2/ Inefficacité du
marché concernant les externalités
L'analyse des externalités a été
notamment menée par Cecil Pigou dès 1932.une externalité
désigne une situation où les activités d'un (ou de
plusieurs) agent(s) économique(s) ont des conséquences sur le
bien-être (au sens large) d'autres agents, sans qu'il y ait des
échanges ou des transactions entre eux. Lorsque ces conséquences
sont bénéfiques, on dit que l'externalité est
positive ; elle est négative dans le cas contraire (Guerrien,
2005). Pigou (1932) cité par Faucheux et al (1995) définit pour
la première fois l'externalité comme un défaut de
marché entre les fonctions d'utilité individuelles. Il insiste
sur le caractère hors marché de l'effet :
« l'essence du phénomène est qu'une personne A en
même temps qu'elle fournit à une autre personne B un service
déterminé pour lequel elle reçoit un paiement, procure par
la même occasion des avantages ou des inconvénients d'une nature
tel qu'un paiement ne puisse être imposé à ceux qui en
bénéficient ni une compensation prélevée au profit
de ceux qui en souffrent ». Une illustration donnée par Pigou
(1932) est l'exemple des incendies de forets provoqués par les
locomotives à vapeur. Le passage des trains est profitable aux voyageurs
et aux compagnies, mais les escarbilles peuvent mettre le feu aux parcelles
boisées le long des lignes et entrainer ainsi un sinistre
préjudiciable aux propriétaires forestiers, acteurs qui ne
participent pas à l'échange du service ferroviaire. Pour Pigou
(1932) l'économie ou la déséconomie externe est
analysée en termes de divergence entre coût privé et
coût social. Quand le produit social d'une activité est
supérieur au produit privé de cette activité, se manifeste
une externalité positive ou d'économie externe. Quand le
coût social lié à une activité est supérieur
au coût privé supporté par cette activité, se
manifeste une externalité négative ou déséconomie
externe. Il est clair qu'en matière d'économie de l'environnement
ce sont les effets externes négatifs qui permettent de
représenter les phénomènes de nuisance et de pollution.
L'externalité environnementale négative désigne les
situations de pollution, d'altération de ressources naturelles, de
destruction de paysages, de perte en biodiversité, de nuisances
environnementales diverses..., dès lors que les situations en question
affectent le bien-être d'individus, et sans que cette perte de bien soit
compensée au travers d'un mécanisme marchand.
Les différentes solutions aux
externalités
Les pouvoirs publics peuvent intervenir de
deux façons différentes. Pour bien le comprendre, nous allons
prendre l'exemple d'une usine qui génère des nuisances de bruit
importantes qui gêne le voisinage.
· La méthode autoritaire
L'Etat peut décider de décréter un seuil
maximal de bruit à ne pas dépasser. Ainsi le problème de
ces externalités est réglé. En revanche, un tel
règlement peut poser des problèmes rédhibitoires aux
entreprises qui, de par leur activité sont obligées de
dépasser le niveau sonore et risque d'entrainer l'abandon de ces
activités. Par ailleurs, les réglementations ne résolvent
pas le problème posé par les externalités positives. La
solution autoritaire ne permet donc pas de se rapprocher de l'optimum et encore
moins de l'atteindre.
· Les taxes et subventions
Pigouviennes
Plutôt que d'exiger ou d'interdire, l'Etat peut
intervenir de façon que le calcul rationne des agents économiques
intègrent les externalités. Il faut pour cela faire en sorte que
le coût privé qui entre dans le calcul des agents soit le
même que le vrai coût de l'activité (coût social)
grâce à la mise en oeuvre de taxes dans le cas
d'externalités négatives et de subvention dans le cas
d'externalités positives. Ainsi l'usine qui génère des
nuisances de bruit importantes se verra dans l'obligation de payer un
impôt qu'elle intègrera dans son calcul de coût. Le
coût marginal augmentant du fait des taxes, l'entreprise réduira
sa production (et par conséquent sa nuisance).
B/ Les instruments de politique climatique et leur
efficacité
Revenons aux instruments de la politique climatique. Ils sont
de deux types : les instruments réglementaires, comme par exemple les
normes en matière d'habitat imposées par les lois Grenelle en
France, et les instruments économiques que sont les taxes et les
marchés de permis d'émissions négociables, et leurs
variantes (par exemple, marché de permis avec prix plafond ou prix
plancher). Les normes contraignent alors que les taxes et
marchés de permis incitent à réduire les
émissions de GES. Ils y parviennent en donnant un prix à un bien
qui auparavant n'en avait pas : le carbone émis dans
l'atmosphère. Ce faisant, ils incitent bien les émetteurs
à réduire leurs émissions, tant que le prix des
émissions, c'est-à-dire la taxe ou le prix des permis, est plus
élevé que l'avantage économique qu'elles leur procurent.
Par opposition, les normes ont ceci de sympathiquement trompeur que le
coût qu'elles font peser sur ceux qui doivent les appliquer (en quelque
sorte le prix des émissions) est caché, du moins au premier
abord. Ces arguments incitent à considérer les normes avec
précaution. Pour la plupart des économistes, elles sont de bons
instruments dans quelques situations particulières, mais, en
règle générale, les instruments incitatifs sont
préférables, car ils sont plus efficaces au sens
où ils permettent d'atteindre une réduction d'émissions
donnée à moindre coût.
La taxe donne directement un prix aux émissions. Le
marché de permis leur donne un prix de façon indirecte, puisque
ce prix résulte de l'équilibre du marché et est ainsi le
reflet de la quantité totale de permis d'émissions mis sur le
marché. En théorie, ces deux méthodes pour donner un prix
aux émissions sont équivalentes quand l'information du
régulateur est parfaite, ce qui lui permet de calibrer de façon
appropriée les instruments, et que divers coûts sont
négligés. En réalité, l'information n'est pas
parfaite et les coûts que néglige volontiers la théorie
peuvent être très importants.
Par définition, le marché de permis permet de
contrôler avec certitude le niveau total d'émissions, alors que la
taxe permet de contrôler le coût d'une réduction des
émissions. Quand l'information est imparfaite, on
préfèrera un marché de permis s'il est important de
contrôler avec précision les émissions, ce qui est le cas
quand le dommage marginal augmente très rapidement avec le niveau
d'émission. Si en revanche il semble plus important de ne pas encourir
des coûts de réduction des émissions trop
élevés par rapport aux dommages évités, ce qui est
le cas quand le coût marginal de la réduction des émissions
augmente très rapidement avec le niveau de réduction des
émissions, l'avantage sera à la taxe. Les études
empiriques disponibles suggèrent qu'en ce qui concerne le changement
climatique on serait plutôt dans le second cas, ce qui donne un avantage
à la taxe. Cependant, quand l'objectif est un niveau de concentration
à ne pas dépasser, l'avantage du marché de permis est de
pouvoir contrôler les émissions de manière beaucoup plus
précise.
Quant aux coûts que la théorie néglige
souvent, ce sont d'abord les coûts administratifs. Quel est l'instrument
le plus coûteux à mettre en place concrètement ?
Probablement le marché de permis, car les gouvernements ont une grande
expérience dans le prélèvement de taxes et
possèdent déjà les structures administratives
appropriées. Ce sont ensuite les coûts induits par le marchandage
politique. Les lobbys cherchent à obtenir à la fois un plafond
d'émissions élevé et une allocation de permis gratuite
dans le cas du marché de permis, des exemptions partielles ou totales
dans le cas d'une taxe. Quel est l'instrument qui se prête le plus
facilement au jeu des lobbys ? La réponse n'est pas simple, mais
l'expérience montre que les lobbys savent s'adapter aux deux
instruments. Enfin, un coût potentiellement très important est le
coût de la volatilité du prix des permis. Cette volatilité
est néfaste car elle induit un brouillage du signal-prix transmis
à l'économie, ce qui évidemment n'est pas favorable
à la bonne orientation des choix d'investissement de long terme et de la
recherche.
Ces choix d'investissement sont, des déterminants pour
le long terme. Les instruments de la politique climatique doivent permettre
d'infléchir les comportements des agents dans le sens de la diminution
des émissions de carbone, mais ils doivent également orienter la
recherche et l'innovation dans la bonne direction, celle du
développement des énergies non carbonées et des
technologies et produits verts. Sur ce point, la théorie ne permet pas
de dégager un avantage absolu à l'un des deux instruments, taxe
ou marché de permis.
Les économistes ont beaucoup écrit sur ces
sujets, depuis longtemps. Mais peut-être se sont-ils trop
focalisés sur l'efficacité des instruments et leur pouvoir
incitatif, alors que les faits montrent de façon indiscutable que la
mise en place d'une politique crédible de lutte contre le changement
climatique achoppe sur une question de distribution des efforts, que se soit au
niveau mondial ou au niveau national.
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