1.4.3. L'IMPACT CULTUREL ET RELIGIEUX DE LA TRADUCTION DANS
LE
ROYAUME BAMOUN
Avant l'arrivée des Européens, les bamoun
pratiquaient déjà la traduction ou plus précisément
l'interprétation. Le royaume bamoun actuel était, à
l'origine, constitué de plusieurs chefferies qui parlaient des langues
différentes. Par conséquent, il était important
d'apprendre la langue du voisin ou d'avoir un interprète pour entretenir
des échanges. Il est fort possible que Nchare Yèn, le fondateur
du royaume bamoun, ait eu besoin d'interprètes pour communiquer avec les
chefs autochtones au cours de sa grande conquête. Après leurs
soumissions, le shüpamom, parlé de nos jours, fut imposé
à tout le royaume. Dans cette logique, l'histoire de la traduction, en
ce qui concerne ce peuple, date de l'époque de leurs contacts et
multiples échanges avec leurs voisins. D'autre part, c'est avec
l'accession de Njoya au trône et à l'arrivée des
Européens que le pays bamoun va marquer l'histoire dans plusieurs
domaines, y compris la traduction.
Né vers 1875, le roi Njoya est le XVIIe de
la dynastie de Nchare Yèn. Il règne de 1895 à 1933. Il est
resté célèbre pour ses idées
révolutionnaires qui poussèrent les Français à
l'exiler d'abord à Dschang et par la suite à Yaoundé en
1930 où il mourut le 30 mai 1933.
La première révolution dans la destinée
des peuples bamoun fut l'ouverture aux autres civilisations camerounaises et
européennes. Grand admirateur des Allemands, Njoya placera son royaume
sous leur protection. Par ailleurs, il inventera une écriture pour le
peuple bamoun
19
du nom d'A-KA-U-KU. L'invention de l'écriture alla de
pair avec la création d'une nouvelle langue. Jusqu'alors, les
conquérants bamoun avaient utilisé les langues de leurs vassaux,
le Shü Pashom tout d'abord, et ensuite le shü pa
Mbèn. Il créa le shü Mom, langue destinée
à être utilisée par tout son peuple. Celle-ci fut
employée en particulier par la cour et les notables, mais ne put se
diffuser complètement en raison de l'occupation allemande, puis
française. Le sultan Njoya rédigea et traduisit plusieurs
ouvrages en langue shü Mom entre 1896 et 1930. Le plus connu concerne
l'histoire de son peuple. Il s'intitule Histoire et coutumes des
bamoun, ouvrage dont une première traduction fut
réalisée en juin 1949 par le pasteur Henri Martin. Elle
était utilisée pour la correspondance et même des portions
de La Bible avaient été traduites dans ces
caractères. Le pasteur réalisera aussi la traduction des textes
historiques réunis par le roi Njoya et qui seront publiés en 1950
grâce à l'ethnologue Idellete Allier-Dugast.
Mosé Yéyap, prince de la famille royale, est
né vers 1895. Il est celui que beaucoup considèrent comme le
tombeur du roi Njoya. Il sera envoyé en 1906 à la mission
protestante pour être éduqué à l'européenne,
puis à Buéa, où il sera aussi formé par les
Allemands. Très brillant, il sera recruté à la fin de ses
études comme maître à la mission protestante et aidera les
missionnaires à traduire les textes bibliques en shüpamom.
Après le départ des Allemands, le roi Njoya fait appel à
lui. Leur collaboration dure jusqu'en 1917, c'est-à-dire à
l'arrivée de M. Allégret. Mosé Yéyap quitte
définitivement le palais et un conflit ouvert éclate entre le roi
et lui. Après un séjour à Douala où il va apprendre
le français, il entre dans l'administration comme interprète et
devient l'intermédiaire officiel entre cette dernière et le roi.
Marqué par l'éducation qu'il reçut à la mission
protestante, il informa ses chefs européens des pratiques
illégales qui avaient cours en pays bamoun, à savoir l'esclavage,
les travaux forcés, les impôts royaux, et les éliminations
physiques.
Njoya fut progressivement évincé du pouvoir.
Très subtilement, Mosé Yéyap aida à mettre fin au
règne de Njoya. Et même s'il nourrissait le rêve de devenir,
lui aussi, un monarque, il faut reconnaître que par son action
l'esclavage fut aboli, les tributs royaux , les travaux forcés, ainsi
que les tributs en femmes au roi et aux Nji furent supprimés.
Mosé Yéyap a, entre autres, réalisé la traduction
manuscrite quoiqu'incomplète de certains textes historiques bamoun. Il
meurt à Baïgom le 3 mai 1941.
Par ailleurs, la Mission de Bâle, société
missionnaire suisse travaillant pour le compte de l'Allemagne, s'installe
à Foumban le 10 avril 1906, sous la direction du pasteur Martin
Göhring. De ce fait, beaucoup d'enfants reçoivent une formation
chrétienne et plusieurs rejoindront le ministère de
l'évangélisation. La traduction de la Bible en langue bamoun a
été l'initiative de l'église bamoun, elle-même.
Le Nouveau Testament fut traduit par Josué
20
Muishe et l'Ancien Testament en grande partie, par le
pasteur Rudolphe Peshandon, assisté par Mosé Lamere, Pierre Wah,
Pierre Njuenwet et bien d'autres. C'est en 1968 que les exemplaires
imprimés du Nouveau Testament arrivent à Foumban.
Environ mille exemplaires furent vendus à cent francs l'unité, le
dimanche de dédicace. La Bible sera totalement traduite en bamoun en
1989.
