III - BAISSE DES REVENUS DES AGRICULTEURS
Deux éléments sont à l'origine de la
baisse des revenus des producteurs : les difficultés que
connaissent depuis une dizaine d'années la filière coton et
l'inorganisation de la filière des vivriers.
A - La culture du coton : de la fierté à
la désolation des producteurs
Introduite dans la commune de Ségbana en 1962, la
culture du coton a toujours été celle qui garantit
l'écoulement de la totalité de la production et assure un revenu
monétaire acceptable au producteur.
1-Culture du coton, rentable pour les
agriculteurs avant les années 90
Seule filière agricole relativement bien
organisée, la filière coton connaît un grand engouement de
la part des producteurs agricoles.
Avant les années 90, les recettes du coton permettaient
aux paysans de bénéficier des fruits de leur travail agricole.
Avec ces recettes beaucoup de paysans reconnaissent avoir mis
des toits en tôle sur leurs chambres, échappant du coup aux
multiples incendies de maisons. D'autres paysans ont déclaré
qu'avec ces recettes ils préparent facilement la dot et le mariage
de leur future épouse.
Pour l'ensemble des paysans, avant les années 90 les
recettes individuelles dépassaient rarement cent mille (100.000) FCFA
par hectare de coton.
Le prix de kilogramme de coton variait entre 100 et 140 FCFA.
Mais ces recettes leur permettaient de satisfaire aussi leurs besoins en soins
de santé. Selon le responsable d'agriculture, vers les années 70,
le kilogramme de l'engrais coûtait 90 F et le litre d'insecticide 2500
F.
En général, la charge financière d'un
hectare de coton du semis à la récolte pour un paysan
était comprise entre 20.000 et 30.000FCFA. Un paysan qui a vendu son
coton-graine à 100.000 FCFA avait donc la possibilité de disposer
de 70.000 FCFA pour ses besoins.
A priori, cette somme paraît insignifiante, mais elle
est importante pour le producteur de coton dans son milieu avant les
années 90 où les produits manufacturés qui
intéressaient les producteurs coûtaient relativement moins chers.
Les paysans interrogés déclarent s'en réjouir autrefois.
Mais à partir de 1985 la filière coton a commencé par
avoir de problèmes, ce qui a conduit à sa
réorganisation.
2- Réhabilitation de la filière
coton
La conjoncture économique internationale parfois peu
favorable (fluctuation du taux de change du dollar, accroissement du niveau
mondial de la production), l'insuffisance des infrastructures d'égrenage
et de stockage qui entraîne la mouille de coton, la méthode de
gestion peu efficace de la filière coton ayant conduit à un
déficit de près de 7 milliards de francs CFA de 1985 à
1988 au niveau national ont conduit à la réhabilitation de cette
filière qui est devenue objet de négociations entre le
Gouvernement béninois qui la gérait et les bailleurs de fonds.
Plus le niveau de la production de coton graine augmentait plus le
déficit financier enregistré par la filière était
importante (MDR, 1995). La filière coton étant au bord de la
faillite, le Gouvernement a décidé de la réhabiliter en
apportant des modifications profondes à ses structures et aux
règles de son fonctionnement. Sur le plan institutionnel, les
rôles des différents acteurs intervenant dans la filière
coton ont été recentrés. Ainsi, à la fin des
années 80, le CARDER qui centralisait tout au niveau du secteur rural a
commencé par jouer seulement le rôle de service public de
développement agricole. Les activités industrielles et
commerciales revenaient à la Société Nationale pour la
Promotion Agricole (SONAPRA). Mais au cours de la campagne 1993-1994 le Projet
de Restructuration des Services Agricoles a été mis en oeuvre, la
SONAPRA a été désengagée de la fonction
d'approvisionnement en intrants agricoles au profit des opérateurs
économiques privés nationaux.
Les mesures de restructuration des services agricoles ont
responsabilisé les acteurs à la base afin de leur permettre de
prendre en main leur destinée. Le transfert de compétences aux
producteurs et aux opérateurs économiques privés n'est pas
mauvais en soi. Mais la gestion de ce transfert laisse à désirer.
3- Conséquences du transfert de
compétences
Les opérateurs économiques privés
livrent des intrants agricoles à l'Union Sous-Préfectorale des
producteurs, actuelle Union Communale des Producteurs qui les distribuent
ensuite aux Groupements Villageois des producteurs. Sur la base des besoins
exprimés, chaque producteur obtient à crédit son lot
d'intrants agricoles.
