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Les enjeux de l'emigration scolaire au Gabonpar Savin Berthier TSINGA BOUKANGOU Université Omar Bongo - Master 2023 Dans la categorie: Géographie |
CHAPITRE 2 : LES MOBILES DE L'EMIGRATION SCOLAIRE AU GABON« L'éducation est considérée comme l'un des secteurs qui fonde le développement d'un pays. Elle participe à la formation des populations et à la cohésion sociale d'une nation83 ». Ainsi, pour s'assurer de meilleurs atouts pour planifier le développement, le Gabon, à travers la loi 16/66 du 9 août 196684, a mis en place les bases de l'enseignement public universel. Au regard des investissements qui avaient été consentis sur l'équipement et la transformation infrastructurelle dans le domaine scolaire au Gabon (construction d'universités, grandes écoles, instituts), une volonté manifeste des pouvoirs publics était de bâtir les fondements d'une école gabonaise souveraine et se positionner comme vecteur d'influence dans la sous-région et sur le continent en termes de formation85. Toutefois au Gabon, comme dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne, les attentes en matière d'éducation demeurent énormes et représentent une véritable problématique pour les États. Dans ce chapitre, nous examinons les mobiles de l'émigration scolaire au Gabon, particulièrement les facteurs de l'exode scolaire des gabonais à l'international. Puis nous verrons les stratégies de captation des émigrants ainsi que leurs processus d'intégration à l'étranger. 2.1. Les facteurs de l'exode scolaire des étudiants gabonais à l'international Serge LOUNGOU86 a esquissé l'analyse des facteurs de l'émigration scolaire au Gabon. Notre travail poursuit et approfondi cette analyse en présentant les facteurs internes et les facteurs externes de l'émigration scolaire au Gabon. 2.1.1. Les facteurs locaux de l'émigration scolaire au Gabon L'émigration scolaire est le point de rencontre entre l'éducation et la migration des personnes. On ne peut donc pas bien cerner les enjeux de ce mouvement sans questionner les facteurs de cette mobilité. Le facteur peut s'entendre comme un ensemble de circonstances associées à une réalité physique ou anthropique qui affectent les humains vivant dans une zone spécifique. Cette réalité physique ou anthropique peut-être incarnée par un manque 83Christian WALI WALI et Lionel OSSÉ, 2021. Op. cit, p.1. 84Journal Officiel N°15 du 1er août 1966, loi 16/66 du 9/8/1966, portant organisation générale de l'Enseignement dans la République du Gabon. 85 Ce désir d'être un pôle majeur en termes de formation en Afrique avait d'ailleurs été réaffirmé en 2011 par le président de la République gabonaise avec le projet de construction de l'école supérieure des métiers du bois de Bouée. 86Serge LOUNGOU, 2021. Op cit, p.12. 38 d'infrastructures, une contrainte du milieu naturel, des guerres ou conflits, des problèmes d'aménagements, d'insécurité, etc. Dans l'analyse des facteurs de départ, plusieurs auteurs se sont penchés sur les théories et les modèles existants en matière de migration87. Il ressort de ces études qu'il n'existe pas de théorie propre au processus de la migration internationale mais plutôt tout un ensemble de théories et de modèle développés dans la perspective de disciplines différentes. Au sujet des facteurs internes de l'émigration scolaire, nous avons utilisé, d'une part, la théorie de l'offre et de la demande puis, d'autre part, la loi de répulsion pour expliquer cette mobilité. La théorie de l'offre et de la demande nous a permis de comprendre comment l'inadéquation des offres d'équipements et de formations devant une demande de plus en plus croissante de Gabonais dans les établissements supérieurs a eu un impact direct sur la résolution de partir. Face aux difficultés du milieu local, la loi de répulsion nous a montré comment l'univers socioéconomique, politique, socioculturel, sécuritaire, devant le besoin de formation ont été sources de départ. Pour matérialiser la cohérence de ces théories, nous nous sommes appuyés sur les données obtenus à partir du questionnaire administré aux 100 personnes, constituant notre échantillonnage. Ce dernier consistait à capter l'avis de certains gabonais sur les facteurs de leurs départs à l'étranger. Les résultats sont présentés dans le graphique ci-après. Graphique 4: Les principaux facteurs de départ pour étude à l'étranger Les grèves à répétition dans les universités au Gabon Le manque de structures d'accueils L'absence au niveau local de la formation choisie La mauvaise qualité de la formation au niveau local La facilité de trouver un emploie avec un diplôme étranger La facilité de réussite à l'étranger 21 64 5 4 1 5 Source : Enquête de terrain, 2023. 87David LESSAULT, William BERTHOMIÈRE, 2019. Op cit, p3, rappellent en convoquant les travaux de Daniel COURGEAU que le phénomène migratoire est commandé par trois types de variables : la répulsion de la zone de départ, le pouvoir d'attraction de la zone d'arrivée et l'interaction entre les lieux de départ et d'arrivée. 39 Sur le graphique, on peut voir que le principal facteur d'émigration scolaire est le déficit infrastructurel souligné par 64 enquêtés. En effet, au lendemain des indépendances, la progression du nombre d'étudiants dans l'enseignement supérieur va avoir un impact sur les capacités d'accueil des structures supérieures locales. Le cas de l'UNG devenue UOB en 1978 en est une parfaite illustration. Ainsi, conçue en 1970 pour accueillir 8 000 étudiants, l'UOB avoisine aujourd'hui 40 000 étudiants. En octobre 2020, le président de la section UOB du SNEC affirmait que les maux qui minent les universités gabonaises sont en grande partie liés à « une énorme crise infrastructurelle88». Cette crise infrastructurelle est amplifiée par une insuffisance des ressources financières nécessaires pour répondre de manière adéquate aux exigences d'une formation et d'une recherche de qualité. Cette situation, selon lui, a conduit à la « détérioration des infrastructures académiques », favorisant une réduction de la capacité d'encadrement des étudiants dans les établissements. Le graphique montre également que le contexte académique local, propice aux grèves à répétition aussi bien des enseignants que des étudiants, favorisant les échecs croissants dans les établissements publics, est selon 21 enquêtés le second facteur de départ. A cela, il faut adjoindre la faible diversité de l'offre de formation énoncé par 5 enquêtés. L'idée qu'il soit plus facile de réussir à l'étranger est évoquée par 5 enquêtés et la mauvaise qualité de formation dans les établissements d'enseignement au Gabon est notée par 4 enquêtés. Pour compléter cette analyse, nous avons questionné certains étudiants gabonais partis à l'étranger afin de percevoir la manière dont ils se représentent la formation dans les établissements publics et privés au Gabon. Les résultats sont consignés dans les tableaux 8 et 9 suivants. Tableau 8: Avis sur les formations dans les établissements privés
Source : Enquête de terrain, 2023 88Déclaration faite lors d'un point de presse du Syndicat National des Enseignants-Chercheurs et Chercheurs de l'Université Omar BONGO. 40 Selon les informations du tableau ci-dessus, 55 % d'enquêtés considèrent que le niveau de formation dans les établissements privés au Gabon est moyen. 27 % et 17 % pensent respectivement qu'il est satisfaisant et insuffisant. De même, 1 % estime que les établissements privés ont un excellent niveau de formation. Le tableau suivant renseigne sur les établissements publics. Tableau 9: Avis sur les formations dans les établissements publics
