CONCLUSION PARTIELLE
Dans ce chapitre pratique consacré à l'analyse
des récits, nous avons tenté de démêler les
intrigues pour relever les structures signifiantes de l'oeuvre de Simplice
ILUNGA MONGA.
Nous avons recouru au modèle actantiel de Greimas pour
passer du fond syntaxique au niveau sémantique. Les triangles actantiels
d'Anne Ubersfeld nous ont permis de décrire les forces sociales en
conflit en révélant du même coup les différentes
fonctions sociales de la littérature dans l'oeuvre de SimpliceILUNGA
MONGA.
Pour chaque recueil de nouvelles, nous avons
présenté d'abord une analyse de la matrice actantielle centrale
suivie d'un commentaire y afférent. Cette analyse de la matrice
actantielle centrale a été suivie de l'analyse du récit en
triangles actantiels ponctuée par un commentaire.
A la fin de l'analyse de trois recueils de nouvelles de notre
corpus, une matrice générale assortie d'une analyse en tringles
actantiels en a découlée.
Au regard de nos analyses, l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA
développe les fonctions magico-religieuse, critique, pédagogique,
fantasmatique et idéologique.
CHAP. III. LES FONCTIONS SOCIALES DE LA
LITTERATURE
DANS L'OEUVRE DE SIMPLICE ILUNGA MONGA
III.0. Introduction
Comme dit plus haut, l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA
développe essentiellement quatre fonctions sociales à savoir les
fonctions magico-religieuse, critiques, pédagogiques, fantasmatiques et
idéologiques.
Nous nous proposons, dans ce chapitre, de présenter ces
fonctions ainsi que tous les implicites qu'elles déploient au sens
bourdieusien du mot, c'est-à-dire comme positionnement de l'auteur
à intérieur de différents champs.
En effet, il sera question de montrer ici les problèmes
sociaux à partir desquels l'agent social Simplice ILUNGA MONGA
mène sa réflexion, problèmes sociaux entendus ici au sens
de pathos à partir duquel on peut saisir la pertinence de l'éthos
simplicien.
III.1. La fonction magico-religieuse
La fonction magico-religieuse est beaucoup exploitée
dans L'imposteur pasteur. Dans cette nouvelle, le Pasteur
procède par une sorte d'endoctrinement, une sorte d'envoûtement de
la famille du Docteur Iluzi. Ce Pasteur revêt pratiquement les
qualités reconnues aux gourous et, grâce à sa maitrise des
textes sacrés, en l'occurrence, la Bible, il réussit à
acquérir un ascendant moral, religieux sur ses victimes.
Trop croyants et presque devenus fanatiques, Iluzi et son
épouse Lotti acceptent, de fait, l'autorité morale et religieuse
du Pasteur. Tout ce qui vient du Pasteur relève de la volonté de
Dieu. S'y opposer, c'est refuser de vivre et de marcher selon la parole de
Dieu.
Le couple du Docteur Iluzi est une famille atypique de toutes
les autres familles qui, du jour au lendemain, se retrouvent volontairement ou
pas pris dans un tourbillon mené par une autre forme de religion de la
libération en vogue en Amérique latine.
En effet, durant l'été 1968, naissait sous la
plume de l'aumônier des étudiants péruviens, Gustavo
Guttierez, l'expression « théologie de la
libération ». Un mois plus tard, la deuxième
conférence du Celam (Conseil épiscopal latino-américain)
se réunissait à Medellin (Colombie) pour réfléchir
sur le thème : «L'Église dans la transformation de
l'Amérique latine, à la lueur de Vatican II.» Dans leur
texte final, les évêques proclamaient : «Nous sommes au
seuil d'une époque nouvelle de l'histoire de notre continent,
époque clé du désir ardent d'émancipation totale,
de la libération de toutes espèces de servitude.»
Ce vaste courant de pensée théologique emportera
toute l'Église d'Amérique Latine dans son sillage, suscitant de
très vives réactions dans le monde catholique, obligeant le
Vatican à se prononcer à deux reprises sur le
bien-fondé de cette théologie.
