III.2. LA FONCTION PEDAGOGIQUE
0. Introduction
L'enseignement supérieur et universitaire (E.S.U.) au
Congo n'est pas en crise. Il est en voie de disparition. La formation
dispensée, dans ses instituts et dans ses facultés, est
tombée en dessous du seuil qui permet de prétendre à une
qualification professionnelle de niveau supérieur.
Au contraire, sa décomposition s'amplifie,
d'année en année, au point de ronger même ses dimensions
les plus essentielles que sont la pédagogie, la bibliothèque, la
formation...
La pédagogie, on le sait, est un domaine très
vaste et parfois ambigu. Elle a été considérée,
à divers moments de son cheminement historique, tantôt comme un
art, tantôt comme une science, tantôt encore comme une
théorie pratique de l'action éducative. Cependant, comme
l'affirment Georgette Pastiaux et Jean Pastiaux (1986, 4) aujourd'hui, on ne
débat plus pour savoir si la pédagogie est un art ou une science,
mais on reconnaît sa nature praxéologique et sa double
visée : améliorer une situation réelle et comprendre les
déterminants (psychologiques, historiques, sociaux, etc.) et les
principes générateurs de l'action éducative. Pourtant, le
domaine ne demeure pas moins vaste. Mais, avant de revenir à l'oeuvre de
Simplice ILUNGA MONGA, retraçons brièvement la genèse de
l'E.S.U. en R.D.C.
Les deux premiers établissements d'enseignement
universitaire congolais ont été créés
respectivement en 1954 et 1956, soit 6 ans et 4 ans avant l'accession du pays
à l'indépendance. Le profil d'homme à former traduit dans
la conception du programme d'alors répondait essentiellement aux besoins
de développement politique, économique, social et culturel de
l'époque. Depuis l'indépendance, les quelques réformes du
programme de formation universitaire n'ont pas suivi les profondes mutations
que la société congolaise à l'instar de tous les autres
pays a connues -et en train de connaitre.
Pendant que les entreprises, l'administration publique, les
Organisations non gouvernementales, ... peinent à trouver de la main
d'oeuvre qualifiée, le taux de chômage explose parmi les jeunes
diplômés de l'Université. Il devient clair que les
Universités ne répondent plus aux besoins des entreprises et de
la société congolaise. Le système d'enseignement congolais
vit en total déphasage avec son environnement économique alors
qu'il devrait être en interaction avec ce dernier. Ce n'est guère
étonnant si les grandes entreprises minières installées au
Katanga font appel à la main d'oeuvre étrangère pour
répondre à des impératifs économiques.
De manière particulière, l'augmentation rapide
et continue des effectifs à l'Université a, paradoxalement,
entrainé une faible attractivité de certaines filières.La
libéralisation de l'offre d'enseignement supérieur a
généré des formes inédites de compétition
entre les formations et les établissements privés et publics qui
proposent désormais des filières répondant au mieux aux
besoins du marché. La dimension marchande de l'éducation
supérieure, dans laquelle les savoirs deviennent de simples biens
commerciaux, détermine la nature même de ces savoirs scientifiques
mais également leurs conditions de production et de transmission.
Le programme universitaire conçu dans les années
1950 a connu quelques réformes (1971 ,1981 et de 2004) qui n'ont
pas permis au système éducatif universitaire congolais de
s'adapter aux transformations majeures et aux besoins fondamentaux de la
société.
L'enseignement supérieur et universitaire au Congo
doit encore relever le défi de la qualité de son enseignement,
dont les performances sont jugées parmi les plus faibles de la
planète. Ce pays qui comptait l'un des taux les plus
élevés d'universitaires et qui a formé la plupart des
« élites » d'Afrique, vit actuellement des heures sombres de
son histoire dans le secteur éducatif. La belle époque a pris fin
dans les années 1974. Plusieurs raisons sont à l'origine de cette
situation catastrophique en occurrence le faible budget alloué à
ce secteur, pauvreté des parents, non-paiement des enseignants, le
clientélisme, le favoritisme, le tribalisme etc. Qualitativement
l'enseignement congolais est à plaindre.
En observant la pratique pédagogique au niveau de
l'enseignement supérieur et universitaire en R.D.C., on ne peut manquer
de constater qu'une méthode de communication s'est imposée au fil
des années : la méthode «dictée». Par
cette méthode, s'il est toutefois permis de l'appeler ainsi, la
communication pédagogique revient pratiquement à dicter
le contenu du cours aux apprenants et, éventuellement, à
expliquer le texte dicté. Certains enseignants, soucieux de la
compréhension de la matière par les étudiants, ajoutent
une troisième phase à la méthode, les réponses aux
questions des étudiants.
