Les Garanties Autonomes au Maroc( Télécharger le fichier original )par Mohammed SENTISSI Université de Perpignan - Master II (R) 2006 |
Chapitre Il: LES MODALITES DE LA MISE EN ECHECSection I : Mesures visant à retarder ou à suspendre le paiement§ I : Saisie conservatoire ou saisie-attribution de la garantie Parmi les raisons que peut avoir le donneur d'ordre à vouloir empêcher l'exécution de la garantie peut se trouver le fait qu'il est lui-même créancier du bénéficiaire de la garantie. Il peut alors songer à pratiquer une saisie de la garantie, constitutive d'une créance du bénéficiaire. La saisie conservatoire permet à un créancier de rendre indisponibles entre les mains d'un débiteur de son débiteur des fonds ou effets revenant à ce dernier. Une saisie attribution peut être pratiquée si la créance invoquée est certaine, liquide et exigible. Pourtant, cette voie doit être fermée au donneur d'ordre. La saisie est vouée à l'échec, car, elle n'implique pas la négation des droits du bénéficiaire, c'est la qualité de créancier du donneur d'ordre qui est mise en avant. Or, cette qualité ne lui permet pas de faire échec à l'exécution de la garantie autonome. Deux raisons s'y opposent. La première, liée à la combinaison d'une garantie de premier rang et d'une ou plusieurs contre-garanties, résulte des conditions même de la saisie, mais ne vaut qu'en présence d'une telle combinaison. La seconde, de fond, est de portée générale. Le plus souvent, la voie de la saisie est tentée, non à l'encontre du garant de premier rang, lorsque le bénéficiaire appelle sa garantie, mais à l'encontre de la banque (marocaine)168(*) contre-garante, appelée par la banque garante de premier rang. C'est alors le droit de créance autonome du garant de premier rang sur le contre-garant que le donneur d'ordre entend tenir en échec. Or, la première condition de la saisie est que le saisissant soit créancier du titulaire de la créance saisie, c'est-à-dire, en l'occurrence, du garant de premier rang. À l'évidence, il ne l'est généralement pas. C'est contre le bénéficiaire de la garantie que le donneur d'ordre a, le cas échéant, une créance. La saisie ne peut donc aboutir, faute de droits du donneur d'ordre contre le garant, dont le contre-garant saisi est débiteur Plus fondamentalement, et à supposer que les conditions techniques de la saisie ci-dessus rappelées soient remplies (ce qui peut être le cas en l'absence de contre-garantie ou si le donneur d'ordre entend saisir la garantie de premier rang), la saisie doit néanmoins être tenue en échec en raison, une fois de plus, de la nature particulière de la garantie autonome. C'est en ce sens que se prononce la jurisprudence très largement dominante en France169(*). Toutes ces décisions rétractent ou infirment des ordonnances de référé ou des jugements ayant ordonné des saisies-arrêts). La jurisprudence marocaine170(*) ainsi que la Cour de cassation approuvent cette solution171(*). À cet égard également, la haute juridiction se contente, ce faisant, d'aligner sa jurisprudence sur la solution précédemment retenue en matière de crédit documentaire172(*). Est ainsi confirmé que la banque garante peut impunément passer outre à une saisie-arrêt (ou à une défense judiciaire de payer ou à une mesure de séquestre) si elle assume le risque de la validation définitive de la mesure. De cette solution peut aussi être tiré argument dans le sens de la validité de la clause évoquée. L'argument déterminant est le même que celui qui s'oppose à la mise en oeuvre d'une défense de payer ou d'une mesure de séquestre. En pratiquant une saisie, le donneur d'ordre se met en contradiction avec son engagement de procurer au bénéficiaire une garantie autonome, payable à première demande (ou, le cas échéant, sur demande justifiée ou sur présentation de certains documents). "Admettre la possibilité d'une telle saisie serait permettre à l'un des contractants de paralyser, fût-ce provisoirement et temporairement, l'exécution des engagements clairs et valables qu'il a pris en connaissance de cause, compte tenu des risques auxquels il s'exposait"173(*). Le donneur d'ordre est donc censé avoir renoncé, du seul fait qu'il a constitué une garantie autonome, à pratiquer une telle saisie. § 2 : Défense de payer Le moyen le plus élémentaire pour le donneur d'ordre de faire obstacle à l'exécution de la garantie est de notifier au garant son opposition au paiement, qui peut revêtir deux formes : celle d'une simple injonction émanant de lui-même ou celle d'une décision de justice. A.