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Les enjeux de l'emigration scolaire au Gabon


par Savin Berthier TSINGA BOUKANGOU
Université Omar Bongo - Master 2023
Dans la categorie: Géographie
   
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CHAPITRE 4 : LE DOMAINE SCOLAIRE, UN ENJEU DE SOFTPOWER

L'éducation est reconnue comme un droit fondamental par les Nations Unies et constitue un facteur important de développement des États. Dans un monde en perpétuel compétition, l'éducation est à la fois un aspect fondamental de l'influence d'un pays et un moyen pour accéder à la puissance. Ce chapitre analyse la question scolaire comme enjeu de soft power, d'une part, et examine la nécessité d'améliorer le système scolaire gabonais, d'autre part.

4.1. Puissance et domaine scolaire

La géopolitique est définie comme l'étude des « dimensions géographiques de la puissance136». Dans sa démarche, elle analyse les « rivalités de pouvoirs ou d'influences sur des territoires et des populations qui y vivent137 ». Á travers ces deux déclinaisons, cette notion semble revêtir un intérêt particulier pour cette discipline scientifique. D'ailleurs pour percevoir cette réalité, Fréderic ENCEL affirme que « la question de la puissance est à la fois le coeur et le fil rouge de la géopolitique138 ». Notion complexe et polysémique, la puissance pourrait s'entendre comme la capacité qu'a un acteur à imposer ses choix aux autres acteurs. Autrement dit, elle est « le fait d'agir en toute souveraineté139 ».

Traditionnellement, on distingue la puissance dure (hard power) et la puissance douce (soft power)140. La première a longtemps été déterminée par la capacité militaire, l'économie, la démographie, la géographie et les ressources naturelles. Avec le temps, la notion de puissance s'est élargie. Elle a eu comme déterminant l'industrie, la finance, la culture, les nouvelles technologies et l'éducation141.

Contrairement aux idées reçues, la puissance n'est pas simplement un « phénomène foncièrement négatif qui renverrait seulement à l'idée de violence142 ». Être en mesure d'offrir un enseignement supérieur de qualité est devenu un enjeu de puissance pour les États car la reconnaissance au niveau international des universités d'un pays participe à l'influence de ce dernier sur la scène internationale.

136Frédéric MUNIER, 2021. Puissance et Géopolitique, in « Géopolitique et Géoéconomie du monde contemporain», la Découverte, p9. Disponible sur URL: https://www.cairn.info/geopolitique-et-geoeconomie-du-monde-contemporain--9782348070037-page-9.htm

137Idem

138Ibidem.

139 Frédéric ENCEL, 2022. Les voix de la puissance : penser la géopolitique au XXIème siècle », ODILE JACOB p 10.

140A ces deux formats de puissance, on a également le smart power. 141www.vie-publique.fr/fiches/38150-quels-sont-les-elements-de-la-puissance-des-etats

142 Frédéric ENCEL, 2022. Op cit, p7.

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4.1.1 L'éducation au fondement de la puissance des États

« Il n'est de meilleures ressources que la valorisation du savoir143 ». En interrogeant la téléologie de l'éducation, COMENIUS144 pense que son but est celui de « former l'homme ». Fondamentalement, former c'est éduquer, façonner ou instruire. Plus explicitement, « c'est traiter les apprenants comme des élèves, c'est-à-dire comme des êtres en devenir qu'on élève à la condition d'Hommes par l'instruction145 ». Suivant cette approche, former un homme c'est potentiellement transmettre à celui-ci des connaissances et des valeurs, de sorte que les compétences acquises soient profitables à lui et sa communauté.

De même, l'école est un levier nécessaire au développement d'une nation car c'est elle qui bâtit les hommes et participe à la construction identitaire d'un pays. Par les différents mécanismes d'instruction, l'éducation permet non seulement de comprendre les fondements historiques d'un pays mais participe à « son émancipation, sa libération, à la maîtrise de ses moyens, de son destin, à la gestion de ses possibilités, de ses ressources, à la transmission de ses structures économiques et sociales146 », donc à la production des richesses diverses.