De manipulation facile, ce qui justifie son extension, la
méthode «dictée», préconisée par aucun
didacticien, requiert un moindre effort dans la
préparation de la communication pédagogique. Il
suffit de savoir lire pour savoir dicter. De même, la
préparation de la prestation pédagogique ne va pas au-delà
de la préparation et de la compréhension du texte à
dicter. Point n'est donc besoin de suivre un séminaire de
pédagogie universitaire pour savoir exploiter cette procédure
d'enseignement.
De facilité éprouvée, la méthode
«dictée» est pourtant éprouvante tant pour l'enseignant
que pour l'enseigné. Il n'est pas aisé, loin s'en faut, de
procéder à une dictée dans une classe nombreuse. Terminer
une page de dictée est une épreuve qui pourrait être
retenue comme une Méthode «dictée». Et cette
« méthode » se décline en trois phases
suivantes :
Phase I
Dictée de la matière
Phase II
Explication de la matière
Phase III
Questions de compréhension
Il faut, en effet, répéter la phrase, si pas
autant de fois qu'on a d'étudiants, mais certainement plusieurs fois.
Ainsi, outre le fait que l'enseignant et l'enseigné sortent d'une telle
séance physiquement abattus, les opportunités d'apprentissage, la
réflexion, le raisonnement, la curiosité scientifique, la
créativité, la recherche se voient fortement
étouffés dans un contexte de communication pédagogique
marquée par cette méthode. De manière particulière,
les interventions des étudiants, dans ce contexte, se ramènent
à peu près à ceci : « Je n'ai pas saisi la phrase, je
manque le mot, je n'ai pas terminé la phrase... ».
Si même l'enseignant a le souci d'explication de la
matière dictée, il prêchera littéralement dans le
désert, les étudiants étant plutôt
préoccupés par les notes à compléter. Ceci ne
pourrait-il pas amener les étudiants à avoir une mauvaise estime
des enseignants ? Les apprenants ne seraient-ils pas de ce fait conduits
à formuler à l'égard des enseignants des institutions de
l'E.S.U. en R.D.C. le reproche ci-après mis en évidence par la
recherche de Mucchielli (1998, http://[...]/pedagogie.htm) menée
auprès de quelques étudiants d'une université parisienne ?
« Vous nous considérez comme des machines à prendre des
notes, à mémoriser et à réciter non comme des
individus qui veulent comprendre et trouver du sens à ce qu'ils
apprennent. Nous ne sommes pas des machines, mais des individus en quête
de sens. »
Devenu objet et non sujet de sa formation
dans le contexte d'une communication pédagogique par la méthode
«dictée», l'étudiant ne peut nullement
développer l'apprendre à apprendre, aptitude aujourd'hui
plus qu'indispensable dans le processus d'apprentissage. Si la communication
pédagogique à l'E.S.U. laisse à désirer,
l'évaluation n'est pas en reste. Des notions élémentaires
de formulation des questions ne semblent pas être connues par beaucoup
d'enseignants. En plus, le moment d'évaluation s'apparente
plus à un moment de règlement de compte pour certains enseignants
et de véritable trauma pour beaucoup d'étudiants.
« L'ethos de l'évaluateur semble recouvert par cet obscur objet du
désir : le pouvoir [...] la relation entre l'évaluateur et
l'évalué semble régie d'un côté par un
rapport de force, de l'autre côté par le soupçon ou la peur
d'être fustigé, voire disqualifié » (Jorro, 2006, p.
68).
N'est-ce pas cela qui justifie toutes les pratiques
éthiquement négatives constatées pendant les sessions
d'examen et dénoncées par Simplice ILUNGA MONGA : la corruption,
le trafic d'influence, le favoritisme ? Tout compte fait, l'évaluation
est loin d'être partie intégrante du processus
enseignement-apprentissage. L'évaluation formative, en particulier,
représentée par des interrogations et des travaux pratiques, est
fortement négligée dans certains établissements au profit
de l'évaluation sommative.
Sur le plan de l'évaluation, l'on peut aussi
stigmatiser le non-respect de certains principes essentiels :
l'objectivité, la validité de contenu de l'évaluation, la
cohérence entre l'évaluation et le contenu de la matière
dispensée, entre l'évaluation et les objectifs du cours....
