CONCLUSION
Au terme de ce travail intitulé,
« Culture et football au Cameroun ; le cas Canon Sportif de
Yaoundé dans la région du Centre : Une contribution à
l'anthropologie du football» parce qu'il y'a un
intérêt manifeste à connaître les savoirs
endogènes du football ainsi que sa pratique au sein d'une population
camerounaise partant du sens que les populations concernées donnent
à ce sport. La conception socioculturelle joue un rôle important
dans la pratique d'un art fût-il le football. Ce travail avait pour
ambition d'interroger d'un point de vue anthropologique l'inadéquation
entre les pratiques endogènes ewondo de Nkolndongo du football et les
normes de la FIFA.
La question principale était formulée ainsi
qu'il suit : Comment les Ewondo de Nkoldongo se sont appropriés la
pratique du football ? De cette question principale, trois questions
secondaires ont été formulées : Comment se
déroule le quotidien des actants du football au sein du Canon sportif de
Yaoundé ? Quels sont les éléments culturels que les
Ewondo utilisent dans la pratique du football ? Quelle est la perception
du football par les Ewondo ? Pour répondre à la question
principale, nous avons également émis une tentative de
réponse comme étant l'hypothèse centrale à
savoir : Les Ewondo de Nkolndongo se sont appropriés le football
en créant le Kpa Kum-Mekok-Me-Ngonda Y'ongola. En guise de
réponse aux questions subsidiaires : le quotidien des actants du
football au sein du Canon Sportif de Yaoundé est régi par les
entrainements collectifs, individuels, les matchs de compétition et les
matchs amicaux ; la distraction avec les paires et la famille. Les pratiques
magico-religieuses, les danses, les chants et les instruments de musique sont
les éléments culturels que les Ewondo associent à
l'activité footballistique. Le football est perçu par les Ewondo
comme une activité sportive où tous les moyens doivent être
mise en oeuvre pour vaincre et convaincre.
Pour mieux nous imprégner de cette
réalité, nous avons organisé une descente sur le site de
l'étude avec pour objectif la collecte des données auprès
des différents acteurs intervenants dans le domaine du sport et en
particulier le football au sein des Ewondo. Ceci a été rendu
possible grâce aux différentes techniques de collecte de
données que nous avons utilisées à savoir l'observation,
les entretiens (individuels), et les récits de vie. L'analyse
stratégique et le culturalisme nous ont permis d'appréhender
comment les Ewondo perçoivent le football ainsi que les
éléments de leur culture qui sont associés à ce
sport.
Les principaux résultats de notre étude sont
les suivants : les pratiques magico-religieuses font entièrement
partie du football chez les Ewondo de Nkolndongo. Les entrainements ne sont pas
efficaces à cause de l'insuffisance du matériel et la
vétusté de certains équipements. Les conflits de
leadership et d'intérêts dans le CSY dérivent des pratiques
rituelles, de la popularité et du prestige social des individus. Le
football, appelé ndamba meko est perçu par les Ewondo
comme une passion, une activité de promotion sociale et de
positionnement. Certains footballeurs pensent qu'il est impératif de se
protéger contre l'adversaire mais aussi contre les coéquipiers
car tous les coups sont permis à condition qu'on reste serein.
En ce qui concerne les perceptions du football, l'origine est
associée à la colonisation. Comme le port du costume, la
consommation du vin rouge, ou encore la culture du cacao, la pratique du
football fait partie intégrale de la culture ewondo. Appelé
Ndamba meko, les Ewondo de Nkolndongo font une
différenciation du football et les autres sport avec le ballon qui se
pratiquent avec les autres parties du corps : le ballon qui se joue avec
les pieds. Saisi à travers les règles qui le définissent,
à travers les commentaires des supporters ou encore à travers la
comparaison avec des jeux de balle qui s'épanouirent à d'autres
moments de l'histoire ou dans d'autres civilisations, le football
apparaît comme un " jeu profond " qui condense et
théâtralise les valeurs fondamentales du monde contemporain. Comme
les autres sports, il exalte le mérite, la performance, la
compétition entre égaux ; il affiche avec éclat, par le
truchement de ses vedettes, que dans nos sociétés, les statuts ne
s'acquièrent pas à la naissance mais se conquièrent au fil
de l'existence. Tout autant que la performance individuelle, il valorise le
travail d'équipe, la solidarité, la division des tâches, la
planification et l'évaluation collective à l'image du monde
industriel dont il est historiquement le produit.