Aussi, la production des connaissances peut être considérée comme le principal facteur de l'essor économique et social. A cet effet, l'histoire de l'évolution des sociétés renseigne d'ailleurs que, même si « dans les pays industrialisés, le développement économique a précédé le développement éducatif, la séquence a été en partie inversée depuis la Seconde Guerre mondiale dans les nouveaux pays industrialisés et les pays émergents147 ». Dans ces espaces, « la croissance économique rapide, accompagné d'une amélioration du niveau de vie des populations, est concomitante à un développement sans précédent de la scolarisation148 ». Même si le processus de développement ne renvoie pas au mimétisme, force est de constater, en analysant les trajectoires de développement des sociétés humaines, le rôle tenu par l'école.

Au Gabon, l'éducation demeure indéniablement un facteur de développement et d'ascenseur social. Pour cela, il est essentiel que ce pays fasse « la politique de sa

143 Frédéric ENCEL, 2022. Op cit, p108.

144COMENIUS (en tchèque Jan Komensky) passe pour être le fondateur, le père de la pédagogie de la modernité. Il composa sa Didactica Magna (Grande Didactique) entre 1628-1632, avec une édition complète en 1657. Il promet « un art universel de tout enseigner à tous ». 145 https://cahigec.e-monsite.com/pages/espace-libre-propos/l-ecole-au-gabon-la-crise-du-sens.html

146Ces propos ont été tirés du résumé de Vincent ESSONO ASSOUMOU sur « L'école gabonaise et ses reformes cosmétiques ».

147 Philippe HUGON, 2005. « La scolarisation et l'éducation : facteurs de croissance ou catalyseurs du développement ? ». Article tiré dans Mondes en développement, N°132, p.22.

148Nolwen HENAFF, 2017. Le financement de l'éducation en Asie : mythes et réalités, Revue internationale d'éducation de Sèvres, n°68, p.112 (en ligne). URL : http://journals.openedition.org/ries/4363

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géographie149 » tout en restant ouvert aux secteurs innovants. Cela suppose que le Gabon doit planifier son modèle académique en tenant compte de sa géographie à la fois physique et humaine. Ses formations doivent prendre en compte son domaine forestier150 immense, son sol et sous-sol riche et diversifié et son espace maritime aux ressources naturelles importantes.

Partant de ces caractéristiques, un modèle de développement économique qui passe par la formation, doit reposer sur les domaines inscrits ci-dessus. Dans le Plan Stratégique Gabon Emergent, ce modèle est en quelque sorte pris en compte dans le « Gabon vert, le Gabon industriel et le Gabon des services ». En consacrant des efforts budgétaires conséquents à la formation scientifique, technologique, minière, médicale et universitaire, le Gabon peut fonder « les voies de sa puissance ».

La première mesure qui pourrait aller dans ce sens serait déjà de réformer intégralement le système de formation gabonais. Dans un Café mathématique tenu en 2018 par l'Organisation des mathématiciens et enseignants du Gabon (Omega), les organisateurs soulignaient que le système éducatif actuel au Gabon, n'accordait que très peu d'importance aux séries scientifiques. Sur l'année académique 2016-2017, les statistiques montrent que 12 781 élèves étaient inscrits dans les terminales littéraires contre 2 236 élèves dans les terminales scientifiques, soit seulement 15 % des élèves dans les terminales scientifiques151.

Etant donné que le Gabon est un pays à fort potentiel maritime, minier, pétrolier et forestier, ces proportions ne permettent pas d'avoir des ressources humaines compétentes, essentielles à répondre aux défis de la transformation de ces secteurs. Ainsi, pour de meilleurs rendements, il serait souhaitable d'inverser les normes de formation locale. Cela passe par l'amélioration des capacités d'accueil dans les établissements d'enseignement, la restructuration de l'offre de formation nationale par l'introduction des formations techniques et scientifiques depuis l'école primaire, l'investissement dans des secteurs porteurs d'avenir, la formation des enseignants et des élèves dans les domaines des sciences et l'amélioration des conditions d'enseignement des enseignants. Le Gabon tirerait ainsi profit de son école en appliquant des politiques et des stratégies propres et en orientant son système de formation

149Napoléon BONAPARTE rappelle sous cette citation, la prégnance de la géographie, du territoire dans la modélisation des actions politique des Etats.