Lorsqu'on passe en revue quelques échantillons de
questions d'examens ou d'interrogations, force est de constater qu'elles
sollicitent plus les connaissances déclaratives que les
connaissances procédurales et conditionnelles. Les
questions sont ainsi plus du type quoi, qu'entendez-vous par, quels sont,
définissez, citez-moi, et moins du type comment et
pourquoi. Peut-il en être autrement lorsque la communication
pédagogique, par la méthode «dictée» ou par
d'autres méthodes qui ne mettent pas l'apprenant au centre de sa
formation, n'insiste pas elle-même sur les connaissances
procédurales et conditionnelles ?
La corruption est devenue presque la deuxième
identité de l'université congolaise. Toute la
crédibilité est perdue à cause de l'exagération de
la corruption au point que les diplômes qu'elle décerne n'ont
aucune valeur sur l'échiquier mondial.
Pour obliger les étudiants à donner de l'argent,
certains enseignants se cachent derrière la vente des
« syllabus » et un paiement conditionnel avant de passer
des travaux pratiques ou les frais d'enrôlement avant de passer une
interrogation. La corruption pécuniaire change parfois pour se
convertir en « NST » c'est-à-dire « Notes
Sexuellement Transmissible ». Les étudiantes font
régulièrement l'objet du harcèlement sexuel de la part de
certains enseignants.
Ces derniers vont parfois jusqu'à menacer de faire
échouer celles qui résisteraient à leurs sollicitations.
Beaucoup de filles sont parfois recalées à cause de leur
refus de céder aux avances des enseignants. Il faut aussi signaler,avec
Simplice ILUNGA MONGA que « des bureaux des certains enseignants
sont devenus des chambres d'hôtel, plus question de se soucier de
l'absence du lit car leurs tables jouent déjà ce
rôle ».
Les relations humaines/sociales comme la parenté,
l'amitié, l'appartenance tribale ou ethnique sont aussi
exploitées par les étudiants qui, parfois, font intervenir leurs
proches pour plaider leurs cas auprès des enseignants. On voit passer
des mains en mains, plus spécialement pendant et après les
différents examens, d'innombrables lettres de recommandation des
enseignants demandant à leurs collègues d'être favorables
aux leurs. Cette pratique enfreint donc l'égalité des
chances dont doit bénéficier chaque étudiant sans
discrimination. « Les autorités politico-administratives,
les Conseillers de différents cabinets politiques, les Honorables, les
officiers de la police et de l'armée, les directeurs d'entreprises, les
pasteurs, les beaux frères, tous au mépris du règlement
académique appelaient pour changer le rouge en bleu quelques part.
Facilement, le zéro devenait six, le trois huit, le deux en douze. Il y
avait de quoi estomaquer un fou.(...) Monsieur le président !le
principe dont je parle n'est écrit nulle part, mais il est marqué
dans la tête de chacun de nous. Il s'agit du principe nos enfants
d'abord. »p90 -91
Pour l'auteur, le non-respect des principes
d'évaluation nuit aujourd'hui effectivement à la formation des
étudiants. A court, moyen ou long terme, le recours à la
corruption nuira de façon très significative à la
bonne marche du pays.
Les corrupteurs d'aujourd'hui sont appelés à
être les cadres de demain. Que peut-on attendre d'eux une fois aux
commandes du pays? Ils prendront sans aucun doute la place des corrompus
d'hier. Si le pays est géré par des individus de ce genre,
peut-on vraiment espérer quelque chose de bon ?
Aux yeux de Simplice ILUNGA MONGA, les enseignants ne sont pas
les seuls à accuser. Parfois les étudiants encouragent
cette situation. Il faudra dire que ce sont là les habitudes apprises
très tôt, car même à l'école maternelle
certains parents n'acceptent que leurs enfants reprennent de classe. Une fois
au niveau de l'enseignement supérieur, ces enfants ne peuvent que
poursuivre ce chemin de corruption.
Souvent ce sont ces étudiants qui vont frapper, porte
après porte, aux bureaux des enseignants pour demander une mesure
de grâce en cas d'échec dans un cours donné. Certains
enseignants ne peuvent que céder à la tentation.
III.3. LA FONCTION FANTASMATIQUE
La fonction fantasmatique est transversale à
toute l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA. En effet, Dans Imposteur
Pasteur, il s'observe des conflits entre personnages ayant des liens de
sang ou alors ceux ayant une parenté par alliance.