Prenant sa source dans une expérience de contemplation,
de compassion, d'indignation et d'engagement aux côtés des plus
pauvres, la théologie de la libération offre une
réponse spécifique à toutes les communautés
opprimées : «La théologie de la libération dit
aux pauvres que la situation qu'ils vivent actuellement n'est pas voulue par
Dieu», dira Gustavo Gutiérrez.
Elle repose sur la prise de conscience que les pauvres
attendent un libération réelle et qu'il est vain de parler du
Christ et du salut qu'il apporte si ce salut n'est pas immédiat. Le
critère le plus précis de l'authenticité
évangélique est donc la lutte contre la pauvreté.
"La création d'une société juste et fraternelle est le
salut des êtres humains, si par salut nous entendons le passage du moins
humain au plus humain. On ne peut pas être chrétien aujourd'hui
sans un engagement de libération" Gustavo Gutierrez
Son impact s'explique par le fait que, face à l'immense
écart entre riches et pauvres, elle plaçait l'homme au centre de
sa réflexion, non pas un homme abstrait mais un homme engagé dans
sa propre histoire et acteur de sa libération. Et aussi parce que les
dictatures des années 1970 ne pouvaient que faire surgir une
réaction vive et forte de l'ensemble du clergé.
Théologie neuve, authentiquement chrétienne par
son oecuménisme et son enracinement biblique, la théologie de la
libération a été l'objet d'innombrables publications. Son
audience a dépassé le seul domaine de sa
spécialité. Un très grand nombre de prêtres,
religieux et religieuses travaillant auprès des populations les plus
pauvres, l'ont adoptée avec enthousiasme. Grâce à
elle, la théologie en Amérique latine est entrée dans les
familles, à l'université, au risque parfois de voir son message
déformé.
Les communautés ecclésiales de base (CEB),
petites communautés populaires permettant une appropriation de
l'Évangile et une lutte contre la pauvreté, sont issues de la
théologie de la libération. Noyaux ecclésiaux, les CEB se
sont multipliées au Brésil, en Bolivie, Colombie, au Paraguay,
Salvador... Dirigées par des laïcs, homme et femmes, elles
permettent encore aujourd'hui de faire vivre l'Église dans les
régions les plus reculées et les plus isolées de ce
continent.
On a beaucoup évoqué en parlant de la
théologie de la libération de «perversion de la
chrétienté» et de «théologie des rues».
Elle a été également accusée de dérive
idéologique, d'une forte connotation marxiste dans le discours, et du
recours à la lutte des classes comme grille de lecture des conflits
sociopolitiques. Le fait que beaucoup de membres du clergé se soit
impliqué dans les luttes politiques (allant jusqu'à prendre
les armes dans certains pays) a accru la méfiance des pouvoirs en place
et du Vatican.
En Afrique et, particulièrement, en République
Démocratique du Congo, cette théologie de la libération a
enfilé le tablier de réveil spirituel au sein des Eglises
pentecôtistes. Les abus avérés ou pas des Pasteurs sont
devenus, pour tout objecteur de conscience un sujet d'interpellation.
D'ailleurs, la postface de Imposteur
Pasteursignéepar le PasteurEzéchiasKumwamban'est pas
anodine. En effet, pour le Pasteur Ezéchias Kumwamba, « Ce
roman, écrit, non par un athée ou un incrédule mais par un
serviteur de Dieu, dans un style vivant et bien assis dans les
réalités vécues par les chrétiens de son pays et un
avertissement divin (un appel à la repentance à tous ses
ministres)et un travail de dévoilement qui nous montre clairement ce qui
se passe derrière les murs des églises. (Il) souhaite que ce
roman apparemment amusant, pousse tous les élus du Seigneur à
combattre pour garder la foi apostolique par le message de l'évangile,
en barrant la route à ces ouvriers de Satan déguisés en
oint de Dieu ».
En République Démocratique du Congo, la
naissance des Eglises de réveil remonte aux années 1980. Lorsque
le régime du Président Mobutu s'essouffle, les contestations
montent de partout sous l'impulsion de l'Eglise catholique. Pour contrer le
poids inquiétant de l'Eglise catholique,le Gouvernement encouragea
légalement et même financièrement l'émergence de
nouvelles églises.