Le football s'offre comme un terrain privilégié
à l'affirmation des identités collectives et des antagonismes
locaux. Sans doute est-ce dans cette capacité mobilisatrice et
démonstrative des appartenances que réside une des principales
raisons de l'extraordinaire popularité de ce sport d'équipe, de
contact et de compétition. L'adhésion à un club est
perçue par les supporters comme le signe d'une commune appartenance,
mais surtout comme le symbole d'un mode spécifique d'existence
collective incarné par le style de jeu de l'équipe, style qui
renvoie à l'image stéréotypée qu'une
collectivité se donne d'elle-même et souhaite donner aux autres.
La devise du CSY, " être, vaincre, convaincre " symbolise le "
Kpa-Kum style " fait de rigueur, à l'image de la culture de
guerre, de la liberté dont le club est l'émanation. Consacrant,
sur un mode plus ou moins virulent, les allégeances territoriales, et en
particulier les loyautés nationales, le football ne classe donc pas
seulement les appartenances, il en énonce le contenu imaginaire. Pour le
jeune supporteur ewondo, se familiariser avec le style de jeu de son
équipe (CSY) est une forme d'éducation sentimentale aux valeurs
qui façonnent sa ville et sa culture. Oscillant entre une
activité récréative, économique, de bien
être, de promotion sociale, professionnelle et rituelle, la pratique du
football s'inscrit au rang des activités ouvertes à toutes les
couches sociales. Chacun y trouve son plaisir ou son intérêt dans
les activités qui se développent autour du football. C'est
d'ailleurs l'une des raisons qui font du stade un lieu de grand public.
Le stade est un des rares espaces de débridement
toléré des émotions, contrepoint à la retenue et
aux freins qu'impose, dans les interactions sociales ordinaires, la
civilisation des moeurs. Là s'éprouve le plaisir des gestes et
des paroles à la limite de la règle. Là, les gros mots ont
droit de cité. Là, s'expriment des valeurs dont l'expression est
socialement proscrite (affirmer crûment son appartenance sexuelle, son
aversion pour l'autre, etc.). Ce langage, pétri de métaphores
viriles, guerrières, sacrificielles, d'expressions xénophobes,
est profondément ambigu. D'une part, il nous dit les peurs, les haines,
les symboles qui travaillent le corps social ; de l'autre, son caractère
outrancier participe de la confrontation : tout ce qui peut choquer l'Alter,
souligner le soutien extrême que l'on porte aux siens est mis à
profit. Les ressorts du langage du " supportérisme " sont donc à
chercher à la fois à l'intérieur et à
l'extérieur de la logique du jeu. Le stade peut être
considéré en ce sens comme un non lieu. C'est le cas avec le
stade Ahmadou AHIDJO où le CSY joue généralement ses
matchs à domicile.
Tout au long d'une partie, on voit des attitudes, des gestes,
des objets à qui une grande partie du public confèrent une valeur
quasi-religieuse. Ou serait-ce plutôt de la magie ? Des supporteurs
s'appliquent des peintures rituelles sur le visage (les couleurs du club). Des
chants montent des gradins, repris par les choeurs des fidèles,
lancés par des sortes de célébrants qui tournent le dos
à la pelouse. Ces derniers semblent même se
désintéresser de la partie qui se joue, tant ils se
préoccupent exclusivement de l'animation de la cérémonie
que devient la rencontre. Les chants, contrairement à ce que l'on
pourrait imaginer, offrent une véritable diversité, "chants
spontanés" dit-on dans les églises ! Les convaincus, les
fidèles parmi les fidèles les apprennent sans difficulté
à force de les entendre et de les répéter. Ces refrains
sont scandés par des choeurs d'hommes, parfois impressionnants de force
et de conviction. Les chanteurs prennent visiblement du plaisir. Ce sont des
encouragements, des invocations, des imprécations dirigées contre
l'équipe adverse ou les arbitres, des sortes de chants de louange
lorsque l'équipe favorite est en passe de gagner. Le vert et le rouge de
Nkonldongo sont soutenus par moult associations de supporters et sympathisants
ayant pour objectifs de le pousser à la victoire. Certains supporters
ont fait du CSY leur raison même d'existence afin de donner sens à
leur vie.
A considérer la place occupée par le football
dans la vie des supporters, on découvre que le temps de la rencontre
déborde largement dans la vie quotidienne. Un chant des supporteurs
d'origine ewondo, déjà ancien, disait à peu près
ceci : "Le football, c'est notre vie. Le roi football régente le monde."