- Objection au paiement Le donneur d'ordre peut avoir des raisons concrètes de s'opposer au paiement de la garantie. Le contrat peut, le cas échéant, encourir une nullité, il peut avoir été rompu sans raison valable par le bénéficiaire, son exécution peut être devenue impossible pour des raisons indépendantes de la volonté des parties : raisons politiques, faits de guerre... Le donneur d'ordre peut aussi avoir la conviction d'avoir rempli ses engagements, du moins pour l'essentiel, ou se trouver lui-même créancier du bénéficiaire, au titre de prestations impayées ou de dommages et intérêts, ou encore au titre d'autres contrats. Aucune de ces raisons ne justifie, pourtant, la notification d'une défense d'exécuter la garantie, sous la réserve, toujours, d'un appel manifestement abusif174(*). En adressant cette injonction au garant, le donneur d'ordre revient en effet unilatéralement sur ses propres engagements, ce que lui interdisent les principes essentiels du droit des contrats, spécialement l'article 1117 du D.O.C. Il a librement et valablement donné instruction au garant de s'obliger en termes de garantie autonome, payable, le plus souvent, à première demande. Un contrat s'est formé en ce sens entre lui et le garant. Il ne peut unilatéralement en remettre en cause l'exécution. Or, tel est bien l'objectif de la défense de payer : empêcher le garant d'exécuter son engagement, pris tant à l'égard du bénéficiaire que du donneur d'ordre lui-même. De plus, la défense de payer s'appuie quasiment toujours sur des exceptions tenant au contrat de base, alors que la spécificité de la garantie octroyée consiste précisément dans la suppression de toute possibilité de faire valoir les exceptions de cette nature. Par conséquent, le garant, non seulement peut, mais doit passer outre à une telle défense de payer, à moins qu'il n'ait lui-même conscience d'un abus manifeste. Sous cette réserve, la défense de payer que lui notifie le donneur d'ordre n'est pas de nature à lui épargner une éventuelle condamnation à des dommages et intérêts pour refus injustifié du paiement B.- Défense judiciaire La situation du garant est à première vue différente si une défense judiciaire de payer lui a été signifiée. Comment pourrait-il se soustraire à une décision de justice ? La clause du contrat de garantie qui l'obligerait à payer en dépit d'une interdiction judiciaire semble donc vouée à l'inefficacité. Corollairement, le refus de payer fondé sur une telle défense judiciaire ne pourrait donc justifier une condamnation à des dommages et intérêts prononcée contre lui On a cependant fait observer que l'injonction du donneur d'ordre lui-même ou du juge, saisi par lui, tendait plutôt à interdire à la banque d'exercer son recours contre le donneur d'ordre qu'à l'empêcher de payer. Ni le donneur d'ordre, ni le juge n'ont en effet de raisons d'interdire le paiement. Il appartient à la banque, dûment avertie, de prendre ses responsabilités. Un arrêt de la Cours d'Appel de Paris175(*) a jugé régulier le paiement de la garantie après réception de la télécopie informant le garant d'une interdiction judiciaire de payer, et alors que l'appel de la garantie n'était pas entaché d'abus manifeste. Dans cette perspective, la clause susvisée par laquelle la banque se serait obligée à payer nonobstant une défense judiciaire de payer serait valable. * 168 Cour d'appel PARIS 23 Juin 2004 JurisData : 2004-248266 * 169 (cf. CA Paris, 27 oct. 1981 : JCP G 1981, II, 19702, note Bouloy ; RTD com. 1982, p. 281, obs. Cabrillac et Teyssié. - CA Paris, 25 mars 1982 : JCP G 1982, II, 19876, 2e esp., note Stoufflet ; D. 1982, inf. rap. p. 497, obs. Vasseur ; RTD com. 1983, p. 103, obs. Cabrillac et Teyssié. - T. com. Paris, 15 févr. 1984 : D. 1984, inf. rap. p. 205, obs. Vasseur ; RTD com. 1984, p. 504, obs. Cabrillac et Teyssié. - CA Paris, 26 juill. 1985 : Banque 1985, p. 857, obs. Rives-Lange ; RTD com. 1985, p. 802, obs. Cabrillac et Teyssié ; D. 1986, inf. rap. p. 157, obs. Vasseur. * 170 Arrêt 3772/2002 du CA Comm. Casablanca du 15 juil. 2002 Publié dans La gazette des Tribunaux de commerce. P. 145. * 171 (Cass. com., 27 nov. 1984 : D. 1985, jurispr. p. 269, 2e esp., note Vasseur. - Cass. com., 12 déc. 1984 : Bull. civ. 1984, IV, n° 344 ; JCP G 1985, II, 20436, 2e esp., obs. Stoufflet ; D. 1985, jurispr. p. 269, 3e esp. - Cass. com., 15 juin 1999 : Juris-Data n° 1999-002485 ; Bull. civ.1999, IV, n° 126 ; JCP E 1999, Pan. p. 1462, obs. Bouteiller ; Banque et droit nov.-déc. 1999, p. 52, obs. Prüm ; RTD com. 1999, p. 941, obs. Cabrillac ; D. 2000, jurispr. p. 113, note Picod * 172 (cf. Cass. com., 14 oct. 1981, cité supra n° 63. - Cass. com., 18 mars 1986 : Bull. civ. 1986, IV, n° 47 ; JCP G 1986, II, 20624, note Stoufflet ; D. 1986, jurispr. p. 374, 1e esp., note Vasseur. - Cass. com., 24 juin 1986 : Bull. civ. 1986, IV, n° 131. - Cass. com., 7 oct. 1987 : Bull. civ. 1987, IV, n° 213 ; D. 1987, inf. rap. p. 203 ; JCP G 1988, II, 20928, note Stoufflet) * 173 (CA Paris, 27 oct. 1981, préc.) * 174 C. Sup. Arrêt ;° 231, du 31 janv. 2001, Gazette des tribunaux du Maroc n° 97 p. 197 * 175 (cf. CA Paris, 26 janv. 1995 n° 1995-020684), |
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