Réflexions sur la problématique du coup d'état en Afrique.( Télécharger le fichier original )par Koffi Afandi KOUMASSI Université de Lomé - Master 2 en Droit Public Fondamental 2015 |
Paragraphe II : L'armée, un arbitre du jeu politique« S'il y a un jour la pagaille ici, je n'hésite pas, je prends le pouvoir pour mettre de l'ordre ». Ces propos tenus par le Colonel Jean-Bedel Bokassa en 1964 continuent de faire écho dans l'esprit des militaires africains. Ceux-ci prétendent avoir une mission providentielle d'écarter toute menace à l'intégrité, à l'unité et à la stabilité du pays. Dans cette dynamique, le prétexte de salut public trouve un sens dans leurs interventions (A) même si l'arbitrage militaire regorge bien d'aspects vénéneux (B). A-) LE PRÉTEXTE DES INTERVENTIONS DE SALUT PUBLICContrairement à une analyse courante qui veut que les armées africaines soient réfractaires au changement, celles-ci se sont largement affirmées comme des forces de promotion et de soutien à la démocratie. Dans cette optique, le professeur L. A. Sicilianos écrit que le désordre que génèrent les coups d'État ne suffit cependant pas à nier l'effet bénéfique de certains renversements de gouvernement qui peuvent constituer un changement désiré autant par les assujettis que par la communauté internationale117(*). Suivant les cas, des coups d'État militaires sont perpétrés en soutien à la démocratie prise en otage par les gouvernements civils (1) ou en réaction à l'incapacité de ces derniers (2). 1-) Le soutien à la démocratieA l'observation, certaines armées africaines se sont illustrées par des interventions salvatrices sur la dynamique des processus démocratiques. Trois formes de ces interventions peuvent être évoquées. Certains États africains ont connu un blocage et une impasse nés de la difficile acceptation ou du refus de l'ouverture démocratique. L'armée est alors intervenue pour instituer le jeu démocratique. Il s'est agi de délivrer le processus démocratique pris dans l'ornière des régimes militaires hostiles au changement. Le putsch du lieutenant-colonel A. T. Touré contre le régime du général Moussa Traoré en Mars 1991 est exemplatif à cet égard118(*). Le deuxième volet majeur des interventions bénéfiques de l'armée dans le champ politique est celui de la rectification ou du déblocage des « transitions grippées non seulement par l'amateurisme et la cacophonie affichés par les nouveaux dirigeants mais aussi par les pesanteurs et les difficultés créées par les nouvelles institutions ficelées à la hâte sous les fortes pressions revendicatrices »119(*). Ces coups d'État sont précipités par des crises politico-institutionnelles susceptibles de bloquer le fonctionnement des institutions républicaines et de paralyser la sécurité nationale. Les putschs de 1996 et 1999 au Niger120(*), de mars 2003 en Centrafrique et du 14 Septembre 2003 en Guinée-Bissau sont les cas illustrateurs. Enfin, la troisième forme d'intervention salutaire est motivée par la défense de l'ordre constitutionnel et démocratique contre lequel le pouvoir en place manigance des coups tordus, en particulier la remise en cause des clauses limitatives du nombre des mandats présidentiels. En mai 2009, le Niger s'est embourbé dans une crise constitutionnelle née de l'intention du président Mamadou Tandja de réviser les Art. 36121(*) et 136122(*) de la Loi Fondamentale. Les obstacles tant juridiques que politiques qui s'étaient dressés contre ce projet de révision volaient en éclat face à l'irrésistible envie du chef de l'État de prolonger son bail présidentiel. Ce bras de fer avec les pouvoirs publics et la communauté internationale a plongé le pays dans un imbroglio politico-constitutionnel. S'érigeant en défenseur de l'ordre constitutionnel, l'armée nigérienne a renversé le Président Tandja le 18 février 2010 pour sortir la démocratie nigérienne de la crispation politique123(*). Se situe dans cette même logique la tentative du coup d'État du général Godefroid Niyombaré le 13 Mai 2015 au Burundi face à l'obstination du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat en violation de l'Art. 96 de la constitution qui limite le nombre des mandats présidentiels à deux. L'alerte des intrusions militaires est donnée dans certains autres cas par l'incapacité des gouvernements à assumer leurs responsabilités (2). * 117 L. A. SICILIANOS, L'ONU et la démocratisation de l'État, Paris, Pedone, 2000, p. 215. Il s'agit juste d'une idée illustrative de cette partie de notre travail. Mais nous ne nous inscrivons pas dans cette même lecture des choses. Nous défendons l'idée que « les coups d'État sont inexcusables en démocratie ». * 118 Le général Moussa Traoré a décidé de faire « descendre l'enfer sur la tête » du peuple malien qui réclame la fin du dirigisme du « parti unique constitutionnel et institutionnel » au profit d'un ordre démocratique. Les manifestations pacifiques de la population sont réprimées d'une manière sanglante. C'est dans ce contexte que l'armée est intervenue en faveur des revendications sociales pour une société plus libre et démocratique. Ce qui a permis au Mali d'entrer véritablement dans le processus de démocratisation. * 119 Y. A. CHOUALA, « Contribution des armées au jeu démocratique en Afrique », Revue Juridique et Politique, n° 4, 2004, p. 555. * 120 Le coup d'État du 27 janvier 1996 perpétré par le colonel Baré est précipité par un blocage institutionnel provoqué par la cohabitation litigieuse entre le Président de la République et le Premier ministre appartenant à des coalitions politiques opposées. Le désaccord systématique entre ces deux pôles de l'exécutif a conduit à une impasse gouvernementale et au quasi-blocage des institutions de la République. * 121 « Le Président de la République est élu pour cinq (5) ans au suffrage universel, libre, direct, égal et secret. Il est rééligible une seule fois ». * 122 Cet article dispose notamment qu' « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire national. La forme républicaine de l'État, le multipartisme, le principe de la séparation de l'État et de la religion et les dispositions des articles 36 et 141 de la présente Constitution ne peuvent faire l'objet d'aucune révision ». * 123 Pour une analyse complète du coup d'État du 18 février 2010, Voir E. M. KANE, « Lecture et relecture du coup d'État du 18 février 2010 au Niger », 22 p. Document internet disponible sur www.institutidrp.org/contributionsidrp/Niger-2011.pdf et consulté le 22 Décembre 2013. |
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