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Les Garanties Autonomes au Maroc

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par Mohammed SENTISSI
Université de Perpignan - Master II (R) 2006
  

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Section II: L'exception de fraude et d'abus manifestes

§ I : Appréciation du caractère manifeste de la fraude ou de l'abus

La difficulté qui subsiste est celle de l'appréciation du caractère manifeste de l'abus ou de la mauvaise foi. Les espèces dans lesquelles l'appel de la garantie a été jugé abusif montrent la diversité des circonstances pouvant révéler l'abus manifeste. Le critère de l'évidence, critère de pur fait, fournit un repère utile. Il permet de penser que certaines des décisions citées ont peut-être admis avec trop d'indulgence le caractère manifestement abusif de l'appel de la garantie, en s'attachant moins à l'analyse du comportement ou de l'état d'esprit de l'auteur de l'appel qu'à des circonstances tenant au contrat de base. L'appel est manifestement abusif, non en considération de critères objectifs, mais en raison de la mauvaise foi évidente de l'appelant, c'est-à-dire de sa conscience de l'absence de droit. Les constatations objectives peuvent seulement contribuer à l'établissement de l'évidence de la mauvaise foi.

On sait, en effet, que l'exception de nullité du contrat de base n'est pas opposable au bénéficiaire de la garantie. Au surplus, faute d'informations sur les causes de la nullité, le caractère injustifié de l'appel de la garantie n'était nullement évident.

§ 2 : Application jurisprudentielle

A.- Appels non manifestement abusifs

La tentation est irrésistible pour le donneur d'ordre, privé de tout moyen de s'opposer à l'appel de la garante, d'invoquer l'abus ou la fraude chaque fois qu'à ses yeux l'appel de la garantie n'est pas fondé, voire d'user de cette parade à titre de moyen dilatoire. Il n'est donc pas étonnant que de très nombreuses décisions réservent l'hypothèse de la fraude ou de l'abus manifeste, tout en jugeant que la garantie devait, en l'espèce, être exécutée, faute d'éléments suffisants permettant de voir dans l'appel de la garantie un abus ou une fraude manifeste159(*)

N'est à l'évidence pas abusif l'appel d'une garantie autonome lorsqu'il est établi que le contrat de base n'a été que partiellement exécuté 160(*) ou qu'il existe seulement un différend entre les parties au contrat de base161(*). N'est pas davantage abusif l'appel de la garantie après résiliation du contrat de base par le maître de l'ouvrage162(*). Est ainsi censuré un arrêt ayant jugé abusif l'appel de l'intégralité d'une garantie, alors que le contrat principal - un prêt d'or - avait été en grande partie exécuté et que l'appel était fondé sur des obligations partiellement étrangères au contrat garanti163(*)

B.- Appels jugés manifestement abusifs

Plus significatifs, mais moins nombreux, sont les arrêts qui ont au contraire jugé justifiés, en raison d'un abus manifeste, le refus du garant de donner suite à l'appel de la garantie ou, plus fréquemment, l'intervention du donneur d'ordre afin de l'en empêcher. Ont ainsi considéré comme manifestement frauduleux ou abusif l'appel de la garantie, lorsque :

-

· l'appel de la garantie s'expliquait, non par l'inexécution par le donneur d'ordre de ses obligations, la preuve étant apportée de leur pleine exécution ou de l'impossibilité de celle-ci, pour des raisons de force majeure, mais par des raisons purement politiques, liées au conflit entre deux Etats, consigne ayant été donnée par l'un à ses banques d'appeler les garanties fournies par les banques de l'autre164(*) ;

-

· le contrat de base a été délibérément rompu par le bénéficiaire de la garantie et une procédure d'arbitrage, prévue au contrat, y compris pour les litiges relatifs aux garanties, était en cours 165(*) ;

-

· les autorités nationales de tutelle du bénéficiaire de la garantie, usurpant la personnalité morale de la société donneur d'ordre et la spoliant, ont constitué une prétendue société nationale du même nom, chargée de la poursuite des travaux, et ont tenté, par l'appel des garanties constituées, de faire supporter au donneur d'ordre initial la charge du financement de la société fictive nationale166(*); en revanche le seul fait que l'Etat étranger bénéficiaire de la garantie ait une participation dans la banque garante de premier rang n'emporte pas présomption de connaissance par celle-ci de l'abus commis par ledit bénéficiaire 167(*) ;

-

 

Il est significatif qu'une proportion importante des affaires ci-dessus citées se rapporte aux affaires dites iraniennes, consécutives aux différends nés après le changement de régime en 1979.

* 159 (cf. notamment, Cass. com., 12 déc. 1984 : Bull. civ. 1984, IV, n° 344 ; JCP G 1985, II, 20436, 2e esp., note Stoufflet ; Cass. com., 7 juin 1994 : Bull. civ. 1994, IV, n° 203 ; JCP G 1994, II, 22312, note Stoufflet ; RTD com. 1983, p. 597, obs. Cabrillac et Teyssié.

* 160 (CA Paris, 6 mars 1991 : Juris-Data n° 1991-020970 ; D. 1992, somm. p. 241, obs. Vasseur)

* 161 (Cass. com., 18 déc. 1990 : Bull. civ. 1990, IV, n° 325 ; D. 1991, inf. rap. 13. - Cass. com., 5 déc. 2000 : Juris-Data n° 2000-007344 ; JCP G 2001, I, 315, n° 9, obs. Simler. - CA Versailles, 16 sept. 1992 : D. 1993, somm. p. 102, obs. Vasseur, infirmant T. com. Nanterre, 24 mai 1991 : D. 1992, somm. p. 242

* 162 (CA Poitiers, 10 oct. 2000 : Juris-Data n° 2000-143730. L'arrêt précise que les garanties autonomes servent justement à prévenir au profit de leurs bénéficiaires ce type de difficultés).

* 163 (Cass. com., 25 mars 2003 : Juris-Data n° 2003-018684 ; RJDA 10/2003, n° 1021 ; JCP G 2003, I, 176, n° 11, obs. Simler).

* 164 (T. com. Paris, 12 févr. 1982 et T. com. Bruxelles, 6 avr. 1982, réf. : D. 1982, jurispr. p. 504, note Vasseur. - V. cependant CA Paris, 31 mai 1988 : D. 1989, somm. p. 153, obs. Vasseur, qui n'a pas jugé abusif l'appel simultané de plusieurs garanties en période de tension politique entre deux Etats)

* 165 (T. com. Paris, réf., 15 oct. 1982 : D. 1983, inf. rap. p. 304, obs. Vasseur. - Dans le même sens, CA Paris, 11 mai 1995 : Juris-Data n° 1995-022480)

* 166 (CA Paris, 25 mai 1983 : D. 1983, inf. rap. p. 484, obs. Vasseur ; RTD com. 1984, p. 127, obs. Cabrillac et Teyssié ; et sur pourvoi, Cass. com., 11 déc. 1985 : Bull. civ. 1985, IV, n° 292 ; JCP G 1986, II, 20593, note Stoufflet ; D. 1986, jurispr. p. 213, 2e esp., note Vasseur. - Rappr. T. com. Paris, 8 juill. 1983 : D. 1984, inf. rap. p. 92, obs. Vasseur. - Contra, cependant, CA Paris, 25 janv. 2002 : Juris-Data n° 2002-187939)

* 167 (Cass. com., 29 mars 1994 : JCP E 1994, I, 378, n° 22, obs. Gavalda et Stoufflet ; RD bancaire et bourse 1994, p. 239, obs. Contamine-Raynaud ; D. 1995, somm. p. 20, obs. Vasseur)

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