales visant à protéger les investisseurs
non avertis. Dans la même optique, la législation britannique
devrait s'appliquer lorsque le chef de file a sa résidence au
Royaume-Uni, ou lorsque l'offre des titres s'effectue sur une grande
échelle.
1 Université de Montréal, Québec, Article
de la Revue juridique THEMIS, la pratique contractuelle des émissions
sur les marchés euro-obligataires ;
http://www.themis.umontréal.ca
Dans la structuration de l'émission, l'imposition des
revenus des capitaux mobiliers, jouerait aussi comme un facteur incitatif pour
les investisseurs à la recherche de plus-value. Choisir donc une place
financière qui réponde à un tel besoin des investisseurs,
en terme de revenu sur les valeurs mobilières, revêt un
caractère stratégique.
Au plan international, les revenus des capitaux mobiliers
peuvent être imposés de la manière suivante :
- l'impôt dû, dépend du pays où le
revenu est engendré, c'est-à-dire du pays de l'émetteur
distribuant le revenu (impôt à la
source)
- l'impôt dû, dépend du pays de
l'investisseur et est calculé dans l'assiette globale des revenus
(impôt de résidence)
Les euro-obligations sont pour la plupart
exonérés de retenues à la source, comme l'a fait remarquer
Cathérine Karyotris (1994). Si le syndicat prévoit de faire jouer
l'incitation fiscale, il va donc falloir choisir parmi les banques
concernées par la transaction, celles qui possèdent des
succursales ou des filiales dans des paradis fiscaux ou dans des pays qui sont
liés par des accords fiscaux spéciaux (par exemple1
entre la Côte d'Ivoire et la France, la suisse, la Norvège, la
Grande Bretagne, le Canada, l'Italie, l'Allemagne, la Belgique)
Le franchissement de cette étape de prospection
devrait permettre au syndicat bancaire d'aborder de façon sereine
l'indentification des instruments financiers à la portée de
l'émetteur ou le cas échéant, les possibilités et
le cadre de montage d'instruments de mobilisation de ressources sur
l'euromarché.
1 K. Emmanuel, fiscalité pratique des particuliers et des
entreprises, 6ème Edition, 2003, P. 80
|
|