Conclusion
Finalité de l'étude
Notre problématique d'étude était la
suivante :
Dans quelle mesure les organisations de la
société civile ivoiriennes agissent-elles dans un contexte
favorisant la finalité de leurs actions, à savoir le changement
social ?
Dans le souci de répondre à cette
problématique nous avons émis 5 hypothèses.
1-La stabilité politique, la sécurité du
pays et l'importante croissance économique qui fait de la Côte
d'ivoire la « locomotive » africaine au temps de Félix
Houphouët-Boigny est favorable à l'émergence
démocratique et citoyenne
2- La notion de « l'ivoirité »
caractérise une xénophobie intrinsèque à la
population ivoirienne
3- La pratique de la citoyenneté s'est
brutalisée pendant la décennie de crise politico-militaire
4- La paix et la reprise économique s'accompagnent
d'un meilleur respect des libertés individuelles et d'un changement par
le soutien de l'Etat ivoirien aux initiatives des organisations de la
société civile agissant en ce sens.
5- Les organisations de la société civile sont
préparées et opérationnelles à la mise en oeuvre de
projets de développement et plus spécifiquement ceux concernant
le changement social et alternance démocratique et ce de manière
autonome.
Nous avons premièrement supposé la
stabilité politique, la sécurité du pays et l'importante
croissance économique qui fait de la Côte d'ivoire la «
locomotive » africaine au temps de Félix Houphouët-Boigny est
favorable à l'émergence démocratique et citoyenne. En nous
intéressant à la gouvernance de Houphouët-Boigny nous avons
pu nous apercevoir que si le miracle ivoirien a permis à la Côte
d'ivoire d'être érigée en locomotive économique de
la sous-région et à Abidjan de devenir le « Paris de
l'Afrique de l'ouest », il possède une part d'ombre
symbolisée par la décennie des faux complots.
A travers celle-ci F.Houphouët-Boigny semble avoir
conditionné l'exercice de la citoyenneté ivoirienne mais
également ouest africaine.
Page 186 sur 227
L'importante croissance économique, la forte
urbanisation, l'ouverture des frontières et les conditions favorables
d'accueil de l'étranger ont longtemps constitués un trompe-l'oeil
pour les pays voisins de la Côte d'ivoire comme pour l'opinion
internationale. Très rapidement l'action politique du président
Houphouët-Boigny est dédiée à la concentration et
à la conservation d'un pouvoir dont il sera le seul maître. La
mystérieuse décennie de faux complots en est d'ailleurs la
démonstration la plus brutale. Celle-ci qui ne manque pas de traumatiser
les ivoiriens et de conditionner leur engagement dans la vie civique et
citoyenne, semble également avoir été un message à
destination de l'ensemble de l'Afrique de l'ouest et de ses jeunes
élites panafricaines du RDA. Il a démontré qu'il ne
comptait pas partager les rênes du parti et que de son vivant cette
organisation demeurerait une coquille vide dans le meilleur des cas, un
instrument du néocolonialisme dans le pire.
L'avènement du multipartisme aurait pu s'avérer
être l'occasion idoine de l'avènement démocratique mais la
manipulation politique de F.Houphouët-Boigny lors des élections
présidentielles de 1990 et les violences d'états commises en 1991
et 1992 semblent démontrer de l'autre voie prise par
Houphouët-Boigny. En instrumentalisant politiquement les étrangers
et en usant de la violence une nouvelle fois contre les citoyens, il a
dilapidé ce qui aurait pu constituer son principal héritage,
à savoir la paix et le renouveau démocratique et citoyen.
Lorsqu'il s'éteint en 1993, la Côte d'ivoire est au bord de la
crise. Si depuis 1980 elle est déjà en crise économique,
les rivalités ethnico-politiques menacent désormais pleinement un
pays dont la jeunesse trouvera chez chacun des héritiers du vieux, un
idéal d'engament et de développement du pays.
Il est important de mentionner la véritable dissonance
engendrée par la gouvernance Houphouët-Boigny. Le miracle ivoirien
et la politique d'accueil menée par Houphouët-Boigny semblent avoir
installé durablement dans les esprits que la Côte d'ivoire
n'était aucunement un pays souffrant de carence de développement.
Aujourd'hui encore l'aide internationale est plus dédiée à
la gestion de « crise » post-crise qu'à la mise en oeuvre
d'une réelle stratégie nationale de développement.
On peut donc affirmer que notre hypothèse
s'avère erroné. La mise à la marge des jeunes, la sanction
de tout investissement citoyen et la pratique d'une violence d'Etat
arbitraire
Page 187 sur 227
et démesurée vont dans le sens d'une sens d'une
citoyenneté qui si elle n'est pas inhibée est néanmoins
timoré.
Nous avons ensuite supposé que le concept «
d'ivoirité » est issue d'une xénophobie intrinsèque
à la population ivoirienne
En nous intéressant à la période de
succession politique d'Houphouët-Boigny nous avons pu voir que la
rivalité ethnico-politique que s'est livrée le PDCI-RDA, le FPI
et le RDR fut l'occasion pour chacun des candidats d'user de la violence et de
« coups politiques » tels que l'application de l'ivoirité
politique. Le concept d'ivoirité est donc avant tout un concept
politique destiné à évincer de la course à la
présidence un candidat, qui malgré tout, symbolise encore
aujourd'hui les problèmes identitaires du pays. L'instrumentalisation du
droit des votes des étrangers par F.Houphouët-Boigny a auparavant
suscitée un sentiment d'injustice chez une majorité des ivoiriens
qui n'auraient surement pas reconduit le président sortant en 1990.
Si le putsch de 1999 s'avère être une
révolution militaire épisodique, la crise militaro politique qui
se déroule entre 2002 et 2011 est bien une crise identitaire, sociale et
citoyenne. Cette crise est en premier lieu celle d'une jeunesse, mise à
la marge des processus décisionnaires du pays pendant le mandat
d'Houphouët-Boigny, et qui tente par le recours à la violence
physique, morale et armée de devenir actrice et non spectatrice de la
décision politique ivoirienne. Notre troisième hypothèse
affirmant que la pratique de la citoyenneté s'est brutalisée
pendant la décennie de crise politico-militaire est donc
vérifiée.