150 Recouvert par 23 millions d'hectares de forêt humide, soit 85% de sa superficie et des mers (les eaux représentent 42% du territoire gabonais.), le Gabon dispose d'un territoire aquatique estimé à 210 000 km2, possède un réseau hydrographique de 10 000 km2 destinée à irriguer la forêt tropicale.

151Cafés mathématiques : Valoriser les filières scientifiques, Publié le lundi 17 septembre 2018 par GabonReview. URL : http://www.news.alibreville.com/h/83880.html . Consulté le 29 mai 2023

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vers une école qui s'appuie sur le substrat géographique et non plus qu'exclusivement sur la demande du marché.

4.1.2. L'émigration scolaire au Gabon obéit-elle à une stratégie de l'État ?

Pays à revenus intermédiaires, le Gabon est caractérisé depuis des années par une dépendance à ses ressources naturelles (pétrole, manganèse, bois...). Ayant pris conscience de cette dépendance, le Gabon a élaboré en 2010, une stratégie de transformation économique, industrielle, au sein de laquelle, l'agriculture et le bois jouent un rôle central dans la diversification de son économie. Malgré ce projet ambitieux, le Gabon doit faire face à un déficit en personnes qualifiées dans les domaines précités.

Au regard de ces difficultés, les autorités gabonaises ont entrepris depuis 2012, comme ce fut le cas en 1960152, de mettre la formation au coeur de la stratégie de développement économique et social du Gabon. Cette stratégie se retrouve dans le troisième pilier du PSGE qui définit la formation comme facteur essentiel au développement du capital humain gabonais. Dans sa visée, la formation doit permettre d'offrir une « éducation de qualité à tous pour favoriser l'ascension sociale, de doter la nouvelle économie du Gabon Emergent, des qualifications et compétences dont elle a besoin153 ».

Pour la formation de cette élite intellectuelle, indispensable à sa transformation économique, sociale et industrielle, plusieurs ministères et agences sont impliqués dans la réalisation de ce projet. Il s'agit notamment du ministère de l'éducation Nationale (MEN), du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche scientifique et du transfert des technologies (MESRSTT) et du ministère de l'emploi, de la fonction publique, du travail et de la formation professionnelle, chargé du dialogue social (MEFPTFPDS). L'ANBG et le SOSUP veillent à l'application des instructions édictées par l'État au sujet de la formation et l'orientation scolaire. Ces dernières s'appuient sur une politique qui tient compte des besoins de l'État et des entreprises gabonaises.

Dans son plan de formation des boursiers à l'étranger, la politique d'orientation tient compte des filières inscrites comme prioritaires et secondaires pour l'État. Les formations prioritaires concernent en majorité les secteurs scientifiques et technologiques. Les filières secondaires regroupent les enseignements issus des secteurs littéraires, des sciences humaines et sociales, du droit et de l'économie. Le tableau suivant présente les domaines prioritaires de l'État gabonais.

152 Mesmin-Noël SOUMAHO, 2004. Éducation, tiré de « Atlas du Gabon », éditions J.A, p48.

153 Plan Stratégique Gabon Emergent

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Tableau 19: Les filières et les spatialités prioritaires de l'État Gabonais

FILIERES

SPECIALITES

NIVEAU D'ACCES

Aviation et Navigation
aérienne

Pilote, Contrôleur Aérien

Météorologie Navigateur Aérien

Baccalauréat
scientifique,
Technologique et
Licence scientifique

Agriculture et Agronomie

Agronomie Production Animale et Végétale

Agronomie Ingénieur Industrielle Et
Alimentaire Génie Rural

Baccalauréat
scientifique DUT,
Licence Professionnel
ou équivalent

Bois et Environnement

Systèmes constructif Bois et Habitat, Génie Bois et Ameublement, Production Bois et Ameublement

Baccalauréat
scientifique et
Technologique

Informatique et Nouvelles
technologies de la
communication

Relations publiques
stratégiques
internationales et
intelligence économique

Informatique MIAGE (Maîtrise Informatique

Appliquée à la Gestion des Entreprises),
Réseaux et Telecom Informatique de Gestion,