En effet, premier d'entre tous, le Pasteur est en conflit
avec la mère de Lotti, épouse de Iluzi et le juge. La mère
de Lotti et le juge sont en quelque sorte les derniers « gardiens du
temple ». Ils défendent avec bec et ongles un idéal
social et moral auquel, hélas, le Pasteur ne croit plus. Au nom de la
loi, le juge ne peut pas fermer les yeux devant le viol que commet le Pasteur.
Au nom d'une certaine idée de modèle social, la mère de
Lotti n'est pas disposée à laisser le Pasteur réaliser son
projet. Elle n'est pas non plus en odeur de sainteté avec sa fille Lotti
victime d'un endoctrinement déplorable de la part du Pasteur. Le Pasteur
lui-même est en conflit avec les valeurs éthiques et
déontologiques qu'impose son « métier ».
Dans L'odeur de la malédiction, le conflit
entre personnages ayant les liens de sang oppose d'abord Cobella à son
père, puis à ses oncles paternels et enfin à ses
frères.
Dans l'Université à la dérive, le
Professeur Talanga ne partage pas la même opinion avec sa fille. Le
Recteur et le Ministre finissent, en gardien des valeurs universitaires, par
mettre le véreux Professeur hors d'état de nuire.
III.4. LES FONCTION IDEOLOGIQUE
Par ces fonctions, Simplice ILUNGA MONGA nous plonge dans une
société à la dérive et sans repère moral,
une société dans laquelle les vices prennent la place des vertus.
On le sait, la perte des valeurs morales ne date pas
d'aujourd'hui. En effet, ce thème a fait florès en tout
temps : que ce soit sous l'Empire romain, qui vit certains auteurs
déplorer le déclin des valeurs d'ordre, de justice et
d'humanité (Cicéron), ou au contraire la montée en
puissance des valeurs de renoncement, de charité et de pauvreté
affirmées par la religion chrétienne naissante (Flavius
Josèphe) ; que ce soit au siècle des Lumières, qui
vit nombre d'aristocrates ironiser sur les valeurs d'épargne, de travail
et d'effort (l'«esprit de calcul») ainsi que sur les valeurs de
liberté et d'égalité en droit promues par la bourgeoisie
montante ; que ce soit sous et après la Révolution,
époques qui virent les «possédants» et/ou les
conservateurs de toute sorte vitupérer contre les aspirations à
davantage d'égalité réelle exprimées par certains
(Thiers, Tocqueville) ou contre les valeurs d'une société
préférant se placer sous l'égide de la Nation plutôt
que sous celle de Dieu (Burke, de Maistre...) ; que ce soit après
la défaite de 1871, époque qui vit des penseurs convaincus que
cette dernière était imputable à une
dégénérescence des valeurs traditionnelles en appeler
à une «réforme intellectuelle et morale»
(Renan) ; ou que ce soit encore dans l'entre-deux-guerres, qui vit un
certain nombre de penseurs conservateurs dénoncer la France du Front
populaire (la «France du pastis»), coupable, à leurs yeux,
d'apprécier davantage les congés payés, le repos et le
plaisir que l'effort, le travail et le sacrifice.
Par ailleurs, ce thème a fait - et fait aujourd'hui -
également florès en tous lieux : sans qu'il soit besoin
d'insister longuement, il est plus que probable que les aspirations à
davantage de liberté, d'autonomie, d'égalité et de
démocratie ressenties par une partie (variable) des populations vivant
dans les sociétés du Proche et du Moyen-Orient voire du Sud-Est
asiatique sont perçues, par tous ceux qui ne les partagent pas, comme le
symptôme d'une réelle « crise des
valeurs »...
Faut-il s'en étonner ? À l'évidence,
non. La raison en est simple : c'est qu'il existe, pour Simplice ILUNGA
MONGA, entre crise des valeurs et fonctionnement social, une relation
dialectique en quelque sorte inévitable, chacune de ces deux instances
agissant et réagissant l'une sur l'autre. De là cependant
à en déduire que cette relation dialectique ne peut ni ne doit
être régulée ou maîtrisée, il y a bien
évidemment un pas qu'il faut se garder de franchir.