Source : Enquête de terrain, 2023 Comme il se lit dans ce tableau, 1 % d'enquêté pense que la formation dans les établissements public au Gabon est excellente. De même, la formation est jugée insuffisante à 45 %, moyenne selon 39 % de personne et satisfaisante pour 15 % d'entre elles. La question des représentations est parfois négligée dans les analyses des facteurs migratoires, sous prétexte qu'elles procèdent de la subjectivité et ne permettraient donc pas une approche objective. Partant de l'émigration des étudiants gabonais, il serait incongru de traiter des facteurs de ce mouvement de populations, sans cerner en amont, comment les gabonais se représentent la formation au niveau local. L'analyse des visions subjectives des acteurs locaux est un outil indispensable pour appréhender la motivation d'émigrer. Lorsqu'on parle de la formation scolaire au Gabon on n'est presque pas surpris par la considération que les acteurs locaux se font de l'éducation. Il est courant d'entendre les expressions comme « au Gabon, on ne fait pas l'école », « on n'apprend pas à l'UOB » ou « il y a quelle école au Gabon ! ». La perception de l'éducation au niveau local semble plus que mitigée. Cette considération est relayée par les artistes et se traduit par exemple dans cette chanson de l'artiste gabonais Anelka qui affirme que : « Tom Sawyer a fui les states pour Schooler au Gabon, everyday les enseignants font grève, mon ami donc ça l'arrange ». 41 L'image de Tom Sawyer89 rattachée à l'école gabonaise transcrit ce qu'on décrivait plus haut. On peut alors comprendre « l'insatisfaction » et « le besoin en éducation » exprimés par les Gabonais dans l'enquête réalisée par Afrobarometer90 en 2021. Les caricatures expriment aussi ces représentations comme on peut le voir sur la photo 1 suivante. Photo 1: Le besoin en éducation des Gabonais face aux réalités locales et étrangères Source : https://www.gabonmediatime.com Cette caricature présente la désespérance de deux personnages, probablement deux parents d'étudiants ou d'élèves, face à la problématique de la formation. Confrontés à l'état de délabrement des structures de formation locale, ils envisageraient l'expatriation de leur progéniture. En outre, la mondialisation, l'internationalisation et la coopération serait aussi des facteurs d'émigration scolaire. En effet, « comme beaucoup d'autres secteurs, le système d'enseignement supérieur n'échappe pas au phénomène de mondialisation et de globalisation. Dans le cadre universitaire, ceci s'est traduit par une importante 89Tom Sawyer est un dessin animé où est présenté un jeune orphelin (Tom) vivant chez sa tante Polly avec son demi-frère. N'aimant pas l'école, il préfère se promener, jouer et inventer des histoires tirées de son imaginaire. 90 Cette enquête fait un état de lieu de l'offre des structures de formation au niveau du Gabon. Dans la même foulée ce travail présente les perceptions et les attentes des Gabonais sur la question de l'éducation qui est jugée insatisfaisante par la majorité. 42 internationalisation des activités d'enseignement et de recherches91». On a ainsi constaté un rapport étroit entre ces phénomènes et l'accroissement substantiel des échanges de connaissances entre universités de pays différents ainsi qu'une internationalisation des origines des professeurs d'université et une forte augmentation de la mobilité internationale des étudiants. De même, cette internationalisation de l'enseignement supérieur a été rendu possible grâce à la mise en place dans certains États des politiques internationales visant à conforter des liens diplomatiques par la signature d'accords de coopération académique et d'échanges d'étudiants. Pour le cas du Gabon, la diversification des offres de bourse de coopération émanant d'États tiers comme l'Inde et la France et d'organismes internationaux à l'exemple de l'UNESCO92ont facilité l'émigration scolaire au Gabon. L'émigration scolaire des étudiants gabonais est plurifactorielle. En plus des facteurs des enquêtés internes, elle peut s'expliquer par des facteurs externes. Pour appuyer théoriquement ce point, notre argumentaire repose sur la loi d'attirance (ou d'attraction) .développé par Gérard-François DUMONT dans les dix lois de la géopolitique de la démographie93. 2.1.2. Les facteurs externes de l'émigration scolaire au Gabon Les facteurs externes reposent généralement sur l'attraction des pays étrangers. En effet, « avec le tournant néolibéral des politiques publiques, à toutes les échelles, à partir du dernier quart du XXe siècle, l'aménagement du territoire, devenu aménagement des territoires, est passé d'une logique planificatrice, centralisée, redistributive, à une logique de compétitivité, dans laquelle chaque territoire doit valoriser ses atouts pour améliorer l'attractivité94 ». Parmi les éléments de cette valorisation, on peut citer le secteur de l'enseignement. De même, on peut mesurer l'attraction dans la capacité des territoires à attirer des flux de population. Cette attractivité repose sur des facteurs d'attractions. Dans ces facteurs externes, nous identifions trois facteurs d'attractivité : l'attractivité géographique, l'attractivité socio-économique et culturelle, et l'attractivité infrastructurelle. 91Michel Beine, 2017. Op cit, p1. 92 Un accord de coopération de création d'une Chaire de l'UNESCO a été signé janvier 2022 entre l'UNESCO et l'Université Omar Bongo dont l'objectif est de promouvoir la recherche sur le développement social et la démocratie. 93 Gérard-François DUMONT, 2010. Les dix lois de la géopolitique de la démographie. Diplomatie : affaires stratégiques et relations internationales, p47 (en ligne). Disponible sur URL : https://shs.hal.science/halshs-00827795/document . 94 http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/attraction-attractivite 43 On entend par attractivité géographique, l'ensemble des éléments liés à l'espace qui influence le choix de localisation. Parmi ces éléments spatiaux, on peut citer deux concepts clés : la position et la situation. En tant que notion qui exprime ou qualifie les rapports de lieux (rapports d'influence ou hiérarchiques), la position d'un pays renvoie à ce qui pourrait être susceptible de retenir l'attention ou ce qui séduirait. En analysant la géographie de l'émigration scolaire des étudiants boursiers gabonais, on se rend compte qu'ils sont généralement orientés vers des pays réputés pour être des modèles de formation au regard des places qu'ils occupent dans les classements internationaux des meilleures universités au monde. Par exemple, les États-Unis, la Suisse, le Canada, la France, la Brande Bretagne, pour ne citer que ceux-ci, font partie du top 10 des pays ayant de meilleures formations au monde selon le classement Shanghai 2022. A eux seuls, ils accueillaient la moitié (1388) des émigrants boursiers gabonais en 2019 selon les données de l'ANBG. L'attractivité socio-économique et culturelle quant à elle s'entend comme l'ensemble des évènements à haute valeur ajoutée et à fort potentiel d'image, censés apporter aux pays une certaine renommée, un supplément d'âme et un impact direct sur les émigrants. Au regard des informations recueillies au cours de nos entretiens, cette attraction repose sur : - Les coûts et la qualité des formations (présence des programmes innovant) ; - La rigueur de l'enseignement et le respect des calendriers scolaires ; - L'accès à des ressources et des équipements de pointe, des méthodes d'enseignement innovantes, - L'accès à une plus grande diversité culturelle et une ouverture d'esprit favorisant l'échange d'informations d'idées et la collaboration internationale ; - L'organisation universitaire (système éducatif) ; - La possibilité d'avoir des contrats de travail en alternance pour les étudiants ; - Le niveau de vie ; - La possibilité de faire des petits boulots pendant la formation ; - Les commodités d'apprentissage, etc. L'attractivité infrastructurelle dépend des investissements consentis pour viabiliser le secteur de l'enseignement. La place des infrastructures et leur organisation sont des clés majeures pour valoriser un territoire et agir sur son attractivité. Parmi les éléments de cette attraction on retrouve l'abondance et la diversité infrastructurelle, et la qualité de l'équipement pédagogique, etc. 44 2.2. Stratégies de captation des émigrants et leur intégration à l'étranger Au Gabon, l'émigration scolaire est le résultat du jeu de plusieurs acteurs. Ces derniers opèrent sous différents espaces compris entre le milieu physique et le cyberespace. Il est question ici de comprendre le rôle joué par ces différents acteurs dans l'entretien de ce mouvement de population. De même, cette partie traite de la question de l'intégration des émigrés scolaires gabonais dans leurs pays d'accueils. 