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L'identification juridique du navire sans équipage


par Pierrick ROGE
Université de Nantes - M1 Droit européen et international 2018
  

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Partie 2 - Une adaptation nécessaire du droit

maritime

Ce nouvel acteur vient donc renverser certains codes jusqu'ici établit en droit maritime. Celui qui aura le plus d'incidence est probablement l'absence d'équipage ce qui va permettre au télépilote de devenir centrale dans le milieu marin alors que son régime n'est que très peu définit en droit aérien. Il conviendra d'étudier l'ensemble des éléments qui pourront permettre de déterminer si le télépilote peut s'intégrer à l'instar du drone maritime avec le navire aux définitions de gens de mer, de marins ou encore de capitaine (Chapitre 1).

En dehors de cet acteur, il faudra probablement se pencher sur l'appréhension de l'assistance par le drone maritime (Chapitre 2) dont les principales questions sont évidemment de savoir si ce dernier devra être juridiquement tenu de remplir les différentes exigences en terme d'assistance. La question du sauvetage en mer n'étant pas négociable, il reste très peu probable que le drone maritime puisse juridiquement se substituer à cette obligation qui s'apparente à un devoir.

Chapitre 1 - Le télépilote : nouvel acteur du droit maritime

Ce qui devient très étonnant avec cet acteur est qu'il symbolise l'inversion des inspirations juridiques. Le développement progressif de l'aéronautique avait permit au droit aérien de s'inspirer, parfois largement, de notions provenant directement du droit maritime1.

Aujourd'hui le contexte fait que les drones se veulent d'abord des aéronefs. Ainsi l'inspiration devra se faire sur des définitions existantes dans le droit aérien et aéronautique. En outre, le statut de télépilote est déjà présent dans ce domaine depuis un arrêté du 11 avril 20122 qui initiait des définitions importantes, notamment celle du télépilote qui était alors la « personne qui a le contrôle de la trajectoire de l'aéronef télépiloté. », ce qui apparaît être une définition large et imprécise. Une loi de 20163 est venue renforcer cette définition et il s'agira de voir si l'analogie est possible pour la création d'un nouveau statut (Section 1).

1 Par exemple, les abordages ou la piraterie

2Arrêté du 11 avril 2012 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans aucune personne à bord, aux conditions de leur emploi et sur les capacités requises des personnes qui les utilisent

3 Loi n° 2016-1428 du 24 octobre 2016, article 1er-1°

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Ce télépilote maritime, aura un rôle très ambivalent car le navire ne fonctionne pas de la même manière qu'un aéronef et encore moins un aéronef civil beaucoup plus frêle et maniable, et les responsabilités qui s'en dégagent seront à préciser tant elles sont comparables à celle du capitaine (Section 2).

Section 1 - Un statut nouveau issu de l'absence d'équipage

Le télépilote est au drone maritime ce que l'équipage est au navire : essentielle à sa navigation tant dans l'hypothèse d'un navire sans équipage téléguidé qu'autonome pour des raisons évidente de sécurité.

D'une part il est nécessaire de confronter le télépilote tel qu'il est définit dans le domaine aérien aux acteurs qui forment actuellement l'équipage du navire afin d'opérer une qualification juridique de cet acteur futur (I).

D'autre part, les questionnements se porteront sur le droit social (II) afin de déterminer quel droit lui sera applicable entre un droit social terrestre plutôt strict et protecteur et un droit social maritime plutôt souple.

I. La qualification du télépilote

La qualification est nécessaire pour déterminer quel statut sera applicable à ce dernier. En revanche si aucune qualification n'existe il faudra envisager la création d'un nouveau régime du fait de ses particularités qui oscillent entre la qualification de gens de mer qui mérite d'être élargie au télépilote (A) et les impératifs de formations qui devront s'étendre à ce dernier pour des raisons de sécurité (B).

