L'identification juridique du navire sans équipagepar Pierrick ROGE Université de Nantes - M1 Droit européen et international 2018 |
Chapitre 2 - Comparaison avec le navireSavoir si le drone est un navire ou non n'est en rien une question à part. Au vue de la complexité de la notion de navire et de la multiplicité des définitions existantes il convient d'établir un panel des critères existants et d'envisager de qualifier cet engin autonome selon ces critères. Enfin il faut rappeler que si la multiplicité de définitions est existante au niveau interne, le schéma se répète indéfiniment au niveau international. Le navire se trouve être un objet dérogatoire du droit commun car il s'agit d'un meuble, parfois considéré comme un immeuble1 avec des particularités rappelant la personne elle-même. Il est en conséquence possible de s'imaginer que ce dernier puisse être considéré comme un navire (Section 1). Par ailleurs le Comité Maritime International2 a récemment engagé des travaux afin de trouver une définition internationale commune du navire3 ainsi que sur les différents engins qu'il est possible de trouver en mer tel que les stations offshores ou les usines flottantes. Ces travaux ont pour grand absent la prise en considération du drone maritime et de l'ensemble de ses critères (Section 2). S'ajoute la question des règles qui exigent un certain degré de présence humaine à bord du navire. Confrontant alors simple définition du navire mais non pas dans le cadre d'une définition de ce dernier mais à des fins de sécurité et de sûreté. Ces règles, qui s'appliquent plus spécifiquement à l'équipage, pourraient générer un blocage post-définition du drone maritime (Section 3). Section 1 - La possibilité de
coexistence du droit maritime La question de savoir si le drone maritime implique la création d'un statut à part est une des questions essentielles de l'apparition de cet objet. Ce dernier, sans équipage, va impliquer des changements conséquents sur la navigation maritime, ses acteurs et les responsabilités qui vont s'en dégager. Les définitions internationales sont éparses et différentes selon les objectifs 1 Voir l'hypothèque 2 Le Comité Maritime International est une organisation non gouvernementale dont l'objectif est l'unification internationale du droit applicable aux activités maritimes. Elle regroupe les associations de droit maritime de plusieurs pays 3 F.THOMAS, « Le statut du navire et le Comité maritime international », Carnet de recherche Human Sea, 21/03/2016, http://humansea.hypotheses.org/443#footnote 5 443 24 à atteindre (II). Mais leurs généralités poseront certainement moins de barrières par rapport à la définition française qui a subit tant d'évolution (I). I. La définition de navire en droit français ne garantie pas l'intégration du drone La grande particularité du navire est qu'il n'a juridiquement pas de définition établies et ce aussi bien au niveau interne qu'international. En France, la construction du statut de navire a été pendant très longtemps jurisprudentielle jusqu'au 1er décembre 2010 où une définition a été inscrite dans le Code des transports. Il faudra analyser les critères dans tous les sens possibles afin d'envisager si ils permettent à eux seuls de correspondre aux nouveaux critères qu'apportent l'existence du drone. D'une part il faut préciser que la définition n'existait pas dans les textes de droit interne4 et que cette dernière à notamment été forgée par la jurisprudence au fil du temps5. Il faut remarquer qu'en France, un navire n'est pas définit par sa dimension6, ni pas son affectation administrative7. Ces critères, qu'ils soient ou non prit en compte à l'avenir n'aurait aucune influence sur la qualification du drone maritime car ce dernier doit être associé à la notion même de navire. Il faut donc dans l'ordre des choses déterminer ce qu'est un navire avant d'envisager de faire correspondre le drone en tant que navire. Les qualifications ont donc, depuis les années soixante-dix, étaient plutôt laborieuses, si ce n'est hasardeuses sur la notion de navire. Mais des jurisprudences célèbres avait permis de dégager certains critères. C'est alors que la chambre des requêtes le 20 février 1944 a pu dire qu'un navire était « tous ceux qui, avec un armement et un équipage qui leur sont propres, remplissent un service spécial et suffisent à une industrie particulière ». Ainsi il faut remarquer un détail qui sera étudié plus tard. Le navire doit disposer d'un équipage et en conséquence, d'après cette jurisprudence le drone ne saurait devenir un navire. Mais loin des interrogations diverses concernant des engins avec des tendances hybrides8, une jurisprudence s'est démarquée en donnant une définition qui a placé en tête de pont un des 4 Voir Loi n°67-5 du 3 janvier 1967 ou le Décret n°67-967 du 27 octobre 5 S. MIRIBEL, « Evolution de la notion de navire en droit français », DMF, N° 775, 8 décembre 2015 6 Cour de cassation, 20 fév. 1844, Sirey 1844. 