Il faut se rendre à l'évidence que l'attachement à une
équipe favorite peut aller très loin. A Mvog-Mbi, le portrait
d'un supporteur du CSY a été réalisé par une
équipe de télévision. Les aventures de son Kpa-Kum
donnent littéralement un sens à sa vie, qui, sans cette
bouffée d'oxygène, se heurterait aux horizons bouchés de
la rue. Rien ne manque à un cadre qui petit-à-petit s'est
construit. Le jour du match, les couleurs du club sont hissées dans le
jardin du petit pavillon où il vit. "Pourvu qu'ils gagnent" est la
prière intime qu'un des informateurs clés répète
intérieurement plusieurs fois le jour du match. Un véritable
rituel domestique se déroule, avant, pendant et après la
rencontre. Une grande vitrine joue le rôle d'autel (carapace de tortue
sous la toiture). Les amis du club de supporters constituent une
communauté éminemment soudée et solidaire. Ce portrait
singulier rejoint pourtant une réalité partagée par
beaucoup. Un même sentiment d'appartenance se vérifie
auprès de tous ceux, et ils sont nombreux, qui soutiennent avec ferveur
tel ou tel club. Ceux-là s'engagent, donnent des heures de
bénévolat dans les petits clubs, ou bien lorsqu'il s'agit d'un
club professionnel, achètent la panoplie complète du parfait
supporter, investissent leurs économies dans des déplacements
pour assister aux matches "à l'extérieur". Le véritable
supporter s'identifie à son club, à son équipe. La
confiance parfois aveugle, les espoirs qu'il exprime à travers son
comportement au stade, ressemblent étrangement à des sentiments
religieux. Comme des milliers d'autres, il ne fait que croire en son
équipe, souffrir avec elle lorsqu'elle perd, mais vibrer avec elle
lorsqu'elle gagne et le fait rêver. Les supporters accompagnent leurs
fanatismes par des chants rythmés aux instruments de la culture ewondo.
Les paroles prononcées sous forme de chants par les
supporteurs du Kpa-Kum, sont principalement les chants de concurrence
entre les clubs de division d'élite. Ces chants sont
exécutés en langue ewondo et surtout lors d'une victoire
ou d'un match nul dont le résultat ne change pratiquement rien sur la
position du club. Il ne se chante jamais lors d'une défaite. Les
instruments musicaux qu'utilisent les fanatiques du CSY sont le produit de
l'art musical ewondo. Ces éléments de l'animation culturelle
ewondo font parties intégrante d'une partie de football au point
où une rencontre de football sans cet arsenal n'aura plus de sens pour
les spectateurs. Ces derniers apprécient en même temps le
spectacle des 22 acteurs que celui des fans clubs. Mais ils sont
également gagnés davantage par le spectre du
phénomène magico-religieux qui plane sur le football à
quelques niveaux, que ce soient.
Les joueurs eux-mêmes sont depuis longtemps
gagnés par une sorte de contagion de la superstition. Ils pratiquent les
gris-gris de toute sorte, ils ont leurs chaussures-fétiches, ils
embrassent la pelouse après un but. Un seul exemple du gaucher d'un club
de la ligue régionale de l'Ouest qui selon ses co-équipiers, ne
lave jamais sa godas parce qu'elle a été
« configurée » par un tradipraticien à Bali
dans le Nord-ouest puisqu' il poussait le fétichisme très loin.
La veille du match, ses chaussures trônaient au bout de son lit.
Arrivé au stade, il suivait scrupuleusement un rituel compliqué,
touchait plusieurs objets qu'il emportait invariablement, massait ses
chaussures avant de les enfiler, et achevait ce rituel par une sorte de signe
du pied au moment d'engager. Des anecdotes innombrables pourraient être
citées, notamment pour le choix des chaussures. Les gardiens semblent
particulièrement concernés par ces pratiques superstitieuses,
comme s'ils pouvaient, plus que d'autres, interdire l'accès du but au
ballon par une quelconque manipulation. Ces pratiques ne se limitent pas aux
joueurs, elles sont même parfois collectives et incluent supporteurs et
autres dirigeants du CSY. Ces pratiques sont souvent la source de conflit entre
partisans et non partisans.
Certains membres du staff administratif dudit club se
substituent en staff technique pour recruter les joueurs, limoger le coach et
prendre certaines décisions car il existe une sorte de conflit de
pouvoir entre le comité de sage, le conseil d'administration et la
direction générale. Le système de gestion du football dans
les clubs camerounais restant presque fermé au public, laisse croire
à l'existence des grands maux tels que la corruption, le
détournement des fonds et le conflit d'intérêts. Pour cela,
la goutte d'eau ayant débordé le vase vient du système qui
a éclaté la tare de l'instance faitière,
précisément au niveau du conseil des sages, de la direction
administrative et du staff technique. Chaque individu développe alors
une stratégie pour sauvegarder ses avoirs et ses relations. Ces acteurs
du club sont cependant issus d'ethnies diverses dont de cultures
différentes. Ces conflits seraient aussi dus au choc de
personnalité de base d'une part issu de ces cultures et d'autre part
à l'intérieur de la culture majoritairement
représentée.
