II.1.2- Les mécanismes de sélection
directe de la clientèle
La sélection directe de clientèle est une
caractéristique intrinsèque au métier de banquier. Elle
constitue d'ailleurs la contrepartie du risque assumé par les
établissements de crédit et se justifie par l'impératif de
se prémunir de l'incertitude (Bernard, 2006).
Cette pratique consiste spécifiquement pour les
banques, à sélectionner parmi les clients ceux qui leur
permettent d'atteindre leurs objectifs de rentabilité. Si un tel
21
Les facteurs de l'exclusion bancaire au Cameroun
procédé est utilisé pour guider
l'implantation spatiale des banques15, il intervient davantage dans
le traitement des demandes de crédit bancaire.
La théorie bancaire insiste généralement
sur l'asymétrie d'information existant entre les banques et leurs
clients, ces derniers étant sensés mieux connaitre leur risque de
défaut que les premières. Le problème majeur provient
alors du fait que les mauvais risques cherchent à cacher leurs
caractéristiques afin d'être sélectionnés.
Pour les banques, l'une des solutions consiste à
effectuer une sélection parmi les clients. Pour ce faire, elles se
fondent sur des critères bien précis. Si on se
réfère à la classification d'Eber (2000), on peut retenir
les critères suivants :
- la situation financière :
mesurée par la valeur des actifs dont un client est propriétaire.
C'est un critère d'une importance capitale, car les banques ont tendance
à sélectionner prioritairement les individus les plus riches. Ces
derniers sont en effet capables d'apporter suffisamment de garanties
(matérielles) pour limiter le risque pris par la banque lorsqu'elle
prête des fonds. En outre, les flux de revenus constituent
également un critère non
négligeable pour apprécier la santé
financière d'un client. Les mouvements des comptes de ce dernier sont
suffisants pour renseigner la banque à ce sujet. Il en est de même
pour le niveau d'endettement du client. Plus il est élevé chez un
individu, moins il de chances d'obtenir un prêt bancaire. Les banques
accordent donc une importance particulière à toutes ces
informations et excluent systématiquement du crédit, voire
éconduit du système bancaire, les clients renvoyant de mauvais
signaux ;
- la situation professionnelle : les banques
ont une préférence avérée pour les personnes
possédant un emploi et manifestant une certaine stabilité
professionnelle. Ces critères attestent en effet de la
régularité des revenus et confèrent aux clients la
capacité de pouvoir rembourser un emprunt bancaire. ainsi, les
chômeurs et les individus changeant fréquemment d'emploi auront
plus tendance à être rationnés. En outre, une
distinction
15 Confer redling.
22
Les facteurs de l'exclusion bancaire au Cameroun
est faite parmi les travailleurs sur la base de la nature de
leur profession. Ainsi, exercer dans un secteur garantissant la
sécurité de l'emploi (notamment le secteur public, certaines
professions libérales...) constitue un avantage certain. A contrario,
travailler dans le secteur informel ou privé peut s'avérer
pénaliser. Même si le cas du secteur privé est à
relativiser, car si les revenus y sont consistants, le problème
réside surtout dans la nature du contrat. Un contrat à
durée déterminée donne à penser qu'à un
moment le contrat sera rompu et l'individu pourrait se retrouver au
chômage et donc incapable d'honorer ses engagements. C'est pourquoi, les
banques accordent difficilement des prêts à moyen ou long terme
à ces personnes ;
- la réputation : les relations entre
les banques et leurs clients s'inscrivent généralement dans la
durée. Ainsi, les «bons » clients se forgent une bonne
réputation au fil du temps, ce qui facilite leur accès à
une large gamme de produits bancaires à des coûts relativement
réduits. En revanche, les clients qui connaissent à
répétition des problèmes de remboursement se forgent quant
à eux une mauvaise réputation auprès de la banque. Les
possibilités qui s'offrent à eux sont alors limitées
(découverts, crédits, arrangements en cas de
difficultés...) sera réduit puisque. Toutefois, comme on le
constate, les relations de long terme ne concernent par définition que
les clients déjà établis. Les phénomènes de
réputation ne peuvent donc pas jouer sur les jeunes clients. Ces
derniers doivent encore s'en forger une bonne, en vue de pouvoir
bénéficier plus tard d'un traitement privilégié. Le
critère « âge » peut alors être
particulièrement stigmatisant ;
- les critères sociaux : il s'agit de
caractéristiques sociodémographiques qui influencent les
décisions des banques en matière de crédit. Ainsi, la
taille de la famille du client, le genre et le lieu de résidence
envoient d'importants signaux aux banques. D'abord, s'agissant de la taille de
la famille, les banques préfèrent les familles peu nombreuses car
elles sont
23
Les facteurs de l'exclusion bancaire au Cameroun
synonymes de faibles charges à supporter16.
Ensuite, concernant le genre qui est du genre, les hommes sont moins
rationnés que les femmes, même s'il n'existe pas de raison
objective pour l'expliquer. Enfin, si on considère le lieu de
résidence du client, une forte instabilité géographique
(changements d'adresse fréquents) ou une adresse dans un quartier
pauvre, caractérisé par des taux de criminalité et de
délinquance élevés constituent un mauvais signal pour les
banques.
Au total, les banques refoulent systématiquement les
personnes ne remplissant pas tout ou partie de ces critères.
La logique à l'oeuvre ici tient donc
véritablement au fait que les banques ne trouvent pas rentable de
proposer leurs services à tous les segments de la population (Claessens,
2005). Elles peuvent même aller jusqu'à élaborer des
stratégies de marketing discriminatoires. Kempson et whyley (1999)
désignent par « marketing exclusion » les politiques
des banques se manifestant par l'absence de publicité en direction de
certains publics, dans la perspective d'éviter de susciter le
désir de ceux-ci et de les avoir comme clients.
Une autre forme de discrimination envers les clients non
désirés consiste pour les institutions bancaires à
surenchérir les coûts des produits les plus prisés par
lesdits clients (Gloukoviezoff, 2005). L'objectif étant de les
éconduire progressivement de la banque
Ayant mis en évidence le lien entre l'exclusion
bancaire et les mécanismes de sélection sus exposés
étant évident, nous pouvons à présent nous
intéresser à d'autres stratégies bancaires qui favorisent
ce phénomène, notamment la rentabilisation des difficultés
des clients.
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