3.2. L'immigration et le chômage en France
Les immigrés constituent une part importante et
croissante de la force de travail de la plupart des pays de l'OCDE même
si leur taux d'activité reste généralement
inférieur à celui des autochtones. Les enfants d'immigrés
rencontrent dans plusieurs pays de l'OCDE des difficultés
10 OCDE et ONU, « World Migration in Figures, A
joint contribution by UN-DESA and the OECD to the United Nations High-Level.
Dialogue on Migration and Development », octobre 2013.
11 Les pays de l'OCDE en 2014 sont : Allemagne,
Australie, Autriche, Belgique, Canada, Chili, Corée, Danemark, Espagne,
Estonie, Etats-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande,
Israël, Italie, Japon, Luxembourg, Mexique, Norvège,
Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République
slovaque, République tchèque, Royaume-Uni, Slovénie,
Suède, Suisse, Turquie.
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pour s'insérer sur le marché du travail, avec
des situations plus difficiles en France et en Allemagne qu'en Suisse, aux
Etats-Unis et au Danemark.
Selon le ministère de l'Intérieur, on compte en
2011, 2,5 millions de travailleurs immigrés en France. Le vieillissement
des populations, l'apparition de pénuries de main-d'oeuvre et le
désintérêt pour certaines professions dans les pays de
l'OCDE laissent présager un retour accru à l'immigration de
travail dans les années à venir. Avec la perspective de recourir
à l'avenir à un plus grand nombre d'immigrés,
l'intégration des nouveaux arrivants et de ceux qui résident
déjà sur le territoire ainsi que les membres de leur famille
constitue un autre enjeu majeur des politiques migratoires.
Cette vue d'ensemble, relativement positive, ne doit toutefois
pas occulter les obstacles entravant l'accès à l'emploi des
immigrés qualifiés. Les rapports de taux de
déclassement12 - c'est-à-dire le fait d'exercer un
emploi moins qualifié que le niveau d'instruction ne permettrait
théoriquement d'envisager - mettent en évidence le fort
déclassement des immigrés comparé aux autochtones dans les
pays d'Europe du Sud (Italie, Grèce et, dans une moindre mesure,
Portugal et Espagne), ainsi que dans certains pays d'Europe du Nord
(Norvège et Suède). Ces écarts sont moins accentués
aux Etats-Unis, en France, au Royaume-Uni et en Suisse13.
3.3. La réponse de la France à l'immigration
: la territorialisation
En 1993, la discrimination positive était
déjà l'objet d'une critique, on lui reprochait de viser les
politiques spécifiques destinées aux exclus, ce qui tendraient
à les enfermer dans un statut d'exception stigmatisant.14 En
1994, l'appellation « territorialisation » s'est imposée,
éclipsant toute référence de discrimination positive dans
le discours officiel.
Comme nous l'avons vu, la France a une longue histoire
d'immigration basée essentiellement sur les besoins de main d'oeuvre
dans les années 1920 puis dans les années 196015. Les
recherches sur les disparités n'ont pourtant pas été
développées avant les années 1990. Comme le souligne
Garner-Moyer en 200316, ce sont surtout les difficultés des
jeunes issus de l'immigration sur le marché du travail, remettant en
cause le principe de l'égalité républicaine des
Français indépendamment de leur origine, qui ont suscité
les premières recherches empiriques sous la pression de la demande
sociale.
12 J. Robin (2012). Mesure et facteurs explicatifs du
déclassement
13 Perspectives des migrations internationales, OCDE
2006
14 « Les pièges de l'exclusion ». Robert Castel,
Lien social et Politiques, n°34, 1995.
15 Daguet et Thave, 1996.
16 Garner-Moyer H. [2003], « Discrimination et
emploi : revue de la littérature », Document d'études de la
Dares, 69, 128 p.
