Section 2 - L'interaction renforcée entre public
et private enforcement
84. Coopération plutôt que concurrence.
Le découplage contentieux objectif (public
enforcement) et subjectif (private
enforcement) n'a d'utilité que par la dialectique qu'il apporte ;
en ce qu'il impose une structuration de la pensée via une
méthode de raisonnement permettant d'établir un cadre
intellectuel sur les modalités d'efficience du droit de la concurrence.
Opposer ou mettre en concurrence ces deux modalités définies
doctrinalement n'a qu'une vertu spéculative et n'apporte en rien
à sa finalité qui est l'efficacité de la «
concurrence » telle qu'elle est pensée par les autorités et
le législateur européen.
183 Murielle Chagny soulève la possibilité de
créer des fonds publics venant racheter ces créances ou avancer
les frais du procès permettant d'éviter toute dérive, avec
l'exemple de la proposition de loi prévoyant la création d'un
Fonds d'aide à la justice ou du système québécois
sur ce point (CHAGNY, Murielle et DEFFAINS, Bruno in Réparation des
dommages concurrentiels, essai, septembre 2015, p. 205)
184 DELPECH, Xavier in La cession de créance emporte
celle des actions en justice qui lui sont attachées, Recueil Dalloz,
2006, p. 365.
185 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d'avantages
pour le règlement consensuel des litiges ou la négociation
plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44,
juillet-septembre 2015, p. 98 (4ème paragraphe)
186 Un exemple concret de ce risque (ou opportunité
pour les entreprises) est développé dans la thèse de
Guillaume Zambrano (citée supra) où l'entreprise
Cartel Damages Claims promet une « immunité civile
» aux entreprises « coopérant » avec elle, ce qui
aux yeux de l'auteur : « En filigrane de ce langage lénifiant,
la promesse de CDC est exactement de paralyser les poursuites civiles. La
contrepartie de cette immunité civile est couverte par la
confidentialité, mais on peut raisonnablement présumer de sa
nature pécuniaire à défaut de son montant. Le service
offert par CDC consiste à négocier - ou monnayer - collectivement
l'indemnisation, par voie de transaction » (p. 316-318).
81
Auparavant, cette efficacité avait été
pensée essentiellement au travers du Livre Blanc de 2008 autour du duo :
action individuel-recours collectif. Mais la directive n°2014/104 focalise
l'efficacité du contentieux subjectif par son accouplement avec le
contentieux objectif. Changement de paradigme qui selon Rafael
Amaro187 traduit une volonté : « l'optimisation de
l'interaction sphère publique, sphère privée ».
En outre, la Commission le confesse elle-même dans la proposition de
directive, il s'agit de :
« [Donner] les moyens de poursuivre une
politique forte de mise en oeuvre du droit de la concurrence,
tout en permettant aux victimes d'infractions au droit de le concurrence
d'obtenir réparation du préjudice qu'elles ont subi
188».
En témoigne par la suite, la directive elle-même qui
précise :
« (6) Pour garantir des actions de mise en oeuvre
effective sur l'initiative de la sphère privée en vertu du droit
civil et une mise en oeuvre effective par la sphère publique à
travers les autorités de concurrence, il est nécessaire que
ces deux outils interagissent afin d'assurer une efficacité
maximale des règles de concurrence. »
Efficacité maximale donc, qui du point de vue des
économistes en dehors même de la subdivision contentieux objectif
ou subjectif passe par des sanctions plus efficaces. Ainsi, la nature de ces
sanctions n'est pas l'essence même du problème (que ce soit des
amendes, des dommages et intérêts ou punitifs ou une peine
pénale importe peu). Le coeur du sujet est dans le bilan
économique négatif réel à enfreindre le droit de la
concurrence. Certes, comme le pointe le vice-président de
l'Autorité de la concurrence française et économiste
Emmanuel Combe, il faut « punir fortement ceux qui se font prendre,
mais aussi et surtout [il faut] dissuader les agents de s'engager dans
des actions illicites ».
189
85. Interaction des deux sphères. La
coopération des deux voies contentieuses formant le droit
de la concurrence va par son efficience se renforcer. Ainsi,
la directive n°2014/104 vient en préciser les modalités
techniques. Trois points du dispositif législatif mis en place seront
abordés : d'une part, la question de l'autorité de la chose des
décisions des autorités en charge du droit de la concurrence (1),
d'autre part, la production de la preuve par les autorités de
concurrence (2) et enfin, la compatibilité avec le programme de
clémence et la transaction (3).