A. Confrontation avec la notion de gens de mer

Le code des transports définit le télépilote d'aéronef comme étant « la personne qui contrôle manuellement les évolutions d'un aéronef circulant sans personne à bord ou, dans le cas d'un vol automatique, la personne qui est en mesure à tout moment d'intervenir sur sa trajectoire ou, dans le cas d'un vol autonome, la personne qui détermine directement la trajectoire ou les points de passage de cet aéronef. »4, ce qui signifie que les deux hypothèses de configurations

4 Article L.6214-1 du Code des transports issu de la loi n°2016-1428 du 24 octobre 2016, article 2

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du drone sont d'ores et déjà prisent en compte et s'il devait y avoir un transfert de cette définition du droit aérien au droit maritime, il est fort probable que le législateur n'est qu'à changer le terme « aéronef circulant sans personne à bord, ou dans le cas d'un vol automatique » par un « navire sans équipage à bord ou, dans le cas d'une navigation automatique ». La différence avec la proposition qui est faite est que le législateur n'a pas prévu l'hypothèse d'un aéronef drone transportant des passagers alors que la doctrine l'envisage très largement en droit maritime5. Il s'agit de s'attarder sur l'intervention humaine à des fins de faire fonctionner le drone maritime plutôt que de considérer simplement la présence humaine.

En revanche aucune mention n'est faite sur la localisation du télépilote, ce qui amène à penser qu'il est possible d'interpréter largement ce vide et qu'en conséquence le lieu de pilotage n'a aucune importance dans la définition du drone, celle-ci ne tenant compte que du critère de contrôle du véhicule. Concernant le drone maritime, la conduite pourrait donc se faire soit du rivage soit à partir d'un navire plus petit qui pourrait alors diriger plusieurs cargos par exemple mais dans ce cas il faudra se demander si les cargos ne sont pas les accessoires du navire avec équipage6.

Le lieu de télépilotage a malgré tout son importance pour identifier le régime applicable au télépilote car il détermine si oui ou non le télépilote entre dans la catégorie des gens de mer ou plus encore de marin.

Les gens de mer sont « toutes personnes salariées ou non salariées exerçant à bord d'un navire une activité professionnelle à quelque titre que ce soit »7 et le marin se définit comme « les gens de mer salariés ou non salariés exerçant une activité directement liée à l'exploitation du navire »8, c'est-à-dire que le premier problème qui intervient est justement le lieu d'opération. Si le télépilote exerce à partir du rivage il ne pourra rentrer dans la catégorie des gens de mer ni même celle de marin car il doit exercer « à bord » dans les deux cas. Néanmoins le marin peut être interpréter assez largement par les décrets9 et le télépilote même s'il est localisé sur le rivage exerce malgré tout « une activité directement liée à l'exploitation du navire » ici sans équipage. Il en résulte que le télépilote opérant la direction du drone

5 C. DE CORBIERE, Avocat au barreau de Paris Villeneau Rohart Simon & Associés, « Les drones maritimes », Le Droit Maritime Français (DMF), N° 797, 1er décembre 2017.

6 Article L.5111-1 du Code des transports

7 Article L.5511-1, 4° du Code des transports

8 Idem, 3°

9 P.CHAUMETTE, « Gens de mer marins, gens de mer non marins et autres », DMF, n°781, 1er juin 2016,

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maritime exerce une activité directement liée à son exploitation. Ce critère est donc rempli et permet de considérer le télépilote comme intégrant les gens de mer.

Ce sera au législateur d'avoir le dernier mot sur le fait de savoir si le télépilote qui opère à partir du rivage est ou non un marin. D'une part ce dernier n'est pas soumis directement à des règles de sécurités strictes car il ne fera jamais face aux risques de mer que le drone maritime affrontera mais il en sera très probablement responsable10. D'autre part il serait probable d'interpréter la disposition « ses moyens de communication fixes avec la terre »11 afin d'établir une fiction juridique. Il s'agirait alors de faire comme si le télépilote était présent à bord car il en effectue la direction ou le contrôle au sens de la définition qui provient du domaine aérien. Il est donc fort probable d'envisager que le télépilote puisse faire partie des gens de mer.