Dans la même lancée, la première
édition de Yùopnké pùen kristo me
shüpamom, le cantique de chants chrétiens utilisé par
les protestants bamoun, a été traduit dans les années
1940. Les artisans de cette traduction sont les premiers catéchistes et
pasteurs à l'instar de Josué Muishe, Philippe Jean Pepuere,
Njimonya, Moïse Munbéket. Il faut aussi évoquer le soutien
des missionnaires Dortsh, Ernst, Lembasher, Ghoring, Allégret, Vernert
et Wurhman dans cette tâche. Le cantique 343 de Yùopnké
pùen kristo leur rend d'ailleurs hommage pour le travail
réalisé. La cinquième édition qui en est la plus
récente date de 2005. Elle est constituée de 409 chants. La
plupart sont des traductions de cantiques français (Sur les ailes de
la foi) anglais ( Sacred songs and solos) et de quelques autres
recueils chrétiens. Il y existe aussi des compositions originales en
bamoun, desormais adoptées par Nda'mbasié, la ligue de toutes les
chorales bamoun. Mais aussi de pures adaptations, à l'exemple du
cantique 105 (pe pua' mée ma Betfagé), adapté
à partir de la mélodie d'une chansonnette populaire
française le bon roi Dagobert qui met sa culotte à
l'envers.
En 2010, le Collège des Oulémas du Noun (CON)
présidé par Cheik Nsangou Mama Awoulou et le Conseil
Supérieur Islamique du Noun (Cosin) ont mis sur pied le Cercle islamique
de traduction du noble Coran en langue bamoun (CITNCLB). Les présidents
de commissions et les membres tels que El Hadj Ibrahim Fochivé, El Hadj
Nji Njitari Njoya , Cheik Nji Mbombo Mfekam, Israël Yoh Momah et plusieurs
autres se sont concertés pour ce travail titanesque. Durant trois ans,
les commissions de traduction, de révision, d'adoption et les
séminaires de validation ont travaillé d'arrache-pied avec toutes
les tendances islamiques dans le Noun - Koulkounou, sunnites et Tidjanites ,
mais aussi avec des chrétiens pour produire un Coran en langue bamoun.
C'est un document de 675 pages, fruit d'un travail acharné, qui a
été présenté le 6 juillet 2013 pendant une
cérémonie solennelle présidée par le sultan des
bamoun Ibrahim Mboumbouo Njoya, par ailleurs président du Conseil
Supérieur Islamique du Noun (Cosin).
Dans le domaine de la littérature, plusieurs
écrivains bamoun ont contribué à la vulgarisation de leur
culture à travers leurs oeuvres. Il s'agit d'Emmanuel Matateyou dans
Les Sociétés secrètes dans la littérature
camerounais: le cas des bamoun(1990), Les Merveilleux récits de Tita
Ki(2001), Parlons bamoun (2001), Palabres au Cameroun (oeuvre
bilingue français-shüpamom), Momafon Rabiatou Njoya dans
La Porteuse d'eau, A young girl's
21
diary, La Dernière aimée, Joseph
Ngoupou avec ses recueils de poèmes, A l'Aurore de la vie (1993), Du
Micro au Macro(1999), Les Larmes du Paradis(2009), Serge Ngounga dans
Au fil du voyage ( 2008).
En somme, dans ce chapitre, il était question de
dresser un aperçu historique de l'évolution de la traduction dans
le contexte camerounais en général et dans le pays bamoun, en
particulier. Nous avons présenté la situation de la traduction
dans la période précoloniale, la période coloniale et la
période postcoloniale au Cameroun. Nous avons aussi parlé de la
traduction dans le royaume bamoun. Notre approche était chronologique.
Nous pouvons dire que la traduction a évolué à travers le
temps. Il est cependant difficile de déterminer de façon
précise à quel moment cette science est apparue dans le monde.
Dans le cas du Cameroun, l'histoire de la traduction est assez longue et
complexe. Elle s'étale sur différentes périodes
clés de l'histoire du pays. Avant la colonisation, la traduction
existait déjà dans la pure culture africaine. Bien que l'histoire
de la traduction en pays bamoun soit un peu floue, son patrimoine culturel
reste l'un des plus importants en Afrique et au Cameroun. Il est bien
évident que l'on ne peut pas présenter de façon
détaillée en quelques pages seulement, cette richesse historique
qui s'étend sur des siècles. Toutefois, il s'agit d'une histoire
marquée par des influences internes et externes. Une connaissance de
l'évolution historique et culturelle de la traduction permet au
traducteur de se situer dans son époque. Il s'agira maintenant pour nous
de définir quelques concepts concernant le chant religieux et la musique
da
bamoun, puis de faire le point sur les travaux menés
avant nous.
CHAPITRE 2 :
CONCEPTION THÉORIQUE DE LA TRADUCTION MUSICALE
ET REVUE DE LA LITTÉRATURE
23
La musique est un art essentiel de par son impact à
tous les niveaux de la vie sociale, culturelle et cultuelle. Dans le contexte
religieux, elle est incontournable. Selon les confessions religieuses, les
chants diffèrent par l'appellation, le contenu et la manière
d'exécution. L'intérêt porté à la traduction
des chants en général, et à la traduction des cantiques,
en particulier, est relativement récent. C'est pourquoi il faudrait au
préalable comprendre des concepts de base autour de la musique.
Il sera question, dans ce chapitre, de définir le type
de chant religieux qui fait l'objet de notre étude, et de
présenter les caractéristiques principales de la musique, en
général, ainsi que l'influence culturelle qu'elle subit chez les
chrétiens bamoun. De plus, c'est le lieu pour nous de présenter
l'économie des travaux déjà menés en matière
de traduction des chants.
24
|