Mais vite, ces églises sont verser dans le
clientélisme faisant ainsi de du Christianisme un véritable
business. Pour Toussaint Muyombi, « Il n'y a pas de business plus
lucratif, à Kinshasa, que les "Églises de réveil". Leurs
guides vendent au prix fort leur bénédiction aux fidèles
congolais... et leur influence aux hommes politiques. Quand un homme a faim,
mieux vaut lui apprendre à prêcher. Créer une Église
est devenu une sorte de "débouché sur le marché du
travail" ». (2009 : 77)
La prolifération de ces églises et le
détournement de leur vocation font que ces églises ne sont plus
des temples de prière mais plutôt des guichets de perception
d'argent.Le pasteur occupe une place prépondérante dans la vie
du fidèle : c'est lui qui sauve, et non plus les sacrements. La grogne
sociale est à son comble, le peuple a perdu toute confiance en
l'État et se tourne vers la religion.
Dans un pays à fort taux de chômage, créer
une Église est vite devenu une sorte de "débouché" sur le
marché du travail pour certains jeunes diplômés en
quête d'emploi. Dans cette recrudescence du phénomène
religieux, le christianisme s'est enrichi d'un nouvel espace de circulation
d'un discours religieux assez particulier et aux enjeux bien
précis : le salut de l'âme, la santé du corps, la
protection contre les mauvais esprits, le bien-être matériel et
social des conducteurs et de leurs adeptes.
Ce discours assume ainsi des fonctions messianique,
prophétique et thérapeutique au sein de la société
en crise. L'euphorie religieuse suscitée par ces sectes
chrétiennes, a profondément marqué les pratiques
langagières des Congolais. Les mutations culturelles qu'elles ont
introduites dans leur communauté de langage ont une incidence
sociolinguistique certaine sur l'ensemble du christianisme; elles ont
même marqué les pratiques langagières des Congolais qui
attendent du ciel la nourriture quotidienne, un emploi
rémunérateur, une protection contre les mauvais esprits, des
bénédictions... Les Eglises de réveil détiennent
donc tout un capital culturel qui impose son style langagier.
SimpliceILUNGA MONGA en fait échos dans son oeuvre.
L'Imposteur Pasteur exproprieses adeptes en prétendant que
c'est des éléments du rituel de délivrance imposés
par le Saint Esprit. Il finit par devenir plus riche que ses adeptes en roulant
des véhicules de luxe et en étant compté les mieux
habillés de la ville. Ils montent en « grade »
presque tous les dix jours (Intercesseur, Diacre, Evangéliste,
Sacrificateur, Pasteur, Visionnaire, Bishop, Archibishop, Mandataire
international...) et ne tarissent pas de surnoms (Le Général,
Moto na Mopanga, Fire, La réserve de l'Eternel...).
Aux yeux de leurs adeptes, ils sont des « demi
dieux » et se considèrent comme tels. Ils s'autoproclament
abusivement prophète, visionnaire, apôtre,
évangéliste, pasteur, guide, maître (...) Ces
sacrificateurs des églises, ministères, assemblées du
réveil spirituel sont prêts à tout pour attirer des
adeptes. Mais, sous la parure d'« homme de Dieu », se cachent des
« malins » déterminés à s'enrichir sur le dos
des « naïfs » en quête de la manne céleste. Ces
êtres faibles, enivrés et désillusionnés par les
réalités quotidiennes de la vie, sont des proies faciles pour
certains initiateurs des églises du réveil. Ces sacrificateurs
leur promettent des recettes miracles, allant des séances de
désenvoûtement aux guérisons miraculeuses en passant par
les promesses les plus folles dont ils seraient les seuls à
détenir le secret.
Pour Simplice ILUNGA MONGA, les sacrificateurs prendraient
l'apparence de bergers, alors qu'ils sont devenus en réalité des
loups acharnés contre les troupeaux de Dieu. Ils sont comme
l'étoile du matin qui se lève avant l'aube et qui parait
brillante et radieuse, mais qui égare les voyageurs de la cité de
Dieu et les conduits sur les chemins de la perdition.
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