Partie 2 - Une adaptation nécessaire du
droit
maritime
Ce nouvel acteur vient donc renverser certains codes
jusqu'ici établit en droit maritime. Celui qui aura le plus d'incidence
est probablement l'absence d'équipage ce qui va permettre au
télépilote de devenir centrale dans le milieu marin alors que son
régime n'est que très peu définit en droit aérien.
Il conviendra d'étudier l'ensemble des éléments qui
pourront permettre de déterminer si le télépilote peut
s'intégrer à l'instar du drone maritime avec le navire aux
définitions de gens de mer, de marins ou encore de capitaine (Chapitre
1).
En dehors de cet acteur, il faudra probablement se
pencher sur l'appréhension de l'assistance par le drone maritime
(Chapitre 2) dont les principales questions sont évidemment de savoir si
ce dernier devra être juridiquement tenu de remplir les
différentes exigences en terme d'assistance. La question du sauvetage en
mer n'étant pas négociable, il reste très peu probable que
le drone maritime puisse juridiquement se substituer à cette obligation
qui s'apparente à un devoir.
Chapitre 1 - Le télépilote : nouvel
acteur du droit maritime
Ce qui devient très étonnant avec cet
acteur est qu'il symbolise l'inversion des inspirations juridiques. Le
développement progressif de l'aéronautique avait permit au droit
aérien de s'inspirer, parfois largement, de notions provenant
directement du droit maritime1.
Aujourd'hui le contexte fait que les drones se veulent
d'abord des aéronefs. Ainsi l'inspiration devra se faire sur des
définitions existantes dans le droit aérien et
aéronautique. En outre, le statut de télépilote est
déjà présent dans ce domaine depuis un arrêté
du 11 avril 20122 qui initiait des définitions importantes,
notamment celle du télépilote qui était alors la
« personne qui a le contrôle de la trajectoire de
l'aéronef télépiloté. », ce qui
apparaît être une définition large et imprécise. Une
loi de 20163 est venue renforcer cette définition et il
s'agira de voir si l'analogie est possible pour la création d'un nouveau
statut (Section 1).
1 Par exemple, les abordages
ou la piraterie
2Arrêté du 11
avril 2012 relatif à la conception des aéronefs civils qui
circulent sans aucune personne à bord, aux conditions de leur emploi et
sur les capacités requises des personnes qui les utilisent
3 Loi n° 2016-1428 du 24
octobre 2016, article 1er-1°
35
Ce télépilote maritime, aura un
rôle très ambivalent car le navire ne fonctionne pas de la
même manière qu'un aéronef et encore moins un
aéronef civil beaucoup plus frêle et maniable, et les
responsabilités qui s'en dégagent seront à préciser
tant elles sont comparables à celle du capitaine (Section
2).
Section 1 - Un statut nouveau issu de l'absence
d'équipage
Le télépilote est au drone maritime ce
que l'équipage est au navire : essentielle à sa navigation tant
dans l'hypothèse d'un navire sans équipage
téléguidé qu'autonome pour des raisons évidente de
sécurité.
D'une part il est nécessaire de confronter le
télépilote tel qu'il est définit dans le domaine
aérien aux acteurs qui forment actuellement l'équipage du navire
afin d'opérer une qualification juridique de cet acteur futur
(I).
D'autre part, les questionnements se porteront sur le
droit social (II) afin de déterminer quel droit lui sera applicable
entre un droit social terrestre plutôt strict et protecteur et un droit
social maritime plutôt souple.
I. La qualification du
télépilote
La qualification est nécessaire pour
déterminer quel statut sera applicable à ce dernier. En revanche
si aucune qualification n'existe il faudra envisager la création d'un
nouveau régime du fait de ses particularités qui oscillent entre
la qualification de gens de mer qui mérite d'être élargie
au télépilote (A) et les impératifs de formations qui
devront s'étendre à ce dernier pour des raisons de
sécurité (B).