Depuis 2011 et l'arrivée au pouvoir du Rassemblement
des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), nous avons
affaire à un nouveau « miracle ivoirien » qui se
caractérise par une forte croissance économique mais
également par un retour aux conditions de pratique de la
citoyenneté du temps du premier miracle ivoirien. Notre hypothèse
affirmant que la paix et la reprise économique s'accompagnent d'un
meilleur respect des libertés individuelles et d'un soutien de l'Etat
ivoirien aux initiatives des organisations de la société civile
agissant en ce sens n'est donc pas vérifiée. De ce fait nous
avons pu observer à travers l'étude de l'action des organisations
de la société civile ivoirienne, qu'elles ne sont pas assez
préparées et opérationnelles pour être autonome
à
Page 188 sur 227
la mise en oeuvre de projets de développement et plus
spécifiquement ceux concernant le changement social et alternance
démocratique.
Notre cinquième hypothèse s'avère donc
erronée.
Page 189 sur 227
Le problème du développement selon Ki
Zerbo
Selon Joseph Ki-Zerbo la dépendance commence par le
verbe. Par sa seule présence ce terme interprète le réel
et l'enferme dans une grille mentale déterminée et restreinte.
L'élaboration et la maîtrise d'un corpus de concepts relatifs
à la stratégie et à la mise en oeuvre du
développement constituent la première étape
méthodologique et culturelle d'acceptation de la nécessité
du développement.
Le terme de « pays développés »
apparait au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ce terme, vecteur
d'actions de solidarité positive a néanmoins au fil du temps pris
une dimension péjorative voire déterministe C'est ainsi qu'une
pirouette sémantique nous a plus fait parler de pays « en voie de
développement » que de pays « sous-développés
». Plus doux à l'oreille ce changement de vocable n'ôte
pourtant pas à cette expression son essence intrinsèque. Ainsi
nous pouvons nous demander vers quel développement tendent les pays en
voie de développement. Lors d'un échange consacré à
la crise du développement en 1977, Cornelius Castoriadis déclare
que : « Le développement, c'est le développement de type
occidental capitaliste, il n'y en a pas d'autre jusqu'ici, et on n'en
connaît pas d'autre... ce qui importe, c'est d'économiser, de
produire, de gagner. »
En somme, dans un oekoumène finit et dans un paradigme
capitaliste c'est en sous développant d'autres qu'on se développe
soi-même. Le socio-économiste Wilfriedo Pareto (1848-1923)
à conceptualiser l'optimum de Pareto. Un optimum de Pareto est une
allocation des ressources pour laquelle il n'existe pas d'alternative dans
laquelle tous les acteurs seraient dans une meilleure position. L'optimum de
Pareto est utilisé pour décrire un état de la
société dans lequel on ne peut pas améliorer le
bien-être d'un individu sans détériorer celui d'un
autre.Selon cette considération, le « sous-développement
» africain n'est donc ni un mystère, ni une malédiction mais
bien une conjoncture. C'est un processus historique réparable, qui est
induit en grande partie de l'extérieur et auto-entretenu par les
africains eux-mêmes.
Après 80 ans de développement, bien que les
pratiques, vocables, représentations et outils aient
évolués, sommes-nous pour autant parvenus à transcender le
développement ? Les citoyens africains et plus particulièrement
ivoirien censés être consacrés par le développement
sont-ils parvenus à une autonomie suffisante à
l'autodétermination ?
Page 190 sur 227
Avec l'avènement du « village monde » permis
par le développement d'internet, les crises écologiques,
environnementales et migratoires, le concept d'interdépendance s'est
révélé à la conscience collective. Cependant cette
représentation de l'interdépendance dans notre
société occidentale dont le développement se fait bien
souvent au détriment d'autres sociétés omet bien souvent
qu'en l'occurrence, les uns sont plus interdépendants que les autres.
Si le développement se devait d'évoluer,
n'irait-il pas dans le sens d'une co-responsabilité plus que d'une
interdépendance ?
La pratique du développement met en confrontation deux
représentations.
Si l'on prend pour critère la participation à la
vie civique et citoyenne, elle serait d'un côté particulariste,
les citoyens agissant selon des logiques « coutumières » et
n'ayant d'intérêt que le bien familial et communautaire, tandis
que dans la société moderne il est universaliste. La sanction de
l'autorité, peut prendre une dimension divine ou sacrée pour le
groupe traditionnel, mais demeure hérétique dans la
société moderne.
Les motivations seraient d'un côté le conformisme
à l'égard de la coutume et des traditions, et de l'autre
l'innovation. Les critères de rémunération seraient, pour
le monde traditionnel, le privilège du statut, et pour l'autre les
performances contribuant à la réalisation d'un but objectivement
défini.
Comme on a pu l'évoquer précédemment,
tout cela n'est pas neutre. Les actions de développement s'inscrivent
bien dans un schéma où la rationalité, la cohérence
logique, l'objectivité et même la justice se trouvent du
même côté, et ces critères sont très souvent
adaptés aux citoyens des sociétés occidentales. Le terme
d'élite sert souvent alors à désigner la minorité
assez occidentalisée pour servir d'avant-garde à cet exode vers
la terre promise de la modernité.
S'agissant de l'Afrique, la soi-disant modernité, que
constituent les influences occidentales, n'est pas plaquée sur la
tradition. Il s'agit de faisceaux de forces, mues par des intérêts
ou des engagements individuels ou collectifs. Il n'y a pas de secteur qui ne
soit uniquement traditionnel, dans le sens péjoratif qu'on donne
à ce terme.