Les items culturels jouent un très grand rôle
dans la configuration de chaque équipe et est porteur d'un message
sacré c'est-à-dire restreint aux populations conceptrices et
exécutrices. Par conséquent, ces mouvements influencent le staff
technique, qui n'a plus que pour rôle de subir la volonté des
forces en présence ou de démissionner s'il ne se soumet pas.
C'est la raison pour laquelle dans la culture, l'individu rencontre une
première enculturation ou socialisation dont les modèles
orientent son comportement d'acteur dans le futur système social.
Selon nos hypothèses de départ, Les Ewondo de
Nkolndongo se sont appropriés le football en créant le
Kpa-Kum Mekok-Me-Ngonda Y'ongola. La logique du football est construite
sur un certain nombre de vecteurs culturels notamment les pratiques
magico-religieuses, les danses, les chants et les instruments musicaux ewondo.
Le football est une activité de promotion sociale et de positionnement
selon les Ewondo de Nkolndongo. Le football est perçu par les Ewondo
comme une activité sportive où tous les moyens doivent être
mise en oeuvre pour vaincre et convaincre.
Il faut relever que le football entant que sport basé
sur la performance, le talent ne saurait se réduit à la pratique
magico-religieuse. Cet avis est partagé par les Ewondo de Nkolndongo,
seulement ils pensent qu'il est aussi impératif de se protéger
contre les esprits malveillants d'origine quelconque afin de rester au top
niveau. Aucun de nos informateurs n'a avoué faire du mal à Autrui
mais tous pense à se protéger. Pourquoi se protéger quand
il n'y a personne qui ne veut nuire à l'Autre ? Ne serions nous pas
rentré dans cet adage footballistique qui stipule que « la
meilleure défense c'est l'attaque ! » ? Nous osons
penser que les acteurs du football gagneraient à redescendre sur le
stade afin de pratiquer le jeu qu'est le football qui a besoin de joueurs
talentueux, performants et non des marabouts et autres prêtres.
La gestion du football chez les Ewondo est ponctuée
d'embuches si l'on s'en tient aux nombreux différends récurrents
enregistrés au sein du CSY. A ces différends, s'ajoutent les
services de l'organigramme qui ne sont pas fonctionnels ou qui ne concordent
pas avec la structuration admise par la FIFA. Le Comité de sage se
considère comme l'instance souveraine des
Mékok-Me-Ngonda et pourtant elle ne devrait pas exister et
même intervenir dans la gestion du CSY selon la FIFA.
Suite aux résultats auxquels nous sommes parvenus, les
perceptions du football et sa pratique par les Ewondo de Nkolndongo, sont
influencées par des constructions locales du sport. Ces constructions
font montre d'un certain mysticisme dans les résultats des parties de
football parfois collé sur le dos de l'arbitre. Il est
communément partagé que les marabouts peuvent changer le sort
d'un match. C'est d'ailleurs pourquoi si on a un entraineur dans le staff,
très souvent le marabout de l'équipe figure également. Ce
dernier peut être occupé un autre poste dans le staff mais son
travail consiste à prédire l'avenir, à consulter les mages
ou à faire des fétiches pour le rayonnement du CSY. Les joueurs
en font également disent-ils pour se protéger. Ces pratiques sont
fortement proscrites par la FIFA qui fonde le football sur le talent, la
performance et les entrainements réguliers. Cette action de se
protéger ou de vouloir se protéger que prônent les joueurs
pourrait faire l'objet de recherches futures.
La pratique d'un football serein au sein du CSY commencerait
par le fonctionnement effectif de son organigramme et la non ingérence
des acteurs périphériques dans les activités du club. Par
ailleurs, il est opportun pour les acteurs du football en
général et les joueurs en particulier, de comprendre que les
gris-gris et autre marabouts ne peuvent pas remplacer le talent, l'application
aux entrainements qui sont gages de performances sur le terrain. Il faudrait
aussi promouvoir des politiques de football pour les jeunes, soutenir la
responsabilité des personnes et limiter l'exclusion par des messages
poignants : le football est une activité professionnelle, l'acteur
majeur est le joueur et il doit vivre des fruits de son travail. Les hommes
d'affaires qui s'impliquent dans la gestion du football ne doivent pas se
considérer comme des vautours mais des promoteurs d'entreprises
footballistiques.
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