Infographie et Multimédia
Analyse Programmeur

Relations publiques, Relations internationales, relations publiques, stratégies internationales et intelligence économique

Baccalauréat
scientifique DUT,
Licence Professionnel
ou équivalent

Baccalauréat littéraire et économique

Information et
communication

Science de l'information et communication, Journalisme, Création publicitaire, Audiovisuel,

responsable d'édition, Communication
multimédia

Baccalauréat littéraire et économique

Éducation et enseignement

Enseignement, Science de l'éducation,

Education physique et sportive

Baccalauréat
littéraire, scientifique
et économique

Mécanique et technologie
industrielle

Mécanique, Électromécanique,

Electrotechnique, Génie Industriel et
Maintenance, Diagnostics et interventions sur équipement et systèmes, Génie Mécanique et Productique

Baccalauréat
Scientifique et
Technologique,
Bac+2/3

Architecture et conception

Architecture, Urbanisme, Gestion Urbaine, Art et Décoration, Architecture d'intérieure

Baccalauréat
scientifique,
technologique et
économique

Bâtiment- Pont et
Chaussée

Bâtiments et Travaux Publics, Ponts et

Chaussées, Génie et Infrastructures,
Topographie, Construction Métallique

Baccalauréat
Scientifique et
Technologique,
Bac+2/3

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Mines et Pétrole

 

Ingénierie Pétrolière, Ingénierie des Mines,

Géophysique de Surface et Subsurface, Génie Pétrochimie, Génie Géologie et Pétrole

Baccalauréat
Scientifique et
Technologique,
Bac+2/3

Biologie-Biotechnologie
médicale

Imagerie Médicale, Biotechnologie, Génie

Biologie, Biologie Industrielle, Biologie

Médicale, Bioproduction, Chimie Biologie
Géologie

Baccalauréat
scientifique,
technologique,
Bac+3/4

Sciences et Environnement

QHSE, Géosciences et Environnement,

Ingénierie de l'eau et de l'environnement,
Mécanique Ingénierie environnement, Géologie

Baccalauréat
scientifique/ Bac+3/4

Médecine et santé

Médecine, Génétique, Ophtalmologie,

Pharmacie, Pharmacologie Science du
médicament vétérinaire, Technicien de Biologie Médicale

Baccalauréat
scientifique

Source : Site officiel de l'ANBG, 2023.

Après la présentation de filières considérées comme prioritaires pour l'État, le tableau suivant montre les filières secondaires de l'État gabonais.

Tableau 20: Les filières de formation et spécialités secondaire de l'Etat

FILIÈRES

SPÉCIALITÉS

NIVEAU D'ACCES

Économie-Commerce-Marketing Marketing et

Management

Commerce, macro économie, statistiques, Gestion et pilotage des projets, Commerce et distribution, et stratégies commerciales, Commerce internationale et marketing, Management, sciences

économiques, gestion de ressources humaines,
marketing et communication

Baccalauréat Technologique, Scientifique et Economique

Lettres-Sciences
Humaines

Lettres modernes, sociologie, anthropologie,

psychologie, philosophie, science du langage,

Géographie, Sciences politiques, Langues
étrangères appliquées, Sciences sociales, Histoire et Archéologie,

Baccalauréat Littéraire et Economique

Droit et Sciences
Juridiques

Droit public et privé, Droit des affaires et fiscalité, Carrières juridiques, Notariat

Baccalauréat Littéraire et Economique

Source : Site officiel de l'ANBG, 2023.

Les tableaux montrent que l'émigration scolaire des étudiants boursiers est codifiée par une politique d'orientation même s'il est difficile d'affirmer que cette politique obéit à une stratégie. Il y a certes des filières qui figurent comme prioritaires ou secondaires pour l'État, mais cela ne suffit pas pour que l'on parle de stratégie car la stratégie renvoie à la manière d'élaborer, de diriger et de coordonner des plans d'actions afin d'aboutir à un objectif déterminé et programmé sur le court, le moyen ou le long terme.