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Lorsqu'est apparu la notion de « discrimination positive
territoriale », elle a pu laisser penser que le territoire n'avait d'autre
fonction, dans la politique de la ville que de cibler des groupes ethnique pour
leur attribuer un avantage catégoriel. Ainsi, la notion de politique de
ville est devenue synonyme de « donner plus aux territoires qui ont moins
», et de manière indirecte, aux populations qui y
résident.17
Certaines mesures d'accès à l'emploi, tel que
les quotas d'embauche d'habitants en contrepartie des exonérations
accordées aux entreprises implantées dans les zones franches
urbaines par exemple, laissent supposer que la catégorie «
quartiers prioritaires » a été
délibérément conçue pour accorder un avantage
spécifique à leurs habitants, notamment aux « jeunes issus
de l'immigration », en compensation du racisme et de la discrimination
dont ils sont victimes.18
Le mécanisme de compensation des « handicaps
territoriaux » cherchait à « assurer, à chaque citoyen,
l'égalité des chances sur l'ensemble du territoire », en
garantissant notamment « l'égal accès de chaque citoyen aux
services publics » (article 1er de la loi du 4 février
1995).
- L'apparition des zonages : la loi du 1er août
2003
La loi du 1er août 2003 a affirmé l'objectif,
pour la politique de la ville, de « réduire des
inégalités sociales et des écarts de développement
entre les territoires ». Les écarts concernent à la fois la
population et le territoire en tant que tel, l'urbain (enclavement, logement,
transport, etc.), l'économique (emploi, qualité de l'offre
commerciale, intégration de fonctions économiques dans le tissu
urbain, etc.) et le social (insertion, formation, réussite scolaire).
La politique de la ville a progressivement engendré
différents types de zonages précédemment
évoqués (ZUS, ZRU, ZFU et quartiers prioritaires). Les avantages
attachés à ces zones ont pour finalité principale le
développement de l'emploi, le maintien du logement au sein de ces
quartiers, et la diversité de la population y résidant.
- La récente réforme des quartiers
prioritaires
La ministre en charge de la politique de la ville a
présenté, le 17 juin 2014, la carte de la nouvelle
géographie prioritaire de la politique de la ville. Désormais,
une seule carte de la géographie
17 « Les adaptations du principe d'égalité
à la diversité des territoires », Revue française de
droit administratif, septembre-octobre 1997.
18 « Les jeunes des quartiers se cachent pour vieillir.
Représentations sociales et catégories de l'action publique
». Patrick Simon, VEI Enjeux, n°121, juin 2000.
10
prioritaire remplace les différents zonages
antérieurs (zones urbaines sensibles, zones franches urbaines, zones de
redynamisation urbaine, etc.).
1300 quartiers répartis sur 700 communes sont retenus
pour bénéficier des crédits de la politique de la ville.
Pour déterminer la liste des quartiers prioritaires, le gouvernement a
pris en compte le revenu des habitants, comparé au revenu médian
de référence. Pour cela, l'Institut national de la statistique et
des études économiques (Insee) a procédé à
un quadrillage de 200 mètres sur 200 mètres du territoire. Sur
cette base, l'Insee a défini les concentrations urbaines de
pauvreté. Il est intéressant de noter que leurs territoires
concernés se situent tant en quartiers périphériques des
grandes agglomérations, qu'en centre-ville pour certains ou encore en
ville moyenne. « C'est la réalité de la pauvreté en
France, loin d'être cantonnée aux territoires
périphériques des grandes villes, qui apparaît ainsi au
grand jour. »19
Tous les quartiers ont vocation à sortir à terme
de ces dispositifs d'exception. La politique de la ville étant une
politique de transition, on peut se demander si cette nouvelle réforme
permettra aux quartiers connaissant les dysfonctionnements les plus importants
de devenir, grâce à la concentration des efforts publics, des
quartiers comme les autres ? Dans l'avenir, entendrons-nous encore parler des
disparités d'accès à l'emploi des « jeunes des
banlieues20 » ?
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