III. L'impact de l'environnement aéroportuaire sur le
consommateur
1) Les caractéristiques du shopping en
aéroport
Selon Timothy et Butler (1995), le shopping en
aéroport est le plus satisfaisant en terme de plaisir et de loisir, il
est lié à l'environnement fournit par le terminal en terme
d'atmosphère, de produits, de services.49 Pour Steve Baron et
Karen Wass (1996), le shopping en aéroport est une partie
intégrante des vacances du voyageur.50Rowley et Slack
expliquent que l'aéroport peut être un loisir et ainsi être
une destination finale, ce que les distributeurs aéroportuaires ont
compris comme nous avons pu le voir dans les parties
précédentes.51
Par ailleurs, nous devons rappeler que l'aéroport est
déjà en soit une rupture avec le quotidien du voyageur. Selon
Bergadaà, l'aéroport est la porte vers le voyage, vers un lieu
d'évasion. Pour certains, le temps passé en aéroport est
un temps « magique ». 52
Même si le shopping en aéroport peut
présenter les caractéristiques d'un shopping en milieu classique,
son atmosphère et son contexte particuliers créent de nouvelles
motivations et de nouvelles variables chez le consommateur.
2) Les motivations du shopping aéroportuaire
Selon Geuens et al. (2004), le shopping est un des aspects les
plus importants du tourisme. Ce shopping qui a lien étroit avec le
voyage est notamment lié au fait de sortir de sa routine et de son lieu
habituel.53 Nous avons vu que le shopping traditionnel était
principalement concentré sur des motivations utilitaires comme des
achats pour la maison, pour les vêtements ou les courses alimentaires,
ainsi que sur des motivations expérientielles. L'environnement
aéroportuaire qui est un environnement particulier pour le consommateur
crée une impression de besoins différents et donc des motivations
différentes. En effet, l'environnement
49TIMOTHY, Dallen J. et BUTLER, Richard W.
Cross-boder shopping: A North American perspective. Annals of
tourismresearch, 1995, vol. 22, no 1, p. 16-34.
50BARON, S., & WASS, K. (1996). Towards an
understanding of airport shopping behaviour. International Review of
Retail, Distribution and Consumer Research,6(3), 301-322.
51ROWLEY, J., & SLACK, F. (1999). The
retailexperience in airportdeparturelounges: reaching for timelessness and
placelessness. International Marketing Review, 16(4/5),
363-376.
52 BERGADAÀ, Michelle. L'aéroport
international: un espace de rencontre entre terre et ciel, 12th Journées
de recherche en marketing de Bourgogne,Dijon (France), November, 8-9, 2007
53GEUENS, Maggie, VANTOMME, Delphine, et BRENGMAN,
Malaika. Developing a typology of airport shoppers. Tourism
Management, 2004, vol. 25, no 5, p. 615-622.
31
multiculturel pousse à l'achat par la découverte
de nouveaux produits, et le temps d'attente subi par le voyageur en salle
d'embarquement crée le désir de rompre l'ennui, que l'on doit
différencier de l'envie de se divertir : le divertissement devient un
moyen de rompre l'ennui et n'est plus le but en soit.
Ainsi, nous pouvons dénombrer plusieurs motivations
à la fréquentation du point de vente aéroportuaire, que
ces motivations soient traditionnelles ou dues à l'aéroport :
· Motivations liées au shopping traditionnel :
o Motivations fonctionnelles ou utilitaires :
· La recherche du bon prix : les prix sont connus pour
être avantageux en aéroport grâce à la détaxe,
même pour les vols intra Européens (sauf pour l'alcool, les
cigarettes et l'électronique).
· La praticité : la présence de magasins
permet aux voyageurs de se procurer ce qui lui est nécessaire à
n'importe quel moment.
· La variété et la qualité des
produits : les boutiques aéroportuaires proposent autant de marques
locales que de marques internationales. Les marques internationales sont gages
de qualités pour les voyageurs, les marques locales, parce qu'elles sont
proposées par l'aéroport, lui inspirent plus confiance qu'en
magasins de souvenirs locaux.
o Motivations sociales :
· Interagir avec le personnel de vente et avec d'autres
voyageurs : au delà de communiquer, d'échanger sur des points
d'intérêts communs c'est aussi un moyen pour les voyageurs de se
réconforter, surtout si le voyage provoque du stress et des sentiments
d'insécurité (Dube et Menon, 2000).54
o Motivations expérientielles :
· La recherche d'une atmosphère différente
: l'atmosphère est souvent plus décisive que le produit en lui
même.
· La recherche de symbole : le shopping en
aéroport peut être un acte symbolique en achetant des produits
issus de la tendance cosmopolite.
54MENON, Kalyaniet DUBÉ, Laurette. Ensuring
greater satisfaction by engineering salesperson response to customer emotions.