187 AMARO, Rafael in Le contentieux privé des pratiques
anticoncurrentielles, avant-propos G. Canivet, préf. M.
Béhar-Touchais, Bruylant, 2014
188 Proposition de directive du Parlement européen et
du Conseil relative à certaines règles régissant les
actions en dommages et intérêts en droit interne pour les
infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États
membres et de l'Union européenne,Strasbourg, le 11.6.2013 COM(2013) 404
final, p. 4
189 COMBE, Emmanuel in A la recherche de la sanction optimale,
Concurrences, 2006, n° 4, p. 10 et s.
82
§1) Autorité des décisions des
autorités de concurrence
86. Constat de jure d'une autorité
relative. La question de la reconnaissance dans le
contentieux privés ou subjectifs des décisions
des autorités de concurrence se pose substantiellement dans le cadre
d'action en follow-on.
Cette question d'harmonisation des décisions est
prégnante aux contentieux concurrentiels du private
enforcement, ainsi rien d'étonnant que cette question soit
partiellement abordée en ce qui concerne, entre autres, les actions
collectives dans la recommandation de la Commission :
« 32. Les États membres devraient veiller
à ce que, lorsque, dans une matière juridique, une
autorité publique est habilitée à arrêter une
décision constatant une violation du droit de l'Union, les recours
collectifs ne soient, en règle générale, introduits par
des personnes privées qu'après que l'autorité publique a
définitivement clos la procédure qu'elle avait
préalablement engagée. Si la procédure est engagée
par l'autorité publique après l'introduction d'un recours
collectif, la juridiction saisie du recours devrait éviter de
statuer en contradiction avec la décision que l'autorité publique
envisage de prendre. À cette fin, la juridiction devrait
pouvoir surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité
publique clôture la procédure190 ».
Spécifiquement, il faut se pencher sur
l'autorité de la chose jugée qui se définit comme l'«
ensemble des effets attachés à la décision
juridictionnelle, telle la force de vérité
légale191» (même si le terme «
jugée » n'est pas approprié, une autorité nationale
de concurrence pouvant ne pas être une juridiction).
En ce qui concerne les décisions définitives ,
insusceptible de recours, la Commission
192
européenne, fait déjà peser une
présomption irréfragable de faute dans le contentieux
privé pour infraction aux règles de concurrence, en vertu d'une
application extensive de l'article 16 du règlement n°1/2003 du
Conseil du 16 décembre 2002 . Qui plus est, cette autorité de
chose jugée/
193
décidée s'étend aussi aux motifs . En ce qui
concerne les droits internes apparaît des régimes plus
194
ou moins contraignants.
190 Recommandation de la Commission en date du 11 juin 2013
relative à des principes communs applicables aux mécanismes de
recours collectif en cessation et en réparation dans les États
membres en cas de violation de droits conférés par le droit de
l'Union (2013/396/UE), point 32-33.
191 CORNU, Gérard [directeur] in Vocabulaire juridique,
Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française
192 la directive définissant une « décision
définitive constatant une infraction » comme une décision
constatant une infraction qui ne peut pas ou ne peut plus faire l'objet d'un
recours par les voies ordinaires
193 CJCE, arrêt du 14 décembre 2000, Masterfoods Ltd
c. HB Ice Cream Ltd, aff. C- 344/98
194 Ibid. considérant 34 : « L'effet de la
constatation ne devrait toutefois porter que sur la nature de l'infraction
ainsi que sur sa portée matérielle, personnelle, temporelle et
territoriale telle qu'elle a été déterminée par
l'autorité de la concurrence ou l'instance de recours dans l'exercice de
sa compétence ».
83
En outre, si en Allemagne ou en Angleterre , par exemple, a pu
être reconnue une autorité de
195 196
chose « décidée » aux décisions
définitives des autorités nationales de concurrence, il n'en est
pas ainsi pour tous les États membres, dont l'Italie197 ou
encore la France.
Par exemple, la Cour de cassation française a pu dire que
:
« Mais attendu, en premier lieu, qu'il appartient
à celui qui se prévaut de l'existence de pratiques
discriminatoires d'en établir la preuve ; qu'ayant retenu, par une
appréciation des éléments de preuve versés aux
débats y compris de la décision invoquée du
Conseil de la concurrence laquelle, [É], ne
lie pas le juge198 ».
Toutefois, pour la France, il faut nuancer le propos car il
existe une « présomption irréfragable » du
manquement, suite à une décision des autorités ou
juridictions nationales ou de l'Union européenne compétentes,
à l'article L623-24 alinéa 2 du Code de la consommation mais
uniquement pour les seules actions de groupe engagées par les
associations de consommateurs.
