CHAPITRE II : ANALYSE THEMATIQUE
La société wolof du Baol est très
conservatrice. De ce fait, l'approche thématique se révèle
interessante parce qu'à travers les thèmes, certains
mécanismes sociaux sont mis en lumière, particulièrement
la vision de l'homme et la vision du monde des wolof. Dans cette approche,
notre travail consiste à répertorier les thèmes dominants
dans notre corpus, et d'en faire une analyse. Ces thèmes englobent une
même problématique, celle de l'homme dans son environnement parmi
ces thèmes on peut citer le travail, l'altérité et
l'héroïsme.
1. Le travail
Le travail est une nécessité contraignante
entrainant peine et fatigue mais pouvant aussi susciter de satisfaction et de
joie. Imposé par la loi naturelle, le travail permet aux hommes de
vaincre une nature souvent hostile. Le Grand Robert le définit comme :
« une fatigue, une activité pénible qui apporte de la gloire
; et, par extension, une entreprise dangereuse, difficile et glorieuse
».
La société wolof plus précisément
celle du Baol accorde beaucoup d'importance au travail. C'est la raison pour
laquelle le thème du travail est toujours présent dans leurs
productions littéraires. Malgré son caractère difficile et
son aspect pénible, le travail engendre le bonheur et la gloire et
l'essence de l'homme. Cheikh Tidiane SY dit à ce propos : « Il faut
remarquer que chez les négro-africains, seul le travail donne un sens
à l'existence humaine. « Ligey rek moy deug,
littéralement, seul le travail est vérité » nous
renseigne la morale wolof».64Le travail devient ainsi une
exigence voire une obligation pour l'homme qui doit assurer sa survie. Tout le
monde est soumis au travail de la terre qui « est considéré
comme une absolue priorité aussi utile (et nécessaire) à
la vie de l'homme qu'à sa mort »65dans la mesure
où il « aide l'homme à mieux délibérer avec sa
conscience pour une vision claire de sa vie, et assumer dignement celle-ci pour
mieux gérer sa mort ». 66 Tandian, K, A écrit
à ce propos : « Etre riche, était avant tout, avoir beaucoup
de greniers remplis de mil pour l'autosuffisance alimentaire de la famille,
puis avoir du bétail (vaches, chèvres...) et accessoirement de
l'argent.»67 Cette réflexion sur l'importance du travail
agricole et de l'élevage dans la société soninké,
on peut aussi l'appliquer à la société wolof du Baol.
Les wolofs du Baol étaient des paysans dont les
ressources économiques étaient tirées pour l'essentiel du
travail de la terre. L'exaltation au travail est due au fait que le travail
étant la seule activité qui leur permettait de sauvegarder leur
dignité et leur dépendance.
64 Cheikh Tidiane Sy, « Mouridisme et tradition
négro-africaine du travail », in Ethiopiques
no21, janvier, 1980.
65 FAYE, A Le thème de la mort dans la
littérature seereer, Dakar, NEAS, ACCT, 1992.p268.
66 FAYE, A Idem.p268.
67 Tandian, K, A. Poésie soninké et
Education traditionnelle, Dakar, NEAS, 1999, p.195.