1.97. : « Il faut entendre par bâtiments de mer, quelles que soient leurs dimensions et leurs dénominations, tous ceux qui, avec un armement et un équipage qui leur sont propres, remplissent un service spécial et suffisent à une industrie particulière ». 7 Cour de cassation, 6 décembre 1976, canot « Poupin Sport », DMF 1977.513, note R. Rodière. 8 Voir Hydroglisseur : CE 19 septembre 1979 ; Planches à voile : Rennes, 4 mai 1982 ; Zodiac : Caen, 12 septembre 1991 ; Hydravions : mémoire de S. BOURLIERE, Hydrobases et hydravions, année 2011-2012 25 critères déjà évoqué. La jurisprudence Canot Poupin Sport du 6 décembre 19769 vient donc préciser que « n'est pas un navire l'engin flottant qui n'est pas habituellement affecté à la navigation en mer », le critère étant donc que l'engin flottant puisse affronter les risques et périls de mer. Il est donc nécessaire de savoir s'il est possible d'affronter ces risques de mer sans équipage à bord. Cette définition dégage également d'autres critères et la doctrine s'accordent à dire que le navire est donc « un bâtiment ou engin de nature mobilière (article 531 CC), flottant, apte à effectuer une navigation maritime qui l'expose habituellement aux risques de la mer. ». Il n'y a aucun doute à avoir sur la nature mobilière du drone aux vues des analyses effectuées précédemment. La doctrine se mélange peut être sur la différence entre engins flottants et bâtiments de mer. Le navire entre dans la catégorie d'un bâtiment de mer mais l'inverse n'est pas possible car il s'agit d'une catégorie bien plus large qui accueille d'autres structures qui n'ont pas un objectif de navigation à proprement parlé, même si à l'instar du navire ces structures doivent posséder le critère de l'aptitude à affronter les périls de mer. Malgré tout il n'y a aucun doute à émettre sur le fait que le navire est un bâtiment de mer10. La définition parle elle-même de l'aptitude à effectuer une navigation maritime et à la capacité à affronter habituellement les risques de mer, qui semblent être les critères directeurs qui devront nécessairement s'appliquer au drone maritime. S'il on en tient à la définition même, la définition doctrinale ne tient pas compte d'un critère d'habitation, ni même de l'absence de cette habitation. Il semblerait donc que cette définition puisse considérer un drone maritime comme navire. D'autre part que la définition apportée par le Code des transports11 ne permet pas forcément d'établir de manière précise le navire comme un objet désigné physiquement. Elle est assez 9 Cour de cassation, chambre commerciale, Canot Poupin Sport du 6 décembre 1976 10 La terminologie de bâtiment de mer est aussi celle utilisée par le dictionnaire « Vocabulaire juridique » qui définit le navire comme un « bâtiment effectuant habituellement une navigation maritime », définition partagée par Paul Chauveau pour qui « Est donc bâtiment de mer celui qui se livre habituellement à une navigation maritime », Paul CHAUVEAU, Traité de droit maritime n°150 11 Article L 5000-2 du Code des Transports, 2017: « I. Sauf dispositions contraires, sont dénommés navires pour l'application du présent code : 1° Tout engin flottant, construit et équipé pour la navigation maritime de commerce, de pêche ou de plaisance et affecté à celle-ci ; 2° Les engins flottants construits et équipés pour la navigation maritime, affectés à des services publics à caractère administratif ou industriel et commercial. II. Sauf dispositions contraires, les dispositions du présent code ne s'appliquent pas aux navires de guerre, 26 large et permet encore une appréciation jurisprudentielle même si celle-ci est obligée d'opérer des distinctions plutôt que qualification in concreto chaque engin flottant. Ainsi la jurisprudence récente a ouvert la question de la qualification et de l'assimilation. Faudrait-il donc ne pas à proprement dit qualifier le drone maritime de navire mais en faire une simple assimilation ? L'assimilation n'est sûrement pas une solution car elle est le fruit de circonstances particulières afin de permettre la limitation de responsabilité inhérente au droit maritime à des sujets de droit qui n'auraient pu en bénéficier en d'autre circonstance12. Depuis la loi Leroy13 le législateur français à introduit une première approche du drone qui pourrait devenir intéressante dans une interprétation jurisprudentielle même si de son côté elle reste éminemment insuffisante pour l'introduction des navires sans équipages téléguidé depuis le rivage. Finalement, la notion de navire n'est pas encore précisément définie et c'est précisément pour quoi le CMI effectue aujourd'hui un travail de réflexion aux fins de trouver une définition international et uniforme. Ainsi la question est abordée pour d'autres types de bâtiments de mer que le drone maritime14. II. Une approche comparative des définitions existantesIl existe une multitude de définitions nationales qui pour qualifier le navire utilisent divers critères. Il faut examiner au sein de ces dernières si le drone peut être adapté ou s'il faut une nouvelle définition car les critères peuvent varier d'un Etat à un autre. Par exemple, la Belgique prend en considération la taille afin de déterminer si l'engin en question et un navire ou non ce qui n'est pas le cas en France15. qu'ils soient français ou étrangers. Sont considérés comme navires de guerre tous bâtiments en essais ou en service dans la Marine nationale ou une marine étrangère. 