I.2 Cadre théorique de l'étude
La problématique de cette étude s'inscrit dans
le cadre du vieux débat théorique du 19e et
20e siècle sur le rôle de l'Etat dans la vie
économique d'un pays, ainsi que celui sur l'efficacité des
politiques budgétaires selon leurs formes et le choix des sources de
financement des dépenses publiques. En effet d'un côté, les
partisans de l'Etat providence soutiennent l'idée selon
laquelle l'Etat doit intervenir pour stimuler l'activité
économique en cas de déséquilibre persistant notamment sur
le marché de l'emploi, et pour atténuer l'effet des fluctuations
afin d'assurer une croissance régulière. De l'autre
côté, une autre vision, celle de l'Etat gendarme est
plutôt en faveur de la limitation du rôle de l'Etat à des
grandes fonctions régaliennes (armée, justice, police...), en
laissant les marchés s'équilibrer d'eux-mêmes par le jeu
de
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l'offre et de la demande. Ce débat va s'étendre
par la suite, en particulier avec les différentes crises
économiques donc la plus récentes a eu lieu en 2008. Même
parmi les économistes qui soutiennent l'intervention publique, il n'y
aura pas unanimité sur le canal d'intervention que l'Etat devrait
privilégier (agir sur la consommation ou sur l'investissement), et
même les sources de financement de cette intervention.
3/4 L'optique keynésienne
Keynes (1936) fut le premier à mettre en lumière
le rôle indispensable de l'Etat régulateur de l'activité
économique pour stimuler la croissance, notamment à travers son
ouvrage de 1936 intitulé « Théorie
générale de l'emploi, de l'intérêt, et de la monnaie
». Selon cet auteur, le plein emploi sur le marché du travail
n'est pas automatique, mais est plutôt une situation exceptionnelle. En
d'autres termes, il peut très bien arriver qu'une économie se
retrouve en situation d'équilibre de sous-emploi, c'est-à-dire
avec un chômage durable9. Une intervention de l'Etat est alors
nécessaire pour agir sur les éléments de la demande
globale (consommation des ménages ou demande d'investissement des
entrepreneurs) et aider le marché à retrouver le plein emploi.
Cette intervention se traduit par un accroissement des dépenses
publiques (politique budgétaire) ou une diminution des recettes de
l'Etat par une baisse des impôts (politique fiscale).
La théorie keynésienne prône en
particulier les dépenses d'investissement public car selon elle, ce sont
celles-ci qui vont entraîner une augmentation de la demande de
matériels (biens d'investissements) et de matériaux et voyant
cette augmentation, les fournisseurs de ces biens vont accroître leurs
investissements pour répondre à cette demande
supplémentaire. Leurs propres fournisseurs auront la même
réaction face à la demande supplémentaire
qu'eux-mêmes vont exercer et de proche en proche, on va assister à
une augmentation de l'activité économique, qui va entraîner
des embauches et donc une augmentation des salaires et revenus versés
aux ménages. Ces derniers vont à leur tour accroître leur
consommation, ce qui va à nouveau amener les entrepreneurs à
investir davantage pour augmenter leur production et répondre aussi
à la demande supplémentaire des ménages. Grâce
à ce mécanisme que Keynes appelle « effet multiplicateur
», on débouche sur un accroissement plus que proportionnel (aux
dépenses d'investissement public) des revenus.
Par ailleurs, même si la théorie
keynésienne prône beaucoup plus les investissements publics, elle
n'exclut pas le fait que l'Etat peut accroître ses dépenses en
distribuant directement de l'argent aux particuliers (par l'embauche des
fonctionnaires, une baisse des impôts sur les
9 Ce qui contredit la loi des débouchés de J.B.
Say
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revenus des ménages, ou une revalorisation des salaires
publics par exemple), mais elle stipule que dans ce cas, l'effet multiplicateur
sur le revenu sera plus faible.
En bref, Keynes émet l'idée selon laquelle le
gouvernement doit réguler l'activité économique soit en
encourageant la consommation finale des ménages, soit en stimulant les
investissements, cette dernière option étant
préférable car ayant un effet multiplicateur plus important sur
les revenus. Mais plusieurs courants de pensées s'opposent à
cette vision keynésienne.