Si l'on part de l'idée que le concept de valeur renvoie
à ce qui est vrai, beau ou bien, « selon un jugement
personnel plus ou moins en accord avec celui de la société de
l'époque » (Petit Robert), nul doute que la
« crise des valeurs» censée affecter la
société française contemporaine ne saurait être
dissociée de la manière dont fonctionne et évolue cette
dernière : non pas seulement parce que cette crise ne fait que
refléter, finalement, l'évolution qui affecte la
société ; mais aussi parce qu'elle ne manque pas d'agir, en
retour, sur cette même évolution.
Que la « crise des valeurs » soit tout
d'abord le reflet de l'évolution qui affecte la société ne
saurait faire ici aucun doute. La plupart des vecteurs grâce auxquels
l'intégration des valeurs de citoyenneté et de cohésion
sociale par l'ensemble de la population s'effectuait sont aujourd'hui en panne
ou en déclin : qu'il s'agisse de l'école, laquelle a du mal
à remplir sa mission traditionnelle de structuration culturelle et/ou
sociétale de ses usagers ; qu'il s'agisse du service national qui,
compte tenu de son coût financier et des mutations opérées
en matière de défense stratégique, a été
supprimé et ne joue donc plus son rôle de ciment de la
Nation ; qu'il s'agisse des partis politiques, dont la perte d'audience
(on pense en particulier au rôle de mobilisation autrefois joué
par le Mouvement Populaire de la Révolution) a laissé en
déshérence (provisoire ?) une fraction importante des
personnes qu'ils parvenaient, jadis, à regrouper autour de valeurs
communes fortes ; qu'il s'agisse des syndicats, dont le déclin
sensible bien que relatif est concomitant de celui des partis ; ou qu'il
s'agisse encore de l'Église, dont la force d'attraction n'a
cessé, au fil du siècle dernier, de régresser (en
témoigne la baisse de la pratique voire de la foi), entraînant un
étiolement là aussi relatif mais palpable des valeurs
attachées à son message.
Par ailleurs, la société se trouve
confrontée, compte tenu notamment de la mondialisation et de la
globalisation de l'économie, de l'amplification des échanges et
de l'accélération des communications qui en résultent (le
« village-monde ») et aussi, on doit le souligner, de notre
système politico-social, à de redoutables défis :
exacerbation des règles de la concurrence, qui pèse sur la
capacité et/ou sur la volonté des employeurs de ménager le
capital humain ; nécessité d'intégrer (au sens de ne
pas exclure) des populations issues de vagues plus ou moins récentes
d'immigration d'origines culturelles et/ou religieuses fortement
différenciées ; tendance d'une partie (certes marginale mais
non négligeable) de ces populations à se replier sur des valeurs
communautaires pas toujours en harmonie (c'est le moins que l'on puisse dire)
avec les principes d'universalité ; insuffisance voire absence de
sanctions à l'égard d'un grand nombre de ceux (de toutes origines
et de toutes conditions) qui enfreignent la loi (situation
délétère qui conduit certains à penser que tout ou
presque est permis : échapper à l'impôt, soit par la
fraude, soit par la délocalisation, compte tenu du niveau
« insupportable » atteint par celui-ci ; se livrer
à des incivilités croissantes eu égard à la fois au
rejet dont on s'estime victime et au sentiment de relative impunité que
l'on nourrit)...
Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que
les valeurs anciennes sur lesquelles s'appuyait jusqu'alors notre
société soient considérées par certains comme en
crise : qu'il s'agisse des valeurs de laïcité et de
neutralité (voir le débat sur le « foulard
islamique » à l'école) ; des valeurs de
tolérance et de respect de l'autre (ceux qui se retranchent
derrière des valeurs identitaires et/ou communautaires reprochant aux
autres de déroger à leurs valeurs de tolérance, ces
derniers reprochant, à l'inverse, aux premiers de nier les valeurs de
fraternité et de solidarité (que devient le rêve de la
solidarité organisatrice et égalitariste exprimé en 1945
lorsque le mouvement du monde et la force supposée des choses la
contraignent à n'être plus que réparatrice et
« équitariste » ?) ; des valeurs de
liberté, d'égalité et de responsabilité (quelle
valeur peut avoir la liberté pour celui qui est sans emploi et sans
logement ? l'égalité pour celui qui est victime de la panne
de «l'ascenseur social» ? la responsabilité pour celui
qui éprouve, à tort ou à raison, un sentiment de relative
impunité, pour celui qui, mû par ses seuls intérêts
personnels, n'hésite pas à transférer ses avoirs et/ou sa
résidence à l'étranger pour échapper à
l'impôt, ou, à l'inverse, pour celui qui, cherchant surtout
à tirer profit de l'État-providence de manière soit
passive soit active - voir la thématique anglo-saxonne du
« passager clandestin » - en arrive parfois à
compter non pas tant sur lui-même que sur les autres pour
améliorer son sort ?).