Page 191 sur 227
Dans les conceptions de l'existence comme dans les forces et
rapports de production, tous les secteurs sont ébranlés ou
bouleversés par les principes du système capitaliste. En outre
les principes de cohérence, de logique, de rationalité ne sont
pas absents du monde dit traditionnel.
Si le terme de « modernité » se
réfère à la période de la Renaissance et des
grandes découvertes ou redécouvertes, sans
référence à un Moyen Âge prétendument
obscurantiste, nous pouvons prétendre qu'aujourd'hui le paysan africain,
qui sait inventer et inventorier les 448 plantes présentes dans son
environnement qui guérissent, qui sait les apprêter et les
administrer et qui essaie d'améliorer ses méthodes est
incomparablement plus moderne que le citadin scolarisé qui sait à
peine déchiffrer l'ordonnance qu'on vient de lui remettre et avaler les
comprimés. En fait, plus on est dépendant, moins on est moderne.
Moins on applique son propre esprit à son propre progrès, moins
on est moderne, car on ne développe pas, on se développe.
Enfin les apports du capitalisme ne sont pas tous pris par les
sociétés africaines. Celles-ci assument et transforment la forme
ou le fond des inputs venant d'autres systèmes mais la hiérarchie
sociale, les unités d'innovation, la démocratie se moulent dans
des réalités préexistantes. Dans les couloirs des bureaux
de vote, on découvre parfois un homme placé là par le chef
traditionnel pour aider les villageois, naguère des sujets, à
voter correctement.
Sous son masque inoffensif, le vocable de modernisation
recèle donc un double vice : au niveau de la connaissance et de
l'action. Au premier plan, il empêche d'analyser en profondeur le
rôle des citoyens africains. Au niveau de l'action, il impose cette
idée que le salut se trouve dans l'imitation et dans les sacrifices
nécessaires pour accéder au statut supérieur du
modèle. Dans ces conditions, le développement consiste à
élargir et à additionner les secteurs modernes. Ce terme
contribue donc à entretenir, à maintenir la confusion entre deux
réalités qui, même si elles se recouvrent partiellement,
sont tout de même foncièrement dissemblables à savoir la
croissance et le développement.
En somme nous pouvons constater que quatre terrains
interconnectés constituent les sièges privilégiés
de la dépendance de l'Afrique :
· la détention physique des ressources naturelles
des pays et l'imprécision politique
·
Page 192 sur 227
l'exploitation économique
· l'exacerbation des contradictions sociales
· l'aliénation culturelle
Mais après 75 ans d'exercice du développement,
ne peut-on pas supposer que pour y parvenir au pire et le transcender au mieux,
la solution ne pourra qu'être apportée par les ivoiriens
eux-mêmes. Aujourd'hui il apparaît manifeste que les ivoiriens
demeure plus spectateur qu'acteurs de leurs développements.
Si l'ivoirien n'est pas capable de se tenir debout...Laissez
le tomber !
Pour conclure nous prendrons inspiration chez Venace Konan,
journaliste ivoirien né en 1958. Il est depuis 2010 le directeur de
publication du quotidien « Fraternité Matin ». Reconnu de ses
pairs, il a plusieurs fois remporté le Prix Ebony10.
Également écrivain et essayiste il a notamment écrit le
best-seller « les prisonniers de la haine » en 2003 et fut
récompensé par le prix de la presse panafricaine pour son essai
qui se nomme Si le noir n'est pas capable de se tenir debout, laissez-le
tomber (tout ce que je vous demande est de ne pas l'empêcher de se tenir
debout) ».
Afin de parvenir à « transcender » le
développement et à proposer un modèle de « vivre
ensemble » sain et durable, il est primordial que pour devenir citoyen
actif les ivoiriens se doivent de définir de manière autonome
leur identité et leurs aspirations.
Le développement de l'engagement citoyen qui doit
mener les ivoiriens à l'autodétermination de leur avenir passera
inéluctablement par la réappropriation d'un ensemble
d'éléments.
En premier lieu l'éducation civique et nationale afin
que l'ensemble des ivoiriens ruraux comme urbains puissent
bénéficier du minimum d'instruction et de valeurs citoyennes
nécessaire à leur éveil citoyen. Nous pensons
particulièrement à l'éducation dans les zones rurales, les
plus impactées par les crises (économiques, migratoires,
environnementales...). Ensuite, un processus de réappropriation
historique doit être
10 Créé par le journaliste Ivoirien Essy
Kouamé Noël et organisé chaque année par l'UNJCI
(Union nationale des journalistes de Côte d'Ivoire)
Page 193 sur 227
entrepris afin de connaitre et comprendre les divers
systèmes de vivre ensemble et de gouvernance précoloniale. Ce
retour aux racines peut permettre les prises de consciences sur la
capacité collective à imaginer la société, sa
gouvernance et son vivre ensemble. Ceci doit permettre, je l'espère,
à la population de retrouver de la confiance en soi. Non pas de
manière générale, mais bien lorsqu'elle doit s'affirmer
pour conceptualiser et mettre en oeuvre des solutions pour améliorer son
bien-être.
Tout ce que je vous demande est de ne pas l'empêcher
de se tenir debout
Pour agir en ce sens deux dynamiques sont déjà
présentes en Nouvelle-Aquitaine et en France mérite notre
attention.
La première politique, est incarné par des
organisations tel que Survie ou encore Tournons la page.
Survie est une association loi 1901 créée en 1984 qui
dénonce toutes les formes d'intervention néocoloniale
française en Afrique et milite pour une refonte réelle de la
politique étrangère de la France en Afrique. Survie propose
également une analyse critique des modalités d'actions politique
et militaire de la France dans le monde, encourageant chacun à exiger un
contrôle réel sur les choix politiques faits en son nom. Elle
rassemble les citoyens et citoyennes qui désirent s'informer, se
mobiliser et agir.
