IV.1.1.2 Les joueurs
En tant qu'acteurs principaux d'un club de football, les
joueurs du CSY de façon individuelle font recours au fait religieux.
Nous avons observé le comportement des joueurs entre eux quelques jours
avant les matches et nous avons réalisé que les uns ont
l'intention de nuire physiquement les autres par les conflits de mains et de
pratiques mystiques. Un autre informateur signale que son co-équipier
dont il préfère taire le nom lui avait dit une fois ceci :
« je ne suis pas simple mais je le fais pour ma protection juste
dont n'est pas peur [...] » car affirme-t-il « il
a une chaine aux deux pieds qu'il couvre avec les chaussettes.
« Quant à moi, je suis chrétien catholique. Je
fais mes prières en lisant la Bible par exemple Luc 1 Verset 29-31 et
verset 69-78, Psaumes 90 et 91 du nouveau testament et en buvant l'eau
bénite ». « J'obtiens satisfaction quand je
prie en lisant Luc». Selon ce même informateur, il existe un
homme porte-malheur dans le club car quant il vient au stade, l'équipe
perd toujours. Les Jeudis et Vendredis, nous avons observé un climat
conflictuel entre les joueurs occupant un même poste
spécifiquement ceux jouant soit en attaque soit en défense voire
au goal. Ces conflits sont dus à la sélection des onze entrants
de la rencontre du week-end, puisqu'il faut prouver son efficacité au
sélectionneur. En ce qui concerne les gestes et cris des joueurs, nous
en avons observé plusieurs aux vestiaires, lors de l'entrée au
stade, au stade et lors d'une action de but concrétisée. Ces
mêmes gestes se font parfois lors des entrainements au stade Adolph
MBIDA.
Lors des rencontres officielles, les joueurs une fois
descendus du bus se rendent aux vestiaires où ils s'habillent en
équipement de match ; une prière générale est
dite par joueur et les dernières consignes sont données par le
coach. Peu après, une entrevue a lieu entre les officiels
d'équipes (présidents et coaches des deux clubs) et les officiels
de match (trio arbitral). Auparavant, le maillot de chaque jour lui a
été remis à la veille du match : se fut une
suggestion d'un encadreur du club qui pensait que chaque joueur doit
bénir son maillot à sa guise. A l'entrée du stade,
après avoir aspergé de l'eau bénite au banc de touche, les
joueurs entrent dans l'air de jeu et font regroupement les deux bras de l'un
sur les épaules des autres, la tête baissée et prononcent
ceci : « Canon ! Bombarbe ! (3 fois) A nous
la victoire ! Être ! Vaincre !
Convaincre ! ». Ainsi ces joueurs vont occuper leurs postes
respectifs et là, chacun fait sa prière personnelle.
Certains joueurs font le signe de croix à
l'entrée du stade, au stade ainsi qu'à la sortie du stade. Lors
d'un but marqué, certains buteurs vont pointer le doigt sur le
co-équipier, sur le coach au banc de touche ou à la tribune ou
encore les deux doigts (index) au ciel, d'autres font le signe de croix ou
poussent un cri fort « wouooooo !»,
« goooooaaaaallll » ; d'autres enlèvent le
maillot et pointent du doigt le numéro du dossard. Egalement, un joueur
a refusé de jouer avec le dossard 23 parce qu'il en a l'habitude jouer
avec le n°7, utilisant pour prétexte que le dossard 23 ne lui
porterait pas de chance comme c'est le cas avec le dossard 7. Il semblerait
qu'il aurait établi un pacte en s'appuyant sur le numéro de son
maillot.