Mais si la « crise des valeurs » doit, de
toute évidence, se saisir comme le reflet ou le produit de
l'évolution que connaît notre société, elle ne
manque pas d'influer et de réagir, en retour, sur cette même
évolution. Ainsi n'est-il guère contestable, par exemple, que
c'est la croyance moins forte d'une partie des élites aux valeurs de
solidarité qui a permis - via une résurgence de la
valeur « responsabilité individuelle » et une
priorité donnée aux valeurs de liberté voire
d'équité (donner à ceux qui en ont le plus besoin, les
autres se débrouillant par eux-mêmes) de préférence
à celle d'égalité - un affaiblissement relatif bien que
sensible de l'État-providence. Et ce, même s'il n'est pas
davantage contestable, à l'inverse, que c'est l'attachement d'une grande
partie de la population aux valeurs de solidarité sociale et de
responsabilité collective qui, jusqu'à présent en tout
cas, a permis de freiner une évolution rapide de la
société congolaise vers une dislocation certaine.
De même n'est-il guère douteux, dans un ordre
d'idées similaire, que si les attaques portées (au nom des
valeurs d'efficacité, de responsabilité ou
d'équité) à l'État-providence n'ont pas peu
contribué à mettre un terme à l'expansion quasi continue
dont celui-ci avait bénéficié depuis des lustres, le
relatif repli qu'il a connu depuis une trentaine d'années a
généré, en retour, une résurgence des valeurs de
solidarité personnelle et intergénérationnelle d'entraide
familiale, de fraternité via des engagements associatifs de
plus en plus nombreux : constat qui tend clairement à montrer que
le combat pour les valeurs doit se saisir autant comme un agent de
structuration de la société que comme sa résultante...
On peut même aller plus loin : en l'occurrence,
soutenir que si le fonctionnement de la société est bel et bien
à l'origine de la crise des valeurs, les valeurs (anciennes ou
nouvelles) qui tendent à prévaloir à un moment
donné sont bel et bien à l'origine, à leur tour, de la
crise de la société. Ainsi, et pour ne s'en tenir qu'à ce
seul exemple : qui pourrait penser que le déclin des valeurs
d'égalité, de justice, de solidarité (avec son
corollaire : la résurgence des valeurs du « chacun pour
soi », d'irresponsabilité, de liberté personnelle
poussée à l'excès voire d'adhésion sans
réserve aux communautés) qui touche aussi bien certains membres
des élites (voir les rémunérations faramineuses que
s'octroient certains dirigeants de sociétés) que certains membres
des classes dites « défavorisées » (voir la
multiplication des actes de petite délinquance, les incivilités
croissantes, l'importance du groupe ou du clan, etc.) n'est pour rien dans la
crise latente et dans la morosité ambiante qui affectent aujourd'hui
notre société ? Comment inciter les uns à faire des
sacrifices en termes de rémunérations et de revendications
lorsque les autres s'estiment dispensés d'y consentir ? Comment
sanctionner de manière cohérente les auteurs de petits
délits (qui, en « pourrissant » la vie de ceux qui
en sont victimes, les poussent parfois dans les bras des partis
extrémistes) lorsque les auteurs - puissants et connus - d'autres
délits (fraude fiscale, corruption, etc.) parviennent à passer
entre les mailles du filet ?
Entre la « crise des valeurs » et le
fonctionnement social, il existe donc bien, on le voit, une relation
dialectique à la fois forte et inévitable. Ce qui ne saurait
signifier, bien évidemment, que cette relation ne puisse - ou ne doive -
connaître certaines limites.
Pour étayer le propos, on partira ici de
l'hypothèse selon laquelle toute société organisée
repose nécessairement sur des valeurs, c'est-à-dire sur une
représentation de ce qui, à l'intérieur du groupe, est
considéré majoritairement comme bon, bien ou juste ; valeurs
dont il est certes possible de récuser aussi bien l'universalité
que l'intemporalité mais dont il n'est guère pensable, en
revanche, de nier l'existence.