B. La nécessité d'être formée comme un marin

Les exigences de formation existes déjà tant pour le marin que le télépilote d'aéronef qui se voit tous les deux imposer des conditions de qualifications professionnelles et concernant le marin une exigence d'aptitude physique qui pourrait rapidement devenir inopérante concernant le télépilote maritime car ce dernier n'a justement pas à exercer une présence sur le navire.

Plusieurs instruments internationales et nationales existent et sont établis concernant les exigences professionnelles des marins comme la Convention STCW12 dont l'objectif se veut d'être « la sauvegarde de la vie humaine et des biens en mer et la protection du milieu marin en établissant d'un commun accord des normes internationales de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille », ce qui présente la question de savoir si cette convention serait applicable dans le cas du drone maritime.

L'objet même de la convention, qui évoque « la sauvegarde de la vie humaine », pourrait apparaître obsolète et inapplicable concernant le télépilote et le drone maritime ; il n'en est rien. Le drone maritime va devoir évoluer dans un environnement où les navires avec équipages seront toujours existent et alors la Convention semble devoir s'appliquer pour un impératives de sécurité. La difficulté se trouve dans l'article III qui désigne le champ d'application de la Convention comme se limitant «aux gens de mer servant à bord des

10 Infra Section 2 du présent chapitre

11 De l'article L.5511-2 du Code des transports

12 Convention internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille conclue à Londres le 7 juillet 1978

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navires de mer qui sont autorisés à battre le pavillon d'une Partie », ce qui signifie qu'à moins de reconnaître le télépilote comme étant un marin la Convention ne lui sera applicable. Quid alors des exigences de sécurité entre le drone maritime et les navires avec équipage ? Quid encore de la protection du milieu marin ? L'application devra se faire soit par chaque ordre juridique national selon la qualification du télépilote ou alors il faudra amender la dites Convention pour rechercher une application uniforme des exigences internationale. A moins de créer une convention internationale applicable aux drones maritimes ce qui au regard de ce qui est proposé serait la solution la plus effective.

La France a ratifié cette Convention ainsi que d'autres qui établissent strictement les conditions d'accès à la profession de marin qu'il est possible de retrouver aux articles L. 5521-1 et suivants du Code des transports ainsi que les articles L. 5522-1 et suivants du même Code concernant les exigences de veille et de nationalité.

Quant au télépilote, seuls les articles L. 6214-2 et suivants imposent une formation permettant la maîtrise et la sécurité de la navigation et excluent les usages civils de ces aéronefs. Il est alors nécessaire d'imposer au télépilote maritime les exigences de sécurité qui s'appliquent aux marins car ce dernier, même s'il n'est pas à bord aura la direction d'un objet qui va évoluer dans le milieu marin entouré de navires avec équipages et dont l'environnement sera commun.

Ces difficultés de qualifications confrontées aux exigences de formation posent évidemment la question du droit social applicable au télépilote. Faut-il alors lui appliquer le droit social terrestre ou le droit social maritime ?

II. Le régime juridique applicable au télépilote

Le droit social maritime tient sa particularité du fait qu'il définit un travail effectué à bord d'un navire. L'évolution a fait que le contrat d'engagement de marin est progressivement devenu un contrat de travail définissant ainsi le champ de l'exercice de ses compétences. Le droit du travail maritime a donc encadré et limité l'activité des marins strictement au travail à bord. Par exemple, ces derniers ne s'occupent pas de la cargaison et ne se préoccupent que de l'ouverture des cales afin de faciliter le déchargement qui relève du travail du personnel terrestre. Il s'agit donc de savoir si le télépilote peut bénéficier des règles du droit social maritime ou si le contrat de travail devra être exclusivement terrestre.