64
Le travail apporte le bonheur matériel et permet de
conserver l'honneur, l'un des biens les plus précieux dans la
société wolof. Refuser de travailler revient à accepter la
vie de dépendance, la soumission, l'humiliation. Le travail apporte le
respect des autres car celui ou celle qui travaille et produit ne se plie pas
devant son semblable pour quémander. C'est pour cette raison que les
paysans du Baol exaltent et exhortent au travail. Comme le souligne le chant
intutilé « Damay liggéey ndax mooy wàllum gor
» ou « Je travaille car c'est le devoir de l'honnête homme
» ou on note :
Damay liggéey ndax mooy wàllum gor
Ndax xam naa ne kuko ñakk
Di gor, sa xel di la lor
Sa nelaw dootul maase
Boo tëddee sa xel dem si for
Liggéey laa xam ndax sàmm ngor
Su dul loolu te ñaan jafe ma
Ñaq jarñu ndax ngor
Luma am ci liggéey doyloo naa ko
May ma duma yor
Bañnaa kuma janni ndax toppe
Rawatina gáddu ay bor
Bëgg naa sama jom ak sa ngor
Te yem ci lima yor
Je travaille car c'est un devoir pour tout homme digne
L'homme qui ne travaille pas
Sera tenaillé par sa conscience
Son sommeil sera sans cesse agité
Il ne connaîtra pas de répit
Le travail me permet de préserver ma dignité
Car quémander m'est tâche difficile
Je préfère manger à la sueur de mon front
Pour préserver ma dignité
Je ne saurais vivre d'aumône ou de dettes
J'ai peur d'être la risée publique
À cause de choses futiles, à fortiori des
dettes
Car, je tiens à mon honneur et à ma
dignité
C'est pourquoi je me contenterai de ce que j'ai. (Chant 5)
Ce texte met l'accent sur l'effort personnel comme gage d'une
promotion sociale. L'homme apprend le respect de soi-même par le refus de
l'affront, il cultive l'honnêteté comme une
65
vertu indispensable à toute l'harmonie sociale. Une
telle conduite l'élève au rang de la hiérarchie sociale.
Dans cette société agraire wolof, on ne peut qu'inviter les gens
à prendre au sérieux ce secteur qui est vital car celui qui ne
travaille pas ne pourra que vivre sur le dos des autres ou vivre par des moyens
illégaux tels que le vol, la tricherie. Le performateur de ce chant
exalte les valeurs ancestrales du travail basées sur l'honneur et la
dignité qui permettaient de s'écarter de certains défauts
comme la paresse, la propension à la facilité. La dérision
dans ce chant permet de fustiger certains comportements des marabouts
d'aujourd'hui qui se nourrissent de pitance, donc du fruit du travail des
autres comme dans le conte « Samba seytané et Amari jullit 68
» mais aussi comme le souligne la morale wolof : « Jëf
Jël, ñaq ted » « Agir pour posséder, suer
pour jouir ». C'est dans ce sens que Voltaire affirme dans Candide :
« le travail éloigne de nous trois grands maux, l'ennui, le vice et
le besoin»69et dans le même sens, Alain le
pédagogue de la méthode austère a déjà dit
dans Propos sur l'éducation : « l'homme se forme par la
peine ; ses vrais plaisirs, il doit les gagner, il doit les mériter. Il
doit donner avant de recevoir ». Autrement dit l'homme doit gagner son
pain à la sueur de son front.
Cependant contrairement à ceux qui pensent que le
travail est une contrainte, chez les baol-baol, le travail est
valorisant et permet à l'homme de jouer un rôle dans la
société. Cette exaltation de l'effort est source de noblesse car
celui qui travaille peut assumer ses responsabilités en assurant sa
survie et celle de sa famille. Comme l'illustre le chant suivant :
Yaay bóoyo
Samba nga ca tool ya
Doyna ndam
Baay bóoyo
Samba nga ca tool ya
Doyna ndam
Yaay bóoy ca tool ya
Baay boy ca tool ya
Doom ca tool ya
Doy na ndam
Doomu gaynde, gaynde lay doon
Oh mère !
Samba laboure dans les champs
C'est là, tâche noble
Oh père !
68 Kesteloot, L et Bassirou Dieng, op.cit,
p.105.
69 Voltaire, Candide, Genève, 1759,
p.83.
66
Samba laboure dans les champs
C'est là, tâche noble
Père va au champ
Mère va au champ
Le fils va au champ
Ce sont là, des tâches nobles
Le petit d'un lion
Ne saurait être qu'un lionceau. (Chant 15)
En milieu wolof plus précisément dans le Baol,
le travail est en outre valorisé et élevé au rang de
culte. L'attachement au travail a inspiré plusieurs personnes parmi
lesquelles le guide du mouridisme qui a fondé toute son idéologie
sur deux piliers essentiels « ligeey ba mel ni dotoo de te ;
jaamu yalla ba mel ni tay ngay de »70 (travaille comme
si tu ne devais jamais mourir et prie comme si tu devais mourir aujourd'hui).