2.2.1 Système de captation de la ressource estudiantine gabonaise Le système de captation est l'ensemble des mécanismes qui participent à l'émigration scolaire des Gabonais. Ce système est le lien entre le local et international. Il comprend les outils de communication, les plates-formes d'orientation et d'accompagnement ainsi que les salons internationaux d'orientation. 2.2.1.1. Les outils de communication et leur impact Au sens large, les outils de communication jouent un rôle fondamental dans la stratégie de captation des étudiants locaux. Ce sont des facteurs décisifs qui facilitent le phénomène d'émigration scolaire au Gabon en ce sens qu'ils influencent directement les choix. Parmi ces outils nous avons : la publicité et les réseaux sociaux. Concernant la publicité, nous nous sommes aperçus au cours de nos investigations qu'elle représente un moyen efficace pour convaincre. Un enquêté nous a rapporté que : « c'est par une affiche que j'ai réussi à formaliser mon départ du Gabon pour apprendre en France. En passant un soir au Trois-quartiers à Libreville, je suis tombé sur une affiche plaquée sur l'immeuble d'un établissement commerciale au niveau de la pharmacie Orety. En me rapprochant, j'ai pu enregistrer les coordonnées qu'il y avait sur l'affiche. Quelques jours plus tard, j'ai contacté la structure qui n'était tout autre qu'une agence d'accompagnement des étudiants à l'étranger. Après création du compte et validation de l'adresse email ainsi que l'édition des informations d'identification et jonction des pièces justificatives puis l'édition des parcours et la sélection des formations, j'ai pu soumettre mon dossier à l'agence pour validation accompagné des frais de dossier ». En retraçant cette information, nous sommes parvenus à retrouver cette enseigne illustrée sur la photo 2 suivante. 45 Photo 2: Enseigne publicitaire Cliché : B. S. TSINGA BOUKANGOU, 2023. Cette photo a été prise à Libreville au quartier Louis à l'immeuble « 241 store », situé en face de la pharmacie Orety. Par ailleurs, à l'ère de la digitalisation et du développement du numérique, les réseaux sociaux prennent plus d'ampleur que les plateformes de communication classique (radio, télévision) du fait que les utilisateurs passent de plus en plus de temps connectés sur internet. Dans le rapport du GSMA95 et dans celui de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA), le Gabon figure à la 1ere place en matière d'accès et d'usage des réseaux sociaux en 2021 en Afrique centrale. Avec 40% de sa population connectée, les réseaux sociaux constituent un levier stratégique d'attraction et un facilitateur important de l'émigration scolaire. Dans nos enquêtes, nous nous sommes aperçus de la manière dont ces moyens de communication, notamment Facebook et Google, participent de manière active à l'émigration scolaire. La mosaïque ci-dessous montre les nombreuses publicités sur ces plateformes. 95Organisme regroupant les opérateurs télécoms dans le monde. 46 Photo 3: Les réseaux sociaux, un vecteur de l'émigration scolaire au Gabon Source : Le cyberespace (Facebook, Google, WhatsApp) Réalisation : Savin TSINGA BOUKANGOU, 2023. A travers cette mosaïque, nous remarquons que les réseaux sociaux prennent une part active dans le processus d'émigration scolaire au Gabon. Cette implication passe par des messages provenant d'agences de conseils et d'accompagnement à l'étranger. La stratégie de ces derniers consiste à inonder le cyberespace local « de publicités destinées à appâter les futur étudiants96 » au sujet du pays mis en avant sur l'espace médiatique. De même, il faut dire que les personnes qui sont derrière ces plateformes d'orientation sont généralement d'anciens émigrants scolaires gabonais, revenus au pays après leur séjour à l'étranger. Le choix des réseaux sociaux réside sur le fait qu'ils sont à la fois un outil d'influence et un moyen d'accès aux étudiants présent au Gabon. 2.1.1.2. Les plateformes d'orientation et d'accompagnement Les plateformes d'orientation et d'accompagnement constituent l'ensemble de structures, d'agences ou de cabinets de soutien scolaire et de préinscription pour les élèves et étudiants désirant poursuivre leurs études à l'étranger. Ils se présentent aujourd'hui comme les médiateurs entre les futurs émigrants scolaires et les établissements étrangers. Leur rôle 96Serge LOUNGOU, 2022. L'expatriation précoce des étudiants et ses risques pour le Gabon. Libre propos paru dans l'UNION, dans la rubrique Opinion. 47 consiste à conseiller et orienter les étudiants dans leurs projets d'études, afin de faciliter leur réalisation. Dans cette catégorie, deux principales plateformes se dégagent à savoir les orientations publiques et les orientations privées comme le montre le tableau 10 suivant. Tableau 10: Quelques plateformes d'orientation et d'accompagnement
Source : Enquête de terrain, 2023. Dans ce tableau, nous avons une liste non exhaustive des plateformes d'orientation et d'accompagnement des étudiants à l'étranger installés au Gabon. Composées de l'ANBG et du SOSUP, les plateformes publiques sont des organes qui assurent au nom de l'État gabonais l'accompagnement des étudiants. Leur politique d'orientation cadre avec la vision politique des gouvernants en matière d'éducation. Pour répondre à la demande ainsi qu'aux besoins des futurs émigrants scolaires gabonais, l'ANBG travaille en partenariat avec des organismes de gestion97. Ces derniers agissent auprès des établissements de formation et de l'administration au bénéfice des étudiants boursiers dans les pays d'accueil. Les organismes de gestion ont la compétence de répondre à toutes les questions liées à l'accompagnement des étudiants au compte de l'ANBG. Parmi ces organismes de gestion on retrouve le CDC Allemagne, Campus France, Smart Africa Consulting Maroc, Cegep/Canada, ASA Tunisie. Les plateformes d'accompagnement privé sont composées d'agences qui se chargent de l'orientation d'étudiants boursiers et non boursiers. Leur accompagnement tient compte des besoins des futurs émigrants et des offres de formation des établissements à l'étranger. Ainsi, face à l'offre insatisfaisante de l'enseignement supérieur au Gabon, de « nombreux étudiants sont amenés à rallier l'étranger dans le cadre de la poursuite de leurs études98 ». Devant l'enjeu économique que représente l'émigration scolaire, cette augmentation a 97Les organismes de gestion renvoient à des prestataires qui peuvent agir dans le cadre de la gestion administrative, académique et financière au nom de l'ANBG. 98Henriette LEMBET, 2021. Etudier au Rwanda : gare aux arnaques! Disponible sur URL : https://www.gabonmediatime.com/etudier-au-rwanda-gare-aux-arnaques 48 également entrainé la convoitise des agences d'assistance d'étudiants. Face aux profits générés dans le processus de traitement de dossier d'étudiants pour l'étranger, il s'est développé, en marge des procédures d'accompagnement, des « pratiques mafieuses99 ». « Entre promesses non tenues, engagements non honorés, abus de confiance, certains cabinets d'assistance iraient jusqu'à facturer aux étudiants gabonais des formalités à coût plus élevé qu'elles ne le sont réellement100 ». Le quotidien L'Union, dans sa livraison du mercredi 22 septembre 2021, rapportait dans ce sens les propos de certains étudiants confrontés aux problèmes d'escroqueries d'agences d'assistance. L'un d'entre eux affirmait ce qui suit : « j'ai découvert que l'agence faisait payer à mes parents en francs CFA le montant du coût de la scolarité et du loyer qui est en franc rwandais ». La multiplication d'actes d'arnaque de certaines agences de suivi d'étudiants doit amener l'Etat à mieux les encadrer et les contrôler notamment par des campagnes de sensibilisation, en répertoriant les plus fiables ou en signant des partenariats avec ces agences privées. 