A. Confrontation avec la notion de gens de mer
Le code des transports définit le
télépilote d'aéronef comme étant « la
personne qui contrôle manuellement les évolutions d'un
aéronef circulant sans personne à bord ou, dans le cas d'un vol
automatique, la personne qui est en mesure à tout moment d'intervenir
sur sa trajectoire ou, dans le cas d'un vol autonome, la personne qui
détermine directement la trajectoire ou les points de passage de cet
aéronef. »4, ce qui signifie que les deux
hypothèses de configurations
4 Article L.6214-1 du Code
des transports issu de la loi n°2016-1428 du 24 octobre 2016, article
2
36
du drone sont d'ores et déjà prisent en
compte et s'il devait y avoir un transfert de cette définition du droit
aérien au droit maritime, il est fort probable que le législateur
n'est qu'à changer le terme « aéronef circulant sans
personne à bord, ou dans le cas d'un vol automatique » par un
« navire sans équipage à bord ou, dans le cas d'une
navigation automatique ». La différence avec la proposition
qui est faite est que le législateur n'a pas prévu
l'hypothèse d'un aéronef drone transportant des passagers alors
que la doctrine l'envisage très largement en droit maritime5.
Il s'agit de s'attarder sur l'intervention humaine à des fins de faire
fonctionner le drone maritime plutôt que de considérer simplement
la présence humaine.
En revanche aucune mention n'est faite sur la
localisation du télépilote, ce qui amène à penser
qu'il est possible d'interpréter largement ce vide et qu'en
conséquence le lieu de pilotage n'a aucune importance dans la
définition du drone, celle-ci ne tenant compte que du critère de
contrôle du véhicule. Concernant le drone maritime, la conduite
pourrait donc se faire soit du rivage soit à partir d'un navire plus
petit qui pourrait alors diriger plusieurs cargos par exemple mais dans ce cas
il faudra se demander si les cargos ne sont pas les accessoires du navire avec
équipage6.
Le lieu de télépilotage a malgré
tout son importance pour identifier le régime applicable au
télépilote car il détermine si oui ou non le
télépilote entre dans la catégorie des gens de mer ou plus
encore de marin.
Les gens de mer sont « toutes personnes
salariées ou non salariées exerçant à bord d'un
navire une activité professionnelle à quelque titre que ce soit
»7 et le marin se définit comme « les gens
de mer salariés ou non salariés exerçant une
activité directement liée à l'exploitation du navire
»8, c'est-à-dire que le premier problème qui
intervient est justement le lieu d'opération. Si le
télépilote exerce à partir du rivage il ne pourra rentrer
dans la catégorie des gens de mer ni même celle de marin car il
doit exercer « à bord » dans les deux cas. Néanmoins le
marin peut être interpréter assez largement par les
décrets9 et le télépilote même s'il est
localisé sur le rivage exerce malgré tout « une
activité directement liée à l'exploitation du navire
» ici sans équipage. Il en résulte que le
télépilote opérant la direction du drone
5 C. DE CORBIERE, Avocat
au barreau de Paris Villeneau Rohart Simon & Associés, « Les
drones maritimes », Le Droit Maritime Français (DMF), N°
797, 1er décembre 2017.
6 Article L.5111-1 du Code
des transports
7 Article L.5511-1, 4°
du Code des transports
8 Idem, 3°
9 P.CHAUMETTE, « Gens de
mer marins, gens de mer non marins et autres », DMF, n°781,
1er juin 2016,
37
maritime exerce une activité directement
liée à son exploitation. Ce critère est donc rempli et
permet de considérer le télépilote comme intégrant
les gens de mer.
Ce sera au législateur d'avoir le dernier mot
sur le fait de savoir si le télépilote qui opère à
partir du rivage est ou non un marin. D'une part ce dernier n'est pas soumis
directement à des règles de sécurités strictes car
il ne fera jamais face aux risques de mer que le drone maritime affrontera mais
il en sera très probablement responsable10. D'autre part il
serait probable d'interpréter la disposition « ses moyens de
communication fixes avec la terre »11 afin
d'établir une fiction juridique. Il s'agirait alors de faire comme si le
télépilote était présent à bord car il en
effectue la direction ou le contrôle au sens de la définition qui
provient du domaine aérien. Il est donc fort probable d'envisager que le
télépilote puisse faire partie des gens de mer.