Journal of Retailing, 2000, vol. 76, no 3, p. 285-307.
·
32
Motivations dues à l'aéroport:
o Briser la routine et sortir de son lieu habituel : les
boutiques aéroportuaires ne sont pas accessibles au public, mais
seulement aux voyageurs. Ainsi l'accès à ces boutiques n'est pas
routinier.
o Rompre l'ennui : en salle d'embarquement, le voyageur est
confronté à un temps d'attente. Or, le shopping est vu comme une
forme de divertissement et de récréation qui fournit de
l'amusement et de la relaxation. Les plus motivés par l'amusement sont
bien sûr les voyageurs qui partent en vacances en opposition avec les
voyageurs d'affaires.
o Utiliser les dernières devises
étrangères : les bureaux de change facturant leurs services et ne
reprenant pas les petites sommes de devises, l'aéroport est le moyen
d'écouler facilement et de manière agréable ses
dernières devises.
o L'achat de cadeaux et de souvenirs (Sulzmaier, 2001) :
l'aéroport est un lieu propice à l'achats de souvenirs car il est
considéré plus fiable que les boutiques locales de
souvenirs.55
o Les produits exclusifs : les éditions
limitées au travel retail, les trousses de voyage, les accessoires
promotionnels vendus par exemple avec les cigarettes, sont une motivations
supplémentaires à l'achat (Vlitos Rowe, 1999).56
Selon S.-W. Perng et al. (2010), la plus grosse motivation des
voyageurs est l'achat de cadeaux, suivi des achats nécessaires et
prévus, ce qui écarte les motivations
fonctionnelles.57 En effet, toujours selon Geuens et al., les
motivations fonctionnelles en aéroport n'ont pas lieu d'être car
les voyageurs ne prennent pas l'avion pour faire du shopping en
aéroport.
Cependant, ces motivations dépendent aussi grandement
du temps que le voyageur a devant lui. En effet, la particularité du
shopping en aéroport est que le temps passé dans les salles
d'embarquement ne dépend que très peu du voyageur.
55SULZMAIER, Sonja. Consumer Oriented Business
Design: The Case of Airport Management; with 108 Tables. Springer Science
& Business Media, 2001.
56VLITOS ROWE, I.The future of duty-free
retailing.Developments and trends in Europe and the Middle East. FT
management report, 1999, vol. 1, p. 169pp.
57PERNG, Shiaw-Wuu, CHOW, Chia-Chuan, et LIAO,
Wu-Cheng. Analysis of shopping preference and satisfaction
withairportretailingproducts. Journal of Air Transport Management,
2010, vol. 16, no 5, p. 279-283.
33
3) L'influence de la contrainte du temps
En effet, c'est notamment le facteur temps qui va
définir certaines motivations : par exemple plus le temps imposé
au voyageur sera long, plus il s'ennuiera et décidera donc de se
divertir en fréquentant les boutiques duty free. Le temps d'attente est
donc déterminant dans la fréquentation de ces points de vente, et
par extension, sur les achats des voyageurs. Selon Torres E. et al (2005), plus
le temps d'attente est long, plus le voyageur est susceptible de consommer en
Duty Free. 58 Ainsi, selon Rigas Doganis (1992), les voyageurs en
destination de l'international passent plus de temps à l'aéroport
et sont donc plus enclins à consommer.59 Au contraire, les
passagers en voyage d'affaires sont habitués aux aéroports et
arrivent donc à la dernière minute, ce qui les feraient consommer
moins. Le but du voyage influence donc le shopping aéroportuaire.
Cependant, si le temps d'attente est de moins de 45 minutes,
il semblerait que les voyageurs d'affaires dépensent plus que les
touristes sur ce même laps de temps selon Torres et al.
Fig. 4 La relation entre la consommation en Duty Free and le
temps passé en aéroport, par motif de voyage selon Torres et
al.
58 TORRES, E., DOMINGUEZ, J. S., VALDES, L., et
al. Passengerwaiting time in an airport and expenditurecarried out in the
commercial area. Journal of Air Transport Management, 2005, vol. 11,
no 6, p. 363-367.
59DOGANIS, Rigas. The airport business.
Routledge, 2005.
34
4) La travel stress curve et « l'happy hour »
Selon Scholvinck, contrairement à ce que nous pourrions
croire, le stress n'est pas un état permanent pour les voyageurs en
transit dans un aéroport.60 Selon Lin et Chen, ce stress est
majoritairement dû à la pression du temps qui survient à
cause des passages des filtres, des longues distances entre le contrôle
d'identité et les portes d'embarquement, et l'environnement non familier
qui peut désorienter.61 En effet, cet état
émotionnel de stress ne fait qu'augmenter jusqu'au passage des douanes
et des filtres de sécurité, mais redescend ensuite brusquement
une fois arrivé en salle d'embarquement, car la pression du temps n'est
plus ressentie. Cette « travel stress curve » est
représentée par Volkova ci-dessous.62
Fig. 5 Travel Stress Curve de Scholvinck
représenté par Volkova
De plus, selon Thomas (1997), une fois que les passagers ont
leurs cartes d'embarquement, le stress est remplacé par de
l'excitation.63 En effet, cette théorie découle de la
théorie du
60SCHOLVINCK, J. The travel stress curve. Market
Square Consulting, Amsterdam, 2000.