87. Autorité de facto.
Derrière cette asymétrie selon les systèmes
juridiques de la valeur
probatoire des décisions des autorités en charge
de la concurrence au niveau interne se cache un effet contraignant dans la
pratique décisionnelle des juridictions.
Cette autorité morale a autant de force probatoire que
l'autorité strictement juridique de la chose jugée ou
décidée. Ainsi, au regard du droit français, Marie
Dumarcay relève que :
« les juridictions nationales ne sont nullement
liées par les décisions rendues par l'autorité
française de concurrence, si bien qu'il existe un risque de
contradiction des décisions. Ce hiatus - avéré ou
auguré - ne doit cependant pas être exagéré, les
décisions de l'autorité de concurrence
bénéficie de l'autorité morale inhérente
à l'expertise du sachant 199».
Cet effet contraignant est appuyé d'un point de vue
empirique200. Logiquement, c'est bien l'autorité morale des
ANC qui entre en oeuvre, autorité de la parole de l'expert face au juge
civil. Par ailleurs, cette homogénéité semble
répondre subsidiairement à la préoccupation
d'éviter les incohérences que pourrait ressentir le
requérant en cas de décision contradictoire.
195 Paragraphe 33 al. 4, GWB, Act against Restraints of
Competition : « (4) Where damages are claimed for an infringement of a
provision of this Act or of Articles 101 or 102 of the Treaty on the
Functioning of the European Union, the court shall be bound by
a finding that an infringement has occurred, to the extent that such a finding
was made in a final and non-appealable decision by the competition authority,
the European Commission, or the competition authority Ð or court acting as
such Ð in another Member State of the European Union. The same applies to
such findings in final and non-appealable judgments on appeals against
decisions pursuant to sentence 1 ».
196 Competition Act 1998 s. 58A, introduced by Enterprise Act
2002 s. 20; Competition Act 1998 s. 47A(9)
197 Cour de cassation italienne, arrêt du 27 mars 2014,
Fondiaria - SAI c/ Nicola Perrini
198 Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 17
juillet 2001, n° de pourvoi: 99-17251
199 DUMARÇAY, Marie in La situation de l'entreprise
victime dans les procédures de sanction des pratiques
anticoncurrentielles. Etude des procédures française et
communautaire d'application du droit communautaire des pratiques
anticoncurrentielles, [Doctorat : Droit : Montpellier-I : 2008], 9 n°4
200 voir thèse citée supra Guillaume
Zambrano, p. 99
88.
84
Droit prospectif. La directive vient
renforcer l'autorité de la chose décidée des
décisions des autorités en charge de la concurrence. En son
article 9, elle le fait avec une dualité de régime selon la
qualité de l'émetteur de la décision :
« 1. Les États membres veillent à ce
qu'une infraction au droit de la concurrence constatée
par une décision définitive d'une autorité nationale de
concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme
établie de manière irréfragable aux fins
d'une action en dommages et intérêts introduite devant leurs
juridictions nationales au titre de l'article 101 ou 102 du traité sur
le fonctionnement de l'Union européenne ou du droit national de la
concurrence.
2. Les États membres veillent à ce que,
lorsqu'une décision définitive visée au
paragraphe 1 est prise dans un autre État membre, cette
décision finale puisse, conformément au droit national,
être présentée devant leurs juridictions nationales au
moins en tant que preuve prima facie du fait qu'une infraction
au droit de la concurrence a été commise et, comme il convient,
puisse être examinée avec les autres éléments de
preuve apportés par les parties. »
Ainsi, les décisions définitives d'une
autorité nationale de concurrence ou d'une instance de recours
constituent une preuve irréfragable de l'infraction. Par contre, si une
décision définitive est précise dans un autre Etat membre
celle-ci ne constitue qu'une preuve prima facie . C'est-à-dire
une
201
preuve qui, à moins d'être
réfutée, suffirait à prouver une proposition
précise ou un fait (en l'espèce, une infraction).
89. Faute civile et faute concurrentielle.
Si les juridictions nationales saisies sont liées par
les constatations d'une autorité nationale de concurrence, elles
doivent cependant décider si la violation du droit de la concurrence
constitue une faute civile. Se pose ici la question de l'équivalence des
fautes de la même manière que pour la faute pénale et la
faute civile. Ainsi, doit-il y avoir une assimilation ou une disjonction de la
faute dans ces deux domaines ? Existe-t-il une « unicité de la
faute » civile et concurrentielle ?
202
Au niveau européen, la Cour de justice a
considéré que si la Commission constatait une violation au droit
de la concurrence de l'Union européenne, la juridiction nationale saisie
ne devait pas rechercher le fait dommageable, mais seulement le dommage et le
lien de causalité203.
Comme souvent, le Livre Blanc204 remarque une
dissonance de régime au sein des Etats membres. Dans certains d'entre
eux, l'existence d'une faute n'est pas une condition de la réparation
des
201 ce qui constitue un changement par rapport à la
proposition de directive qui avait adopté le point de vue allemand qui
donnait un effet liant aux décisions étrangères
202 FASQUELLE, Daniel et MESË, Rodolphe in Livre vert de
la Commission sur les actions en dommages et intérêts pour
infraction aux règles communautaires sur les ententes et abus de
position dominante, Concurrences, 2006, p. 33-37
203 CJUE, arrêt du 6 novembre 2012, Europese Gemeenschap
c./ Otis NV et autres, aff. C- 199/11, paragraphes 65-66 : «
l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité directe
entre ce préjudice et l'entente ou la pratique en cause reste, en
revanche, soumise à l'appréciation du juge national
»
204 Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions
en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril
2008, COM(2008) 165 final. p. 7
85
dommages subis du fait d'une infraction aux règles de
concurrence, où la faute est présumée de
205
manière irréfragable (une fois que l'infraction
a été prouvée). Selon la Commission, il n'y a pas de
raison de principe de s'opposer à une telle approche, néanmoins
il n'y a aucune raison de décharger les auteurs d'infractions de leur
responsabilité au motif qu'ils n'ont pas commis de « faute »,
excepté dans le cas où l'auteur de l'infraction a commis une
« erreur excusable ». Dans le même Livre Blanc, une
erreur est considérée comme excusable dans le cas où une
« personne raisonnable » appliquant un «
degré élevé de diligence ne pouvait pas avoir
connaissance » du fait que le « comportement en cause
restreignait la concurrence ».
La limite de l'unicité de la faute civile et
concurrentielle est posée au considérant 34 de la directive
laissant une marge d'interprétation souveraine aux juges du fond :
206
« L'effet de la constatation ne devrait
toutefois porter que sur la nature de l'infraction ainsi que sur sa
portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale telle
qu'elle a été déterminée par l'autorité de
concurrence ou l'instance de recours dans l'exercice de sa compétence.
Lorsqu'une décision a conclu à une infraction aux
dispositions du droit national de la concurrence dans les cas où le
droit de la concurrence de l'Union et le droit national de la concurrence
s'appliquent en parallèle à la même affaire, ladite
infraction devrait également être considérée comme
établie de manière irréfragable. »
En toute hypothèse, la reconnaissance de l'effet liant
dans la reconnaissance de la faute améliore la situation des victimes et
augmente le risque de sanction pour les entreprises fautives. D'un point de vue
pratique, cela permet notamment de faciliter l'octroi de
provision207 ce qui améliore la situation financière
des demandeurs victimes à l'action collective.
§2) Production de preuve figurant dans le dossier
d'une autorité de concurrence
90. Accès aux preuves et coordination des
politiques d'enforcement. L'accès au dossier des
autorités nationales de concurrence soulève de
importantes interrogations et renvoie à la coopération entre les
autorités de concurrence et les juridictions nationales. Quoi qu'il en
soit, une
telle demande doit être proportionnée et ne pas
nuire à l'instruction du dossier par une autorité de la
concurrence208.
205 VOGEL, Louis in Les actions civiles de concurrence : Union
européenne, France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Suisse,
États-Unis, p. 54
206 ce qui semble encore flou tant la marge
d'interprétation de la notion de causalité étant
dépendante selon les Etats membre (pour une critique, voir LIANOS,
Ioannis in Causal Uncertainty and Damages Claims for Infringement of
Competition Law in Europe (January 24, 2015). CLES Working Paper No. 2/2015)
207 DUPUIS-TOUBOL, Frédérique in La
Réparation du préjudice causé par une pratique
anticoncurrentielle en France et à l'étranger : Bilan et
perspectives, 17 octobre 2005
208 considérant 23 de la directive n°2014/104
86
Tout d'abord, la directive apparaît comme un
complément au règlement sur l'accès du public aux
209
documents des institutions européennes. Dans la
directive, le régime est décomposé au travers de deux
articles : l'article 6 et l'article 7.
Specialia generalibus derogant, ainsi le texte
précise que les règles matérielles de l'article 5 n'ont
pas vocation à s'appliquer lorsque les règles de l'article 6 ont
vocation à s'appliquer. Ainsi, en ce qui concerne la
proportionnalité de la demande (voir supra au point 80), il est
prévu un cadre spécifique à l'injonction qui doit tenir en
compte notamment :
«a) la question de savoir si la demande a
été formulée de façon spécifique
quant à la nature, à l'objet ou au contenu des documents
soumis à une autorité de concurrence ou détenus dans le
dossier de celle-ci, ou s'il s'agit d'une demande non spécifique
concernant des documents soumis à une autorité de
concurrence;
b) la question de savoir si la partie qui demande la
production d'informations le fait dans le cadre d'une action en
dommages et intérêts introduite devant une juridiction
nationale; et
c) pour ce qui concerne les paragraphes 5 et 10, ou
à la demande d'une autorité de concurrence en application du
paragraphe 11, la nécessité de préserver
l'efficacité de la mise en oeuvre du droit de la concurrence par la
sphère publique210. »
Dans la même logique, le paragraphe 10 prévoit
que la production de preuves contenues dans le dossier d'une ANC n'est possible
que lorsqu'aucune des parties ou aucun tiers ne peut raisonnablement fournir
lesdites preuves. Enfin, le texte prévoit que si une autorité de
concurrence souhaite donner son avis sur la proportionnalité de demandes
de production de preuves, elle peut, de sa propre initiative, présenter
ses observations à la juridiction nationale devant laquelle la
production de preuves est demandée (article 6.11).
91. Protection des procédures devant les
ANC. Par ailleurs, dans certaines hypothèses
précisées, les juridictions ne peuvent ordonner
la production de preuves que lorsque l'autorité nationale de concurrence
a soit rendu sa décision, soit clos la procédure (article 6.5)
:
« a) les informations préparées par une
personne physique ou morale expressément aux fins d'une procédure
engagée par une autorité de concurrence;
b) les informations établies par l'autorité
de concurrence et envoyées aux parties au cours de sa procédure;
et
c) les propositions de transaction qui ont
été retirées. »
De surcroît, la directive exclut totalement la
production des documents internes des autorités nationales de
concurrence et leur correspondance (article 6.3).
Le paragraphe 6 traite de la clémence et de la
transaction qui sera étudiée infra et qui
bénéficie d'une quasi immunité vis-à-vis de la
procédure d'injonction de production de preuve. Néanmoins, il
faut noter que si seulement une des parties de preuves demandées sont
couvertes par le
209 Règlement (CE) n°1049/2001 du Parlement
européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l'accès du
public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la
Commission
210 article 6.4 de la directive n°2014/104
87
paragraphe 6, les autres parties de celles-ci, en fonction de la
catégorie dont elles relèvent, peuvent être produites.
A contrario des régimes exclusifs de production
de preuve, peut être ordonnée à tout moment la production
de preuves provenant du dossier d'une ANC, qui ne relèvent d'aucune des
catégories énumérées au sein de l'article 6 de la
directive.
92. Sanction. Toute preuve ainsi recueillie et
mobilisée devant une juridiction nationale sans avoir respecté
ces conditions ne saurait être recevable (article 7). Quant aux
modalités des sanctions, le régime est identique à la
production de preuve comme expliqué supra (point 82).
§3) Clémence et transaction
93. Prime à la coopération.
Comme le soulevait il y a déjà plus de dix ans le Livre
Vert à propos du public et private enforcement :
« une coordination optimale de ces deux
éléments est particulièrement importante pour la
coordination des demandes de clémence et des demandes
d'indemnisation. Les programmes de clémence et la
responsabilité civile contribuent, de par leurs effets, à la
réalisation du même objectif: dissuader plus efficacement les
entreprises de constituer des ententes. »
211
Trois ans plus tard, dans le Livre Blanc, la Commission donne
le même son de cloche et précise les modalités techniques
pour garder un programme de clémence attrayant :
« Il est important, pour l'application du droit de la
concurrence tant dans la sphère publique que dans la sphère
privée, de garantir l'attractivité des programmes de
clémence.
Il convient d'assurer une protection
adéquate aux déclarations effectuées par une entreprise
dans le cadre d'une demande de clémence contre la divulgation de ces
déclarations dans des actions privées en dommages et
intérêts, afin d'éviter de placer l'entreprise
à l'origine de cette demande dans une situation moins favorable que
celle des co-auteurs de l'infraction. Dans le cas contraire, la crainte de voir
ses aveux divulgués pourrait avoir une influence négative sur la
qualité des informations communiquées par l'entreprise demandant
à bénéficier des mesures de clémence, voire
même dissuader les auteurs d'infraction de solliciter de telles mesures
».
212
En outre, le « programme de clémence » est un
programme concernant l'application de l'article 101 du traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne ou d'une disposition correspondante
du droit national. En outre, un participant à une entente
secrète, indépendamment des autres entreprises participant
à l'entente, coopère avec l'autorité de concurrence dans
le cadre de son enquête en présentant spontanément des
éléments concernant sa connaissance de l'entente et le rôle
qu'il y joue,
211 Livre Vert, du 19 décembre 2005, page 10
212 Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions
en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril
2008, COM(2008) 165 final. p. 11
88
en échange de quoi ce participant
bénéficie, en vertu d'une décision ou du fait de
l'arrêt de la procédure, d'une immunité d'amendes pour sa
participation à l'entente ou de la réduction de leur montant.
Cette crainte d'être dénoncé et cette prime à
divulguer l'infraction, n'est pas sans rappeler la « théorie des
jeux » qui s'intéresse à des situations où des «
joueurs » ou « agents » prennent des décisions, chacun
prenant en compte que les gains dépendent tant de sa propre
décision que de celle des autres « joueurs ». Plus
précisément, ici il conviendrait de parler de théorie des
jeux « non coopératifs » s'inscrivant dans une
modélisation des interactions stratégiques entre
différents joueurs qui ne cherchent pas à se coordonner, en
l'espèce cela correspondrait au bien connu modèle du «
dilemme du prisonnier ». En l'absence de coordination , il y a donc une
prime à la délation
213 214
ou à la coopération selon le point de vue, prime
plus ou moins grande selon l'apport fait à la procédure des
autorités de concurrence. Dès lors, les programmes de
clémence facilitent la détection des infractions aux
règles de la concurrence par les autorités compétente .
215
D'autre part, la coopération peut aussi se faire a
posteriori par le biais d'une « proposition de transaction». Qui
correspond en la présentation spontanée par une entreprise, ou en
son nom, à une autorité de concurrence d'une déclaration
reconnaissant sa participation à une infraction au droit de la
concurrence et sa responsabilité, ou renonçant à contester
une telle participation et la responsabilité qui en découle,
établie spécifiquement pour permettre à l'autorité
de concurrence d'appliquer une procédure simplifiée ou
accélérée de condamnation.
La question subséquente est notamment sa coordination
avec le droit à indemnisation des justiciables découlant de
l'arrêt Courage et aujourd'hui textuellement affirmé au
travers de la directive n°2014/104. Comment peut s'imbriquer l'objectif
d'encourager les parties à s'auto-incriminer et l'objectif d'indemniser
les préjudiciables du fait de pratique anticoncurrentielle ?
L'auto-incrimination étant a priori une situation de mise en
danger, de risque pour l'auteur s'il en découle une
responsabilité accrue au travers du private enforcement et pire
encore dans le cadre du recouvrement du préjudice globalisé par
une action de groupe ?
94. Arrêt Pfleiderer et Donau Chemie.
La question est prégnante surtout au travers de la
question de l'accès au dossier des autorités de
concurrence lors d'une action en follow-on qui en cas
d'auto-incrimination s'apparente plus à une exécution sommaire
qu'à un véritable procès.
Tout d'abord, avant la directive, la Cour de justice a reconnu
l'utilité et l'efficacité de la clémence dans son
arrêt Pfleiderer jugeant que les programmes de clémence
contribuent à l'application
216
effective des articles 101 et 102 du TFUE dès lors
qu'ils permettent de mettre fin à des violations des règles de la
concurrence. La juridiction européenne a porté un regard
bienveillant les programmes de clémence :
213 TUCKER, Albert W et KUHN, Harold W.(eds.) in Contributions
to the theory of games, Annals of Mathematical Studies, 1950
214 en l'absence de communication entre les deux joueurs,
chacun choisira de trahir l'autre si le jeu n'est joué qu'une fois.
Statistiquement la raison est que si l'un coopère et que l'autre trahit,
le coopérateur est fortement pénalisé.
215 MELIN, François in Les programmes de clémence
en droit de la concurrence, Paris, Joly, 2010 aux pp 29-34.
