La citoyenneté indigène
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Figure 18: La situation coloniale en Afrique en 1945
(RABET,2020)
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Amadou KONE considère que l'éveil citoyen,
débute à partir de la seconde guerre mondiale au sein de
l'Afrique Occidentale Française (AOF). L'effort de guerre mobilise les
citoyens indigènes tant sur l'aspect militaire, comme en atteste les
bataillons de tirailleurs sénégalais que sur l'aspect des
ressources alimentaires et agricoles. Cette mobilisation est mise en oeuvre par
un régime indigène dont les dérives attisent la
colère de la population. Un décret de 1904 a instauré le
travail forcé en Côte d'Ivoire concernant les emplois agricoles et
d'aménagements public. L'essentiel de la main d'oeuvre forcé en
Côte d'Ivoire est issu de la Haute Côte d'Ivoire (Burkina Faso
actuel). Les chefs de Canton, issus de l 'élite coutumière comme
Houphouët-Boigny qui bénéficient de la confiance et du
soutien de l'administration coloniale fournissent également de la main
d'oeuvre locale. Les critères de sélection étaient
laissés à l'appréciation des chefs de canton.
L'instauration du régime de Vichy a eu pour conséquence, en
Côte d'Ivoire, une tentative de ségrégation entre colons et
autochtones. Cette tentative vient s'ajouter au grief de la population envers
un régime coloniale de plus en plus contester. Entre 1940 et 1943 on
peut observer une hausse des associations à caractères tribales
ou ethniques pour faire face aux pénuries que la colonie ivoirienne
connait en raison de sa participation à l'effort de guerre. Ces
associations bien qu'illégales sont tolérées.
L'arrivée à partir de 1943 de nouveaux administrateurs coloniaux
plus sensibles aux revendications autochtones du fait qu'ils ont combattus pour
la liberté aux cotés des tirailleurs sénégalais, a
favorisée la sortie de la clandestinité des associations et leurs
émergences.
Dans le souci de pacifier les colonies, le
général de Gaulle a organisé la conférence de
Brazzaville en 1944. Celle-ci a eu pour conséquence la reconnaissance du
droit de jouir des libertés fondamentales inscrites dans la
déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Cela s'est traduit par la légalisation des dynamiques syndicales et
associatives mais surtout par le droit à la représentation
politique au sein des instances gouvernementale. La revendication
égalitaire s'accentue par l'intermédiaire du Syndicat Agricole
Africain présidé alors par Félix Houphouët-Boigny,
chef du Canton de Yamoussoukro. Celui-ci désirait obtenir les
mêmes droits économiques que les colons disposant d'un cadre
juridique et fiscal plus favorable aux affaires.
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En 1945 après de nombreux concours de circonstances,
Félix Houphouët-Boigny devient députés de la
Côte d'Ivoire à l'assemblé coloniale. Comme l'ensemble des
néo députés coloniaux, il rejoint le camp des
progressistes, qui regroupe le Parti communiste français et le Mouvement
Unifié pour la Résistance (MUR). En raison de leur
idéologie marxiste, les députés progressistes
étaient en faveur de l'émancipation des colonies. A la tête
d'une commission de travail à l'assemblée coloniale,
Houphouët-Boigny est le dépositaire de la loi 46-645 du 11 avril
1946 mettant fin au travail forcé dans les colonies d'outre-mer. Cet
acte propulse le député ivoirien en véritable héros
pour la population ouest africaine. Ce statut prélavera jusqu'à
la mort « du vieux » dans les zones les plus reculés.