61LIN, Yi-Hsinet CHEN, Ching-Fu. Passengers'
shopping motivations and commercial activities at airports-The moderating
effects of time pressure and impulse buying tendency. Tourism
Management, 2013, vol. 36, p. 426434.
62VOLKOVA, Nazeda. Determinants of retail revenue
for today'sairports.GermanAirport Performance (GAP), 2009.
63THOMAS, D. Retail and leisure developments at London
Gatwick. Commercial Airport, 1997, vol. 38, p. 41.
35
processus opposé de l'émotion de Richard Solomon
(1980).64 Selon Salomon, quand une personne passe par un état
émotionnel, grâce à un processus de balance affective, elle
bascule dans un état opposé. Ainsi, le stress étant un
d'excitation à valence positive, le voyageur va ensuite passer à
un état émotionnel d'excitation à valence positive. Cet
état positif en salle d'embarquement est appelé « happy hour
» par Thomas. C'est une période d'excitation qui pousse les
passagers à explorer les boutiques duty free, à butiner (cf
Lombart 2004) et c'est une aussi une période fortement propice aux
achats d'impulsion.65
5) Les achats d'impulsion
En 2000, Scholvinck (2000) introduit la consommation dite
« non programmée ». Aujourd'hui nous parlerions de shopping
d'impulsion, que Lin et Chen (2013) décrivent comme un shopping
imprévu et une décision d'achat sur le moment.66En
effet, il semblerait que le contexte aéroportuaire pousse à
l'impulsion : le désir de rompre l'ennui, de se trouver dans un lieu
inhabituel (Sulzmaier, 2001).
Crawford et Melewar (2003) introduisent 10 stimuli au shopping
impulsif : l'aspect vacancier, la valeur, l'envie de faire des cadeaux, la
récompense, l'opportunité de faire des affaires, les objets
oubliés, la confusion, l'exclusivité, la disponibilité et
la possession de devises étrangères.67 Ils
suggèrent aussi que les consommateurs n'agissent pas normalement en
aéroport et sont moins rationnels. En effet, à cause du manque de
divertissement, le shopping devient une des activités principales.
L'aéroport est alors adéquat au shopping impulsif.
Geuens et al. (2004) affirment ainsi que l'achat d'impulsion
dépasse toutes les autres raisons d'achats en aéroport.
Effectivement, nous avons vu que l'environnement aéroportuaire
était à l'origine de nouvelles motivations de
fréquentation du point de vente. Or, ces motivations sont
particulièrement propices à l'achat d'impulsion : elles sont
récréatives et liées à l'atmosphère.
Selon J-L Lu, les variables de perception de l'environnement,
des services, de la praticité et
64 SOLOMON, Richard L. The opponent-processtheory
of acquired motivation: the costs of pleasure and the benefits of pain.
American psychologist, 1980, vol. 35, no 8, p. 691.
65PERNG, Shiaw-Wuu, CHOW, Chia-Chuan, et LIAO,
Wu-Cheng. Analysis of shopping preference and satisfaction with airport
retailing products. Journal of Air Transport Management, 2010, vol.
16, no 5, p. 279283.
66LIN, Yi-Hsin et CHEN, Ching-Fu. Passengers'
shopping motivations and commercial activitiesatairports-The moderatingeffects
of time pressure and impulse buyingtendency. Tourism Management, 2013,
vol. 36, p. 426434.
67CRAWFORD, Gerry et MELEWAR, T. C. The importance
of impulse purchasing behaviour in the international airport environment.
Journal of Consumer Behaviour, 2003, vol. 3, no 1, p. 85-98.
36
des produits de valeurs influencent positivement le shopping
d'impulsion (mais aussi celui prévu).68
Enfin selon Corvi et Bonera (2006), il semblerait aussi qu'en
aéroport, le flux quotidien de voyageurs est caractérisé
par des passagers avec une grande tendance au shopping
d'impulsion.69 Car si le shopping d'impulsion était
considéré négatif par les consommateurs dans les
premières études comportementales et était signe
d'immaturité, de manque de volonté, de comportement inconsistant,
il peut aujourd'hui être jugé positivement, d'autant plus en
aéroport où ce comportement peut être signe de gentillesse
et praticité pour l'achat de cadeaux à pris bas (Omar et Kent,
2001).