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L'État devrait donc se fixer de réels objectifs. Le premier d'entre eux serait d'étendre sa stratégie à l'enseignement secondaire. Penser à une stratégie de formation de l'émigration scolaire sans gérer le rapport entre le nombre d'élèves formés dans les sciences et celui formé dans les séries littéraires, c'est agir de manière spontanée. Résoudre l'inadéquation entre le nombre de scientifiques formé et celui des littéraires serait un pas vers une vision plus construite. Aussi, l'État devrait fixer des quotas de personnes à former dans les secteurs qu'il estime stratégique, de même qu'il devrait préparer un cadre permettant à ceux qui sont formés de mettre en valeur leurs connaissances.

En outre, il faut souligner que la politique d'orientation de l'État est restreinte, c'est-à-dire qu'il n'applique pas à tous les émigrants scolaires les mêmes mesures d'encadrement. De ce fait, il arrive que certains choix de formation des étudiants gabonais à l'étranger s'écartent des filières dites prioritaires ou secondaires de l'État. Il serait judicieux de mettre en place une plateforme globale d'orientation prenant en compte les étudiants boursiers et non boursiers.

In fine, le domaine scolaire peut être source de puissance si et seulement s'il bénéficie d'un réel investissement des autorités étatiques. Par des actions coordonnées et structurées, il peut engendrer de meilleurs résultats sur la formation, les projets de développement et la vie socio-économique. Pour cela, l'émigration scolaire doit suivre une stratégie efficace de l'État.

4.2. Réflexion autour de la nécessité pour le Gabon d'améliorer son système éducatif

Le développement de la scolarisation a débuté au Gabon dès l'époque précoloniale avec « la création en 1844, des premières écoles par les missions évangéliques américaines, puis par la Société des Missions évangéliques de Paris154 ». Mais l'école comme institution a fait son apparition au moment de la colonisation française. Elle est donc le résultat d'une transplantation du système éducatif français. Touchée par plusieurs maux, son développement est remis brutalement en cause au cours de la période1980-1985 par la crise économique et financière qui a secoué l'ensemble des pays africains. « Cette crise va entrainer un recul de la scolarisation et elle aura pour conséquence l'intervention accrue des bailleurs de fonds qui tenteront par des aides financières d'impacter les politiques d'éducation des pays africains155».

Face à cela, d'importantes conférences internationales sur l'éducation ont eu lieu au cours de ces années. Ces rencontres qui font office « d'agendas internationaux pour

154Mesmin-Noël SOUMAHO, 2004. Op. Cit, p.48.

155 Marie-France LANGE, 2006. « École et mondialisation », Cahiers d'études africaines, p146 (En ligne). Article disponible sur URL : http:// www.journals.openedition.org/etudesafricaines/194

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l'éducation156» cadrent avec le processus de « mondialisation qui marque la mise en place d'un nouveau système de domination fondé sur l'imposition de la logique de marché à toutes les sphères de la société (économique, sociale, politique, culturelle, éducative...)157 ». A cet effet, à travers les aides publiques au développement de certaines organisations internationales (ONU, Banque Mondiale, etc.), on va assister à la production et la diffusion de plusieurs nouvelles normes scolaires d'essence néolibérale à l'instar de celle du capital humain. Cette théorie qui est mise en évidence dans le PSGE, cadre avec « un processus de globalisation qui contribue à une certaine forme de standardisation des politiques éducatives au niveau mondial158 ».

4.2.1 L'école gabonaise, un aspect de la souveraineté nationale

L'émigration scolaire évoque l'idée de mouvement, tout en renvoyant aux notions d'éducation et de formation. Ce terme est étroitement rattaché aux concepts de puissance et de souveraineté. Du latin « superus » qui veut dire « dessus », la souveraineté désigne initialement « l'exercice du pouvoir sur une zone géographique et sa population159». Elle est considérée en droit comme étant la « qualité de l'État de n'être obligé ou déterminé que par sa propre volonté, dans les limites du principe supérieur du droit, et conformément au but qu'il est appelé à réaliser160 ». D'autres auteurs comme Stephen KRASNER voient dans ce concept deux idées principales : l'autorité et le contrôle. Mais, la souveraineté sous-tend également l'idée d'autonomie et d'indépendance, c'est-à-dire la capacité à dépendre d'abord de soi et de n'être contraint par rien d'extérieur.

