Michel Foucault ,Psychiatrie et médecine( Télécharger le fichier original )par David Labreure Université Paris 1 panthéon sorbonne - Ma??trise 2004 |
III : LE FONCTIONNEMENT MODERNE DU POUVOIR ET DU SAVOIR MEDICAL:Foucault a poursuivi son étude de la médecine sociale en s'interrogeant sur le problème du fonctionnement moderne du savoir et du pouvoir médical. Celà fit l'objet d'une autre conférence, toujours à Rio, sur le même thème de la médecine sociale. Foucault prend l'exemple du plan Beveridge en Angleterre, mis en place pendant la seconde guerre mondiale, comme étant l'archétype de la prise en charge de la santé par une société. Ce plan comporte plusieurs caractéristiques intéressantes : d'abord, la prise en charge de la santé par l'Etat (ce qui n'est pas nouveau comme nous venons de le voir). Ensuite le fait que la santé entre dans le champ macro-économique et devienne une source de dépense importante. Avec ce plan, c'est donc bien l'idée, nouvelle celle-ci, d'un droit à la santé qui apparaît : « Le concept de l'état au service de l'individu en bonne santé se substitue au concept de l'individu en bonne santé au service de l'Etat »77(*). Foucault constate ainsi l'émergence d'une nouvelle « politique du corps » dans les années 1940/1950 : le corps devient un des principaux objectifs de l'intervention de l'Etat. Foucault parle de « somatocratie »78(*) : « Nous vivons sous un régime pour lequel l'une des finalités de l'intervention étatique est le soin du corps, la santé corporelle, la relation entre médecine et santé »79(*).Autres aspects de cette nouvelle prise en charge de l'individu,le droit,tout à fait nouveau,d'être malade et d'interrompre son travail pour raisons de santé.Foucault veut montrer que « la médecine a toujours été sociale » que « ce qui n'existe pas c'est la médecine non sociale, individualiste, clinique »80(*).La montée de cette préoccupation coïncide notamment avec ce que Jean-Claude Monod nomme une « lente métamorphose des valeurs » 81(*): le fait que le souci du corps a , d'une certaine manière, remplacé le souci de l'âme dont se chargeait la religion. Trois points importants ont été développés au cours de cette conférence au Brésil: - La bio-histoire : selon Foucault, elle est « la trace que peut laisser dans l'histoire de l'espèce humaine la plus forte intervention médicale qui débute au XVIII éme siècle. »82(*).Foucault constate que la médecine tue et a toujours tué. Avant, la médecine tuait à cause de l'ignorance du médecin, du fait que les connaissances n'étaient pas encore ce qu'elles sont aujourd'hui. Au XX éme siècle, les progrès sont considérables et la médecine tue parce qu'elle est une science. Foucault parle de « risque médical » ; c'est à dire le lien entre les effets positifs et négatifs de la médecine. Par exemple, si la découverte des anesthésiques dans les années 1845/1847 représente indubitablement une avancée médicale de qualité, elle a pourtant été accompagnée d'une hausse de la mortalité et il s'est avéré que, sans asepsie, que l'on anesthésie ou non, toute opération peut se révéler dangereuse. Selon Foucault, ces avancées qualitatives de l'individu furent d'emblée vérifiables pour l'espèce humaine en général. - Le second phénomène caractéristique de la médecine moderne est celui d'une médicalisation indéfinie, c'est-à-dire « le fait que l'existence, la conduite, le comportement, le corps humain s'intègrent à partir du XVIII éme siècle dans un réseau de médicalisation de plus en plus dense et important »83(*) .La médecine a traditionnellement un domaine qui lui est propre, celui de répondre à la douleur du malade et de circonscrire son champ d'activité aux maladies. Au XX éme siècle, constate Foucault, la médecine est allée bien au delà de son champ d'action : la médecine s'impose à nous d'autorité : « On n'embauche plus quelqu'un sans l'avis du médecin qui examine autoritairement l'individu ».En outre, les objets du domaine médical s'étend bien au delà des maladies : elle s'occupe de sexualité ou d'hygiène par exemple. La santé en général est devenue objet d'intervention du médecin .Le rôle de l'Hôpital a également évolué : celui ci est devenu un « appareil de médicalisation collective »84(*).La médecine est ainsi passée d'une pratique essentiellement individuelle à une pratique presque exclusivement sociale. Selon Foucault, la médecine moderne est caractérisée par le fait que très peu de domaines lui sont maintenant étrangers : « On ne parvient pas à sortir de la médicalisation (...) la prépondérance conférée à la pathologie devient une forme générale de régulation de la société»85(*).Comme le note B.Cabestan dans l'ouvrage de P.Artières et E.Da Silva Foucault et la médecine, « Toute pratique est comme colonisée par le savoir médical ». - La question économique : c'est-à-dire « l'intégration de l'amélioration de la santé, des services de santé et de la consommation de santé dans le développement économique des sociétés privilégiées »86(*). Foucault constate que « la santé est devenue comme un objet de consommation ».En effet, les hommes produisent, à très grande échelle, des médicaments que d'autres hommes consomment ensuite .Les sociétés occidentales ont intégré dans la notion de développement économique l'amélioration des services, et de la consommation de produits de santé. On parle actuellement de « marché de la santé » .Toutefois, Foucault constate que si au niveau économique une hausse de la consommation induit une hausse du niveau de vie, il n'en va pas de même pour la médecine : une hausse de la consommation de produits de santé n'entraîne pas un meilleur niveau de santé. * 77 Michel Foucault, « Crise de la médecine ou crise de l'anti-médecine »,in Dits et Ecrits,Vol III,Gallimard,Paris,1994,p.41. * 78 Ibid.p.43. * 79 Ibid.p.43. * 80 Ibid.p.44. * 81 Jean-Claude Monod,La police des conduites,Le bien commun,Paris,1997,p.52. * 82 Michel Foucault, « La naissance de la médecine sociale » in Dits et Ecrits, Vol III, Gallimard, Paris, 1994, p.207. * 83 Ibid.p.208. * 84 Michel Foucault, « Crise de la médecine ou crise de l'anti-médecine ? » in Dits et Ecrits, Vol III, Gallimard, 1994, Paris, p.50. * 85 Michel Foucault, « Crise de la médecine ou crise de l'anti-médecine ? » in Dits et Ecrits, Vol III, Gallimard, 1994, Paris, p.53. * 86 Michel Foucault, « La naissance de la médecine sociale » in Dits et Ecrits, Vol III Gallimard, Paris, 1994, p.208. |
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