Ainsi, il en résulte que deux achats sur trois sont
décidés sur l'instant, ce qui fait de l'aéroport un lieu
particulièrement sujet aux achats d'impulsion.70
6) La typologie des shoppers en aéroport
Nous avons vu que les caractéristiques personnelles
influençaient les décisions d'achat des consommateurs : les
voyageurs aborderont ainsi le shopping en aéroport de manières
différentes. Geuens et al. ont pu cependant établir trois types
de consommateur dans le contexte aéroportuaire :
· Les « mood shopers » (les consommateurs
sensibles à l'ambiance) : ces consommateurs aiment faire du shopping
grâce à l'environnement aéroportuaire, qui leur est
inhabituel et stimulant.
· Les « shopping lovers » (les amoureux du
shopping) : ces consommateurs aiment le shopping dans tous ses aspects, mais
l'aéroport représente une stimulation supplémentaire.
· Les « apathetic shoppers » (les
consommateurs apathiques): ces consommateurs sont indifférents au
shopping, quelque soit le contexte. Selon Geuens et al., c'est le type le plus
universel. Omar et Kent (2001) appuient cette théorie en affirmant que
seulement 35% des passagers étaient des consommateurs et que le reste
n'avait aucune intention d'acheter.
68LU, Jin-Long. Investigatingfactorsthat influence
passengers' shopping intentions atairports-Evidence from Taiwan. Journal of
Air Transport Management, 2014, vol. 35, p. 72-77.
69 CORVI E, BONERA M., Le
tendenzeevolutivenellepolitiche di marketing e
comunicazionedell'impresaaeroportuale. 2006. Università Ca' Foscari
Venezia
70OMAR, Ogenyiet KENT, Anthony. International
airport influences on impulsive shopping: trait and normative approach.
International Journal of Retail & Distribution Management, 2001,
vol. 29, no 5, p. 226-235.
37
Au delà de ces trois types de shoppers, les chercheurs
se sont efforcés à définir les comportement d'achats des
voyageurs selon leurs caractéristiques personnelles :
· Lamacraft (1998) affirme que les voyageurs business sont
influencés par leurs collègues et ne sont pas disposés
à montrer de l'extravagance dans leurs achats.71
· Il affirme aussi que les hommes sont plus attirés
par les produits de marques et selon J-L Lu, ils shopperaient plus de
façon impulsive.
· Ceux qui voyagent rarement seraient des apathetic
shoppers et ne consomment ni de façon prévue, ni de façon
impulsive.
· Les voyageurs les plus habitués à
l'aéroport achèteraient avec plus de précaution que les
voyageurs occasionnels qui se laissent aller à l'impulsion.
7) L'influence des nationalités sur la
consommation
Nous avons vu que des facteurs culturels influencent les
décisions du consommateur dans ses achats quotidiens. Ces facteurs ont
aussi un véritable impact en aéroport, lieux où toutes les
cultures se rassemblent. Par exemple, Aéroport de Paris a
étudié les comportements de consommation de ses différents
faisceaux : 72
· Les Anglo-Saxons et les Américains consomment
exclusivement du made in France, et des souvenirs de Paris comme des Tour
Eiffel.
· Les faisceaux asiatiques et africains sont
attachés au luxe Français et à ses grandes marques
internationales. Ils se dirigent ainsi vers le prêt-à-porter, les
parfums, les bijoux et la haute gastronomie (Fauchon, Hédiard,
Maxim's...)
· Les voyageurs d'Europe du Nord recherchent l'artisanat
et la tradition Parisienne. Ils se dirigeront ainsi vers du fait main comme les
boîtes à musiques en bois.
· Les autres passagers européens sont
attirés par l'opportunité de faire de bonnes affaires et
dénicher les dernières tendances au meilleur prix dans un lieu
unique.
En somme, nous avons pu observer que le comportement du
consommateur était influencé par l'environnement
aéroportuaire. Si les motivations d'achats et de fréquentation
traditionnelles s'observent dans un tel environnement, nous avons pu relever
qu'elles étaient principalement
71LAMACRAFT, Jane. Retail design: New store
experiences. Financial Times Retail & Consumer, 1998.
72Commerce aéroportuaire : les boutiques d'Aéroports
de Paris - Documentation Aéroport de Paris, 2009.
38
de nature récréatives et qu'un comportement
était prédominant : la consommation impulsive. Il semble
aujourd'hui que l'industrie du travel retail s'y adapte afin d'en tirer
bénéfice. Mais avec la vulgarisation du tourisme et par extension
du voyage en avion, peut-on encore définir des profils type de voyageur
et trouver des motivations communes aux consommateurs en aéroport ? Une
étude empirique nous permettra de compléter nos connaissances
à ce sujet et de confirmer, d'infirmer ou nuancer les hypothèses
soulevées par la revue de littérature.
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