Le Gabon, « au sortir de l'indépendance en 1960, les finalités assignées par les pouvoirs publics à l'enseignement convergent vers l'idée d'une éducation pour le développement économique et social161 ». Mais, bâti sur des bases pas suffisamment endogènes, il n'y a pas eu une « décolonialité éducative162 ». De même, en raison du malaise

156 https://www.cairn.info/quelle-coherence-pour-l-education-en-afrique--9782804189471.htm

157Marie-France LANGE, 2006. Op cit, p.43.

158Hhttps:// corafrika.org/chapitres/souverainete-educative-des-pays-africains-linfluence-de-la-france-a-travers-le-pole-de-dakar/

159Le blog Juridique, 2022. Quelles sont les limites de la souveraineté ? Cours de Droit. URL : https://www.doc-du-juriste.com/blog/conseils-juridiques/quelles-limites-souverainete-05-12-2022.html

160Idem

161Mesmin-Noël SOUMAHO, 2004. « Éducation », In Atlas de l'Afrique : Gabon, Éditions J.A, p48.

162Cheikh FAYE, 2021. « Souveraineté éducative des pays africains : l'influence de la France à travers le Pôle de Dakar », in Kously LAMKO, Amy NIANG, Ndongo Samba. SYLLA, Lionel ZEVOUNOU (dir.), De Brazzaville À Montpellier. Regards critiques sur le néocolonialisme français. Collectif pour le Renouveau

Africain - CORA Éditions, Dakar, p.147 (en ligne). Disponible sur URL :

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auquel elle est confrontée, l'école gabonaise n'arrive toujours pas à engendrer le développement, ceci malgré la tenue des états généraux de l'éducation (1983 et 2010) ainsi que la création de task-force sur l'éducation en 2018. Au regard de cela, la formation au niveau local se trouve sinistrée.

Face à cela, le Gabon est tenu de composer avec les pays étrangers pour répondre aux besoins éducatifs de ses apprenants. Pourtant, « on dit bien éducation nationale comme on dit défense nationale163 ». L'éducation est un aspect important de la souveraineté d'un État. Dans cette mesure, il conviendrait à l'État gabonais de mettre en place, sur le plan local, les conditions d'une école souveraine. Ces conditions pourraient s'appuyer sur deux formes d'autonomisations : l'autonomisation structurelle et l'autonomisation substantielle.

L'autonomisation structurelle peut renvoyer à un processus au cours duquel l'État sort affranchi d'une situation de sujétion. Dans le cas de notre sujet, il s'agit de sortir de la dépendance envers les pays d'émigration scolaire des étudiants gabonais. L'autonomisation structurelle viserait à atteindre l'autosuffisance infrastructurelle au niveau postsecondaire qui passerait par la réfection des structures de formation existantes et la construction de nouvelles structures de formation. Concrètement, il conviendrait de « réaménager et agrandir les 3 universités publiques existantes sur le territoire et relancer les projets de construction d'universités à Port-Gentil, Mouila et Oyem où pourraient être créées de nouvelles filières professionnelles164». Ainsi, la création de plusieurs pôles académiques sur l'étendue du territoire aura un impact sur la mobilité académique locale. Elle contribuera aussi à la redistribution des apprenants vers l'hinterland qui souffre depuis des années d'un dépeuplement.

L'autonomisation substantielle peut-être perçue comme un processus idéologique d'émancipation dans les choix fondamentaux qu'un État s'est donné en matière d'éducation. « Ces choix visent à construire une identité académique locale en conformité avec les valeurs constituant l'âme de la société indexée165 ». Il est bien connu, « l'école instruisait avant-hier ; depuis hier on lui demande d'éduquer ; aujourd'hui sa mission se limiterait à déverser les jeunes dans le monde du travail166». L'autonomisation substantielle peut se faire par la restructuration des contenus des programmes et contenus d'enseignements, la mise en place

https://corafrika.org/chapitres/souverainete-educative-des-pays-africains-linfluence-de-la-france-a-travers-le-pole-de-dakar/

163Serge LOUNGOU, 2021. Op. Cit, p.12.