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Les origines de ces spécificités sont nombreuses mais naissent principalement de la spécificité de la présence du marin à bord du navire. De cette présence se dégage des devoirs qu'un ouvrier à terre n'aurait pas et cela se répercute également sur les obligations de l'armateur qui de fait se trouvera moins contraint à embaucher un télépilote et des opérateurs assistants qui auront les qualifications requises au maniement à distance du navire sans équipage.

On retrouve comme outil majeur notamment crée en 2006 par l'OIT, la Convention de travail maritime qui s'apparente à un Code du travail maritime international13 et dont l'article II établit des définitions, précise que les « gens de mer ou marin désigne les personnes employées ou engagées ou travaillant à quelque titre que ce soit à bord d'un navire » ce qui suppose que le télépilote et les opérateurs ne pourront en aucun cas bénéficier de l'application de ces règles car ils ne sont pas physiquement à bord.

Ratifiée et incorporé au Code des transports en 2013, l'article L. 5541-1 établit le champ d'application et le limite bel et bien aux « marins salariés des entreprises d'armement maritime f...] ainsi qu'à leurs employeurs », la précision laissant penser que le droit social maritime pourrait, sur certains domaines, notamment contractuel s'étendre par ricochet de l'employeur au télépilote ou opérateurs.

La vraie question est de savoir si le télépilote exerce une présence non-physique à bord du navire sans équipage ce qui pourrait alors justifier l'application de certaines obligations. A contrario le télépilote ne saurait être strictement assimilé à un marin du fait de sa présence à terre et des risques qu'il n'encourt plus en conséquence. Néanmoins, il est reconnu que si droit du travail maritime a ses spécificités, il n'en reste pas moins assujettie au droit du travail terrestre14.

L'article L. 5542-115 du Code des transports dispose que le contrat est conclu entre un marin et un armateur (ou autre employeur) « ayant pour objet un service à accomplir à bord du navire », et il faudra se questionner sur ce que signifie la terminologie « service à bord » car par extension, il est envisageable d'entendre ces termes comme « assurer la direction et la surveillance du drone maritime ». En l'absence d'intervention du législateur, la question

13MLC, 2006 - Convention du travail maritime, 2006 ; Convention du travail maritime, 2006 (MLC, 2006) (Entrée en vigueur: 20 août 2013)

14 Cour de Cassation, Ass. Plén. 7 mars 1997 : D. 1997. 85 ; Dr. Soc. 1997. 424, obs. Chaumette

15 « Tout contrat de travail, conclu entre un marin et un armateur ou tout autre employeur, ayant pour objet un service à accomplir à bord d'un navire est un contrat d'engagement maritime. »

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relèvera alors des juges, qui devront alors décider de faire rentrer strictement le cas du télépilote dans les cases existantes ou bien de créer un statut mixte.

D'une part il est possible de penser que le télépilote ne pourra bénéficier d'un contrat de travail maritime même s'il faut désormais s'interroger sur la question de la présence à bord. Sans la fiction juridique, il est malgré sa formation de marin, un salarié à terre qui doit répondre du contrat social terrestre.

D'autre part, ses qualifications étant ce qu'elles devront être il peut être assimilé à un marin car il en adoptera toutes les caractéristiques telles que les exigences de formations et d'accès à la profession. Le télépilote serait alors le parfait oxymore en étant un marin à terre. Néanmoins si la fiction juridique consistant à imaginer que ce dernier est à bord en assurant le rôle de l'équipage peut permettre de lui accorder le statut de marin. Un statut hybride serait donc idéal afin de consacrer ce nouvel acteur. Le régime consisterait à lui donner les garanties qui ne sont pas inhérentes à l'affront physique des risques de mer tout en le considérant comme un marin.

Il reste néanmoins à déterminer le champ de ses responsabilités qui s'approchent de celles du capitaine.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld