I.2.1.1.2. LA NOTION D'ETHOS
Si le pathos, selon L-V. Thomas(1963), renvoie aux
attentes du peuple et bien l'éthos quant à lui fait
allusion au discours comme réponse aux attentes. Pour un écrivain
contraindre le lecteur, c'est le pousser à adhérer à son
positionnement, face à tel ou tel autre problème de la
société ». Cela est conditionné par l'image que
l'écrivain véhicule qui peut être de deux ordres,
soit :
1) Ethos extralinguistique : le protocole environnant,
soigné par l'image du personnage. L'écrivain qui se substitue en
mandataire de la société doit par conséquent inspirer
confiance. Cela va influer sur la légitimation de son discours.
2) Ethos linguistique : qui est le discours même
qui porte son message. Il est impérieux également de le soigner
avec des formes esthétiques soutenues. Il est évident qu'une
oeuvre littéraire présente un protagonisme idéologique et
une opposition entre différentes forces sociolectales » mais
c'est par là qu'on peut dégager la position de l'auteur.
I.2.1.2. LA SOCIOLOGIE DU TEXTE
La sociologie du texte développée par Pierre V.
Zima, en 1985, est au point de départ de notre exercice et
apparaît la voie d'analyse toute désignée pour aborder le
discours idéologique dans sa perspective critique.
Présentée dans sonManuel desociocritique(1985)comme une
technique systématique d'analyse, elle offre une synthèse
méthodologique des plus utiles pour étudier ce discours selon une
approche sémantique et syntaxique. Mais en exploitant les
théories et les méthodes dialectiques qui relèvent du
modèle théorique du signe, elle peut permettre également
d'accéder à la systématisation d'un modèle
sémiotique à lafois critique et social. Là se trouve
l'intérêt de cette méthode dont il convient derappeler les
fondements et les principales étapes.
Disons au départ que la méthode, inspirée
de travaux antérieurs sur la «sociologie des
textes»,s'appuiesur la sociologie de la littérature et repose
essentiellement sur la linguistique structurale (structures discursives) et sur
des composantes de la grammaire sémiotique (lexicologie,
sémantique et syntaxe).
Cherchant à dépasser les limites du discours
esthétique ou philosophique, elle retientenpriorité le langage et
l'intertextualité comme catégorie sociologique. Un peu à
la manière de la sociocritique de Claude Duchet, elle vise d'abord le
texte et la «socialite» du texteet se donne pour objet
d'étudier «le statut du social» dans le texte, tout en
s'intéressant à la question de savoir comment des
problèmes sociaux et des intérêts de groupe sont
articulés sur les plans sémantique, syntaxique et narratif. Il
s'agit bien de représenter ces différents niveaux du texte
«comme structures à la fois linguistiques et sociales» et
d'utiliser certains concepts sémiologiques existants dans leur dimension
sociologique.
Il s'agit aussi de considérer l'univers social comme un
«ensemble de langages collectifs» absorbés et
transformés par les textes,sansjamais isoler ces langages du contexte
culturel et discursif dans lequel ils s'inscrivent. En évaluant sous cet
angle du langage les valeurs sociales, il est possible d'étudier le
discours idéologique«dialogique» lié au pouvoir
politique et de décrire les idéologies à l'oeuvre.
Ces fondements théoriques de la méthode, qui
privilégient l'oeuvre commeproduction de la
société et comme lecture-interprétation de
celle-ci, impliquent une démarche en deux moments principaux:
l'établissement de la situation sociolinguistique et
l'analyse textuelle proprement dite mise en corrélation avec le
contexte social. Ces étapes accordent la première importance
à la notion de «langages collectifs», aussi appelés
«sociolectes», «reconnaissables, dit Greimas, par les variations
sémiotiques qui les opposent les uns aux autres (c'est leur plan de
l'expression) et par les connotations sociales qui les accompagnent (c'est leur
plan du contenu)».
Ces sous-langages, constitués en taxinomies
socialessous-jacentes aux discours sociaux, permettent d'établir des
rapports étroits entre le texte et la société, tout en
représentant des intérêts et des problèmes
collectifs au niveau du langage. De tels sociolectes, inscrits dans les textes,
retrouvent leur dimension réelle dans la situation sociolinguistique.
Rechercher cette situation sociale du langage vécue par
l'auteur du texte étudié et par les écrivains de son
temps, constitue la première étape d'analyse. Le fait de retracer
ce type de langage, de faire ressortir les différents sociolectes
idéologiques des années de production et même de mettre en
relief les types de discours sur la langue conduit habituellement à
découvrir la genèse d'une structure littéraire ou
dramatique. Ce même langage acquiert cependant une nouvelle dimension
lorsqu'il est reformulé dans une perspective sémiotique et
selaisse découvrir à travers les structures narrative et
discursive des oeuvres et à divers niveaux textuels.
L'étude de ces niveaux correspond à
l'étape centrale de l'étude qui, rendantcompte des textes dans un
contexte dialogique, consiste à décrire les sociolectessur les
plans lexical, sémantique et syntaxique (narratif). Ces niveaux
textuels, considérés dans leurs fonctions linguistiques et
sociales, font voir comment s'articulent des intérêts collectifs
dans le langage. Au stade de l'examen lexical, il importe de repérer un
sociolecte général de l'oeuvre formé d'une dichotomie de
lexèmes émanant d'une taxinomie de mots-clés. Cette
unité sociolectale de base relevant du contenu de l'oeuvre
établit une structure lexicale à lier avec la situation
sociolinguistique.
Il faut toutefois aller plus loin pour découvrir
l'univers sémantique de l'oeuvre et la structure de cet univers par la
recherche de dichotomies de sèmes. Zima parle des sociolectes comme de
codes que les membresd'unecollectivité ont en commun et qui sont
régis par des oppositions valorisantes. Leur fonction estd'unirla
structure du récit à la situation sociolinguistique.
Les catégories d'oppositions sémantiques
relevées conduisent à dégager un sociolecte
sémantique qui résume le sens de l'oeuvre et qui se traduit
à travers les comportements de sujets collectifs ou individuels. Cette
base sémantique des textes détermine leur structure narrative
selon des groupements antagonistes. Elle fait aussi apparaître le
sociolecte comme le résultat d'un processus de classification ou d'un
«faire taxinomique». Elle doit dépasser cependant le stade des
simples oppositions de sèmes et tenir compte des isotopies de
classèmes et même des oppositions d'isotopies
sémantiques.
La classification de telles distinctions, codifiées
selon une pertinence collective particulière, établit le
fondement sémantique du texte et le lieu où se manifestent
clairement les problèmes ou les intérêts sociaux.
A la troisième étape de l'analyse, ces
intérêts sont aussi à questionner sur le plan syntaxique ou
narratif des textes, de manière à mettre les sociolectes en
discours et à penser l'idéologie en tant que structure
discursive. L'explication de la structure narrative aux niveaux de
l'énoncé et de renonciation permet de les déceler en tant
que discours théorique ou discours critique. Il importe d'abord de
ressortir et d'expliquer la structure de l'oeuvre à l'aide de l'analyse
actantielle(schéma greimassien) et ensuite de mettre les sociolectes en
discours pour qu'apparaisse le discours idéologique issu aussi bien du
programme narratif des sujets d'énonciation que de leurs attitudes
critiques et réflexives envers leurs propres activités ou celles
des autres.
Dans le cas où les modèles actantiels
résistent mal à l'application de différents
schémas, il faut alors recourir aux concepts fondamentaux d'actant
collectif et d'isotopiesémantiqueou aux procédés
rhétoriques de la métaphore et de la métonymie afin de
définir le discours idéologique des sujets d'énonciation
(narrateurs et personnages).
Cette étape d'analyse syntaxique ne peut suffire
à vérifier la validité de ce discours,puisqu'elle se
contente de rendre compte du texte dans un contexte dialogique par rapport aux
formes discursives auxquelles il a réagi.
Une dernière analyse consiste à relier tout le
processus intertextuelà la situation sociolinguistique
précédemment étudiée et, plus largement, au
contexte social des époques concernées. Cette mise en
corrélation du texte au contexte, de la structure syntaxique à la
structure sociale ou du discours idéologique du texte à celui du
groupe social s'avère une opération d'intertextualité
(externe) nécessaireà la vérification de la valeur
empirique des concepts et à l'évaluation de la
réelleinsertion des instances d'énonciation (auteurs, metteurs en
scène) dans le processus de création.
Dans le domaine de la lecture, la sociologie du texte se
propose «de mettre en rapport la structure textuelle et ses conditions de
production avec les différents métatextes des lecteurs»
(Pierre V. Zima, 1985 : 10). En cela, ce type de sociologie recoupe la
définition de lasociocritique donnée par Claude Duchet et
Françoise Gaillard (1976).
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