3/4 Le courant libéral et l'Etat
minimal
Selon le courant libéral, un certain degré
d'intervention de l'Etat est nécessaire, et c'est pour cela qu'il parle
d'Etat minimal. Selon Crozet (1991), Adam Smith (1977) fut le premier
à mettre les bases de l'Etat minimal. Il stipule que le dirigeant n'a
que trois devoirs à remplir :
o Le devoir de défendre la société de tout
acte de violence interne ou externe ;
o Le devoir d'instaurer un environnement de justice
équitable pour tous les membres de la société ;
o Enfin, le devoir d'ériger et d'entretenir certains
ouvrages publics et certaines institutions dont les coûts sont
très élevés pour le secteur privé, et qui
revêtent un intérêt collectif.
D'autres économistes néo-classiques, en
particulier Pigou (1912) et Samuelson (1948) vont par la suite trouver
également des justificatifs à l'intervention publique. Pigou va
avancer l'argument de l'existence d'externalités négatives
liées à l'exercice de certaines activités
économiques, qui posent le problème de l'inadéquation
entre leurs coûts privés et leurs coûts collectifs ou
coûts sociaux. Il va alors suggérer à l'Etat l'imposition
d'une taxe dite « pigouvienne » ou du «
pollueur-payeur ». Mais l'idée qui est commune à
tous ces économistes est que l'Etat doit se plier à la
conjoncture économique et non être actif pour l'influencer.
Certains iront même jusqu'à faire une démonstration
théorique de l'effet neutre, voire même négatif qu'une
intervention de l'Etat pourrait avoir sur l'économie d'un pays. C'est le
cas de Barro (1974) avec la théorie de l'équivalence
ricardienne.
3/4 L'équivalence ricardienne
Selon Lamotte et Vincent (1993), Barro (1974) a repris le
théorème de l'équivalence attribué à David
Ricardo. Théorème dont l'énoncé a suscité
l'un des débats théoriques les plus riches de la fin du
XXe siècle, selon ces deux auteurs. Le raisonnement de Keynes
repose sur le revenu courant, mais selon Barro (1974), si les agents
économiques (entrepreneurs et consommateurs) sont ricardiens en ce sens
qu'ils sont prévisionnels et parfaitement au courant
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de la contrainte budgétaire intertemporelle de l'Etat,
alors ils anticiperont le fait qu'une baisse des impôts aujourd'hui (sur
les salaires du public ou sur les sociétés par exemple),
compensée par un accroissement de la dette publique, débouchera
dans le futur sur des impôts élevés pour le remboursement
de cette dette. Ainsi, ils vont préférer épargner le
surplus de revenu d'aujourd'hui pour se prémunir de cette hausse future
des impôts. In fine, le revenu permanent des ménages restera
stable et en l'absence de toute contrainte sur la liquidité et sur les
marchés des capitaux, ni la consommation finale des ménages, ni
le niveau d'investissement des entreprises privées ne bougera. Le
multiplicateur keynésien sera donc nul dans ce cas. Mais pour lui, ce
multiplicateur peut même être négatif dans le cas où
le gouvernement garde inchangé le niveau de prélèvement
fiscal tout en accroissant des dépenses par endettement. En effet, dans
ce cas selon Barro, les consommateurs et les sociétés
privées qui anticipent que le remboursement futur de cette dette de
l'Etat va nécessiter une hausse des impôts, vont accroître
leur épargne et diminuer leur revenu permanent (et donc leur
consommation) pour les ménages, et le niveau d'investissement pour les
entreprises. Ce qui aboutit donc plutôt à une chute de
l'activité économique et de la croissance, et le degré de
cette chute dépend de la productivité des dépenses
publiques. Ce qui veut aussi dire que dans ce cas, si les dépenses de
l'Etat sont destinées à la consommation publique (hausse des
salaires par exemple), qui est souvent qualifiée de non-productive, la
chute de la croissance sera encore plus forte.