2.1.1.3. Les salons internationaux d'orientation Organisés depuis quelques années au Gabon, les salons internationaux d'orientation sont des événements qui réunissent différents établissements locaux et étrangers de l'enseignement supérieur. Ces derniers ont pour but de faire connaitre aux apprenants locaux, les différentes formations dispensées par les établissements qui y prennent part. L'objectif visé est celui d'attirer les meilleurs profils de candidats répondant aux critères de formation proposés dans leurs écoles et instituts. A l'issue du salon international de l'orientation universitaire de Libreville organisé le 22 février 2023, Mohammed Amine KENDOUSI, chargé des admissions de Al Akhawanyn University d'Ifrane au Maroc, et Mohammed ABROUK EL ALAMI, responsable de développement international de Rabat Business School, affirmaient « être à la recherche d'individus intéressés par les domaines de la gestion, des finances, du marketing, etc. ». Cette déclaration montre que le Gabon est assimilé à une « réserve de chasse101 » dans laquelle les États extérieurs, par le truchement de leurs écoles et instituts, siphonnent l'élite scolaire locale. 99 Https://www.gabonmediatime.com/etudier-au-rwanda-gare-aux-arnaques 100Idem 101Serge Loungou, 2021. Op cit, p.12. 49 2.2.2 Processus d'insertion sociale des étudiants gabonais à l'étranger La signification étymologique de la notion d'insertion renvoie à « l'introduction d'une chose dans une autre ou dans d'autres, celle-ci gardant sa ou ses particularités102 ». En étendant ce terme au concept d'insertion sociale, Catherine DEROUETTE et Stéphane RULLAC l'appréhendent comme « un concept sociologique qui a dépassé les frontières de la science sociale, pour s'appliquer à la société tout entière103». L'insertion sociale renferme « un ensemble d'activité ayant pour objectif la socialisation d'un individu pour lui permettre de trouver sa place dans une société104». Autrement dit, c'est un processus ou une « action visant à faire évoluer un individu isolé ou marginal vers une situation caractérisée par des échanges satisfaisants avec son environnement 105 ». L'intérêt d'étudier le processus d'insertion sociale des étudiants gabonais à l'étranger vient de certains travaux, en l'occurrence ceux de Julien BERTHAUD106 pour qui, « il existerait un lien entre réussite scolaire et les effets de l'intégration sociale ». Même si cette section n'étudie pas ce rapport, il traite tout de même du processus d'insertion des étudiants gabonais à l'étranger. D'ailleurs, dans le contexte de l'émigration scolaire, l'insertion renvoie à l'ensemble des moyens d'accompagnement par lesquels les étudiants, émigrants vers l'étranger, parviennent à réduire les risques d'exclusion. Ces formes d'accompagnement peuvent être de plusieurs ordres. Il peut s'agir d'un : ? Accompagnement socio-économique par des services d'accueil et d'hébergement, de soutien moral, de culture et loisirs, d'aide à la mobilité, aide financière... ; ? Accompagnement académique généralement encadré par les établissements d'accueil et qui se caractérise par des services et des programmes d'insertion dans les établissements (sport, randonnées, voyages...) ; ? Accompagnement administratif qui est l'aide dans l'établissement et la mise à jour des documents (carte d'étranger, carte consulaire...). 102Georges BONNEFOND, 2006. Insertion ou intégration, in De l'institution à l'insertion professionnelle, p.221. Disponible sur URL : https://www.cairn.info/de-l-institution-a-l-insertion-professionnelle--9782749205670-page-221.html&lang=fr 103Catherine DEROUETTE, Stéphane RULLAC, 2015. « Insertion sociale », In Stéphane RULLAC, Dictionnaire pratique du travail social, Paris,
Dunod, Hors collection, p.239.URL 104Pact'Arim, 2021. Qu'est-ce que l'insertion sociale, URL : https://www.pactarim.fr/maison/quest-ce-que-linsertion-sociale%E2%80%89/ 105Définition de l'Index international et dictionnaire de la réadaptation et de l'intégration sociale (L'IIDRIS). 106 Julien BERTHAUD, 2017. Les effets de l'intégration sociale étudiante sur la réussite universitaire en 1er cycle sont-ils significatifs? Revue française de pédagogie. URL : http://www.journals.openedition.org/rfp/7077 (consulté le 03 janvier 2023) 50 Le tableau qui suit présente les moyens d'insertion des étudiants gabonais à l'étranger. Tableau 11: Les moyens d'insertion des émigrants scolaire gabonais
Source : Enquête de terrain, 2023. Le tableau montre que 47% et 30% des émigrés scolaires ont obtenu respectivement l'aide des amis et de la famille pour leur insertion à l'étranger. Pour soutenir ces données, une enquêtée nous a affirmé que lors de son arrivée au Sénégal, « c'était vraiment ma soeur qui m'a orienté dans tout. Notamment la recherche d'école, dans la mise à jour des documents administratifs, au sujet des informations importantes... ». En plus du soutien apporté par les proches, 19 % des émigrés scolaires bénéficient des programmes des établissements pour leur insertion. Selon un enquêté, « il peut s'agir des sorties scolaires (excursion) ou un voyage organisé regroupant une ou plusieurs classes de l'école ». Enfin, 4 % de répondants nous rapportent que les associations d'étudiants gabonais à l'étranger participent également à ce processus par « des conseils, l'apprentissage de la langue (pour les pays non francophones) ou l'organisation des évènements festifs107». Confronté à certaines carences, l'homme a presque toujours emprunté la voie de la migration pour obtenir gain de cause à ses insatisfactions. A travers ce chapitre, nous avons pu voir que l'émigration scolaire au Gabon découle à la fois de facteurs internes et externes. Face à un système de formation au niveau postsecondaire « sinistré », l'extérieur se présente à tous ces Gabonais en quête d'avenir et d'espoir comme un palliatif à la question de la formation. Toutefois, ce dévolu jeté par les émigrants scolaires vers les pays étrangers tient sur le fait qu'ils constituent des espaces attractifs. Une attractivité qui s'incarne au niveau de l'univers sociétal et culturel de ces pays sur les coûts de formation, de la stabilité et la qualité de l'enseignement ou des perspectives après formation. 107Propos d'une enquêté sur le rôle des associations d'étudiants gabonais à l'étranger dans le processus d'insertion social. 51 En poursuivant notre analyse, ce chapitre a permis de comprendre que l'émigration scolaire au Gabon est entretenue par plusieurs acteurs. Ils agissent dans le cyberespace et dans le milieu local à travers les réseaux sociaux, la publicité, les salons internationaux de l'orientation et participent de manière directe et indirecte à l'entretien de cette dynamique migratoire de l'élite intellectuelle locale. 