La seconde citoyenne, est illustrée par
l'émergence de l'éducation à la citoyenneté et
à la solidarité internationale. L'Education à la
Citoyenneté et à la Solidarité Internationale (ECSI)
anciennement Education au Développement et à la Solidarité
International (EAD-SI) vise à faire comprendre les
interdépendances internationales dans le processus de mondialisation, la
complexité des mécanismes qui sont sources
d'inégalités sociales, économiques et culturelles, et
à réfléchir à des solutions efficaces pour
construire un monde solidaire.
L'ECSI se veut une éducation dynamique, ouverte
à la participation active et créative, orientée vers le
changement et l'action. Sa démarche pédagogique peut se
résumer par la formule : s'informer - comprendre - agir, des
éléments constitutifs de l'apprentissage de la
citoyenneté.
Les acteurs intervenant dans le domaine de l'Éducation
à la citoyenneté et à la solidarité internationale
sont de plus en plus nombreux mais aussi de plus en plus divers :
·
Page 194 sur 227
Les ONG et les associations. Elles sont engagées dans
l'Education Au Développement de la solidarité internationale ou
du développement durable.
· En France, une plateforme nationale regroupe les
associations, campagnes et collectifs, pour lesquels l'ECSI est une des
priorités d'actions : il s'agit d'EDUCASOL. Ce regroupement agit en
faveur d'une concertation entre les acteurs de l'ECSI en France, organise des
rencontres nationales et représente les acteurs auprès des
pouvoirs publics français et dans les instances européennes.
· Les pouvoirs publics. Ils sensibilisent et informent
les citoyens au sujet de leurs droits et devoirs. Ils soutiennent
également des actions destinées à l'ECSI comme par exemple
le Festival des Solidarités, la quinzaine du commerce équitable,
la semaine du développement durable...
De la nécessité d'une interculturalité
exigeante
Gustave Massiah évoque qu'à partir de la crise
financière qui se transforme en crise alimentaire en Afrique de l'ouest
en 2008, une nouvelle séquence de l'histoire du développement
démarre. Il faut partir de cette situation et de ses contradictions pour
identifier les questions et les défis principaux de l'Afrique du XXI
ème siècle.
Dès 2011, les réponses des peuples à la
crise du capitalisme se déclinent sous la forme d'insurrections
populaires qui peuvent être qualifiées de révolutionnaires.
Ce sont des dizaines de mouvements populaires sur l'ensemble qui mettent dans
des dizaines de pays des millions de personnes sur les places. Rappelons les
printemps arabes à partir de Tunis et du Caire ; les indignés en
Europe du Sud, les « occupy » à Londres et New York, les
étudiants chiliens, le parc Taksim à Istanbul, les carrés
rouges au Québec, les parapluies à Hong Kong, les « gens
ordinaires » à New Delhi et d'autres ... On retrouve partout les
mêmes motivations : le refus de la pauvreté et des
inégalités, le rejet des discriminations, les libertés et
le refus des répressions, la revendication d'une démocratie
à réinventer, l'urgence écologique. Et partout, un nouvel
enjeu, le refus de la corruption, le rejet de la fusion des classes politiques
et des classes financières qui annule l'autonomie du politique et
entraîne la méfiance envers le politique des peuples. A partir de
2013, le paradigme néolibéral reprend le dessus et confirme les
tendances qui ont émergé dès la fin des années
1970. Les politiques dominantes, d'austérité et
Page 195 sur 227
d'ajustement structurel, sont réaffirmées. La
déstabilisation, les guerres, les répressions violentes et
l'instrumentalisation du terrorisme s'imposent dans toutes les régions.
Des courants idéologiques réactionnaires et des populismes
d'extrême-droite sont de plus en plus actifs en Europe.
Les racismes et les nationalismes alimentent les
manifestations contre les étrangers et les migrants. Ils prennent des
formes spécifiques comme le néo-conservatisme libertarien aux
Etats-Unis, les extrêmes-droites et les diverses formes de
national-socialisme en Europe, l'extrémisme djihadiste armé, les
dictatures et les monarchies pétrolières, l'hindouisme
extrême, etc. Dès 2013, commencent les contre révolutions
avec la montée des idéologies racistes, sécuritaires,
xénophobes. Le néolibéralisme durcit sa domination et
renforce son caractère sécuritaire appuyé sur les
répressions et les coups d'état. Les mouvements sociaux et
citoyens se retrouvent en position défensive. Mais, dans le moyen terme,
rien n'est joué.
Il nous faut revenir à cette situation pour prendre la
pleine mesure des conséquences d'une période de
contre-révolutions. Actuellement nous vivons une période de
plusieurs contre révolutions conservatrices : la contre
révolution néolibérale, celle des anciennes et nouvelles
dictatures, celle du conservatisme évangéliste, celle du
conservatisme islamiste, celle du conservatisme hindouiste. Elle rappelle que
les périodes révolutionnaires sont généralement
brèves et souvent suivies de contre révolutions violentes et
beaucoup plus longues. Mais, les contre-révolutions n'annulent pas les
révolutions et le nouveau qui a explosé continue de progresser et
émerge, parfois longtemps après, sous de nouvelles formes. Le
durcissement des contradictions et des tensions sociales explique le
surgissement des formes extrêmes d'affrontement. Mais, il y a aussi une
autre raison à la situation, ce sont les angoisses liées à
l'apparition d'un nouveau monde. Trump aux Etats Unis, Bolsonaro au
Brésil, Orban en Hongrie, Modi en Inde et Duterte aux Philippines, ...,
en sont les visages grimaçants (Massiah,2019). Nous pouvons nous
interroger sur les changements profonds qui construisent le nouveau monde et
qui préfigurent les contradictions de l'avenir. Nous pouvons identifier
cinq mutations en cours, des révolutions inachevées dont nous
percevons déjà les premiers bouleversements :
·
Page 196 sur 227
La révolution des droits des femmes remet en cause des
rapports de domination millénaires ;
· La révolution des droits des peuples,
deuxième phase de la décolonisation, après
l'indépendance des Etats met en avant la libération des peuples
et interroge les identités multiples et les formes de l'Etat-Nation ;
· La prise de conscience écologique,
véritable révolution philosophique, qui repose l'idée d'un
temps fini ;
· Le développement du numérique qui
renouvelle le langage et l'écriture ainsi que des biotechnologies
interrogent les limites du corps humain. Le bouleversement du peuplement de la
planète est en cours ;
· Il ne s'agit pas d'une crise migratoire mais d'une
révolution démographique mondiale.
