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Dynamiques citoyennes et acteurs de développement en Afrique. L’exemple de la société civile ivoirienne.


par Hervé Rabet
Université Bordeaux Montaigne - Master II études interdisciplinaires des dynamiques africaines 2020
  

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B. Hégémonie politique et citoyenneté contenue : Le règne d'Houphouët-Boigny

En tant que « père de l'indépendance » de la Côte d'Ivoire, la principale tâche qui incombe à Félix Houphouët-Boigny le 6 aout 1960 est de structurer un Etat et de forger une nation prête à relever les défis de la mondialisation et du développement. La Constitution de la Côte d'Ivoire au moment de l'indépendance, qui s'inscrit dans l'esprit des lumières, permet aux ivoiriens de jouir des libertés fondamentales, tels que les libertés d'expression et d'association inscrite en son article 7. Le principe de séparation des pouvoirs est censé se matérialiser par l'articulation entre l'Assemblée nationale, la cour suprême et le président de la république.

Des communistes, Houphouët-Boigny rejettera l'idéologie, pas les pratiques. Nous pensons ici à la pratique du parti unique et du culte de la personnalité dont bénéficiera F. Houphouët-Boigny. Le PDCI-RDA restera jusqu'en 1990 le parti unique de Côte d'Ivoire.

Un régime à parti unique est un système politique dans lequel la législation ne permet qu'à un seul parti de gouverner. Le parti dispose alors du monopole de l'activité politique, concentre le pouvoir entre les mains de ses cadres, préempte l'ensemble de l'activité de la société et ne tolère pas d'opposition.

Mamadou Gazibo estime que les partis uniques apparaissent sur la scène politique africaine au moment des indépendances. Ils sont la réponse des « pères des indépendances » aux défis du développement et l'unité nationale. Ainsi l'introduction du parti unique, la suppression de la séparation des pouvoirs et la mainmise sur l'ensemble de l'appareil étatique ont été présentés comme la meilleure façon de faire le développement et de réaliser l'unité nationale. Le retour au parti unique a également été présenté comme une façon de renouer avec les formes africaines précoloniales de gouvernement fondées sur le consensus. Le parti unique était alors vu comme plus favorable à la cohésion sociale dans les sociétés multiethniques africaines que le multipartisme hérité de la colonisation européenne présenté comme une source de division (Gazibo, 2010). Le culte de la personnalité du Houphouët-Boigny est né avec la loi d'abrogation du travail forcé dans les colonies de 1946.

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Bien que son image soit écornée auprès de l'intelligencia ivoirienne du fait de sa volte-face politique, Houphouët-Boigny dispose toujours, au moment de l'indépendance de l'image de héros auprès de la population.

La JRDACI, le rendez-vous manqué entre F.Houphouet-Boigny et la jeunesse ivoirienne

De 1960 à 1962, aucun des problèmes qui cristallisent l'opinion jusqu'à l'indépendance ne sont résolus. La France, ancienne puissance colonisatrice devenue « la vieille amie » selon Houphouët-Boigny, occupe dans le pays, dans tous les domaines, la même position qu'avant l'indépendance. Le pillage des ressources naturelles et des finances du pays continu voir s'accentue. Les exploitants de bois écument ainsi la forêt ivoirienne jusqu'à la dépeupler de toute essence de valeur. Le déficit de la balance des paiements atteint un seuil critique.

Dans ces conditions, les dirigeants du mouvement de Jeunesse du rassemblement Démocratique Africain de Côte d'ivoire (JRDACI), entrés au gouvernement après le IIIe Congrès, comprennent sans doute trop tard qu'ils n'y sont que des figurants, voire otages, tant leur influence y est insignifiante (KONE,2003).

Pour comprendre cette situation il est important de comprendre le contexte de création de la JRDACI. Le mouvement de la Jeunesse du Rassemblement Démocratique Africain de Côte d'ivoire (JRDACI), est né en 1951 suite aux préconisations de la conférence de Bamako. Afin de rendre l'action du RDA plus efficiente, la création d'antennes nationales ont été décidé. Cependant la JRDACI ne devient active qu'à partir de l'intégration des leaders de la Ligue des Originaires de Côte d'Ivoire (LOCI).

Le mouvement de contestation sociale composé essentiellement de jeunes ; la LOCI acquiert de la visibilité en octobre 1958. Alors que les membres fondateurs étaient emprisonnés depuis plusieurs semaines, les militants, devant les refus des autorités de libérer leurs leaders, se livrent à des agressions mortifères à caractères xénophobes envers les ressortissants togolais et béninois du territoire ivoirien. Selon les militants de la LOCI, ces étrangers étaient alors coupables d'un accaparement du marché de l'emploi condamnant les autochtones à la pauvreté. Ces « cabales » de 1958 ne sont pas les premiers faits du genre. 20 ans plus tôt, le même type d'exactions a été commis à l'encontre des mêmes communautés. Ministre du général de Gaulle au moment des faits,

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Houphouët-Boigny, est profondément affecté par ces événements. D'une part, en colère contre les membres du Parti Démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) en charge du maintien de l'ordre et d'autre part, désolé envers les ressortissants étrangers de Côte d'Ivoire. A son retour sur le sol ivoirien, il ramène le calme et l'ordre en quelques heures, fait libérer les leaders de la LOCI, rapatrie et dédommage les ressortissants étrangers chassés lors des cabales, à la charge du trésor ivoirien.