L'expression de la pensée religieuse, l'évocation de la
divinité est souvent très fréquente dans les
récits. Le wolof semble toujours prendre conscience d'une certaine
faiblesse qui le pousse à aller auprès de l'autre. Le paysan
wolof étend la chaine de solidarité aux autres êtres
surnaturels dont il sollicite avec les prières ou d'autres pratiques
rituels soutiens et l'assistance. Ainsi dans les textes il n'est pas rare de
voir apparaitre la référence religieuse. C'est le cas de figure
qu'on retrouve dans ce chant.
Bismillaaxi jàmm
Raxmaani jàmm
Raxiimi jàmm
Jàmm njëk, jàmm mudj, jàmm nek ci
digante bi
Bismillaaxi tew
Raxmaani tew
Raxiimi tew
Au nom de Dieu ! La paix
Le Clément ! La paix
Le Miséricordieux ! La paix
Paix devant ! Paix derrière ! Paix au centre
Au nom de Dieu je suis là
Au nom du Clément ! Je suis là
Au nom du Miséricordieux ! Je suis là. (Chant
16).
Le cultivateur wolof manifeste sa foi dans toutes les
activités quotidiennes, notamment dans le travail. Le héros est
confronté à des difficultés qui semblent le
dépasser et pour s'en sortir,
70 Recommandation du Coran reprise par Cheikh Ahmadou
Bamba.
67
il est obligé de s'en remettre aux êtres
supérieurs. Sa foi en Dieu et ses croyances animistes ou païennes
se confondent.
En somme on peut dire que dans une société qui a
fait du travail son crédo et de la terre son noyau
référentiel, seul le travail permet à l'homme
d'éviter la dépendance.
2 .L'altérité
L'altérité est un concept utilisé dans de
nombreuses disciplines comme la philosophie, l'anthropologie, l'ethnologie et
la géographie. Le mot vient du latin alteritas, qui signifie
différence, l'antonyme d' « altérité » est
« identité ». L'altérité renvoie à ce qui
est autre, à ce qui est extérieur à un « soi »,
à une réalité de référence, qui peut
être l'individu, le groupe, la société, la chose, le
lieu.
Le thème de l'altérité est très
présent dans la poésie champêtre wolof. Au champ le jeune
cultivateur n'est pas seul, il est avec d'autres jeunes de sa
génération. Cependant, l'autre qui peut être homme ou objet
est très présent dans nos textes. Cette altérité
dans le kañu trouverait sans doute sa justification, d'une part
par la concurrence car les jeunes se lancent des défis et excellent dans
le geste et la parole. Et d'autre part, elle est centrée sur le
performateur afin de le galvaniser par le biais de l'autoglorification. Le
discours s'adresse à ses concurrents dans le même champ. Il
cherche à se distinguer et à montrer ses différences par
rapport à eux. Amade Faye ajoute à ce propos : « toute
parole était agression ou allusion agressive, de part en part
traversée par une métaphore guerrière ou s'entrecroisent
défis et provocation ».71L'altérité dans
cette expression poétique, a comme point focal une agressivité
verbale dans tous les instants. Cependant il est important de signaler que
cette agressivité n'est pas physique, elle est discursive. Comme le
montre le chant ci-dessous :
Ma mën guné ak baayam
Ndax Baay ba doolé ba da jeex Té gune ba doole ba
dikagul
Je suis plus fort qu'un père et son enfant
La force du père est épuisée
L'enfant n'a pas encore acquis une force suffisante. (Chant
35)
Dans ce chant, l'énonciateur s'adresse à ses
concurrents dans les champs. Les destinataires du message sont les jeunes de la
même classe d'âge et de la même force physique. Cette parole
lancée est un défi à soi-même, à l'autre
destinataire et témoin. Le but du poète est de faire
71 FAYE, A.op.cit.p.363.
68
naître un sentiment d'exaltation et de
supériorité. Le performateur fait recours à des parole
imagées et symboles qui lui permettent de s'identifier aux autres comme
l'illustre ce chant :
Ndama akk ndamari bokkul Ndama yeel ba day gatt Xuuru ganaaw ga
taaba Deun ba angase
Lumu yótu jot ko
Lumu dóor mu ñibi allaaxira
Celui qui a une courte taille est tout à fait
différent d'un nain
Le petit a les os courts,
Des jambes courtes
Une colonne vertébrale large
Une poitrine saillante
Il atteint toujours son but
Et quiconque encaisse son coup, séjourne dans
l'au-delà. (Chant 43)
Dans ce chant la personne de petite taille se voit comme le
meilleur au champ en glorifiant sa personnalité et ses caractères
physiques. En se comparant aux autres, il se déclare le meilleur et
lance un défi.