L'envie de réussir sa carrière et le
désir de la gloire amènent des joueurs à recourir à
des pratiques magiques. Si pour les uns c'est pour se protéger, pour
d'autres c'est sans doute pour nuire ou déstabiliser ses
coéquipiers rivaux du même poste. Cet état des choses ne
favorise pas toujours le climat de sérénité et l'esprit
d'équipe tant visé par le staff au sein du CSY. Bien plus, tout
le monde se méfie de tout le monde. Pour certains informateurs, la
situation actuelle du club est peut être la conséquence de tous
les conflits magico-religieuses qui en fin de compte n'attire pas toujours la
gloire.
Dans la plupart des clubs ou des équipes de football,
l'on parle de pratiques magico-religieuses. Au sein de l'Aigle Royal
de la Menoua, il existe un certain joueur qui selon ses
co-équipiers, ne lave jamais sa godas parce qu'elle a été
« configurée par un tradipraticien à Bali dans le
Nord-ouest ». Le CSY quant à lui regorge des joueurs qui
portent des chaînes au pieds et chapelet au cou pour se protéger
des coéquipiers et de l'adversaire. Dans l'équipe nationale du
Cameroun, plusieurs cas de sorcelleries ont été
décriés dans la tanière des Lions Indomptables
lors de la CAN 2010 et lors de leur élimination le 4 Juin 2011 pour le
compte de la CAN 2012. Au sein du CSY, chaque joueur à son maître
spirituel qui peut être un membre de sa famille ou non. C'est alors
qu'un joueur de champ du CSY déclare : « je vais
passer la nuit, deux jours avant une rencontre par semaine chez ma
grand-mère pour qu'elle me masse les pieds et me
oigne avec une poudre rouge». Nous nous sommes rapproché du
joueur en question et il nous a montré ces chaînes sur ses deux
pieds, qui dit-il lui ont été offertes par un sorcier de son
village afin d'éviter toutes tentatives. Ces chaînes dit-il,
« je les cache avec les chaussettes pour que les
officiels ne voient pas». Dans le CSY il y a quelques années,
les joueurs se faisaient laver avec une décoction issue des os du
chimpanzé et de l'eau de source pour solidifier le tibia de ces
derniers. Cette pratique se faisait quant le club était presque
homogène c'est-à-dire en majorité béti.
Les acteurs sont depuis longtemps gagnés par une sorte
de contagion de la pratique magico religieuse. Ils pratiquent les gris-gris de
toute sorte, ont leurs chaussures-fétiches et embrassent la pelouse
après un but. Ceci n'est pas l'apanage des joueurs camerounais ou
africains car Bernard LACOMBE, ancien international français poussait le
fétichisme très loin. Une révélation de
Dieudonné DIBOUE (2013), un ancien footballeur, affirme en des termes ci
-dessous :
« Pendant le match, le match, lorsque j'avais le
ballon, les joueurs de l'équipe adverse qui venaient me barrer, voyaient
le serpent. En lieu et place du ballon. Ça dépend des totems,
lorsque ton totem est le tigre, les joueurs adverses voient le tigre devant
eux. C'est cela le football. Tu ne peux rien sans cela. Regardez mes photos que
je vous ai données. J'ai toujours une chaîne autour du cou.
C'était mon totem. Certains footballeurs louent les cadavres à la
morgue pour faire des pratiques à la veille des matches. D'autres
trempent leurs maillots dans les urines traitées par des sorciers pour
jouer au football. »
La veille du match, ses chaussures trônaient au bout de
son lit. Arrivé au stade, il suivait scrupuleusement un rituel
compliqué, touchait plusieurs objets qu'il emportait invariablement,
massait ses chaussures avant de les enfiler, et achevait ce rituel par une
sorte de signe du pied au moment d'engager. Des anecdotes innombrables
pourraient être citées, notamment pour le choix des chaussures.
Les gardiens semblent particulièrement concernés par ces
pratiques, comme s'ils pouvaient, plus que d'autres, interdire l'accès
du but au ballon par une quelconque manipulation. Pour un des nos informateurs
clés, les relations entre les gardiens de but du CSY ne sont pas
toujours bonnes faute de gris-gris.
|