Jouissant de son nouveau statut de héros du peuple noir et appuyé
par le Groupe d'Etudes Communistes pour l'Idéologie et le plan d'action
politique, il crée le 26 avril 1946 le Parti Démocratique de
Côte d'Ivoire (PDCI). La contribution des communistes fut celle de
l'appui à la stratégie d'enracinement du parti et à la
maitrise des rouages clefs d'un culte de la personnalité
débuté à partir du 11 avril 1946. Dans le souci
d'étendre son influence politique à l'échelle de l'AOF il
organise la conférence de Bamako qui se tient le 4 septembre 1946. Le
Rassemblement Démocratique Africain (RDA) est créé lors de
la conférence de Bamako. Seul candidat, Félix
Houphouët-Boigny est alors élu président du RDA. La
création du RDA, fut un puissant moteur pour l'émancipation
politique des africains. Entre 1946 et 1950, le député
Houphouët-Boigny est quasiment absent du continent. Il n'assiste donc pas
à la lutte menée par les jeunes cadres du RDA, face à un
colonat vexé par une émancipation qu'il parvient de moins en
moins à maitriser.
Le 22 mars 1950 Houphouët-Boigny embarque
précipitamment pour la métropole. Cette fuite s'inscrit dans un
contexte de tension sur le territoire ivoirien. Les principaux leaders du PDCI,
sont emprisonnés et en attente de jugement suite aux
événements du 6 février 1949. D'un point de vue personnel,
Houphouët-Boigny est appelé à témoigner dans la
sombre affaire de l'assassinat du sénateur Biaka Boda. Mais surtout
Houphouët-Boigny semble fuir l'idole africaine qu'il est devenu. Sa
volte-face politique, préméditée dans le plus grand secret
est en marche.
A son arrivée en France, il rompt ses liens avec le
PCF et le camp des progressistes pour se rallier, ainsi que le RDA au camp de
la droite et des colonialistes. Ce changement de posture s'accompagne d'un
changement de discours. De combattant du capitalisme
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coloniale il se transforme en chantre du libéralisme et
fustige vertement le communisme. Afin de consolider cette nouvelle
amitié, il fait entrer des représentants du camp des
libéraux coloniaux aux assemblées territoriales ivoiriennes et
obtient le limogeage du très contesté gouverneur
Péchoux.
Cette volte-face politique de Houphouët-Boigny
considérée comme une trahison de la part des cadres du RDA,
détériore l'unité de ce mouvement, à
l'échelle ivoirienne comme dans la sous-région. Gabriel
D'Arbousier, un des plus proches collaborateurs du président la condamna
fermement. Il n'obtient que raillerie et humiliation, l'instrument
préféré du futur président face à toute
forme d'opposition.
A partir de 1951, Félix Houphouët-Boigny est
majoritairement en métropole où il occupe les fonctions de
député et de ministre. Il ne fait que de brefs retours pour les
élections législatives de 1956 et surtout pour la première
élection à l'investiture suprême de 1959. En 1956 une
loi-cadre détermine le suffrage universel comme voie d'accès
à la présidence. La principale tâche de Félix
Houphouët-Boigny à partir de ce moment est alors d'écarter
tout prétendant et opposant du pouvoir (KONE,2003).
En définitive, l'éveil politique ivoirien
débute dans les années 1920 par l'intermédiaire d'actions
clandestines et à la marge. Le statut de citoyen indigène, a
longtemps proscrit la pratique associative et citoyenne. Ce n'est qu'à
partir de la seconde guerre mondiale qu'il s'accélère avec
l'émergence de syndicats et des associations ivoiriennes. Ces syndicats
ont bénéficié du soutien de leurs homologues
français. L'idéologie marxiste dominante des mouvements syndicaux
de la métropole les rapprochaient des aspirations égalitaires des
citoyens indigène. De 1944 à 1951 la Côte d'Ivoire, comme
l'ensemble de l'AOF, se fédère et se mobilise massivement autour
du héros Félix Houphouët-Boigny, porteur de l'espoir d'une
Afrique de l'ouest libre, autonome et indépendante.
La volte-face politique et la conquête du pouvoir de
Félix Houphouët-Boigny va peu à peu éteindre cet
espoir et conditionner la pratique citoyenne ivoirienne.