52 DEUXIÈME PARTIE : L'ÉMIGRATION SCOLAIRE AU GABON : ENJEUX ET ANALYSE 53 Les universités sont au centre de la puissance et du rayonnement des territoires. Devant cette considération, la formation scolaire est devenue un enjeu de rayonnement, de puissance, de compétitivité entre États. Dans cette forme de « Guerre des Campus108 », certains pays de départ, grâce à l'amélioration de leur système scolaire, sont ainsi devenus des pays d'arrivée d'étudiants tandis que d'autres sont demeurés des espaces d'émigration scolaire. Cette partie analyse l'émigration scolaire au Gabon comme un fait migratoire aux enjeux socioéconomiques et géoculturels et pose les bases d'une analyse du domaine scolaire comme aspect du soft power. 108Devenu (les universités) un aspect culturel de l'influence des Etats, Émilie AUBRYE dans « soft power : la guerre des universités », présente les universités comme trait de la puissance "soft". Elle affirme à cet effet que depuis le "classement de Shanghai" et sur fond de compétition croissante entre monde occidental et monde asiatique, "la guerre des facs" s'intensifie, tandis que le nombre d'étudiants internationaux est en constante augmentation. 54 CHAPITRE 3 : L'ÉMIGRATION SCOLAIRE AU GABON : UN FAIT MIGRATOIRE AUX ENJEUX SOCIOÉCONOMIQUES, GÉOPOLITIQUES, SÉCURITAIRES ET CULTURELS En tant que territoire vers lequel converge d'importants flux de populations étrangères, le Gabon, « dans la recherche légitime de son soft power, aurait logiquement dû constituer un espace d'immigration académique109 ». Toutefois, alors que la demande dans l'enseignement supérieur ne cesse de croître et que les universités sont en concurrence pour attirer les étudiants partout dans le monde, cette migration n'est pas sans enjeux. Dans ce chapitre, nous analysons les enjeux de l'émigration scolaire au Gabon. Pour y parvenir, notre réflexion porte, dans un premier temps, sur une étude des enjeux socioéconomiques de ce mouvement de population, puis, dans un deuxième temps, aborde les enjeux géoculturels et sécuritaire de l'émigration scolaire au Gabon. 3.1. Les enjeux socioéconomiques de l'émigration scolaire Dans de nombreux travaux, les dimensions politique et culturelle de la mobilité internationale des étudiants ont longtemps été mises en avant dans les échanges interétatiques. L'enjeu principal était alors de « contribuer à accroître l'influence du pays d'accueil sur la scène internationale en formant les futures élites des pays avec lesquels des liens privilégiés étaient entretenus110». Ces enjeux ont aujourd'hui changé de nature. Avec la montée en puissance du fait capitaliste, l'impact économique est devenu prédominant. Dans le cas du Gabon, l'émigration scolaire des étudiants n'est pas sans conséquences. D'après MBENG ESSONE, cette mobilité « pèse de plus en plus financièrement111 ». Afin de mieux cerner le poids de ce phénomène, nous examinons le coût de l'émigration scolaire pour l'État gabonais et les familles qui la supportent. 3.1.1. Le coût financier et humain de l'émigration scolaire pour l'État gabonais La formation demeure un enjeu fondamental pour le développement de tout État et le Gabon n'échappe pas à cette logique. Mais, face aux carences de son système éducatif, 109Serge LOUNGOU, 2021. Op. Cit, p.12. 110 Eugénie TERRIER, 2009. Op. Cit, p.74. 111 Https://gabonmediatime.com/gabon-lexode-universitaire-un-phenomene-qui-coute-de-plus-en-plus-cher-a-letat/ 55 l'émigration scolaire se présente comme un moyen nécessaire pour la formation du capital humain. Néanmoins, entre frais de scolarité, frais de déplacement, frais d'hébergement et couverture sanitaire, la prise en charge des émigrants scolaires coûte « cher à l'État112 ». MBENG ESSONE estimait ces coûts à « 64 milliards de FCFA pour assurer les études des ressortissants gabonais113». En fin 2015, le Bureau de coordination du Plan stratégique Gabon émergent évaluait ces dépenses à 59 milliards de FCFA. Dans le rapport relatif à l'audit organisationnel, comptable et financier de l'ANBG, la Cour des Comptes évaluait à plus de 33 053 294 000 FCFA les dépenses de l'État gabonais en 2011 pour assurer le paiement des allocations d'études des ressortissants gabonais à l'étranger. Le tableau suivant tiré du rapport de la Cour des Comptes montre l'évolution de ces chiffres de 2011 à 2013. Tableau 12: Dépenses de l'État en matière de bourse au Gabon et à l'étranger entre 2011-2013
Source : Rapport relatif à l'audit organisationnel, comptable et financier de l'ANBG (Cour des Comptes, 2014). Le tableau montre qu'entre 2011 et 2013, le nombre d'étudiants au Gabon dans l'enseignement supérieur a doublé. Cette tendance est la conséquence de la politique d'orientation mise en place par l'ANBG en 2012, laquelle consistait à prioriser les établissements d'enseignement locaux. Ce choix stratégique a conduit à la baisse du nombre des étudiants gabonais à l'étranger passant de 4 192 en 2011 à 2 366 en 2013. Malgré ce déclin, les dépenses liées à l'entretien des étudiants gabonais à l'étranger demeurent plus onéreuses comparativement au montant de bourses et accessoires des étudiants qui sont au Gabon. Cela se justifie par le fait qu'à l'étranger, la prise en charge est plus importante. Pour 113Idem 56 un étudiant boursier, l'Etat est emmené à prendre en charge le logement, le voyage aller-retour, les frais d'inscription et de formation, la couverture sociale et médicale, les allocations mensuelles et le trousseau scolaire, etc. Le tableau ci-après présente les montants mensuels de bourses en fonction des zones géographiques. Tableau 13: Montants mensuel des allocations
d'études accordées aux étudiants gabonais au
Source : Journal Officiel de la République Gabonaise N°124 Bis, du 26 septembre 2012. Comme on peut le constater, il existe plusieurs catégories de bourses à savoir la bourse de mérite, la bourse d'émergence et la bourse classique. La bourse classique qui est la plus attribuée comporte trois sous catégories. La bourse C qui est accordée aux étudiants du premier cycle, des écoles préparatoires aux écoles d'ingénieurs (BTS, DUT Licence, ENI). La bourse D est accordée aux étudiants de deuxième cycle (Master), la quatrième et la cinquième année du cycle ingénieur d'application ou de conception. Enfin la bourse E est réservée aux étudiants de troisième cycle (doctorat). Ces catégories de bourses concernent à la fois les 57 étudiants présents au Gabon et à l'étranger. Cependant, leurs montants diffèrent en fonction des zones géographiques. Pour prendre l'exemple du trousseau scolaire, il est établi à 90 000 FCFA dans les zones FCFA et 180.000 hors zone FCFA pour les catégories de bourse C, D et E. Sur la base de certains chiffres publiés sur la page Facebook de l'ANBG et des informations recueillies lors de la recherche documentaire, nous avons estimé les dépenses des allocations et de la prise en charge des étudiants boursiers au Gabon et à l'étranger en 2019. Ces données sont consignées dans le tableau suivant. Tableau 14: Estimation du coût financier de l'émigration scolaire pour les étudiants boursiers Gabonais
Source : ANBG (2018-2019) et interprétation de l'auteur, 2023. Faute de données, nous n'avons pas pu répertorier les montants exacts de la prise en charge (paiement de la bourse, de la scolarité, de la prise en charge sociale, le coût du transport, l'hébergement, etc.) de l'État en Asie et en Amérique. Toutefois, en faisant le rapport entre le nombre d'étudiant (2561) à l'étranger en 2019 et le coût des allocations qui leurs sont destinées, on se rend compte qu'il fait presque la moitié (13 019 774 265 FCFA) du montant de bourses alloué aux étudiants locaux (30 688 798 000 FCFA). Un chiffre important alors que les personnes en situation d'émigration scolaire représentent relativement 1/15ème du nombre d'étudiants boursier au Gabon (36 138 étudiants au Gabon). Au regard de ces montants élevés, l'État a pris la décision de revoir, en 2019, les modalités d'attribution des bourses en abrogeant le décret n°404/PR/MENESTFPRSCJS de septembre 2012 qui garantissait la « bourse pour tous ». Dans le même sens, la note 58 n°000576/PR/ANBG/DG/CTM de la Directrice générale de l'ANBG limitait l'accompagnement de l'État pour l'année académique 2023-2024 aux étudiants inscrits à l'étranger, dans les établissements supérieurs publics. En dehors de ce levier financier, l'émigration scolaire expose une autre problématique : celle de la migration de « retour » ou de « non-retour114 » des étudiants gabonais dans leur pays d'origine après formation. Pour percevoir les conditions de ces deux tendances (retour ou non-retour), nous avons questionné les émigrés scolaires gabonais afin de mesurer leur intention de « retour » ou de « non-retour ». Les résultats sont présentés dans le tableau suivant. Tableau 15: Avis des émigrants gabonais sur l'intention de retour ou de non-retour