Le crédit est remboursable après la vente du
coton-graine. En cas de mévente, le paysan ne peut négocier le
report du remboursement.
Le distributeur d'intrants agricoles doit
nécessairement rentrer dans ses fonds. De ce fait, il a
été instauré une caution solidaire. Le crédit du
paysan se trouvant dans le cas de la mévente est prélevé
sans pitié sur les recettes de coton d'un autre membre de sa famille,
sans l'avis de ce membre. Cette situation oblige certains paysans à
rentrer bredouilles, mécontents, voyant leurs efforts de toute une
campagne cotonnière non récompensés. Sur 196 paysans
interrogés, 51 soit 26% ont connu cette situation.
Le problème est préoccupant au point que, le
Conseil communal de Ségbana a proposé en 2004 aux distributeurs
d'intrants agricoles la suspension pure et simple de cette caution
solidaire.
Les contraintes liées au remboursement des
crédits agricoles et le besoin urgent de l'argent amènent des
paysans à sortir frauduleusement leur coton-graine vers le
Nigéria où les acheteurs attendent impatiemment leur produit qui
est d'ailleurs acheté au comptant.
Mais les paysans qui se conforment aux textes en vigueur en
vendant leur coton-graine aux structures privées chargées de
l'acheter à l'intérieur de la commune attendent plusieurs mois
et parfois au-delà d'une campagne agricole avant de rentrer dans leurs
fonds de commercialisation du coton-graine.
100% des paysans interrogés se sont plaints du retard
accusé dans le remboursement de leurs sommes de coton-graine. Les
plaintes sont encore plus vives au niveau des paysans qui attendent en vain
leurs payes pour des soins de santé, pour la scolarité des
enfants ou pour d'autres besoins sociaux et économiques. Les
activités agricoles vues sous cet angle, au lieu de contribuer à
la satisfaction des besoins, créent encore plus de problèmes aux
producteurs, les éloignant du coup de leur bien-être social et
économique et affectant leur santé mentale, morale. Tout se passe
comme si outre l'Etat, les opérateurs économiques étaient
les seuls bénéficiaires de la culture du coton. En plus du
système de caution solidaire, les producteurs sont contraints d'acheter
des intrants agricoles qu'ils trouvent chers, des intrants dont les prix ne
cessent d'augmenter presque toutes les campagnes agricoles. Selon le
Responsable d'Agriculture après la dévaluation du franc CFA les
prix des intrants agricoles ont doublé, le kilogramme de l'engrais
coûte 200 F et le litre d'insecticide 4.500 F.
Ces prix ne sont pas stables. Ils augmentent quand les
opérateurs économiques sentent le besoin de le faire.
Heureusement, le Ministère de l'Agriculture, de l'Elevage et de la
Pêche veille au respect des normes puisque les prix des intrants
agricoles lui sont soumis pour homologation et adoption en Conseil des
Ministres et publication. Cependant, des paysans affirment engloutir plus du
tiers de leurs recettes de coton dans le remboursement des frais d'intrants
agricoles (engrais et insecticides).
4- Appauvrissement des producteurs de
coton
Pour fertiliser un hectare de champ de coton, le producteur
utilise trois (03) sacs d'engrais NPK et un (01) sac d'Urée de cinquante
(50) kilogrammes chacun soit au total quatre (04) sacs d'engrais. Les
dépenses en engrais s'élèvent à (200 F x 50 x 4) ou
40.000 F CFA.
Pour le traitement phytosanitaire dans les normes
recommandées, le paysan utilise en tout huit (08) litres d'insecticides
décomposés comme suit : quatre (04) litres d'endosulfan par
hectare pour deux (02) traitements et quatre (04) litres de Binaire Acaricide
pour les quatre (04) derniers traitements. Le paysan dépense au total
pour les traitements phytosanitaires d'un hectare de coton (4.500 F x 8) ou
36.000 F.
Dans le souci d'obtenir de bonnes productions, les paysans
augmentent parfois les doses des intrants par hectare (Tableau V).