Devant la menace pour la cohésion sociale et l'ordre publique que constitue la LOCI, F. Houphouët-Boigny, selon qui « en politique on ne résout pas un problème, on le déplace », préfère s'attaquer à l'organisation plutôt qu'aux causes de ses actions. Le rapprochement entre les jeunes cadres du PDCI et les leaders de la LOCI établi, le président, appliquant les préconisations de Bamako soutient la création de la JRDACI. Il ne manque pas au passage de prétendre, à un geste de générosité à l'attention de la jeunesse ivoirienne (KONE,2003).

Le congrès constitutif de la JRDACI qui se déroule du 14 au 16 mars 1958, demeure le seul et unique de la JRDACI. Deux listes s'affrontent pour constituer le comité exécutif, l'une comprend des leaders de la LOCI, l'autre victorieuse, n'en comprends pas. Ce congrès dont la clôture est officiée par Houphouët-Boigny lui-même, est gage d'espoir d'intégration politique pour une jeunesse ivoirienne alors en marge des processus de décision. Cependant, les actes ne se révèlent rapidement pas à la hauteur de l'espoir suscité. L'influence des cadres de la JRDACI est moins déterminante que celle de leurs directeurs de cabinet, exclusivement français (Amondji,1984). Une des principales revendications des cadres de la JRDACI est que, les postes de directeurs de services soient principalement pourvus aux africains (Amondji,1984). Il est probable que par naïveté, utopisme ou simple jeunesse, ils espèrent mettre à profit leur appartenance à la direction du PDCI pour, dans ce cadre, influer plus efficacement sur la politique générale du parti qui ne leur semble alors, pas en adéquation avec les intérêts du pays.

Dérive autoritaire et faux complots

A l'occasion de la présentation « du Plan de dix ans » en 1962 le président annonce la tenue prochaine d'un congrès de la JRDACI. Nous pouvons affirmer, au regard des événements qui suivront que ce congrès n'a jamais eu vocation à se tenir. Au cours de

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l'année 1962, la JRDACI est pratiquement interdite d'activité publique. Sa liberté d'initiative politique lui est déchue. Son sigle même n'est plus visible sur aucune communication, ni dans la presse, ni à la radio. Dès 1960, le droit d'éditer ses propres cartes d'adhérent lui est retiré, sonnant le glas de l'autonomie de mouvement des jeunes dans la Côte d'Ivoire houphouëtiste.

De manière générale le chef de l'État renforce sans cesse le caractère autoritaire du régime à partir de l'indépendance. Le 5 avril 1962, il demande aux députés de voter une loi qui autorise le gouvernement à prendre des mesures d'internement et d'assignation à résidence, voire d'obligation de travail, contre tout opposant au régime. Cette loi alors rejetée par l'assemblé nationale, sera finalement votée dans un climat de terreur le 17 janvier 1963 et servira à couvrir « a posteriori » les auteurs du « guet-apens de Yamoussoukro ». (Amondji,1984)

Le président Houphouët-Boigny convoque le 3 janvier 1963 les dirigeants du parti, les élus et les hauts fonctionnaires à une réunion prévue dans sa ville natale de Yamoussoukro. Celle-ci, ajournée à plusieurs reprises n'a finalement lieu que le 14 janvier. Ce jour, un tiers des membres du bureau politique issu du IIIe Congrès du PDCI sont arrêtés et jetés en prison. (Amondji,1984). Des milliers de citoyens toutes catégories sociales et professionnelles confondues sont également embastillés dans toutes les régions de la Côte-d'Ivoire. Les ivoiriens diplômés de l'enseignement supérieur, rentrés au pays après la fin de leurs études sont une cible prioritaire de la vague d'arrestation de janvier 1963 (KONE,2003). La répression est si brutale et arbitraire qu'aucun citoyen ne peut se sentir en sécurité. Les motifs d'arrestation vont de la complicité avec des supposés comploteurs contre le régime supposé à un manque d'enthousiasme à propos du régime. Les autorités de police arrêtent des citoyens sur de simples dénonciations, qui se multiplient en raison de rétributions. La population comprends très rapidement qu'il ne s'agit pas que d'endiguer la turbulence de quelques dizaines de personnes déjà arrêtées et enfermées à Yamoussoukro, mais bien de conjurer une crise générale qui affectait la société dans son ensemble. De très nombreuses arrestations sont restées secrètes. C'est le cas notamment d'une cinquantaine d'officiers et sous-officiers des Forces armées nationales de la Côte-d'Ivoire (FANCI), mais aussi de plusieurs civils bien connus des mouvements syndicaux ou estudiantins. C'est dans ce climat que Houphouët-Boigny

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resoumet au vote le projet de loi repoussé par les députés le 5 avril 1962, à l'Assemblée nationale le 17 janvier 1963.