B. La nécessité d'être formée
comme un marin
Les exigences de formation existes déjà
tant pour le marin que le télépilote d'aéronef qui se voit
tous les deux imposer des conditions de qualifications professionnelles et
concernant le marin une exigence d'aptitude physique qui pourrait rapidement
devenir inopérante concernant le télépilote maritime car
ce dernier n'a justement pas à exercer une présence sur le
navire.
Plusieurs instruments internationales et nationales
existent et sont établis concernant les exigences professionnelles des
marins comme la Convention STCW12 dont l'objectif se veut
d'être « la sauvegarde de la vie humaine et des biens en mer et
la protection du milieu marin en établissant d'un commun accord des
normes internationales de formation des gens de mer, de délivrance des
brevets et de veille », ce qui présente la question de savoir
si cette convention serait applicable dans le cas du drone
maritime.
L'objet même de la convention, qui évoque
« la sauvegarde de la vie humaine », pourrait apparaître
obsolète et inapplicable concernant le télépilote et le
drone maritime ; il n'en est rien. Le drone maritime va devoir évoluer
dans un environnement où les navires avec équipages seront
toujours existent et alors la Convention semble devoir s'appliquer pour un
impératives de sécurité. La difficulté se trouve
dans l'article III qui désigne le champ d'application de la Convention
comme se limitant «aux gens de mer servant à bord
des
10 Infra Section 2 du
présent chapitre
11 De l'article L.5511-2 du
Code des transports
12 Convention
internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de
délivrance des brevets et de veille conclue à Londres le 7
juillet 1978
38
navires de mer qui sont autorisés à
battre le pavillon d'une Partie », ce qui signifie qu'à moins
de reconnaître le télépilote comme étant un marin la
Convention ne lui sera applicable. Quid alors des exigences de
sécurité entre le drone maritime et les navires avec
équipage ? Quid encore de la protection du milieu marin ? L'application
devra se faire soit par chaque ordre juridique national selon la qualification
du télépilote ou alors il faudra amender la dites Convention pour
rechercher une application uniforme des exigences internationale. A moins de
créer une convention internationale applicable aux drones maritimes ce
qui au regard de ce qui est proposé serait la solution la plus
effective.
La France a ratifié cette Convention ainsi que
d'autres qui établissent strictement les conditions d'accès
à la profession de marin qu'il est possible de retrouver aux articles L.
5521-1 et suivants du Code des transports ainsi que les articles L. 5522-1 et
suivants du même Code concernant les exigences de veille et de
nationalité.
Quant au télépilote, seuls les articles
L. 6214-2 et suivants imposent une formation permettant la maîtrise et la
sécurité de la navigation et excluent les usages civils de ces
aéronefs. Il est alors nécessaire d'imposer au
télépilote maritime les exigences de sécurité qui
s'appliquent aux marins car ce dernier, même s'il n'est pas à bord
aura la direction d'un objet qui va évoluer dans le milieu marin
entouré de navires avec équipages et dont l'environnement sera
commun.
Ces difficultés de qualifications
confrontées aux exigences de formation posent évidemment la
question du droit social applicable au télépilote. Faut-il alors
lui appliquer le droit social terrestre ou le droit social maritime
?
II. Le régime juridique applicable au
télépilote
Le droit social maritime tient sa particularité
du fait qu'il définit un travail effectué à bord d'un
navire. L'évolution a fait que le contrat d'engagement de marin est
progressivement devenu un contrat de travail définissant ainsi le champ
de l'exercice de ses compétences. Le droit du travail maritime a donc
encadré et limité l'activité des marins strictement au
travail à bord. Par exemple, ces derniers ne s'occupent pas de la
cargaison et ne se préoccupent que de l'ouverture des cales afin de
faciliter le déchargement qui relève du travail du personnel
terrestre. Il s'agit donc de savoir si le télépilote peut
bénéficier des règles du droit social maritime ou si le
contrat de travail devra être exclusivement terrestre.
