Processus d'externalisation en Grande-Bretagne et privatisation de la sécurité: Quels rapports, quels enjeux ?( Télécharger le fichier original )par Hugues de Bonnières Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr - 2007 |
2. Volonté de changement et contraintes liées à la réglementation du secteur privé de la Défense.L'augmentation massive du nombre de SMP, la diversité des << conseillers >>, des << experts en sécurité >>, le nombre croissant de civils au service de la Défense, les statuts des personnels des forces armées (Army, Territorial Army, Sponsored Reserve, High Readiness Reserve...), font du secteur de la Défense un secteur sans cesse plus complexe. Le gouvernement britannique en a pris conscience, et a publié en 2002 un Green Paper (littéralement Livre Vert, l' équivalent de nos Livres Blancs de la Défense) à ce sujet : << Private Military Companies, Option for Regulation >>. 21 a) Un point de départ : le Green Paper de 2002.21 . «Pivate Military Companies: Option for Regulation», House of Commons, 12 février 2002, Londres, Her Majesty Stationery Office. http://www.fco.gov.uk/Files/kfile/mercenaries,0.pdf, en date du 19 novembre 2006. L' origine de ce document est une requête faite par le Ministère des Affaires Etrangères à la Chambre des Communes suite aux actions menées par Sandline International en Sierra Leone et son implication dans la guerre civile en 1997 et 1998. Cet engagement, contractualisé entre la société et le président Tejan Kabbah, portait sur des activités de soutien mais aussi de combat. Comme le souligne l'avertissement du Green Paper, « Le contrôle de la violence est un des problèmes fondamentaux de la politique. (...) c'est donc un sujet que nous devons prendre avec sérieux. » Le Green Paper recommande en effet en premier lieu que le gouvernement britannique reconnaisse les SMP comme de nouveaux acteurs de la scène internationale. Jack Straw, alors ministre des Affaires Etrangères, rappelle les nouveaux problèmes et les nouvelles opportunités conséquentes à la fin de la Guerre Froide. Il ajoute à cela que le monde est en passe de demander de plus en plus l'aide des PMC, qui ne sont plus à considérer comme celles des années 1960. Il fait ensuite deux suggestions importantes. Selon lui, les PMC pourrait constituer une alternative viable aux forces nationales. Il rejoint en cela le point de vue de Koffi Annan, lors de la Lecture XXXV de la Ditchley Foundation, le 26 juin 1998: «When we had need of skilled soldiers to separate fighters from refugees in the Rwandan refugee camps in Goma, I even considered the possibility of engaging a private firm. But the world may not be ready to privatize peace.»22 Il suggère ensuite que le gouvernement considère l' option d' accorder une licence à certaines SMP pour distinguer les SMP correctes du point de vue moral, du point de vue de la législation de celles qui le sont moins. Le défi que doit relever le gouvernement du Royaume-Uni est donc d'établir ce qui peut être mis en application dans ce domaine, et ce qui peut satisfaire les points clés de cette situation : défendre l'intérêt public, c'est à dire défendre l'intérêt du gouvernement et du peuple britannique, tout en permettant aux compagnies privées de continuer à exercer leurs activité légales. Christopher Kinsey, auteur de Regulation and Control of Private Military Companies : The Legislative Dimension,23 trouve huit principales raisons de réglementer les SMP. Il s'agit par des mesures fortes de réglementation de s'assurer que 22 . Le discours entier du Secrétaire Général de l'Organisation des Nations Unies est disponible sur le site suivant : http://www.ditchley.co.uk/page/173/lecture-xxxv.htm ,visité le 3 décembre 2006. 23. Christopher KINSLEY, Regulation and Control of Private Military Companies : The Legislative Dimension, Contemporary Security Policy, Vol. 26, N°1, avril 2005, pp. 84 - 102. les SMP n' ont pas d' impact sur la paix, la sécurité et le règlement des conflits ; que faire appel à elles n' est ni illé gal, ni illégitime, que cela ne contrevient pas aux droits de l'homme ; que le SMP ne sapent pas la politique du gouvernement ; qu'elles ne causent pas de dommages économiques à leurs clients ; qu'elles puissent être tenues responsables de leurs actions et de celles de leurs employés ; qu'elles soient le plus transparentes possible ; de les prémunir contre tout jugement illégal ; et enfin de garantir qu' elles ne fragilisent pas la souveraineté des Etats. Le Green Paper étudie donc six propositions de réglementation, qui vont de la plus restrictive à la moins contraignante pour l'activité des SMP. Nous avons donc dans l'ordre :
A toutes ces propositions, dont aucune n'a été retenue par le gouvernement britannique depuis plus de quatre ans qu'elles ont été publiées, s'ajoute une autre solution, proposée par Kévin O'BRIEN 24 . Il s'agirait d'un système de licence en trois phases, afin de contrôler l'industrie des SMP depuis l'origine (la compagnie privée), jusqu'à la prestation réalisée. La première phase consiste à obtenir une licence pour la gamme d'activités réalisées par une SMP, la seconde consiste à obtenir une licence pour 24 . Kévin O'BRIEN est l'auteur de nombreuses études sur le sujet, référencées dans la bibliographie de ce mémoire. Il est Senior Policy Analyst à RAND Europe, think-tank international dont la mission est d'améliorer la gouvernance étatique et mondiale et la prise de décision par la recherche et l'analyse. les moyens militaires de la SMP (matériels, armement, etc.) ; enfin, la troisième étape est la notification par la SMP de chaque contrat qu'elle passe, afin d'obtenir l'autorisation d'exercer son activité. Ce renforcement complet du régime de la licence rassurerait les Etats et le public, car le contrôle serait ici véritablement effectif ; il serait néanmoins la cause d'une bureaucratie importante, et rendrait les SMP moins concurrentes face aux sociétés étrangères non soumises à cette triple licence. La conclusion de ce Green Paper s'impose d'elle-même : rien n'est véritablement préconisé par les rédacteurs de ce rapport, et les solutions envisagées ne règlent pas tous les problèmes. Tenter de réprimer ou de réguler l' activité des SMP ne supprimera pas la demande dans le secteur. Les pays développés trouveront d'autres SMP, moins regardantes sur les valeurs des Droits de l'Homme, et la Grande-Bretagne en souffrira économiquement. La seule solution qui peut paraître intéressante est celle de O'Brien, car c' est la plus contraignante pour tous les acteurs et pour les activités du secteur qui sont alors prises en compte. En effet, s'il existe réellement une urgence dans la régulation des sociétés qui vendent de la sécurité militaire privée, il ne faut pas que cette réglementation soit précipitée. L'introduction d'un régime de régulation adéquat devrait avoir une influence positive sur la stabilité et la sécurité internationale. Cependant, un tel régime ne peut fonctionner que si les employés des SMP adhèrent sans réserve aux idées d'un comportement respectueux des Droits de l'Homme. Enfin, et plus que tout, un tel régime ne peut fonctionner que si un gouvernement le met en place, ce qui n' est touj ours pas le cas en Grande-Bretagne, et que si ce régime est partagé à l'échelle mondiale. Si cela n'est pas le cas, un Etat seul qui introduirait une législation stricte se pénaliserait lui-même, car il s' imposerait seul des limites dans cette activité. Son secteur privé de la sécurité en pâtirait, et le problème ne serait pas résolu. |
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