Dans ce poème ci-après, le cultivateur ne fait
que relater ses prouesses et exprimer fièrement sa personnalité.
Le héros « apparait comme hors norme, excessif et
foncièrement inimitable : il n'est pas à proprement parler un
exemple, ni un modèle, il est plutôt « un moteur » qui
donne l'élan et la tension nécessaires pour permettre la mise en
pratique d'une idéologie commune dont il symbolise l'une des composantes
».72C'est ce cas de figue qu'on retrouve dans ce chant
ci-après ou le performateur met en avant sa force physique et son
courage.
Waaw góor suka péll gi Ndax péll gi romb nga
daw Te mag mu la sol wogantiku
Mbaa mu sonn lool
Koo ni bu suba ñu daje Guddi googa du nelaw
Mbaa bu nelaweet du yandoor
Ndonoy yaay Majigen jóob Nii nga mën a mel
Doomu ñay ñay lay doon
72 C.Seydou « Réflexion sur les
structures narratives du texte épique : l'exemple des
épopées peules et bambara », in l'Homme, vol.23,
no23, no3, 1983, p.46.
69
Baay Yata ku bëgg xam
Nga toji sa mbandum yaay
Ku bëgg kula duma nga tooñ ku la mën
Brave Suka !
Tu surclasses tous les autres jeunes
Tout adulte qui veut te porter retroussera ses manches
Sinon, il lui en coûtera
Celui qui osera te défier
Ne dormira pas la veille
S'il parvient à dormir son sommeil sera léger
Héritier de Majigen jóob
C'est cela ta légitime ambition
Le fils d'un éléphant ne saurait être qu'un
éléphanteau
Baay Yata, qui veut le vérifier
N'a qu'à casser le canari de ma mère
Qui veut être battu, provoque plus fort que lui. (Chant
7)
C'est précisément dans le but de singulariser en
montrant sa différence avec autrui que les noms des ancêtres
peuvent être associés à la performance. Il faut comprendre
que les ancêtres cités sont glorieux et par conséquent le
cultivateur cherche à s'identifier à eux. Le fait
d'évoquer le nom de l'ancêtre donne l'illusion d'avoir
personnellement participé à la geste par laquelle l'ancêtre
a acquis son nom. Ce besoin de s'identifier à l'ancêtre s'explique
par l'importance que la société wolof se fait du sens de
l'honneur. C'est ainsi que Senghor affirme dans un de ses interviews : «
Pour les Sénégalais, comme pour la plupart des
Soudano-sahéliens, il y a deux mots importants et qui sont à la
base de notre conception de la vie : C'est le jom, le sens de
l'honneur et le kersa, la maitrise de soi ou la retenu, la pudeur. Ces
traits sont caractéristiques du modèle épique en milieu
wolof qui de par un comportement héroïque accomplir des actions
d'éclat individuelles pour mériter un renom et sauver l'honneur
des ancêtres. L'extrait du chant ci-après est un exemple
illustratif :
Ma donn Samba Ngajal Mafan Ma donnTéeñ ak Mafan
Ma donn Mayaasin je? maaroo Jigéen ju mën
góor
Je suis l'héritier de Samba Ngajal Mafan Je suis
l'héritier de Teeñ et Mafan
Je suis l'héritier de Mayaasin je? maaroo
Une femme plus forte que les hommes. Chant 4 (v13 à la
fin).