164 https://www.mays-mouissi.com/2018/08/24/education-quelles-solutions-pour-sortir-lecole-gabonaise-du-marasme/

165 Https://cahigec.e-monsite.com/pages/espace-libre-propos/l-ecole-au-gabon-la-crise-du-sens.html

166Idem

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d'un système de formation hybride, flexible entre une éducation traditionnelle et une éducation moderne. Cela permettra aux apprenants d'être sensible aux valeurs universelles de l'enseignement et prompt à l'acquisition des valeurs traditionnelles.

4.2.2. Les avantages d'une formation locale de qualité au niveau postsecondaire

Au Gabon, le système éducatif est hiérarchisé en quatre niveaux distincts que sont l'enseignement préscolaire, l'enseignement primaire, l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur. Ce dernier regroupe les enseignements généraux, techniques et professionnels. Pour comprendre les avantages que pourrait engendrer la mise en place de meilleures conditions d'apprentissage au niveau postsecondaire, il faudrait rappeler les fonctions des établissements qui composent ce niveau de formation. Les établissements d'enseignement supérieur ont les fonctions d'éducation, de formation et de développement de la recherche. Au regard de ces attributs, ces établissements seraient des cadres pour les idées nouvelles et favoriseraient l'innovation et la recherche. De même, tout en agissant sur les hommes par l'acquisition des qualités et compétences, ils ont un impact sur les différents secteurs de vie d'un pays.

S'agissant du Gabon, l'amélioration des conditions d'apprentissage au niveau postsecondaire pourrait jouer sur la qualité de ses structures d'apprentissages. Dans un tel cadre, le Gabon réduirait les départs de ses étudiants et sortirait du rang dévaluant de pays « pourvoyeur de matière première intellectuelle ». Par ailleurs, sans véritablement représenter un espace où converge d'importants mouvements d'étudiants, le Gabon reste sevré de l'apport que pourrait représenter l'accueil d'étudiants étrangers. A cet égard, l'amélioration des conditions d'apprentissage dans l'enseignement supérieur au niveau local peut avoir un écho favorable sur l'attractivité de cet espace. En bénéficiant d'une telle attractivité, le Gabon pourrait répondre au rapport de force et à la compétitivité des pays étrangers dans le domaine scolaire. Aussi, en devenant un pays d'accueil, le Gabon engrangerait des ressources économiques non négligeables puisque de nombreuses études à l'instar de celle de Campus France portant sur « l'impact économique des étudiants internationaux en France167 » révèlent l'importance du phénomène de la mobilité entrante d'étudiants étrangers sur l'économie.

167 Campus France, 2022. L'impact économique des étudiants internationaux.

URL : https://ressources.campusfrance.org/publications/observatoire/fr/impact_economique_etudiants_internatio naux fr

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Aussi, l'impact des universités sur l'économie locale repose sur la fonction de consommation. En effet, la présence d'étudiants et du personnel encadrant sur un territoire permet à la zone considérée de compter une part élevée de jeunes et donc de personnes qui vont consommer des biens et des services sur le territoire. Elle participe au développement d'une économie transversale autour des établissements d'enseignements supérieurs construits pour l'accueil des étudiants. La figure ci-dessous montre quelques activités générées par l'implantation des établissements d'enseignement supérieurs.

Figure 2: Quelques activités transversales générées par l'implantation d'un établissement
d'enseignement supérieur

Source : Rapport Campus France, 2022.

Cette figure présente les activités connexes à l'implantation d'un établissement d'enseignement supérieur dans un espace. Ces activités sont en liées à la fonction de consommation des personnes présentes dans les sites de construction des établissements.

Au final, en « consacrant des efforts budgétaires substantiels à la recherche physique, technologique, médicale, spatiale et universitaire de façon générale privilégie clairement un plus en matière de ressources et, in fine, de puissance potentielle168». A travers la recherche, les établissements supérieurs agissent sur l'économie locale à travers leurs fonctions d'éducation, de formation et de développement des synergies de recherche et de développement avec les entreprises. Aussi, ces établissements agissent comme moteur de l'économie tant au niveau de sa consommation brute (étudiants et personnel inclus) que de sa contribution à l'amélioration du capital humain.

168Frédéric ENCEL, 2022. Op cit, p108

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