Source : Enquête de terrain, 2023. La majorité des émigrés scolaires gabonais (74 %) s'inscrivent dans une migration de retour, contre 26 % qui expriment l'intention de non-retour. Même si la proportion de ceux qui déclarent ne pas revenir est faible, cela reste malgré tout préjudiciable puisque cela conduit à une perte de compétences dans certains secteurs et cela représente un investissement non rentable. Notre questionnaire nous a également permis de recueillir les raisons pouvant expliquer le retour ou le non-retour des émigrés scolaires gabonais. Le tableau ci-dessous présente ces données. 114 Le terme non-retour dans cette analyse est rattaché à la question de la « fuite des cerveaux » qui lui provient de l'anglicisme « brain drain ». Il est utilisé pour désigner dans l'ensemble l'émigration des personnes dotées de qualifications vers d'autres pays. 59 Tableau 16: Les causes de retour et de non-retour
Source : Enquête de terrain, 2023. Au regard de ce tableau, 74 % d'étudiants gabonais à l'étranger pensent que les causes de la migration de retour s'expliqueraient par six raisons dont les principales sont le patriotisme (37), l'espoir d'obtention d'un emploi (10) et la volonté de faire profiter leur pays de départ des compétences acquises à l'étranger (10). Par ailleurs, 26 % des enquêtés estiment que le non-retour pourrait être causé par deux principales raisons que sont le taux de chômage élevé et le manque d'opportunité d'emploi (9) au Gabon. Le défi du développement au Gabon exige un effort de ramener sur son sol ses ressources humaines. Les intentions de non-retour, formulées par les étudiants gabonais à l'étranger, montrent qu'il faudra plus qu'une incitation au patriotisme ou au référant familial pour dissuader les volontés d'expatriation. L'État gabonais devrait s'inspirer de la stratégie qu'avaient mise en place certains pays africains en l'occurrence « la Côte d'Ivoire, le Ghana, l'Éthiopie ou le Cap-Vert, pour le retour de leurs migrants hautement qualifiés. Parmi les politiques de retour, l'Etat devrait « créer des réseaux locaux par lesquels les migrants qui reviennent trouvent de réelles opportunités grâce notamment à des investissements dans les secteurs de la science et de la technologie »115. Il pourrait également offrir aux étudiants potentiels à la migration de retour des conditions satisfaisantes de carrière dans leurs domaines, ce qui suppose un véritable travail de fond. 115Mamadou GANDO BARRY, 2011. Op. Cit, p.29. Ce paragraphe expose les différentes stratégies développés par la Côte d'Ivoire, le Ghana, l'Éthiopie ou le Cap-Vert, pour le retour de leurs migrants. 60 3.1.2- L'impact socioéconomique de l'émigration scolaire au sein des familles gabonaises Comme nous l'avons vu, le coût des études à l'étranger est élevé. A partir d'une enquête qualitative menée auprès de 7 parents qui prennent en charge (sans l'aide de l'Etat gabonais) les dépenses de leurs enfants qui apprennent à l'étranger dont 5 en Afrique et 2 en Europe, nous avons pu avoir une estimation des dépenses en fonction des zones d'études. Les résultats ont été condensés dans le tableau suivant. Tableau 17: Estimation des dépenses selon le pays, le niveau d'étude et l'établissement d'accueil entre 2018-2021
Source : Enquête de terrain, 2023. Le tableau montre que plus le pays d'étude est éloigné, plus les coûts sont onéreux et cela grève les revenus des parents. Face à cette situation, certains parents solliciteraient que l'État apporte une aide aux étudiants non boursiers notamment en prenant en charge le trousseau scolaire et les frais sanitaires. Les dépenses des étudiants tournent globalement autour de trois secteurs : administratif et scolaire, vie sociale et sanitaire, et train de vie. Les coûts administratifs et scolaires regroupent les frais d'inscription dans les établissements (université, écoles instituts) et les frais relatifs à l'établissement des documents administratifs (Visa, carte de séjour). La vie sociale et sanitaire couvre les frais de restauration universitaire, la mutuelle, les assurances, les dépenses liées au transport du quotidien (pour les étudiants résidents hors des campus), les dépenses concernant les frais de santé, etc. Le train de vie 61 concerne les frais de communication (abonnements, Internet, téléphone), les frais liés aux activités sociales et de loisirs (sorties, sport ; tourisme, week-ends etc.), les frais de logement. Au final, l'émigration des étudiants Gabonais coûte chère aussi bien à l'Etat qu'aux familles qui la supportent. Le double impacte de ce mouvement de populations sur l'État réside sur le fait qu'il constitue un « gouffre à sous » et représente dans le cas du « non-retour », une perte en diplômés hautement qualifiés pour répondre aux enjeux de développement du pays. 3.2. Les enjeux géopolitiques, sécuritaires et culturels de l'émigration scolaire au Gabon Le choix de migrer vers un espace suppose que ce dernier rempli certaines conditions inexistantes dans l'espace de départ. Dans le contexte de la mondialisation où la compétitivité et la quête de puissance sont au centre des relations interétatiques, l'émigration scolaire croissante des gabonais vers l'étranger renvoie une image de ce que pourrait être la formation scolaire au niveau local. Dans cette section, nous analysons les enjeux géopolitiques, sécuritaires et culturels de ce mouvement de population. 3.2.1. Les enjeux géopolitiques Du fait de l'internationalisation de l'enseignement supérieur, presque tous les pays au monde font face à l'émigration scolaire. L'internationalisation est définie par Charlotte POURCELOT comme un « processus qui, grâce à la mobilité internationale des étudiants et des enseignants, conduit à l'intégration des dimensions internationales et interculturelles dans les fonctions éducatives des institutions d'enseignement supérieur ainsi que dans leur gouvernance »116. Mais, selon qu'on émigre d'un pays du nord ou du sud, le mouvement n'est pas perçu de la même manière. En effet, lorsqu'un étudiant américain ou un étudiant chinois décide d'aller à l'étranger pour sa formation, on avancera moins comme raisons de départ des problèmes infrastructurels ou de calendrier scolaire non respecté. Au Gabon, les faits sont tout autres. Les départs successifs pour besoin éducatif à l'étranger ne sont pas toujours le résultat d'un choix propre. Ils sont en grande partie une réponse aux handicaps des pratiques scolaires au niveau supérieur. Face aux nombreux problèmes infrastructurels couplés à la faible diversité d'offres de formation, des grèves à répétition et d'effectifs pléthoriques dans les établissements au 116 http://journals.openedition.org/ripes/3248 62 Gabon, l'émigration scolaire s'avère être une réponse indispensable à la demande des gabonais qui, chaque année, postulent dans l'enseignement postsecondaire. Ainsi, si ce mouvement migratoire rend le Gabon dépendant de l'extérieur pour la formation de son élite intellectuelle, cette dépendance est une entrave à la souveraineté académique nationale. Elle traduit l'incapacité du Gabon à assurer l'entièreté de la demande académique locale. 