216 CJUE, arrêt du 14 juin 2011, Pfleiderer, aff. C-360/09,
AJDA 2011
89
« L'efficacité de ces programmes
pourrait, toutefois, être affectée par la communication des
documents relatifs à une procédure de clémence
aux personnes désirant intenter une action en dommages
et intérêts, même si les autorités nationales de
concurrence accordent au demandeur de clémence une exonération
totale ou partielle de l'amende qu'elles auraient pu imposer. »
Ainsi, la Cour relève de manière réaliste
:
« il paraît raisonnable de considérer
qu'une personne impliquée dans une violation du droit de la concurrence,
face à l'éventualité d'une telle communication,
serait dissuadée d'utiliser la possibilité offerte par de
tels programmes de clémence, notamment vu que les informations
volontairement fournies par cette personne peuvent faire l'objet
d'échanges entre la Commission et les autorités nationales de
concurrence ».
Ce qui s'explique plus juridiquement par une jurisprudence
classique en droit européen, qui reconnaît le droit d'une personne
à ne pas contribuer à sa propre incrimination . Toutefois, les
217
programmes de clémence ne protègent en rien
l'entreprise qui s'est auto-incriminée contre les actions en dommages et
intérêts des victimes ou concurrents du fait de sa participation
à une entente:
« Conformément à la pratique de la
Commission, le fait qu'une entreprise a coopéré avec elle pendant
la procédure administrative sera indiqué dans toute
décision, afin d'expliquer la raison de l'immunité d'amende ou la
réduction de son montant. Le fait qu'une entreprise
bénéficie d'une immunité d'amende ou d'une
réduction de son montant ne la protège pas des
conséquences en droit civil de sa participation à une infraction
à l'article 81 du traité CE218
».
Dès lors, la Cour constate à l'époque que
le droit de l'Union ne prévoit pas de règles communes quant au
droit d'accès aux documents relatifs à une procédure de
clémence volontairement communiqués à une autorité
nationale de concurrence, en application d'un programme national de
clémence. Il appartient donc aux Etats membres d'établir et
d'appliquer les règles nationales quant à ce droit
d'accès. Plus particulièrement, il appartient aux juridictions de
ces Etats membres de déterminer, sur la base de leur droit national, les
conditions dans lesquelles un tel accès doit être autorisé
ou refusé en respectant un certain équilibre entre les
intérêts en présence :
« [É] il est nécessaire de veiller
à ce que les règles nationales applicables ne soient pas moins
favorables que celles qui concernent les réclamations semblables de
nature interne et ne soient pas aménagées de
manière à rendre en pratique impossible ou excessivement
difficile l'obtention d'une telle réparation (voir, en ce sens,
arrêt Courage et Crehan, précité, point 29) et de
mettre en balance les intérêts justifiant la communication des
informations et la protection de celles-ci fournies volontairement par
le demandeur de clémence. »
217 CJCE , arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe c/
Commission, aff. C-155/79
218 Communication de la Commission sur l'immunité
d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur
des ententes (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE),
(2006/C 298/11), point 39
90
Deux ans plus tard, dans l'arrêt Donau Chemie, la Cour de
justice applique son raisonnement mais cette fois-ci de manière positive
:
« Le droit de l'Union, en particulier le principe
d'effectivité, s'oppose à une disposition du droit
national en vertu de laquelle l'accès aux documents figurant dans le
dossier afférent à une procédure nationale
relative à l'application de l'article 101 TFUE, y compris aux
documents communiqués dans le cadre d'un programme de clémence,
de tiers n'étant pas parties à cette procédure et
envisageant d'engager des recours en dommages et intérêts à
l'encontre de participants à une entente est subordonné
au seul consentement de toutes les parties à ladite procédure,
sans qu'aucune possibilité d'effectuer une mise en balance des
intérêts en présence soit laissée aux juridictions
nationales219 ».
Apparaît que la Cour de justice reste dans
l'incapacité de proposer un régime procédural
harmonisé pour les ANC et le Commission Staff Working Document
a conscience de ce problème et pointe :
219 CJUE, arrêt du 6 Juin 2013, C-536/11 Donau Chemie
95. Droit prospectif et uniformisation du
régime. Dans le Livre Vert , le législateur avait
224
même été jusqu'à envisager de
limiter la responsabilité civile des entreprises qui ont permis de
déceler le comportement anticoncurrentiel grâce à leur
collaboration. Finalement, le législateur n'est pas allé aussi
loin. En outre, la directive vient remplir le vide juridique et prévoit
un régime juridique spécifique au travers de l'article 6 :
« [É] persisting risk of diverging or
inconsistent court practice between different Member
States or even within the same Member State with regard to
disclosability of leniency related documents from the file of competition
authorities [É] whereas in Germany the first instance court
protected in Pfleiderer all leniency documents from disclosure , the
Düsseldorf Appeal Court , in a different case, was not ready to
protect
220 221
the information contained in leniency documents
[É] In the UK, the High Court222 in the
National Grid case found that partial disclosure of certain documents (such as
a reply to the Statement of Objections and replies to Requests for Information)
is justified and some parts of the confidential versions of the Commission
decision are to be disclosed, whereas documents specifically prepared for the
purpose of the Commission's leniency programme should not be
disclosed223 ».