Évoquer la « crise des valeurs » ne
saurait avoir de sens, dans cette perspective, que pour autant que l'on postule
que les valeurs en crise ne sont pas n'importe lesquelles : ce sont
celles-là même qui sont en vigueur dans une société
donnée à un moment donné. Autrement dit, celles qui
peuvent se réclamer d'une certaine tradition et qui ont réuni, de
manière plus ou moins durable, un minimum de consensus.
Parmi elles, certaines sont plus particulièrement
marquées au coin de la contingence (même si cette dernière
peut se révéler relativement durable dans le temps et assez
répandue dans l'espace...) car liées, pour l'essentiel, aux
moeurs, aux coutumes et usages, et, plus largement, au fonctionnement de la
société civile : ainsi, par exemple, des valeurs
liées à la sexualité (liberté sexuelle,
avortement...), au couple (place du mariage, unions hors mariage, unions entre
personnes du même sexe...), au statut de la famille (familles
recomposées, place de l'enfant adultérin...), etc.
L'évolution qui les affecte pourra donner lieu à
une appréciation très différenciée selon les
convictions de chacun : elle pourra être considérée
comme une crise par les uns et comme une évolution positive voire
salutaire par les autres. Autant dire que la crise, ici, ne revêt pas
(quel que soit le jugement que l'on peut porter sur elle) une importance
fondamentale pour le devenir de la société : celle-ci pourra
se pérenniser sans problème majeur sans être remise
fondamentalement en cause dans son être ou dans sa forme politique
(république, etc.) d'organisation.
Il en va différemment, en revanche, pour d'autres
valeurs dont le déclin, l'oubli voire le non-respect se
révèlent beaucoup plus dangereux pour la pérennité
de la communauté nationale. Tel est le cas, tout d'abord, des valeurs
qui, étroitement liées au fonctionnement même de la
société politique, sont de nature à porter atteinte, si on
les ignore ou les récuse, aux idées mêmes de
démocratie et de république.
Pour ces valeurs, en effet, les choses sont claires. Toute
remise en cause substantielle de leur existence ne saurait que menacer sinon le
devenir même de la société (à moins qu'elle ne se
disloque, celle-ci pourra perdurer indépendamment du régime
politique qui est le sien), du moins la pérennité de ce
modèle particulier d'organisation politico-sociale.
Sans doute, d'aucuns pourraient faire valoir qu'il en va de
cette république et de ses valeurs comme il en va de toute
société : elle a vocation à évoluer en
même temps qu'évolue cette dernière. Qu'y a-t-il en effet
de comparable entre la traduction donnée en 1960 à la valeur de
l'authenticité, celle qui lui a été donnée en 1970
et celle qui lui est donnée en 1997 par les responsables de l'Alliances
des Forces Démocratique pour la Libération du Congo ?
Tel est le cas, également, des valeurs liées aux
règles élémentaires de la sociabilité telles que le
respect des biens et des personnes, le respect de l'autre et de ses opinions,
le rejet de l'intolérance et des incivilités, etc. À
l'évidence, on touche là à des valeurs encore plus
fondamentales que les précédentes car consubstantielles
(indépendamment de la forme du régime politique) au principe
même de toute vie en société : raison de plus pour que
les pouvoirs publics dans leur ensemble conjuguent leurs efforts afin de
combattre cette « crise » spécifique des valeurs.
Crise aux conséquences mortifères car susceptible de
déboucher sinon forcément sur ces deux formes de négation
du droit que constituent la dictature ou l'anarchie, du moins sur la
négation de ce qui spécifie toute société
organisée et a fortiori toute société
fondée sur le respect des Droits de l'homme.
III.5. FONCTION CRITIQUE
Transversale également à toute l'oeuvre de
Simplice ILUNGA MONGA, la fonction critique est toujours exploitée par
ricochet. En effet, derrière le Pasteur Mwempo, c'est une
sévère diatribe de l'auteur contre le détournement de
l'Eglise et de sa mission première qui se cache. Le Professeur Talanga
est tout sauf un modèle pour la communauté universitaire et
scientifique. Mieux, il est une honte pour ce « corps ».
Cobella comme ses oncles paternels sont également loin d'être une
enfant ou alors des frères modèles. Ils lorgnent nuit et jour sur
la richesse de Iluzi et rêvent en secret de le voir mort pour jouir de
ses biens.
Derrière chaque figuration se cache un regard critique
trahissant le discours social de l'auteur et son positionnement dans
différents champs.
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