Il y a plusieurs bouleversements en cours, des
révolutions inachevées et incertaines. Rien ne permet cependant
d'affirmer qu'elles ne seront pas écrasées, déviées
ou récupérées. Mais rien ne permet non plus de l'affirmer.
Elles bouleversent le monde ; elles sont aussi porteuses d'espoirs et marquent
déjà l'avenir et le présent. Pour l'instant, elles
provoquent des refus et des grandes violences A partir des
contradictions révélées par la situation actuelle, nous
pouvons identifier les défis et les questions. On peut proposer une
liste des thèmes que devra prendre en compte
l'invention d'une nouvelle pensée du
développement. Plusieurs questions résultent des limites du
système dominant ; l'épuisement du néolibéralisme
et les hypothèses de renouvellement ou de dépassement du
capitalisme. Plus directement aujourd'hui la question de la pauvreté et
des inégalités mondiales, le lien entre la justice sociale et la
justice fiscale.
Le nouveau paradigme écologique et le rapport entre
l'espèce humaine et la Nature définit la rupture et pose aussi la
question de la justice environnementale. Les grandes mutations
identifiées autour de la révolution des droits des femmes, de la
révolution des droits des peuples, du numérique et des
biotechnologies, de la scolarisation des sociétés. Le nouveau
schéma géopolitique, avec la tendance à la
multipolarité, les guerres, le droit international et les
multinationales, la nouvelle phase de la décolonisation après
celle de l'indépendance des Etats, le rapport entre les Etats, les
nations et les peuples et la redéfinition de la
Page 197 sur 227
souveraineté. Aussi, la question de
l'hégémonie culturelle, des idéologies racistes,
xénophobes et sécuritaires, des droits fondamentaux et de
l'universalité des droits. L'interrogation fondamentale sur le
politique, la délégation et la représentation, sur la
corruption, sur les formes de la démocratie. La définition et le
rôle des acteurs du changement, la mutation des classes sociales et du
rapport entre les classes, le genre et les origines. Le rôle des
mouvements sociaux et citoyens et la stratégie internationale des
mouvements de toute natures. Si la pensée du développement occupe
une place aussi importante, c'est parce qu'elle se présente comme la
référence pour comprendre et agir sur l'évolution des
sociétés. Il faut tout de suite souligner le biais dans la place
qu'a pris l'économie dans la compréhension des transformations
sociales par rapport à la philosophie, aux sciences, aux technologies et
aux sciences sociales (Massiah,2019).
Pendant les années soixante, la pensée du
développement privilégiait des durées de vingt à
quarante ans, celle de l'amortissement des investissements et le temps d'une
génération. L'analyse de l'évolution des
sociétés s'est beaucoup enrichie au cours des trente
dernières années. L'analyse marxiste, celle des modes de
production et des formations sociales, des rapports sociaux et des structures
sociales, s'est dégagée des rigidités et des contre sens
du soviétisme. L'étude des civilisations a progressé,
à partir des progrès des recherches historiques et
archéologiques, notamment celles des économies mondes et des
système mondes. La rupture de la décolonisation a
été prolongée par l'étude de l'accumulation
à l'échelle mondiale. La rupture écologique amène
à élargir l'échelle du temps à la géologie
et à la Nature et l'échelle de l'espace à celle de la
planète dans l'articulation entre le local, le national, les grandes
régions et le mondial.
L'évolution des sociétés est
représentée par des périodes de relative stabilité
interrompues par des révolutions qui marquent le basculement vers une
autre période. L'accent est mis sur la complexité des
sociétés, définie non seulement par l'affrontement entre
deux classes sociales, mais par l'articulation entre plusieurs modes de
production faisant intervenir plusieurs classes sociales et des alliances de
classes. L'attention a porté sur la transition qui caractérise
des périodes longues et contradictoires d'une société
à une autre.
Page 198 sur 227
Cette démarche qui renouvelle la notion de transition,
n'est pas la conception d'une démarche progressive et réformiste
; elle inclut la nécessité de ruptures et de révolution.
Le rapport entre le temps long des transitions et les ruptures des
révolutions doit être précisé. La transition
n'annule pas du tout le rôle des révolutions, des moments
d'affrontements et d'invention qui marquent l'évolution et les rapports
de forces et dans lesquels s'imposent les idées nouvelles et se
définissent les nouveaux rapports sociaux.
Les révolutions ne résument pas la
transformation des sociétés. L'Histoire ne se réduit pas
à une succession de « Grands Soirs » qu'il suffit de
préparer ; tout deviendrait possible après et avant tout serait
récupérable et même récupéré. Les
historiens se sont beaucoup attachés à l'étude des
transitions longues qui ont caractérisées certains grands empires
et des transitions plus courtes et maîtrisées. Un exemple de ce
type de transition caractérise le passage du féodalisme au
capitalisme, maîtrisé par la bourgeoisie en moins de quelques
siècles. Comme il est compréhensible, c'est cet exemple qui sert
de référence quand on s'interroge sur les sorties du capitalisme.
Car le capitalisme ne résume pas l'Histoire, il a eu un début, il
aura une fin et elle n'est pas écrite.
La relecture de la transition du féodalisme au
capitalisme permet quelques réflexions. L'Histoire n'est pas
écrite à l'avance, et le dépassement du capitalisme ne va
pas automatiquement déboucher vers une société
idéale, plus juste, plus égalitaire. Il peut très bien
déboucher vers un mode de production, une société, avec
des rapports inégalitaires et de domination même s'ils ne sont
plus capitalistes.