70
Dans cette poésie d'autoglorification du
kañu, l'autre peut aussi désigner la chose ou un objet
:
Daaba ak daabali bokul
Daaba xuuru ginaawam day ya Loxo ya day bar jot
Lu mu yootu jot
Lu mu dôor nga agg suuf
Daaba est différent de daabali ;
Daaba au dos creux ;
Ales mains longues et agiles
Tout est à sa portée,
Ses coups sont fatals. Chant 45 (v2 au v6).
Dans ce chant, le locuteur attaque ses protagonistes qui sont
probablement ces concurrents ou l'auditoire. Ainsi par le biais de la
comparaison, de la métaphore et de la parole imagée, il montre sa
supériorité par rapport aux autres.
3. L'héroïsme
Défini par le Robert comme « une vertu
supérieure, force d'âme qui fait le héros »,
l'héroïsme est une donnée essentielle dans la poésie
d'autoglorification en milieu wolof. En effet cet héroïsme est
presque présent dans tous les poèmes wolofs et s'exprime de
diverses manières. D'après le contexte de production du
kañu, il est important de signaler que pendant longtemps, les
paysans wolofs ne comptaient que sur leur seule force physique pour affronter
une nature qui ne leur faisait aucun cadeau note Abdoulaye Keita. À ces
circonstances s'ajoutent le fait que le travail des champs était une
occupation très physique et se faisait dans un contexte spatio-temporel
hostile : au moment le plus chaud de l'année.
Pour vaincre toutes ces contraintes, le paysan wolof a
développé une performance orale dont le but essentiel est de
s'autoglorifier pour tirer du plus profond de son être cette
énergie qui le distingue et qui fera la différence. Cependant,
qu'il s'agisse des chants de luttes, des chants de culture, la poésie
d'autoglorification, l'héroïsme se manifeste par l'exaltation de
valeurs telles que le courage, la bravoure, le sens de l'honneur qui
contribuent à la formation de l'homme. Comme l'illustre ce chant :
Jáambaar ca waar
Loo liggéey du yaa ko moom
Ngembuléen gaañi
Ñaq réerul boroomam
Jáambaar góorgóorlul suuf si noy na
71
Tool bi yaa na
Mbay lu baax la
Ñaq réerul boroomam
C'est au champ qu'on reconnait le brave
Tout ce que tu produis te revient de droit
Retroussez les manches les gens
La sueur se paye toujours
Homme courageux glorifie- toi, la terre est molle
Le champ est large
La culture est une bonne chose
La sueur se paye toujours. (Chant 27)
L'héroïsme se manifeste par la capacité du
paysan à faire preuve de détermination et de courage. Le champ
n'offre aucune possibilité de tricherie, on n'y récolte que ce
que l'on a semé. Les travaux champêtres dans la
société wolof traditionnelle permettaient de mesurer la
capacité de l'individu car, ils fournissaient beaucoup de renseignements
sur sa capacité de dépassement, sa témérité,
son endurance. Dans la société traditionnelle wolof, chaque
membre de la famille avait l'obligation de lutter contre tout acte
déshonorant. L'honneur de l'individu dépend de son comportement,
le respect de certains principes du groupe était fondamental pour sauver
son honneur et celui de sa famille. C'est l'exemple du chant suivant :
Maa jomba ñaaw
May sëtub Seelawbe Buna Alburi Njaay
Man góor gu ma làngal nga daw
Wacc ma ak sama tool baay
Man bey naa yoor yoor
Bèy naa takkusaan
Ñu naan ma ku daw ñaaw
Maa naan leen man duma daw
Ndax man duma jigéen
Ñu naan suma doonoon góor
Soo doonoon góor it doo faj gàcce
Moi je refuse le déshonneur
Je suis la petite fille de Seelawbe Buna Alburi Njaay
Tout homme que je défie prend la fuite
Pour me laisser seul avec le champ de Père
Moi, j'ai cultivé le matin entre 10h et 12h
J'ai cultivé l'après-midi vers 17h
Qui prend la fuite sera déshonoré me disait-on
72
Je leur répondis que je ne fuirai pas
Car je ne suis pas une femme. Chant14 (v1.v2 et v15 à la
fin)
Ici, le performateur se glorifie de ses exploits et son
honneur en rabaissant son adversaire au point de le tourner en dérision.