12 Le cas visé est celui de l'abordage où la Cour de cassation a assimilé des jets-skis ou une planche à voile à des navires : Cass, 3 juillet 2012, pourvoi n°11-22.42 ; Cass, 2 février 2016, pourvoi n°14-87.667 13 Loi n° 2016-816 du 20 juin 2016, article 87-1 pour l'économie bleue 14 La thèse de Florian THOMAS pose notamment la question de la qualification des plates-formes gazières et pétrolière en tant que navire afin de déterminer la substance du travail sur ces dernières. Florian Thomas, Les relations de travail offshores. Contribution à l'étude du pluralisme juridique, 2018 15 Cour de cassation, 20 fév. 1844, Sirey 1844. 1.97. : « Il faut entendre par bâtiments de mer, quelles que soient leurs dimensions et leurs dénominations, tous ceux qui, avec un armement et un équipage qui leur sont propres, remplissent un service spécial et suffisent à une industrie particulière ». 27 Aux Etats-Unis la définition est « every description of watercraft or other artificial contrivance used, or capable of being used, as a means of transportation on water »16, c'est-à-dire qu'il doit y avoir une construction sans considération de la forme ou de la taille de cette dernière qui peut être utilisée comme un moyen de transport sur l'eau. La différence avec la définition française et qu'il y a une absence de l'obligation pour ce moyen de transport sur l'eau d'être capable d'affronter les périls de mer. Finalement, aux Etats-Unis, est absente la distinction entre les navires et les bateaux, distinction inhérente aux milieux dans lesquels évoluent les embarcations (Fluviale ou maritime). Il faut également remarquer la simplicité de la définition par l'absence totale du terme « équipé ». Cette absence n'est pas inintéressante car elle permettra voire permet déjà d'accueillir le drone maritime comme objet du droit maritime et comme navire sans modification de la loi américaine. Au Royaume-Uni la définition est un peu plus complexe car elle n'est pas donnée en une seule fois. Le « Merchant Shipping Act » de 1995 décrit le terme « ship » comme « every description of vessel used in navigation »17 mais faut-il faire une différence avec le terme « ship » ? Le même Act dans sa partie IX « Salvage and Wreck » établit d'autant plus la confusion en précisant que la définition de « vessel » est « any ship or boat, or any other description of vessel used in navigation », ce qui ne permet pas, à l'instar du US Code d'opérer une distinction entre ces termes. En conséquence, excepté la notion de navigation (en mer ou non), rien ne permet de définir précisément le navire au Royaume-Uni hormis des cas individuels ou la qualification est rejetée par la jurisprudence18. Mais cette confusion actuelle permet dans ces Etats d'accueillir le drone les bras ouverts car très générales, elles permettent à la jurisprudence de venir préciser à sa guise la qualification de ce qui est ou non un navire à l'instar de la France avant la rédaction du Code des transports. La confusion se retrouve également sur le plan international. Il ne sera pas possible d'établir une liste de toutes les définitions existantes mais il faut néanmoins aborder les plus communes. Ces conventions offrent des définitions diverses qui s'apparentent souvent à l'objet même de l'existence de la-dites convention. Par exemple, la définition au sein des 16 « Toute description de construction naval ou appareil artificiel utilisé ou susceptible d'être utilisé comme un moyen de transport sur l'eau » Traduction par P.ROGE ; US Code et Rules of Construction of federal statutes. 17 « Toute description de vaisseau utilisé pour la navigation » Traduction de P.ROGE 18 The High Court of the UNITED KINGDOM «except for a few limited cases, a hovercraft» (Aéroglisseur) 28 règles de la Haye19 est « tout bâtiment employé pour le transport des marchandises par mer », alors que la Convention s'attardent à règlementer des règles de transport, elle ne s'attarde pas sur des critères qui sembleraient essentiels. En revanche, elle intègrerait parfaitement le nouvel objet juridique maritime qu'est le drone. D'un autre côté, la Convention internationale de 1989 sur l'assistance20 précise que le navire est « tout bâtiment de mer, bateau ou engin, ou toute structure capable de naviguer ». C'est-à-dire que l'accueil du drone n'est pas fermé même si la question de l'assistance se posera. Néanmoins il faut remarquer qu'il n'existe pas une unique définition du navire et qu'en conséquence il risque de ne pas exister qu'une seule définition du drone maritime. A moins que le CMI, en trouvant une définition universelle puisse à son tour définir ce nouvel objet qui changera le visage des océans. |
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