Mais il peut aussi, en fonction des luttes et des
mobilisations permettre un pas vers l'émancipation. Comme on l'a vu, les
rapports sociaux capitalistes existaient déjà, incomplets, dans
les sociétés féodales. On peut donc faire
l'hypothèse que dans les sociétés actuelles il existe
déjà des rapports sociaux incomplets de dépassement du
capitalisme. Ce qui donne un autre statut aux recherches d'alternatives qui
peuvent préfigurer de nouveaux rapports sociaux. Comme on l'a aussi vu
dans la transition du féodalisme au capitalisme, aucune des deux classes
principales féodales, l'aristocratie et la paysannerie, ne l'a
emporté ; ce sont deux nouvelles classes, la bourgeoisie et la classe
ouvrière, nées dans le processus, qui se sont imposées
comme classes principales. De nouvelles classes sont en gestation dans le
dépassement du capitalisme. Pour illustrer
Page 199 sur 227
cette hypothèse, par exemple, les managers pourraient
disputer aux actionnaires la direction ; à l'inverse, les
précaires pourraient formaliser une nouvelle classe antagonique, un
nouveau prolétariat.
Pour caractériser la transition engagée, on
peut mettre en avant l'énoncé par Gustave Massiah d'une
transition sociale, écologique, démocratique et
géopolitique. Une transition sociale pour une plus grande justice
sociale et contre les inégalités nationales et mondiales. Une
transition écologique pour une plus grande justice environnementale en
« changeant le système et pas le climat ». Une transition
démocratique par le refus de la confiscation des pouvoirs par des
minorités et en inventant de nouvelles formes du politique. Une
transition géopolitique en refusant toutes les formes de domination. La
proposition de transition rappelle la nécessaire action dans le temps
long ; elle n'élimine pas les indispensables accélérations
que portent les révolutions.
L'enjeu est de s'engager dans une transition vers plus
d'émancipation. Il s'agit pour cela d'articuler quatre formes
d'engagement, à savoir :
· Les luttes et les mobilisations ;
· L'élaboration et la réflexion
théorique ;
· La lutte contre l'hégémonie culturelle
par la confrontation des idées et le débat public intellectuel,
scientifique, artistique ;
· La mise en oeuvre d'alternatives concrètes
à la logique dominante.
A partir de 2013, la situation internationale est, dans un
très grand nombre de pays, marquée par la montée des
idéologies racistes, sécuritaires et xénophobes. Elle se
traduit par une double offensive : contre les migrants d'une part et par la
criminalisation des mouvements sociaux et citoyens, particulièrement
contre les mouvements de solidarité. La montée de ces
idéologies n'annule pas les contradictions et les résistances qui
sont très importantes dans toutes les sociétés. Mais, dans
de nombreux pays des mouvements qui traduisent les volontés de
souveraineté par des nationalismes conservateurs et des blocs
d'extrême droite, voire fascisants, gagnent des majorités
électorales.
Cette évolution peut être expliquée, en
partie, par l'évolution de la mondialisation. Les travaux de Branko
Milanovic sur les inégalités mondiales mettent en évidence
l'évolution
Page 200 sur 227
de la mondialisation et ses conséquences sur les
inégalités exacerbées par les politiques
d'austérité qui ont suivi la crise de 2008. Les travaux montrent
le recul de l'extrême pauvreté, surtout en Asie, et l'explosion
des inégalités avec le 1% des ultras riches et l'explosion de la
corruption dans tous les pays. Mais, ces travaux mettent aussi en
évidence le recul du pouvoir d'achat des classes populaires et moyennes
des pays riches et émergents. Il s'agit d'un véritable
appauvrissement, d'une paupérisation relative. Cette tendance
permettrait d'expliquer, en large part, le désespoir des couches
populaires et moyennes, comme par exemple le mouvement des gilets jaunes. Elle
peut aussi expliquer l'écoute des discours nationalistes et
extrémistes, les votes pour Trump, Bolsonaro, Modi, Orban, Duterte et
autres réactionnaires.
Elle permet aussi de comprendre l'évolution
autoritaire et violente du néolibéralisme : en perdant l'alliance
avec les classes moyennes et certaines couches populaires qui avaient
fonctionnées au temps du New Deal, le néolibéralisme,
après la crise de 2008 tourne le dos à une option
démocratique, même relative ; il s'engage dans une version
austéritaire, mêlant l'austérité à
l'autoritarisme et développe une violence d'Etat agressive.
Par rapport aux urgences et aux dangers des remontées
totalitaires qui occupent l'espace philosophique et politique, l'alliance entre
les humanistes et les alternatifs radicaux est essentielle. Elle
nécessite un renouvellement et une réinvention de l'humanisme, au
sens d'une philosophie qui vise à l'épanouissement de la personne
humaine et au respect de sa dignité. Elle rappelle l'importance et la
fécondité des débats qui ont illustré, parmi
d'autres, l'humanisme chrétien et la théologie de la
libération, la résistance au stalinisme dans la pensée
marxiste, la critique de l'universalisme occidental, les propositions pour un
humanisme évolutif et écologique.
La victoire des tendances totalitaires a été
acquise au niveau des idées, des idéologies. L'extrême
droite a commencé dès la fin des années 1970 son offensive
contre l'égalité. En France, en lien avec des cercles aux Etats
Unis, le Club de l'Horloge a mené, avec l'aide de scientifiques et
d'intellectuels, une offensive pour affirmer que l'égalité n'est
pas naturelle et que ce sont les inégalités qui le sont. Cette
offensive a ciblé les libertés ne défendant que la
liberté des entreprises et a combattu le droit international dans sa
référence à la Déclaration universelle des droits
humains (Massiah,2019).
