9.2 Limites et perspectives de recherche
Conformément aux attentes les résultats de
l'étude indiquent que les compétences politiques ont un impact
direct sur le niveau de performance contextuelle autoévalué, et
principalement sur le niveau de performance contextuelle envers les individus.
L'influence des compétences politiques sur le niveau d'accomplissement
personnel ressort également des résultats, mais seulement pour
les dimensions d'adaptation interindividuelle et d'intuition sociale.
De plus, le niveau d'interdépendance s'avère
être une caractéristique métier avec une influence directe
sur la performance contextuelle, et principalement sur les comportements
citoyens dirigés vers les individus. Cette relation n'est en revanche
pas significative ni sur le niveau de performance contextuelle dirigée
vers l'organisation, ni sur l'accomplissement personnel.
L'étude visait enfin à étudier l'effet de
l'interaction des compétences politiques et du niveau
d'interdépendance sur le niveau de performance contextuelle d'une part,
et sur l'accomplissement personnel d'autre part, et cherchait notamment
à mettre en évidence un effet de modération par
l'interdépendance de ces relations.
Il ressort des résultats que l'interaction des deux
variables interindividuelles a bien un effet significatif sur le niveau de
performance contextuelle, mais il faut détailler l'analyse aux
sous-dimensions de compétences politiques pour pouvoir observer un effet
modérateur. Ainsi, seule la relation entre intuition sociale et
compétences politiques est modérée par le niveau
d'interdépendance des tâches inhérent au métier.
Aucune relation de modération par l'interdépendance de la
relation entre compétences politiques et accomplissement personnel n'a
pu être mise en avant sur notre population étudiée.
Bien que ces résultats soient encourageants, plusieurs
limites de cette étude doivent cependant être soulignées et
appellent à des recherches complémentaires.
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Limites liées aux variables et outils de
mesure
Compétences politiques
L'échelle de mesure ayant été
développée par des auteurs américains et traduite dans un
second temps en français, on peut avancer un biais inhérent
à l'outil d'évaluation des compétences politiques
lui-même.
En effet, certains comportements valorisés dans un pays
peuvent être perçus différemment dans un autre. Il
conviendrait ainsi d'étudier dans quelle mesure l'évaluation du
niveau de compétences politiques peut être influencée par
les normes de désirabilité sociale qui diffèrent selon les
pays en répliquant ce plan de recherche avec la version originale des
outils auprès de sujets américains. La réplication de
notre plan de recherche en utilisant des scores de compétences
politiques et de performance non pas auto-évalués mais fournis
par le supérieur hiérarchique ou les pairs du sujet pourrait
être une façon intéressante de pallier au biais de
désirabilité sociale. Par ailleurs, poursuivre le travail de
traduction de l'outil de mesure des compétences politiques est important
pour améliorer sa sensibilité et sa pertinence dans un contexte
francophone.
De plus, le modèle de compétences politiques tel
qu'il est utilisé à l'heure actuelle gagnerait à
être plus opérationnalisé. En effet, cette variable est
mesurée comme variable interindividuelle mais ne tient donc pas compte
de son contexte d'application (organisation, hiérarchie,
institution...). Or ce dernier peut créer d'importantes
disparités dans les mesures, et dans l'interprétation des items
du questionnaire. Ainsi, l'item «Dans mon entreprise j'ai de bonnes
relations avec un certain nombre de personnes importantes » amène
des questions inhérentes au contexte d'application, de type : qui sont
les « personnes importantes » ? Sont-elles importantes de par leur
statut, leur position hiérarchique, ou de par leur réseau
d'influence ? Sont-elles importantes pour l'organisation au sens large ou pour
l'individu en particulier ? Le fait que nous ayons dans notre
échantillon des participants exerçant en libéral, au sein
d'institutions publiques et d'entreprises privées peut donc être
une limite à notre recherche, bien qu'aucun effet significatif de cette
variable contrôle ne ressorte à la lecture des résultats.