220Amtsgericht Bonn (Local Court Bonn), decision of
18-January-2012, case No 51 Gs 53/09 (Pfleiderer).
221 Oberlandesgericht Düsseldorf (Düsseldorf Appeal
Court), decision of 22 August 2012, case No B-4 Kart 5/11 (OWi)
222 High Court of Justice (UK first instance court), judgment of
04 April 2012, case No HC08C03243
223 Commission Staff Working Document Impact Assessment Report
: Damages actions for breach of the EU antitrust rules, Accompanying the
proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on
certain rules governing actions for damages under national law for
infringements of the competition law provisions of the Member States and of the
European Union (Text with EEA relevance), p. 14
224 Livre Vert, préc., pt 2.8. p.10
91
« 6. Les États membres veillent à ce
que, pour les besoins d'une action en dommages et intérêts, les
juridictions nationales ne puissent à aucun moment enjoindre
à une partie ou à un tiers de produire les preuves relevant des
catégories suivantes:
a) les déclarations effectuées en vue
d'obtenir la clémence; et
b) les propositions de transaction.
7. Un demandeur peut présenter une demande
motivée visant à ce qu'une juridiction nationale accède
aux éléments de preuve visés au paragraphe 6, point a) ou
b), aux seules fins de s'assurer que leur contenu correspond aux
définitions données à l'article 2, points 16) et 18). Lors
de cette évaluation, les juridictions nationales ne peuvent demander
l'aide que de l'autorité de concurrence compétente. Les auteurs
des éléments de preuve en question peuvent également
être entendus. La juridiction nationale ne peut en aucun cas autoriser
l'accès à ces éléments de preuve à d'autres
parties ou à des tiers. »
Ainsi, la directive assure une protection maximale tant en
procédure de transaction que de clémence. Une porte reste
néanmoins ouverte au paragraphe 7 qui prévoit un contrôle
par l'autorité judiciaire de la réalité du rattachement
des documents « attribués » aux procédures de
clémence et de transaction. Pour terminer, la directive prévoit
une sanction effective, proportionnée et dissuasive en droit interne en
cas de violation des restrictions prévues pour l'utilisation des preuves
(article 8 de la directive).
92
96. Conclusion. La mise une place de la
directive 2014/104 est le résultat du « paquet private
enforcement » et d'un changement de paradigme par rapport
au proposition précédente avec la recherche d'une coordination
entre contentieux objectif et subjectif.
Malgré le mutisme du législateur, le texte a
vocation à régir les actions collectives, outil indispensable
au private enforcement au-delà du contentieux indemnitaire
entre concurrents.
Par conséquent, par-delà le texte brut, en
filigrane apparaît peut être une pierre posée dans la
construction du régime des actions collectives (malgré
l'échec relatif de la recommandation sur les recours collectifs). En
tout état de cause, le renforcement des modalités d'action du
contentieux subjectif est utile car il uniformise le droit applicable pour
permettre une égalité de traitement nécessaire. Traitement
égal tant sur la prescription (section 1§1), que le régime
de la responsabilité (section 1§2) ou encore sur la production de
preuve (section 1§3).
Ainsi, le droit européen tisse un régime
européen propre et cherche à échapper aux critiques qu'a
pu recevoir le modèle américain de private enforcement
(section 1§3). En outre, il répond de manière utile à
des enjeux pratiques et procéduraux majeurs, notamment par la mise en
place d'injonction à produire des preuves (section 1§3 et section
2§2) ou encore sur l'autorité des décisions de concurrence
(section 2§1). Tant de questions à harmoniser pour éviter
que les opérateurs profitent d'un forum shopping, mais surtout
propice à limiter les inégalités de traitements entre
opérateurs. Renforcement de la sécurité juridique aussi,
par le biais d'éclaircissements (section 2§3) concernant le droit
à obtenir une réparation intégrale du contentieux
subjectif vis-à-vis de la clémence et la transaction (propre au
contentieux objectif).
Enfin, la consécration de la cession de créance
avec le droit d'agir peut a priori être un instrument commode
pour le private enforcement (à défaut d'action
collective), il n'en reste pas moins qu'à défaut de
législation sur le sujet, cette cession peut devenir un outil dangereux
si ce n'est nocif (section 1§4).
93
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