39
Les origines de ces spécificités sont
nombreuses mais naissent principalement de la spécificité de la
présence du marin à bord du navire. De cette présence se
dégage des devoirs qu'un ouvrier à terre n'aurait pas et cela se
répercute également sur les obligations de l'armateur qui de fait
se trouvera moins contraint à embaucher un télépilote et
des opérateurs assistants qui auront les qualifications requises au
maniement à distance du navire sans équipage.
On retrouve comme outil majeur notamment crée
en 2006 par l'OIT, la Convention de travail maritime qui s'apparente à
un Code du travail maritime international13 et dont l'article II
établit des définitions, précise que les « gens
de mer ou marin désigne les personnes employées ou
engagées ou travaillant à quelque titre que ce soit à bord
d'un navire » ce qui suppose que le télépilote et les
opérateurs ne pourront en aucun cas bénéficier de
l'application de ces règles car ils ne sont pas physiquement à
bord.
Ratifiée et incorporé au Code des
transports en 2013, l'article L. 5541-1 établit le champ d'application
et le limite bel et bien aux « marins salariés des entreprises
d'armement maritime f...] ainsi qu'à leurs employeurs », la
précision laissant penser que le droit social maritime pourrait, sur
certains domaines, notamment contractuel s'étendre par ricochet de
l'employeur au télépilote ou opérateurs.
La vraie question est de savoir si le
télépilote exerce une présence non-physique à bord
du navire sans équipage ce qui pourrait alors justifier l'application de
certaines obligations. A contrario le télépilote ne saurait
être strictement assimilé à un marin du fait de sa
présence à terre et des risques qu'il n'encourt plus en
conséquence. Néanmoins, il est reconnu que si droit du travail
maritime a ses spécificités, il n'en reste pas moins assujettie
au droit du travail terrestre14.
L'article L. 5542-115 du Code des
transports dispose que le contrat est conclu entre un marin et un armateur (ou
autre employeur) « ayant pour objet un service à accomplir
à bord du navire », et il faudra se questionner sur ce que
signifie la terminologie « service à bord » car par extension,
il est envisageable d'entendre ces termes comme « assurer la direction et
la surveillance du drone maritime ». En l'absence d'intervention du
législateur, la question
13MLC, 2006 - Convention
du travail maritime, 2006 ; Convention du travail maritime, 2006 (MLC, 2006)
(Entrée en vigueur: 20 août 2013)
14 Cour de Cassation, Ass.
Plén. 7 mars 1997 : D. 1997. 85 ; Dr. Soc. 1997. 424, obs.
Chaumette
15 « Tout contrat de travail, conclu entre un
marin et un armateur ou tout autre employeur, ayant pour objet un service
à accomplir à bord d'un navire est un contrat d'engagement
maritime. »
40
relèvera alors des juges, qui devront alors
décider de faire rentrer strictement le cas du télépilote
dans les cases existantes ou bien de créer un statut mixte.
D'une part il est possible de penser que le
télépilote ne pourra bénéficier d'un contrat de
travail maritime même s'il faut désormais s'interroger sur la
question de la présence à bord. Sans la fiction juridique, il est
malgré sa formation de marin, un salarié à terre qui doit
répondre du contrat social terrestre.
D'autre part, ses qualifications étant ce
qu'elles devront être il peut être assimilé à un
marin car il en adoptera toutes les caractéristiques telles que les
exigences de formations et d'accès à la profession. Le
télépilote serait alors le parfait oxymore en étant un
marin à terre. Néanmoins si la fiction juridique consistant
à imaginer que ce dernier est à bord en assurant le rôle de
l'équipage peut permettre de lui accorder le statut de marin. Un statut
hybride serait donc idéal afin de consacrer ce nouvel acteur. Le
régime consisterait à lui donner les garanties qui ne sont pas
inhérentes à l'affront physique des risques de mer tout en le
considérant comme un marin.
Il reste néanmoins à déterminer
le champ de ses responsabilités qui s'approchent de celles du
capitaine.
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