Une façon de limiter la marge d'interprétation des items pourrait
être de décrire des situations professionnelles plus
précises et concrètes, adaptées aux différents
environnements professionnels.
Enfin, les compétences politiques ne sont
mesurées que dans leur application au sein de l'organisation et de la
position occupée par le sujet au moment de l'évaluation. Il
conviendrait
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cependant d'étendre le champ des compétences
politiques à un contexte plus vaste « hors organisation », en
mesurant notamment l'engagement des individus dans des réseaux de
professionnels, associations... qui sont clés dans le contexte
économique actuel qui demande flexibilité et adaptation
constante. En effet, en plus de permettre à l'individu d'accéder
à des ressources d'action supplémentaires au sein de son
organisation, les compétences politiques peuvent être clés
pour son ancrage social et son insertion professionnelle en dehors de son
entreprise. On peut donc supposer que ce socle de compétences est
déterminant dans le cas notamment de la recherche d'emploi, et il serait
intéressant de faire des études dans ce sens.
Accomplissement Personnel
On peut également se demander dans quelle mesure
l'effet direct et significatif des compétences politiques sur
l'accomplissement personnel ne peut pas dans notre étude être
artificiellement induit pas les outils de mesure utilisés. En effet, une
analyse plus détaillée des résultats montre que seules les
dimensions de l'intuition sociale et de l'adaptation interindividuelle sont des
prédicteurs significatifs, or la distinction de ces variables
indépendantes par rapport à la variable dépendante qu'est
la mesure de l'accomplissement est plutôt floue, car on note des
similarités dans les items utilisés pour les mesurer. Ainsi par
exemple dans le questionnaire des compétences politiques, l'un des items
mesurant l'intuition sociale « Au travail, j'arrive à comprendre
assez bien ce que pensent et ressentent les autres. » est très
proche de celui utilisé pour la mesure de l'accomplissement personnel
«Je peux comprendre facilement ce que mes clients ressentent ». De
même, celui mesurant l'adaptation interindividuelle « Dans le cadre
de mes relations professionnelles, j'arrive à mettre les gens à
l'aise » se rapproche fortement de l'un des items de l'accomplissement
personnel « J'arrive à créer une atmosphère
détendue avec mes clients ».
L'analyse de colinéarité n'en fait pas
ressortir, néanmoins il serait intéressant de retravailler
séparément le construit de l'accomplissement personnel. En effet,
la mesure de l'accomplissement personnel telle qu'elle est faite dans l'outil
de mesure de l'épuisement professionnel développé par
Maslach est difficile à opérationnaliser. Une échelle de
fréquence est utilisée pour mesurer chaque item, or cette
échelle a suscité plusieurs remarques et questions de la part des
participants aux phases de test du questionnaire de cette étude.
L'utilisation de fréquences pour mesurer des items portant sur le sens
donné au travail, le sentiment d'utilité et d'efficacité
personnelle, a semblé pour beaucoup difficile à
contextualiser.
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Performance contextuelle
La définition de la variable de performance
contextuelle amène elle aussi certaines questions. On peut en effet
penser que dans un contexte d'interdépendance forte, la performance
contextuelle envers les individus devient une compétence exigée
et n'est donc plus valorisée comme un comportement « extra
professionnel » facultatif servant les intérêts des autres
et/ou de l'organisation. Jawahar et Ferris (2011) soulignent ainsi que la
distinction originale des deux dimensions de performance à la
tâche et performance contextuelle peut s'être
atténuée avec l'évolution de l'environnement
économique et le contexte socioprofessionnel.
En effet, la performance contextuelle, qui correspond aux
comportements non requis formellement mais fortement appréciés et
valorisés, tend aujourd'hui en à devenir de plus en plus partie
intégrante des métiers. Ceci peut être dû aux
évolutions de la nature des emplois et des organisations, mais la
connaissance plus large des effets positifs de l'engagement des employés
au sein de leur organisation peut également être un facteur
explicatif de l'importance grandissante que prennent des éléments
traditionnellement considérés comme de performance «
hors-tâche » pour les entreprises. Certaines descriptions de poste
comprennent par exemple aujourd'hui des pré requis tels que «
savoir travailler en équipe », « partage des valeurs de
l'entreprise », « engagement dans la vie de l'entreprise »,
« envie de s'impliquer dans un projet de développement
»....