En bref, selon cette équivalence ricardienne, avec les
anticipations rationnelles des agents économiques qui sont
prévoyants, toute politique budgétaire de l'Etat aboutit au
meilleur des cas à un effet neutre sur l'économie, et au pire des
cas à une chute de l'activité et de la croissance
économique par le jeu du multiplicateur keynésien qui devient
négatif.
Il aura fallu attendre la théorie de la croissance
endogène et particulièrement les travaux de Barro (1990) pour
réaffirmer le rôle du capital public dans l'évolution de
l'activité économique, après les échecs subis par
des relances keynésiennes dans certains pays, surtout pendant la crise
des années 70.
3/4 Le modèle de Barro (1990)
Dans le but de mettre en évidence le lien entre la
politique gouvernementale (dépenses publiques) et la croissance
économique dans un cadre endogène, Barro (1990) s'inspire des
travaux de Solow (1956) et adopte les hypothèses néo-classiques.
En effet, il considère une famille représentative infiniment
altruiste dont la fonction d'utilité instantanée est
donnée
par :
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par les dépenses publiques au Cameroun
?? étant la consommation de cette famille à
l'instant t. cette famille maximise son utilité intertemporelle qui est
donnée par :
? ? ?? ?????. ???.??? (ii)
Où ? est le taux de préférence pour le
présent.
Il suppose u ne fonction de production privée de type
Cobb-Douglas où les facteurs :
?? ? ?????????????, 0 ? ? ? 1, (iii)
Cette fonction de production est à rendements
d'échelle constants par rapport aux facteurs travail L et
capital K. Les dépenses publiques G viennent booster
la production du secteur privé.
Partant de la formule de répartition du produit ??, on
déduit la relation :
??? ? ?? ? ?? ? ?? ? ?. ?? (iv) Où ???
représente la variation du stock de capital et ? le taux de
dépréciation du capital.
Il considère aussi que le gouvernement équilibre
son budget en prélevant un impôt sur la production brute
agrégée Y, représentant un taux z de
celle-ci. Les dépenses publiques sont donc entièrement
financées par cet impôt, de sorte que l'on peut écrire :
Gr = zYr (v)
En résolvant son modèle, Barro obtient la relation
suivante :
??? ?
? ?
??
?
? .??1 ? ???1 ? ??. ????. ???
?
?????? ? ? ? ??
?
(vi)
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L'effet des dépenses publiques sur le taux de
croissance s'exprime de deux manières opposées. Tout d'abord
négativement à travers le terme 1- z , puis de
façon positive à travers
??? ??????, puisque ? ? ?? ?
??. En d'autres termes, une augmentation des dépenses
publiques
provoque d'une part une amélioration de la
productivité des facteurs de production privée et favorise ainsi
la croissance, mais d'autre part elle nécessite une hausse du taux des
ponctions sur les ressources des agents et donc une diminution de
l'appropriation privée du produit, qui a des implications
négatives sur la croissance économique. En fin de compte, la
croissance de long terme résulte de l'interaction entre ces deux effets
opposés.
Enfin, Barro retrouve le taux d'impôts qui maximise la
croissance économique à partir de la relation (vi) : ? ?
?.
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dépenses publiques au Cameroun
Mais, même si ces travaux de Barro semblent avoir mis
beaucoup d'économistes d'accord sur le rôle régulateur de
l'Etat dans la vie économique d'un pays et que plusieurs dirigeants du
monde semblent aussi avoir adopté cette vision, les résultats des
études empiriques sont plutôt controversés. En effet, si
certaines de ces études arrivent à la conclusion selon laquelle
les dépenses publiques ont un effet positif sur la croissance
économique, d'autres arrivent plutôt à des conclusions
opposées comme nous allons l'apercevoir au paragraphe qui suit. Certains
chercheurs ont alors opté pour une décomposition des
dépenses publiques (notamment en dépenses de consommation
publique et dépenses d'investissements), mais les résultats sont
toujours controversés et contrairement à ce que dit la
théorie keynésienne, les dépenses de consommation publique
(qui renferment les salaires versés aux fonctionnaires) ont parfois un
effet plus significatif sur l'activité économique et la
croissance que les dépenses d'investissement public.
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