3.2.1.1. Le Gabon face à la compétitivité académique étrangère Terme souvent employé dans plusieurs domaines pour sous-tendre l'idée de concurrence ou de rivalité, la compétitivité est une notion d'essence économique qu'il n'est pas facile de définir et de mesurer. Elle s'apparente toutefois à la capacité d'une entreprise à affronter la concurrence d'autres entreprises, en vue de s'assurer une position. Elle est aussi la « capacité d'une économie nationale à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d'emploi117 ». Bien qu'étant « à l'origine une notion appliquée à des produits ou à des firmes118 », la compétitivité ne relève pas seulement du seul domaine des entreprises. Suivant une approche scalaire intéressante, Jacques Lévy « considère la compétitivité d'un territoire comme les effets positifs de son inscription dans un marché d'échelle supérieure119». Cette esquisse de définition appelle évidemment de nombreux compléments. Dans une approche géographique, Olivier DOLLFUS120 rappelle le lien étroit entre compétitivité et géographie. Il assimile cette notion à un « processus darwinien121 » dont l'enjeu est de permettre à des « groupes d'entreprises ou un pays de gagner des parts de marché122». Ainsi, en associant cette notion au domaine académique, la compétitivité trouve dans la pensée darwinienne une nouvelle présentation du rapport de force entre pôles académiques (dominants) et périphéries (dominés). Cette description suit le principe de Pierre VELTZ pour qui « dans l'espace globalisé, les territoires, les nations, les villes sont de plus en plus explicitement mis en concurrence123», dans plusieurs domaines. 117Luc DENAYER, Siska VANDECANDELAERE, 2012. « Les défis de la compétitivité, reflets et perspectives de la vie économique », De Boeck Supérieur, revue tirée de Reflets et perspectives de la vie économique, p.5. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vieeconomique-2012-1-page-5.htm 118Gilles ARDINAT, 2013. Géographie de la compétitivité, Paris, Presses Universitaires de France, p. 19. 119Idem 120Olivier DOLLFUS, 1995. « Mondialisation, compétitivités, territoires et marchés mondiaux », L'espace géographique, n°3, p.270. 121Idem 122 Ibidem 123Pierre VELTZ, 2014. « La compétitivité par l'organisation », dans Mondialisation, villes et territoire, p.159 (en ligne). Disponible sur URL : https://www.cairn.info/mondialisation-villes-et-territoires--9782130627760-page-159.htm . 63 Nous rappelons qu'une éducation de qualité au niveau local est déterminante pour la compétitivité du pays à l'international. On peut déterminer qu'un territoire est académiquement compétitif ou non, par sa capacité à attirer vers lui des flux. Bien qu'aucune définition et méthode de mesure précise ne s'est encore imposée au sujet de la compétitivité, il n'en demeure pas moins qu'elle peut se lire à la fois sur le niveau d'attraction (dimension qualitative) ainsi que sur le nombre de personnes attirées (dimension quantitative). De même, elle peut aussi se lire dans les rapports internationaux où sont classées les meilleures universités au monde. 3.2.1.2. Les classements internationaux Nés dans les années 2000, les « ranking » ou classements d'établissements de recherche et d'enseignement supérieur, sont des entités établissant des comparaisons d'établissements selon des critères quantitatifs et qualitatifs. Ils émergent dans un environnement compétitif entre établissements favorisant la prolifération de classements internationaux. Produits par divers entités (sociétés privées d'analyse d'information, des éditeurs scientifiques commerciaux ou des groupes publics de recherche), deux principaux types de classements internationaux se distinguent : ? Les classements intégrant les établissements publics de recherche, comme Scimago Institutions Rankings (SIR), Nature Index, Ranking Web of World Research Centers ; ? Les classements uniquement consacrés aux établissements d'enseignement supérieur (universités, écoles supérieures), comme Academic Ranking of World Universities (ARWU) plus connu sous l'appellation classement de Shangaï, Ranking Web of Universities, CWTS Leiden Ranking, THE World University Rankings, U-Multirank, QS World University Rankings. Pour mesurer cette compétitivité, nous nous baserons sur deux types de classements internationaux à savoir le US News & World Report et le Academic Ranking of World Universities (ARWU) plus connu sous l'appellation de classement de Shanghai. 3.2.1.3. Les critères des classements Les critères quantitatifs et qualitatifs de ces classements sont les effectifs de scientifiques et d'étudiants, le volume et la qualité de la production scientifique écrite, la qualité de l'enseignement, le rayonnement international ou l'attractivité de l'établissement. Les critères quantitatifs prennent en compte les effectifs de scientifiques et d'étudiants, ressources contractuelles de l'établissement, nombre de prix Nobel et de médailles Fields, nombre d'articles publiés dans les revues à haut facteur d'impact, nombre de chercheurs dont les articles sont les plus cités dans leur domaine, nombre d'articles de revues référencés dans des bases de données internationales (Scopus, Web of Science...), nombre de citations reçues par les articles publiés, nombre de publications scientifiques citées dans des brevets... Les critères qualitatifs intègrent les niveaux des diplômes délivrés, degré de spécialisation de l'établissement, statut légal de l'établissement, réputation de l'établissement auprès des étudiants ou des enseignants-chercheurs ou d'employeurs et de partenaires... Ainsi, en mettant en adéquation le Gabon et la compétitivité extérieure, il ressort du magazine US News & World Report124 (2022), qu'aucun établissement d'enseignement supérieur gabonais n'est ni dans le lot des 1750 écoles d'enseignement supérieur répertoriées dans le monde, ni dans celui des 66 d'Afrique. Le rapport reconnait en l'Afrique du Sud, la position de pôle de formation sur le continent africain. L'Egypte « reste cependant le pays le plus représenté avec 22 universités qui figurent dans le classement. Une seule université francophone (hors Maghreb) apparaît dans ce tableau des meilleures écoles d'enseignement supérieur africaines. Il s'agit de l'Université de Yaoundé au Cameroun125 ». Cette absence est également constatée dans le « classement Shanghai de 2021 » et elle en dit long sur la place du Gabon dans la sphère académique mondiale. Serge LOUNGOU parle d'ailleurs de « rapport de force inversé » du Gabon en ce qui concerne la formation supérieure. Témoignant ainsi de l'échec des universités locales à se hisser à un niveau de reconnaissance international. La figure qui suit, présente l'analyse que l'on porte sur la place du Gabon dans la sphère académique mondiale. 