Selon Hogan et Shelton (1998), la compétence sociale
permet aux sujets d'accomplir leurs objectifs interpersonnels de la même
façon que la coordination permet de jouer au tennis. Dans cette
perspective, les compétences politiques ne sont plus des ressources
supplémentaires de l'individu pour faire face aux contraintes
extérieures, mais sont un prérequis à tout poste dont les
missions impliquent de nombreux contacts interpersonnels. Les
compétences politiques pourraient de ce fait être
considérées dans cette configuration comme prédicteurs de
performance à la tâche.
Limites liées au protocole
Le fait que les sujets auto évaluent leurs propres
compétences et performance constitue une limite certaine de cette
étude. Il serait donc intéressant de la reproduire en comparant
l'auto-évaluation des compétences politiques du sujet avec son
niveau évalué par son supérieur hiérarchique ou par
ses pairs. De même, l'évaluation du niveau de performance
contextuelle du sujet perçue par son supérieur et/ou ses pairs
serait particulièrement
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intéressante pour aller au-delà des recherches
existantes. On pourrait ainsi imaginer un protocole expérimental de type
« Evaluation 360° » tel que certains programmes
d'évaluation de potentiel, de compétences ou de leadership
à visée de développement managérial, qui peuvent
être mis en place dans les entreprises.
De plus, comme évoqué
précédemment, un biais culturel lié à l'utilisation
d'outils de mesure non élaborés initialement dans un contexte
francophone peut constituer une limite supplémentaire. En effet, les
éléments considérés dans la version originale comme
de la citoyenneté organisationnelle « en dehors des tâches
requises par le poste » peuvent avoir un statut différent dans le
contexte d'utilisation de l'outil, et ainsi constituer des exigences implicites
selon la culture du pays, de l'entreprise, ou de la branche. Par ailleurs, une
compétence politique reconnue, valorisée et assumée dans
la culture entrepreneuriale américaine peut être beaucoup plus
« taboue » dans la culture française. Pour développer
le champs de recherche sur les compétences politiques dans le contexte
francophone, il serait bon de reproduire cette étude avec non seulement
une hétéro-évaluation des niveaux de compétences
politiques et de performance contextuelle, mais également une
comparaison des résultats d'échantillons de participants
américains et français.
Par ailleurs, cette étude gagnerait à être
reproduite avec un nombre plus large de participants, car le nombre
limité (133) ne permet pas d'avoir des échantillons significatifs
pour chacune des catégories professionnelles. Le but d'une application
de ce plan de recherche auprès d'une population plus large est de
vérifier la reproductibilité des résultats, et de voir si
la modération par l'interdépendance de la relation entre
compétences politiques et performance contextuelle reste limitée
à la dimension de l'intuition sociale même avec une population
plus large. De plus, l'effet tendanciellement significatif du produit de
l'adaptation interindividuelle et de l'interdépendance sur la variance
expliquée du niveau de performance contextuelle envers les individus,
que nous avons estimé trop faible pour être
considéré comme un résultat probant de modération,
pourrait s'avérer plus marqué.
Enfin, la non prise en compte de l'environnement
organisationnel des participants peut avoir eu un effet sur les scores de
compétences politiques recueillis. En effet, on peut s'attendre à
ce qu'un individu évoluant dans une entreprise qui prône l'esprit
entrepreneurial et la prise d'initiatives mettra plus en avant ses
compétences politiques qu'un individu appartenant à une
organisation dans laquelle le conformisme est de rigueur. De plus, la prise en
compte dans notre étude des scores des participants exerçant en
libéral peut biaiser les
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résultats, étant donné que les items de
mesure des compétences politiques sont formulés pour une
application au monde de l'entreprise.
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