Page 201 sur 227
On retrouve ainsi les explications de Gramsci sur l'importance
de l'hégémonie culturelle qui permet à un système
de domination de s'imposer en étant accepté par les couches
sociales dominées. Dans cette bataille culturelle, la définition
d'un projet, porteur d'une alternative d'émancipation, est essentiel.
La solidarité internationale est interpellée
par cette nouvelle situation. Il faut donc en rappeler les fondements et la
manière de tenir compte des nouvelles conditions. Dans la mesure
où la solidarité internationale concerne les rapports entre les
sociétés, il faudra revenir sur la manière de comprendre
le changement social et l'évolution d'une société ; il
faudra aussi s'interroger sur les rapports entre des sociétés et
sur les inégalités et les rapports de domination qui peuvent
caractériser les rapports entre les sociétés ; il faudra
enfin s'interroger sur l'évolution du système international. Les
réflexions que nous avons proposé sur la pensée du
développement, comme une manière de prendre en compte les
changements des sociétés et de leurs rapports doivent permettre
de prendre en compte la situation actuelle et son évolution par rapport
aux ruptures qui ont été identifiées.
Considérons la solidarité internationale comme
une valeur, une stratégie, des pratiques et un mouvement. Partons de la
solidarité internationale en tant que valeur, examinons quelle
stratégie permet de la développer, prenons en compte les
pratiques qui la définissent, examinons enfin les acteurs qui portent
cette solidarité et considérons qu'il existe des mouvements de
solidarité internationale.
En tant que valeur, la solidarité internationale est
la dimension internationale de la solidarité. Il faut donc partir de la
solidarité comme valeur et de l'évolution de sa signification. La
solidarité se distingue progressivement de la charité et de
l'aide d'une part et de l'altruisme d'autre part. La solidarité traduit
le lien entre des personnes qui se considèrent comme liées par
leur appartenance commune à une communauté ou à un
territoire. En cela, la solidarité internationale renforce et
complète la solidarité en élargissant la communauté
à l'Humanité et le territoire à la planète. La
solidarité est souvent perçue dans les valeurs fondamentales
comme le complément de la liberté et de l'égalité
en étant plus générale que l'injonction de
fraternité ou de sororité. L'actualité de ces valeurs est
renforcée par les dérives dans l'explosion des
inégalités, la remise en cause des libertés et le
renforcement de l'égoïsme. Les sociétés sont
confrontées à l'inverse de
Page 202 sur 227
la solidarité avec la folle démesure dans la
possession des richesses et dans l'ivresse de la puissance (ce qu'on a appelle
l'hubris).
La solidarité, et la solidarité internationale,
sont présentes dans des pratiques multiples. C'est ce qu'on a vu dans
les relations de travail avec la solidarité dans les syndicats ouvriers
et paysans. C'est ce qu'on a vu aussi avec le développement de l'ESS
(Economie sociale et solidaire), et particulièrement avec les
coopératives agricoles et ouvrières qui ont tenté
d'organiser la solidarité à travers la coopération. C'est
aussi le cas des mutuelles quand elles ont résisté à leur
mutation dans le système bancaire. C'est le cas dans les territoires et
dans l'Histoire des municipalités qui ont conservées pendant
très longtemps des communs. Les pratiques de solidarité ont
résisté à la marchandisation, la privatisation et
l'étatisation. Elles sont à la base des propositions telles que
les communs et la propriété sociale (Massiah,2019).
La solidarité internationale a mis en avant des
pratiques spécifiques. D'abord pendant la décolonisation, la
solidarité internationale a pris des formes actives dans le soutien, et
même la participation sous des formes diverses, aux luttes de
libération nationale des peuples colonisés, et aussi aux luttes
contre les racismes, les ségrégations et les discriminations.
Après les indépendances, la solidarité internationale a
essayé de s'engager dans la coopération, mais l'évolution
des Etats décolonisés a découragé ces tentatives.
Les associations de solidarité internationale ont avancé une
autre proposition, théorique et pratique, avec le partenariat
(Massiah,2019).
L'hypothèse du partenariat, et son pari, c'est de
parvenir à construire des relations d'égalité alors que
les situations sont profondément inégales, du fait des
inégalités et des dominations entre les sociétés
auxquelles sont reliés les partenaires. C'est une option volontariste
pour construire et inventer de la solidarité internationale en
contradiction avec le marché, les puissances financières, les
appareils d'Etat. Suivant les situations, ce partenariat peut être
possible ou impossible, bénéficier des contradictions ou au
contraire en être victime, permettre des marges de manoeuvre ou faciliter
les récupérations.
La solidarité internationale est un mouvement qui
s'inscrit dans l'ensemble des mouvements sociaux et citoyens. Faisons
l'hypothèse que tous les mouvements de
Page 203 sur 227
solidarité doivent prendre conscience de l'importance
de la solidarité internationale comme prolongement et comme fondement de
toutes les actions de solidarité. Plus généralement, la
solidarité est constitutive de tous les mouvements sociaux et citoyens ;
c'est dans chacun de ces mouvements que naît et que se construit le
sentiment d'appartenance à des communautés de destin. Et c'est
tout naturellement que se construisent les réseaux internationaux de
familles de mouvements, confrontés à la mondialisation
néolibérale d'une part, et d'autre part heureux de se retrouver
en confiance, d'apprendre les uns des autres, de chercher des réponses,
d'expérimenter des pratiques. C'est ce qu'on peut voir avec les
mouvements paysans, les syndicats salariés, les mouvements pour les
droits des femmes, les peuples indigènes, les mouvements d'habitants,
... Prenons l'exemple de La Via Campesina ; c'est au niveau international
qu'elle a défini son programme et fait reconnaître l'importance
des paysanneries. Chaque point de son programme est marqué par la
solidarité et par la liaison entre le local, le national et le mondial :
l'agriculture paysanne ; la biodiversité, les semences, et le refus des
OGMs ; la souveraineté alimentaire et le refus de l'OMC ; la
réforme agraire ; le respect des droits humains pour les
communautés rurales et les militants ; les droits des femmes, des jeunes
et des migrants.