64 124 Ce classement est basé sur plusieurs indicateurs tels que la performance de recherche universitaire et la réputation mondiale et régionale 125 https://www.gabonreview.com/meilleures-universites-africaines-en-2022-luob-aux-abonnes-absents 65 Figure 1: Le Gabon dans la sphère académique mondiale Source : Classement Shanghai et magazine US News & World Report/ Orientation : Serge LOUNGOU L'examen de cette figure montre que le système académique mondial est structuré en zones académiques d'influences. Cette structuration cadre quelque peu avec la structure économique des pays à l'échelle mondiale. Au premier rang, on retrouve les pays du centre. Il s'agit des pays d'Europe de l'ouest, des États-Unis, du Canada, etc. Á eux seuls, ils détiennent les meilleures universités au monde et occupent les premières places dans les différents classements internationaux. La seconde catégorie est dominée par les pays Émergents ainsi que les nouveaux pays industrialisés. Ils disposent d'une représentativité qui n'est pas des moindre. Dans ce groupe on peut citer les BRICS, Israël, l'Arabie Saoudite, etc. Enfin, la dernière est une catégorie qui fait office de périphérie. Bien qu'elle englobe des pays engagés dans un processus de progression de leur domaine scolaire, il n'en demeure pas moins qu'elle reste sous-représentée. Dans cette périphérie, on retrouve le Gabon. Une périphérie de la périphérie. Au regard de sa place inexistante dans le classement des établissements perçu comme référence de formation au monde, il « apparait ainsi relégué au rang de périphérie de 66 troisième niveau. Une sorte d'angle mort à la remorque d'autres pays africain auquel il sert de réserve de chasse aux étudiants126 ». 3.2.2. L'enjeu sécuritaire de l'émigration scolaire au Gabon L'émigration scolaire des étudiants gabonais cristallise un enjeu sécuritaire voire humain. On peut justement le constater à travers les décès de Christ Dorient DIVOKO127, de Ketch OBORO en 2020 (en Russie) ainsi que Jeannah Danys DINABONGHO en 2023 (Turquie) dans leurs pays de formation. Le cas de la jeune étudiante DINABONGHO dite « Dina », avait provoqué de vives émotions et entrainé de nombreuses mobilisations aussi bien dans son établissement à Karabük, à l'ambassade de Turquie au Gabon ainsi que sur la « toile ». Faisant corps avec cette tragédie qualifiée par certains comme une « noyade » ou un « assassinat », le ministère gabonais des affaires étrangères avait fait part, via un communiqué à GabonTélévision de « sa consternation et sa vive préoccupation après l'assassinat » de sa jeune compatriote. Aujourd'hui encore, des voix continues de retentir face à ce décès. Dans un point de presse tenu en le 21 juillet 2023, une organisation féministe organisée autour du collectif « Féministe pour Dina » dénonçait certains abus dont sont victimes plusieurs immigrés. Á cet effet, le collectif estimait que « Dina a été victime du racisme qui fait de tous les réfugiés et immigrés des cibles » et rejetait le qualificatif de « mort suspecte » retenu par les autorités turques128. Ainsi, garantir la sécurité des populations est une prérogative des dirigeants de chaque État. Ces pertes qui, dans certains cas, évoquent la question négrophobe et raciale, sont des interpellations à l'endroit des autorités gabonaises sur les accords de coopération tissés entre le Gabon et certains pays où émigrent les étudiants. 3.2.3 Les enjeux culturels de l'émigration scolaire Au-delà de l'impact socioéconomique et géopolitique, l'accueil des étudiants a un enjeu culturel notamment en prenant en compte des aspects liés à l'identité nationale et d'acculturation. En effet, en allant à l'étranger, les étudiants gabonais partent avec des valeurs qui reflètent les pensées, les traditions, les croyances, la culture voire l'identité gabonaise. 126Serge LOUNGOU, 2021. Op. Cit, p.12. 127Morel MONDJO MOUEGA, 2017. Un étudiant gabonais trouve la mort en Afrique du Sud.URL : https://www.gabonmediatime.com/un-etudiant-gabonais-trouve-la-mort-en-afrique-du-sud/ 67 Toutefois, « si l'identité peut se définir par rapport à la façon dont un individu se perçoit, se présente et se représente, elle est bien évidemment influencée par des paramètres socioculturels, et géographiques par rapport à l'endroit où il vit129». Sous l'influence d'un environnement différent de leur espace de départ, l'arrivée et l'installation à l'étranger pourraient entraîner chez les émigrés scolaires, des modifications substantielles, étant donné que la migration, constitue un moment de brassage (social, culturel), d'interactions, d'influences réciproques. Elle est un moment, propice à la construction d'une interculturalité entre l'émigrant et son pays d'accueil. Ainsi, cette forme de « malléabilité identitaire130» résultante des interactions entre « émigrés scolaires » et espaces d'accueils « permet bien souvent de dépasser l'étape de la migration pour entrer dans une dynamique d'évolution identitaire131». En favorisant les relations interculturelles, l'accueil favoriserait l'acculturation qui est définie comme « l'ensemble des phénomènes et des processus qui accompagnent la rencontre entre deux cultures différentes132» qui peut se traduire par « l'intégration, l'assimilation, la séparation et la marginalisation133». Concernant les étudiants gabonais à l'étranger, le sentiment d'appartenance de ces derniers au pays d'accueil ainsi qu'à leur pays d'origine (Gabon) est mentionné dans le tableau ci-dessous. Tableau 18: Avis des émigrés scolaires gabonais sur leur attachement au pays d'accueil
Source : Enquête de terrain, 2023. 129Olivier DAMOURETTE, 2022. De l'importance de la géographie dans l'étude du lien entre mouvements de populations et transformation culturelle. Francophonie(s) africaines(s) : langues, culture et identités au prisme de l'interculturel, Université Sultan Moulay Slimane. URL : https://shs.hal.science/halshs-04087052 130 Idem. 131Ibidem 132 http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/acculturation 133 John BERRY, 1997. Immigration, acculturation and adaptation, Applied psychology, Volume 46, issue 1, pp5-34. URL : https://iaap-journals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1464-0597.1997.tb01087.x 68 Ce tableau montre que la majorité des émigrés gabonais (51 %) estiment avoir un attachement particulier avec leur pays d'accueil. Près de l'autre moitié, 43 % pensent ne pas en avoir et 6 % se sont abstenus sur la question. Les données collectées montrent que cet attachement est justifié par : la durée du séjour, les liens socioculturels (création de famille avec les nationaux, amis, le train de vie dans les pays d'accueil, accueil des populations locales, la langue, etc.), la reconnaissance de la formation reçue, l'environnement politique et le projet professionnel. En outre, dans le contexte global d'accroissement des interdépendances socio-économiques entre les États de la planète, la mobilité scolaire «favorise la compréhension interculturelle et la valorisation de la diversité134 ». Les expériences de mobilité permettent aux étudiants d'apprendre davantage des autres cultures du monde. « Ainsi, l'appréciation et la compréhension des enjeux internationaux par les étudiants constituent le principal bénéfice attendu de la mobilité scolaire135 ». Dans le même élan, l'émigration scolaire est une façon de former des citoyens plus ouverts à la diversité culturelle. Bien qu'étant bénéfique pour l'État en ce sens qu'elle participe à la formation de l'élite intellectuelle gabonaise et la prépare à répondre aux défis posés par le développement, l'émigration scolaire au Gabon comporte plusieurs enjeux. Dans son volet socio-économique, elle met en exergue l'épineuse problématique des coûts de ce mouvement de populations. Il ressort de celui-ci deux volets. D'une part l'émigration scolaire coûte cher à l'Etat, d'autre part elle pèse sur les finances des familles qui supportent son poids. En dépit de cet impact financier, il pose un enjeu sécuritaire, si non humain. Par ailleurs, ces enjeux sont aussi d'ordre géopolitique et culturel. Ces derniers soulèvent les problématiques de dépendance, de rapport de force inversé, de faible compétitivité et d'acculturation. 134Groupe d'étude sur l'éducation mondiale, Éducation mondiale pour les Canadiens : Outiller les jeunes Canadiens pour leur réussite au Canada et à l'étranger, novembre 2017, p. 11. 135 Eva EGRON-POLAK, Ross HUDSON, 2014. Executive summary - Internationalization of Higher Education: Growing expectations, fundamental values, International Association of Universities 4th Global Survey. 69 |