La loi n° 63-4 du 17 janvier 1963 est largement votée par des parlementaires terrorisés par les événements que le pays traverse. En vertu de cette loi, tout Ivoirien peut être requis pour l'accomplissement de certaines tâches d'intérêt national. Les réquisitions, renouvelables, ne peuvent néanmoins excéder 2 ans. Toute personne dont l'action s'avère préjudiciable à la promotion économique ou sociale de la nation peut être assignée à résidence par décret (Afrique Nouvelle,1963). Il va de soi que cette loi ne visait plus seulement les citoyens déjà incarcérés mais s'inscrivait bien dans une légalisation de la terreur en visant la majorité contestataire et silencieuse.

Bien que le président Houphouët-Boigny, le plus solide allié de la France dans la sous-région, soit soutenu en vertu de son exemplarité en matière de libéralisme économique, il inquiète par la « stalinisation » de son régime. Le vocable employé alors par le régime étant également inquiétant.

Il suffit, pour s'en convaincre, de citer Philippé Yacé cadre du PDCI : « Le parti a décidé de procéder à une épuration dans tous les secteurs de la nation ». Les journalistes internationaux n'adhèrent que peu aux versions officielles. Et ce en vertu de leur intime conviction, qui s'appuie sur une bonne connaissance du terrain et les mènent vers des conclusions divergentes du régime. L'arrestation, en septembre 1963, de plusieurs autres ministres et de dirigeants du PDCI confirme leur intuition.

Dans une tentative désespérée de minorer la brutalité dont sont victimes les citoyens ivoiriens ainsi que le soutien populaire aux embastillés, de vaines opérations de propagande sont menées. Elles consistent en la tenue de manifestations de soutien au président. Les cortèges de ces manifestations sont essentiellement composés de villageois, dont le soutien au régime reste indéfectible malgré tout.

Le discours du 28 septembre 1963 semble également s'inscrire dans ces opérations de propagande, et apparait comme un véritable désaveu de celui du 15 janvier 1962. Si le discours du président se veut arrogant et menaçant en le 15 janvier 1962, il est protecteur et miséricordieux en 1963. Une batterie de promesses à l'attention des planteurs, des fonctionnaires, des médecins... sont faites. Pourtant la crise demeure. C'est ainsi qu'Ernest

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Boka, président de la cour suprême est officiellement arrêté, le 2 avril 1964. Le 6 avril, la nouvelle de sa mort dans sa cellule de « la bastille de Yamoussoukro » est le choc de trop pour l'opinion ivoirienne. La justification publique de Houphouët-Boigny ne redore son blason déjà meurtri, bien au contraire. La « grande réconciliation » marque la fin de la période des faux complots.

La période des faux complots, dont la raison demeure encore mystérieuse, apparait comme la première crise de la démocratie ivoirienne. Les arrestations arbitraires et les souffrances qui s'en suivirent constituent un profond traumatisme pour les citoyens ivoiriens. La jeunesse ivoirienne, qui au moment de la création du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) et du mouvement de jeunesse du rassemblement démocratique Africain de Côte d'ivoire (JRDACI) a nourri l'espoir de participer pleinement au développement du pays, fut la plus impactée par ces faux complots.

Pour les élites contestataires du régime, l'exil fut la meilleure solution pour certains, pour le reste ce fut la contrition. Cette brutalisation de la jeunesse relative à l'exercice de la citoyenneté eu 2 effets pervers. Le premier est celui d'avoir contenu, si ce n'est amputé à la Côte d'Ivoire l'essentiel de ses forces vives qui auraient pu contribuer à un développement plus inclusif de l'ensemble des acteurs ivoiriens. Le second est d'avoir instauré l'usage de la violence comme moyen de communication entre les dirigeants politiques et la jeunesse ivoirienne (KONE,2003).

F. Houphouët-Boigny pour sa part, se retrouva dos au mur sur la scène internationale pour n'avoir pas su prévoir les conséquences de sa politique d'abandon des ivoiriens.

Le néocolonialisme ivoirien est fondé sur le mythe du dirigeant charismatique. A l'origine, et une fois franchi le cap de l'instauration du pouvoir personnel, on prévoyait sans doute que cela suffirait à conserver à ce mythe une pureté telle que la Côte-d'Ivoire pourrait être véritablement un modèle du genre, caractérisé notamment par la stabilité politique et une « paix sociale » à toute épreuve. Mais il n'a pas été possible d'obtenir le consentement des Ivoiriens à cette duperie. La démocratie et la citoyenneté seront alors supplantées par le totalitarisme et l'assujettissement au régime jusque dans les années 80.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway