Distribution aéroportuaire et comportement du consommateur.( Télécharger le fichier original )par Elodie Hanoun KEDGE Business School - Master grande école 2016 |
II. Evolution de la théorie du comportement du consommateurDes prémices de l'étude économique, à celle actuelle du marketing, le terme de consommateur a bien évolué. L'économie s'est d'abord efforcée de rationnaliser de comportement de consommation des 17 individus, avec l'école néoclassique de Stanley Jevons, Alfred Marshall et Léon Walras.18 Si cette vision a été par la suite réévaluée et nuancée, c'est le marketing qui aujourd'hui apporte de réelles notions pyscho-sociologiques à ce
comportement. 1) La théorie du consommateur par les Néoclassiques et sa remise en cause Le terme de consommateur prend tout son sens avec la naissance de la Microéconomie des néo-classique au XIXème siècle. Par définition, la microéconomie « analyse les comportements des individus ou des entreprises et leurs choix dans le domaine de la production, de la consommation, de la fixation des prix et des revenus19. ». Par opposition à la macroéconomie qui étudie l'économie à travers les grands agrégats tels que le revenu, l'investissement, le chômage; la Microéconomie s'attache à l'individu et donc à notre sujet : le consommateur. Le Dictionnaire d'économie et de sciences sociales définit ainsi la théorie du consommateur comme un « ensemble d'analyse microéconomique qui permettent de déterminer la demande d'un bien à partir du comportement d'optimisation du consommateur, c'est à dire de maximisation de sa satisfaction sous contrainte de revenu (équilibre du consommateur). Dans le modèle standard néoclassique, le consommateur cherche un maximum de satisfaction (d'utilité). [ÉJ20 ». Les néoclassiques peignent ainsi le portrait d'un agent calculateur, d'une rationalité irréprochable. John Stuart Mill introduit donc le terme « d'Homo oeconomicus », repris par Vilfredo Pareto (1906) pour définir ce consommateur rationnel. Les décisions de l'homo oeconomicus sont logiques et répondent à un but, agissant pour son intérêt personnel. Ce modèle convient donc à l'économie en tant que science dure et à son caractère normatif, afin de modéliser le comportement du consommateur et le prévoir. Carl Menger (1840-1921) est le premier à critiquer cette vision du consommateur, car l'agent est le seul à connaître ses besoins et la limite de sa rationalité. Par la suite, John Maynard 18 «La consommation: penseurs et courants» Les Grands Dossiers des Sciences Humaines N°22 - mars-avril-mail 2011 19Sous la direction de Claude-Danièle Echaudemaison. Dictionnaire d'économie et de sciences sociales. Edition Broché, 2009. 18 Keynes explique que l'individu ne peut connaître tous les tenants et aboutissants de sa décision de consommation; alors que la théorie de l'homo oeconomicus suppose que l'agent a toutes les informations en main pour prendre sa décision. Enfin, Gary S.Becker (prix Nobel 1992) contre la vision néoclassique par des variables psycho-sociologiques, qui remettent alors en cause la stabilité des préférences par l'individu. Selon Becker, les biens dépassent la théorie de l'utilité car ils sont producteurs de satisfaction. Dans les années 1960, Gary Becker et Kevin Lancaster introduisent la nouvelle théorie du consommateur, et remettent donc en cause la notion d'utilité.21 Les biens apportent une satisfaction et ont de différentes caractéristiques. Le bien n'est pas acquis pour lui même. Ainsi, le panier de caractéristiques de la voiture est : la vitesse, le design, le statut social/le prestige, sécurité, la consommation... Cette vision permet déjà d'introduire des satisfactions qui dépassent l'utilité comme le prestige. Chaque caractéristique a plus ou moins d'importance pour chaque consommateur, ce qui introduit la notion de subjectivité. Enfin, Becker ajoute à ce panier de caractéristiques le temps et l'information.22 Ces deux caractéristiques sont liées, car l'information demande du temps. Et de manière générale, l'individu préfèrera les produits qui font gagner du temps, et pour lesquels le délai d'information sera le plus court. De même, l'économiste américain Joseph Eugene Stiglitz, prix Nobel 2001, affirme que l'homo oeconomicus est un raisonnement par l'absurde, car les individus sont façonnés par la collectivité et influencés par des variables remettant en cause sa rationalité. Bien évidemment cette théorie est critiquée par les courants psychologiques et sociologiques. En effet, la psychologie et notamment le béhaviorisme 23 affirment l'impact de l'environnement et des interactions des individus sur les comportements, notamment de consommation. Les comportements de l'individu seraient ainsi des réponses aux stimuli produits par l'environnement dans lequel il évolue. La consommation devient aussi une discipline sociologique. Ainsi, Pierre Bourdieu dans La Distinction (1979) remet en cause les hypothèses de rationalité par l'introduction de comportements liés à l'environnement ou au passé. Il affirme aussi que les comportements de consommation (et au delà, sa manière de penser, son style de vie) d'un individu sont orientées par la classe sociale dans laquelle il évolue (son « habitus », terme popularisé en France par l'auteur). 21LANCASTER, Kelvin J. A new approach to consumer theory. The journal of political economy, 1966, p. 132157. 22BECKER, Gary S. A Theory of the Allocation of Time. The economic journal, 1965, p. 493-517. 23Les bases du béhaviorisme ou comportementalisme sont établies en 1913 par John Broadus Watson. 19 Le marketing, pluridisciplinaire, s'ouvre à ces domaines afin de comprendre et anticiper au mieux le comportement du consommateur. Ainsi, en se basant sur ces différentes critiques et approches, plusieurs facteurs d'influence ont été définis. 2) Les influences du comportement du consommateur dans le domaine du marketing Pour l'étude de notre sujet, nous avons donc décidé de nous concentrer sur le comportement du consommateur comme une discipline de marketing. En effet, le marketing est une des disciplines sinon la discipline qui se polarise sur le consommateur. Ainsi, Christian Grönroos définit la marketing par « une focalisation sur le consommateur, qui imprègne les fonctions et les processus organisationnels et est adapté à faire des promesses par l'intermédiaire de proposition de valeur, qui vont permettre la satisfaction des attentes individuelles crées par de telles promesses et qui vont satisfaire de telles attentes par l'intermédiaire de support de processus de génération de création de valeur, supportant en cela la création de valeur dans l'entreprise aussi bien que dans les processus des consommateurs que ceux des parties prenantes. »24. Cette focalisation sur le comportement du consommateur rend ainsi évidente l'importance du comportement du consommateur dans le marketing. Afin de le satisfaire, le marketeur doit analyser, comprendre le consommateur et connaître les tendances de consommation. Selon Kotler et al., « l'étude du comportement du consommateur vise à analyser comment des individus, des groupes et des organisations choisissent, achètent et utilisent des biens, des services, des idées ou des expériences afin de satisfaire leurs besoins et leurs désirs »25. Cette étude du comportement consiste notamment à identifier ce qui peut influencer ce comportement. Ainsi, Kotler et al. définissent quatre groupes de facteurs impactant : les facteurs culturels, sociaux, personnels et psychologiques. a. Les facteurs culturels Dans les facteurs culturels, on dénombre ainsi la culture (et les sous-cultures) et la classe sociale. Toujours selon Kotler et al. « La culture est un ensemble de connaissances, de 24GR...NROOS, Christian. On defining marketing: finding a new roadmap for marketing. Marketing Theory, 2006, vol. 6, no 4, p. 395-417. 25 KOTLER Philip, KELLER Kevin, MANCEAU Delphine, DUBOIS Bernard - Marketing management,13e édition, Pearson, 2009, p. 202 20 croyances, de normes, de valeurs et de traditions acquises par l'homme en tant que membre de telle ou telle société ». Cette culture est transmise à l'individu par sa famille et la société dans laquelle il évolue. Elle influence la façon de vivre de l'individu et donc sa consommation de bien. b. Les facteurs sociaux Les facteurs sociaux sont l'influence des relations dites interpersonnelles, soit l'influence des groupes et des rôles qu'ils impliquent :
25 33BLOCH, Peter H. et RICHINS, Marsha L. Shopping withoutpurchase: An investigation of consumer browsingbehavior. Advances in consumer research, 1983, vol. 10, no 1, p. 389-393. 34HIRSCHMAN, Elizabeth C. Innovativeness, novelty seeking, and consumer creativity. Journal of Consumer Research, 1980, p. 283-295. 35MACINNIS, Deborah J. et PRICE, Linda L. The role of imagery in information processing: Review and extensions. Journal of consumer research, 1987, p. 473-491. 36 FILSER, Marc, PLICHON, Véronique, et ANTÉBLIAN-LAMBREY, Blandine. La valorisation de l'expérience en magasin: analyse de l'adaptabilitéd'uneéchelle de mesure de la valeurperçue. In : Actes du 6ème Colloque Etienne Thil. Universitéde La Rochelle, 2003. p. 1-19. 37RAJU, Puthankurissi S. Optimum stimulation level: Its relationship to personality, demographics, and exploratory behavior. Journal of consumer research, 1980, p. 272-282. 38STEENKAMP, Jan-Benedict EM et BAUMGARTNER, Hans. The role of optimum stimulation level in exploratory consumer behavior. Journal of Consumer Research, 1992, p. 434-448. 26 Fig. 3 Comportements de fréquentation des points de
vente Nous allons désormais voir que ces scénarios de fréquentation se sont diversifiés avec le changement des attentes du consommateur et la théâtralisation des points de vente. 4) Le rôle de l'environnement sur le comportement du consommateur Pour notre étude, nous nous focaliserons sur deux point clés du rôle de l'environnement sur le comportement du consommateur : l'atmosphère du point de vente, et le rôle du temps. a. L'atmosphère du point de vente Selon Renaud Lunardo, l'intensification de la concurrence due à la mondialisation ont poussé le point de vente à devenir un outil stratégique pour les marques, en permettant de se différencier et en créant du lien avec le client.39 Ainsi, en parallèle, le client n'est plus uniquement consommateur du produit et du service, il est aussi consommateur d'expérience, 39LUNARDO, RENAUD. Quel marketing sensoriel pour le point de vente?.Décisions Marketing, 2011, vol. 62, p. 73-75. 27 de sens et de signification. Ainsi, les points de vente sont devenus des lieux de divertissements gratuits, scène de théâtre (théâtralisation de l'espace) et lieux d'expériences des sens. Nous avons vu que le marketing traditionnel s'appuyait sur une base de rationalité des comportements, le marketing a donc dû évoluer. Aujourd'hui, nous pouvons distinguer trois nouveaux courants en marketing :
Le marketing sensoriel peut être aussi utilisé dans le marketing expérientiel et le marketing 40 FILSER, Marc. LE MARKETING SENSORIEL: LA QUÊTE DE L'INTÉGRATION THÉORIQUE ET. Revue Française du Marketing, 2003, no 194-4, p. 5. 41 LOEWY Raymond La laideur se vend mal. Gallimard, 2005. 28 émotionnel, nous nous concentrerons ainsi sur celui-ci. Ce courant a pour objectif de solliciter les sens des consommateurs afin de susciter des réactions affectives, cognitives et ou comportementales favorables à la fréquentation du point de vente et de l'acte d'achat. Ce courant répond au besoin de « réenchentement » du consommateur.42 La consommation devient un moyen de rompre sa routine, de vivre des expériences (qu'on appellera alors « expérience de magasinage »), de se procurer des émotions. Holbrook et Hirschman (1982) parlent alors de « consommation hédonique » : c'est la consommation relative à la multi-sensorialité, à la fantaisie et à l'émotion produite par l'usage d'un produit. 43 Si ces nouveaux courants marketing connaissent un grand succès, c'est que leur efficacité a largement été prouvée. Par exemple, la diffusion d'une odeur agréable en boutique augmente le temps d'évaluation et donc le temps de présence en magasin des consommateurs (Morrin et Ratnestshwar, 2000)44, les couleurs chaudes ont une force d'attraction sur les consommateurs (Tullman et al., 2001), etc.45 Ces pratiques se sont ainsi vite implantées dans les centres commerciaux, dans les grands magasins. Ainsi, de nombreuses enseignes sont très souvent citées pour aborder la production d'expérience en boutique : Natures & Découvertes, Lush, L'Occitane... Comme nous avons pu l'aborder, les aéroports se sont aussi appropriés ces codes afin d'attirer les clients et leur fournir une expérience poussant à l'achat. Pourtant, le voyageur n'est pas un consommateur lambda, l'aéroport est un environnement à part entière, qui pousse à des comportements de consommation qui lui sont propres. b. Le facteur temps Selon Bergadaà, « pour tout consommateur, le temps existe en quantité limitée et finie . Aussi 42 FIRAT, A. Fuat, VENKATESH, Alladi, et al. Liberatorypostmodernism and the reenchantment of consumption. Journal of consumer research, 1995, vol. 22, no 3, p. 239. 43HIRSCHMAN, Elizabeth C. et HOLBROOK, Morris B. Hedonic consumption: emerging concepts, methods and propositions. The Journal of Marketing, 1982, p. 92-101. 44MORRIN, Maureen et RATNESHWAR, Srinivasan. The impact of ambientscent on evaluation, attention, and memory for familiar and unfamiliarbrands.Journal of Business Research, 2000, vol. 49, no 2, p. 157-165. 45DOWLING, Kevin, MORGAN, Frederick, MUELLER, George, et al. Ultraviolet light emitting diode systems and methods. U.S. Patent Application No 09/923,223, 6 août 2001. 29 a-t-il une valeur ».46 De ce fait, la relation au temps est individuelle à chacun, selon les expériences vécues et la personnalité de chacun, selon Venkatesan et al (1992).47 Ainsi, certains seront flexibles et d'autres pointilleux par rapport au temps et cette relation va influencer le comportement de consommation de chacun selon Bergadaà. (1988). En effet, le choix de la fréquentation d'un point de vente va dépendre du temps disponible par une personne afin d'accomplir son achat. Mais ce temps accordé à la fréquentation du point de vente dépendra aussi de la nature de sa motivation. Une motivation utilitaire, donc ressentie comme une corvée, imposera au consommateur la volonté de dépenser le moins de temps possible dans cet achat. A l'inverse, une motivation récréative, le consommateur ressent du plaisir à la fréquentation du point de vente et ne compte plus son temps. Le distributeur peut bien évidemment influencer l'appréciation du temps de son client selon Djelassi et al. (2007).48 Soit, en offrant des services ou une configuration du point de vente qui donnent l'impression de gain de temps pour des achats utilitaires. Soit en offrant une atmosphère qui donne envie au consommateur de s'éterniser en magasin, comme nous l'avons vu notamment avec le marketing sensoriel. L'étude de l'effet de ces deux variables environnementales sur le comportement du consommateur sera notre fil rouge lors de notre étude de l'impact de l'environnement aéroportuaire. 46BERGADAÀ, Michelle. Le temps et le comportement de l'individu Recherche et Applications en Marketing, 1988, vol. 3, no 4, p. 57-72. 47VENKATESAN, V. M., ANDERSON, B., SCHROEDER, J. E., et al. Social Time Perspective and Cross-Cultural Consumer Behavior: A Framework and Some Results. In : Association for Consumer Research European Conference. 1992. p. 33-44. 48DJELASSI, Souad, CAMUS, Sandra, et ODOU, Philippe. Explorer la relation au temps du chaland et ses déterminants. Revue Française du Marketing, 2007, no 212, p. 31. |
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