L'homme d'honneur est celui qui est capable de maintenir l'estime que les
autres ont de lui. Il cherche toujours à faire son devoir et à
éviter tout acte qui peut l'en éloigner. La société
wolof est une société virile où la problématique de
la bravoure hante le quotidien des hommes. Une société ou l'acte
guerrière est mis en avant. L'exemple de Lat-Joor en est une parfaite
illustration. Ce dernier pour sauver son honneur décide de s'acheminer
vers la mort.
« Avant que le soleil ne se couche, je rejoindrai mon
maitre Maba Jaxu. »73
Au combat toujours, il fallait vaincre et faute de pouvoir le
faire, en vertu toujours du principe selon lequel « le malheur est
préfèrable à la honte ». La mort était
préfèrable à la défaite et par delà à
la honte de la mise à mort par l'ennemis ou de la captivité.
Nous avons l'exemple du chant de Baye Demba war Njaay :
Baay Demba waar Njaay Waar waa ko yóbbu géej Ba
ñukoy suul ñoo nga naan Gasléen mu xóot a
xóot Waqileen mu xóot a xóot yaay
Jáambaar ngeen fiy suul
Baay Demba waar Njaay
Le labour l'a conduit au bord de la mer
En l'enterrant, on disait
Creusez très profondément
Retirer le sable du trou
Car vous enterrez un homme courageux. (Chant 33)
Dans l'éducation en milieu wolof, le culte de l'honneur
et de la résistance à la douleur physique et morale était
privilégié. C'est ainsi que Alfred de Musset affirme dans
Nuit d'octobre : « L'homme est un apprenti, la douleur est son
maitre .Et nul ne se connait tant qu'il n'a pas souffert
»74.Abdoulaye Sokhna Diop75abordant dans le
même sens écrit : « cette crainte de la honte au point d'en
mourir, se trouve également au fondement de la dimension militaire du
code d'honneur des wolofs et des toucouleurs, disons de l'idéal «
jambar » c'est-
73 DIENG, Bassirou, op.cit.p.129.
74 Musset, A ; Nuit d'octobre, Paris
Gallimard 1951, p.327.
75 Diop, A .Sokhna, « les valeurs morales
à travers l'évolution socioculturelles du Sénégal
» in Ethiopiques N31revue socialiste de culture négro africaine
,3e trimestre, 1982.
73
à-dire du brave héros ». C'est ainsi que
l'homme fait étalage de sa bravoure et de sa
témérité en chantant ses qualités. En effet, le
recours à cette poésie d'autoglorification choisie par le
poète suscite chez le cultivateur wolof un sentiment d'orgueil, d'amour
propre. L'individu atteint est dans l'obligation de se surpasser. Comme le
montre le chant suivant :
Waaroo waar
Waar dem na géej
Waaroo waar
Waar dem na géej samba
Góoroo góor bu kenn daw
Bu kenn naan i
Yaay Faatu fattalikul
Lima la waxoon biig
Bu naaj tángée
Mané bu naaj tangée
Ci la jàambaar di féeñ
Oh labeur !
Le labeur est allé en mer
Oh labeur !
Le labeur est allé en mer
Que personne ne prenne la fuite
Que personne n'aille boire
Yaay Faatu souviens-toi
Je t'avais dit hier soir
Quand le soleil est au zénith
Je répète quand le soleil est au zénith
C'est à ce moment que le brave se distingue. (Chant 23)
Ce chant souligne l'orgueil et la fierté du
poète wolof à exalter publiquement ses capacités de
résistance. Le performateur atteint son degré de paroxysme
puisqu'il est même interdit de se désaltérer. C'est
à la limite de la démesure parce qu'il s'agit non seulement de
braver le soleil, mais aussi de s'abstenir de boire. Le code l'honneur exigeait
de « ne rien faire moins que ses égaux ». Autrement dit, il ne
fallait jamais se laisser dépasser par ceux avec qui l'on partageait une
position sociale ou une situation vécue ensemble.Il fallait toujours
être en concurrence avec eux et faute de pouvoir les dépasser, ne
jamais se laisser dépasser par eux.
74
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