L'altermondialisme est né de la convergence des
mouvements sociaux et citoyens et des réseaux internationaux de
mouvement. Ils ont rendu la solidarité internationale plus visible. Les
forums sociaux mondiaux ont montré cette convergence ; ils sont encore
présents en tant que processus. Une nouvelle phase du mouvement
altermondialiste est à inventer. La mondialité, proposée
par Edouard Glissant, permettrait de dépasser l'affrontement entre
nationalisme et mondialisme. La multipolarité permettrait de
dépasser les contradictions toujours vivantes entre le Nord et le
Sud.
L'organisation de la continuité des échelles
est à réinventer en prenant comme impératif la
nécessité de la solidarité internationale. Le local
implique la liaison entre les territoires et les institutions
démocratiques de proximité, la redéfinition d'un
municipalisme d'émancipation. Le niveau national implique la
redéfinition du politique, de la représentation et de la
délégation dans la démocratie, le renforcement de l'action
publique et le contrôle démocratique du pouvoir d'Etat. Les
grandes régions sont les espaces des politiques environnementales,
géoculturelles et de la multipolarité. Le niveau
Page 204 sur 227
mondial est celui de l'urgence écologique, des
institutions internationales, du droit international qui doit s'imposer par
rapport au droit des affaires, de la liberté de circulation et
d'installation et des droits des migrants (Massiah,2019).
Le mouvement de solidarité internationale est
formé par les mouvements sociaux et citoyens. Il met en avant le respect
de la diversité des mouvements. La mise en avant de contradictions
principales ne justifie pas la subordination de certains mouvements à
d'autres. C'est ce que signifie l'intersectionnalité qui ne se
limiterait pas aux rapports entre classes, genres et origines.
L'évolution des mouvements est aussi à interroger. Dans les
forums sociaux, le débat a été engagé sur l'«
ONGéisation » des mouvements et la différenciation entre
mouvements de mobilisations et mouvements d'influence par rapport à des
pouvoirs étatiques ou d'entreprises. Cette tendance a été
renforcée par les Fondations qui sont, avec leurs contradictions, les
formes d'un capitalisme philanthropique. Le partenariat doit être
interrogé en tant que concept et en tant que pratique. Des changements
culturels considérables sont à l'oeuvre et vont marquer le
mouvement de solidarité internationale. Particulièrement, les
nouvelles formes générationnelles d'engagement et les changements
dans le rapport individuel/collectif.
Repenser le développement, c'est redéfinir les
stratégies de changement social. Le mouvement social de
solidarité international rappelle que la transformation de chaque
société ne peut pas être envisagée en dehors du
changement du monde. Il s'appuie sur un droit international construit autour du
respect des droits fondamentaux. Il propose, en lieu et place d'une
définition du développement fondée sur la croissance
productiviste, une concurrence illimitée et des formes de domination,
une stratégie de la transition écologique, sociale,
démocratique et géopolitique.
La démarche proposée est de partir de la
stratégie des mouvements sociaux et citoyens. De proposer à tous
les mouvements, et aux réseaux internationaux de mouvements, de
définir leur stratégie par rapport aux changements et aux
ruptures qui caractérisent la situation actuelle et de mettre en
évidence la dimension internationale de ces stratégies. La
nouvelle phase de l'altermondialisme pourra être définie et
construite à partir des stratégies des mouvements sociaux et
citoyens et de leurs réseaux internationaux (Massiah,2019).
Page 205 sur 227
Il s'agit ici d'interpeller sur la nécessité de
décoloniser la pratique actuelle du développement. Il ne faut
cependant pas s'y méprendre. Je n'invective et ni ne mets à
l'index qui que soit. Il s'agirait plutôt de se résoudre à
accepter, que la solidarité internationale telle que nous la connaissons
et la pratiquons actuellement s'inscrit, malgré nous, dans le paradigme
néocolonial du développement.
La pratique de la solidarité internationale et de
l'aide d'urgence se justifie dans la majorité des cas et il est
important que nombre de nos concitoyens s'ouvrent au monde et partagent une
considération universelle de rapports sains et raisonnés avec des
populations dont ils sont éloignés et désirent si ce n'est
collaborer, agir de concert avec elles. C'est justement parce que l'effort est
conséquent, que les attentes relatives à l'efficacité de
nos partenaires locaux doivent être équivalente.
C'est bien de cela qu'il s'agit, surtout dans un contexte
où les jeunes leaders associatifs ivoiriens et ouest africain souhaitent
tourner la page d'une Afrique en retard, d'une Afrique condamnée
à la dépendance et docile. S'appuyant sur une volonté
panafricaniste, elle prend en exemple des Sankara, Lumumba et d'autres pour
façonner leurs luttes et engagements.
Bien que dans nos discours et nos intentions, la
volonté de dépasser la pratique néocoloniale du
développement domine, la réalité du terrain nous pousse
bien souvent à s'adapter, à prendre en charge, en bref à
« comprendre » nos partenaires.
En prenant la voie d'une « interculturalité
exigeante », dont les conséquences seraient terribles dans un
premier temps, nous ferons pression sur le levier fondamental du changement de
mentalités et de pratiques en Afrique de l'ouest, à savoir le
politique.
C'est en poursuivant cette voie, qui nous amène
à demander plus d'excellence de nos partenaires locaux, et en se
refusant à tout « afro-compatisme » qui ne fait qu'entretenir
la dépendance africaine que nous pourrons « transcender » le
développement.
Et la diaspora dans tout ça ?
Bien souvent toujours « affairé »
(expression ivoirienne signifiant informé) de ce qui se passe au
pays, elle contribue économiquement et oeuvre au développement de
la Côte d'ivoire
Page 206 sur 227
La priorité relative aux diasporas n'est-elle pas celle
de la mise en oeuvre de dispositifs permettant la participation politique
massive des diasporas via le scrutins depuis l'étranger ?
|