Tableau V : Mode
d'utilisation des intrants par les producteurs de coton dans la commune de
Ségbana
Nature
|
Dose recommandée/ ha
|
Coût
|
Pratiques des producteurs/ ha
|
Coût
|
NPK
|
150 kg
|
30.000 F
|
200 kg
|
40.000 F
|
UREE
|
50 kg
|
10.000 F
|
100 kg
|
20.000 F
|
INSECTICIDE
|
8 litres
|
36.000 F
|
5 litres
|
22.500 F
|
TOTAL
|
-
|
76.000 F
|
-
|
82.500 F
|
Sources :
Résultats d'enquête de terrain et rapport MAEP,
2004.
Les données de ce tableau montrent que le producteur
de coton qui respecte les doses d'intrants agricoles recommandées
dépense soixante seize mille (76.000) Francs CFA à l'hectare
pendant que celui qui fait un autre choix investit quatre-vingt deux mille cinq
cent (82.500) Francs CFA.
Les producteurs de coton effectuent aussi d'autres
dépenses pour le labour comme l'indique le tableau VI.
Tableau VI : Coût
de labour dans la commune de Ségbana
Labour
|
Manuel
|
Attelage
|
Tracteur
|
Coût / ha
|
26.000 F
|
20.000 F
|
24.000 F
|
Source : Résultats
d'enquêtes de terrain, 2004.
Les résultats de ce tableau témoignent de
l'utilisation de la main-d'oeuvre agricole payante dans les champs de coton
lors des labours.
Aussi, le sarclage d'un hectare de champ de coton coûte
30.000 F CFA, tout comme la récolte par des ouvriers agricoles.
Alors, un paysan de coton qui respecte les doses
recommandées d'utilisation d'intrants agricoles, qui assure
lui-même ou par un membre de sa famille la fertilisation et les
traitements phytosanitaires de son champ d'un hectare et qui utilise la
main-d'oeuvre agricole payante pour assurer les autres activités
(sarclage, récolte) dépense environ
(76.000F+20.000F+30.000F+30.000 F) soit 186.000FCFA.
Tous les paysans interrogés déclarent un
rendement de coton compris entre 800 kg/ha et une (01) tonne au plus. Si le
kilogramme du coton est acheté à 200 FCFA, le paysan qui obtient
un rendement d'une tonne par hectare vend son produit à 200.000FCFA et
celui qui a 800 kg /ha à 160.000FCFA.
Après la défalcation des dépenses
effectuées le paysan qui a un rendement de coton en dessous d'une tonne
par hectare se retrouve avec une dette (186.000 F - 160.000 F) soit 26.000
FCFA, quand ses dépenses s'élèvent à 186.000
FCFA.
Le second qui obtient une tonne à l'hectare a un
bénéfice de (200.000F-186.000 F) soit 14.000F.
Les paysans interrogés ont déclaré que
tous ceux qui ont comptabilisé leurs dépenses, comparé les
dépenses aux recettes sont tentés d'abandonner la culture du
coton parce que non rentable. Pour contourner ces dépenses, les
producteurs de coton assurent eux-mêmes la plupart des activités
(labours, semis, sarclage) et réservent souvent les traitements
phytosanitaires aux enfants et la récolte à leurs épouses.
Dans ce cas, pour un hectare de coton, le paysan s'en tient aux dépenses
liées aux intrants agricoles qui s'élèvent dans les normes
à 76.000FCFA (confère tableau V). Ce qui lui permet
d'espérer au plus une somme de (200.000F-76.000F) soit 124.000F. Ce
revenu annuel est relativement faible pour les paysans se trouvant dans ce cas,
même s'il leur permet de subvenir quelque peu à leurs besoins.
Le revenu est encore plus faible ou n'existe même pas
quand le producteur prend plus d'intrants qu'il le faut, dans le souci de les
revendre moins chers aux fonctionnaires producteurs qui ne sont pas membres des
groupements villageois des producteurs ou aux Nigérians des
localités frontalières.
Cette vente des surplus d'intrants se fait dans la
clandestinité pour subvenir à certains besoins en raison du
manque de fonds, sans tenir compte des difficultés qui pourraient
naître lors du remboursement. De ce fait, les crédits des paysans
concernés sont défalqués sur le revenu d'un ou des membres
de leur famille, même s'il arrive que ce membre de la famille soit une
femme qui s'est échinée pour faire son champ de coton. Au cas
où il n'est pas possible de défalquer ce crédit ailleurs,
les biens (moto, moulin à maïs...) des paysans concernés
sont confisqués par les responsables des GV.
De l'analyse de ces différents résultats, il
ressort en général que la culture du coton ruine plus qu'elle ne
participe au bien-être du producteur.
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