Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence( Télécharger le fichier original )par Edouard Bruc Université de Montpellier - DJCE 2016 |
Titre 2 - Risque potentiel62. Entre volonté d'efficience et inefficience factuelle. La directive européenne sur les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions européennes de droit de la concurrence est un risque potentiel. Potentiel qui existe en puissance, virtuellement. Puisque, d'une part, son effectivité n'est qu'une probabilité, le temps n'ayant pas fait son oeuvre, aucun recul sur son impact réel (statistique notamment) est possible. D'autre part, car derechef cette potentialité est liée au facteur temporel de sa transposition en droit interne qui conformément à la directive en son article 21 doit être réalisée au plus tard le 27 décembre 2016. Certaines entreprises contrevenantes y verront un cadeau empoisonné étant donné que cette directive assure avant tout un renforcement des droits des justiciables face au préjudice fait à leur droit du fait de l'atteinte à la concurrence sur le marché. D'autres se féliciteront du renforcement effectué de l'interactivité entre public et private enforcement et de la mise en place d'un cadre juridique plus homogène facteur de sécurité juridique et d'égalité dans l'espace économique européen. D'aucuns envisageront la réalité de ce risque potentiel qui se traduit toujours et encore par son inefficience relative au regard des actions collectives sur le terrain probatoire notamment. Dès lors, l'analyse de ce risque potentiel demande d'envisager, dans un premier temps, le potentiel accru des actions collectives en droit européen au travers de la directive n°2014/104 (Chapitre 1), pour dans un deuxième temps, dresser le bilan des obstacles persistants à l'efficacité de l'action en dommages et intérêts au travers des actions collectives (Chapitre 2). 63 Chapitre 1 - Potentiel accru des actions collectives au travers de la directive sur les actions en dommages et intérêts
Section 1 - Les modalités intrinsèques du private enforcement précisées
En l'absence de dispositions dans le droit de l'Union, les actions en dommages et intérêts sont régies par les règles et procédures nationales des États membre. Comme le rappelle la jurisprudence européenne, sur le fondement de l'autonomie procédurale, il 145 Livre Vert, du 19 décembre 2005, intitulé : Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante [COM(2005) 672 final: Non publié au Journal officiel] ; Trouvé le 2 août 2016 : hhttp:// eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Al26120 146 Communication de la commission relative à la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) 2013/C 167/07 147 http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/quantification_guide_fr.pdf 148 CHAGNY, Murielle et DEFFAINS, Bruno in Réparation des dommages concurrentiels, essai, septembre 2015, p.152 64 revient aux États membres de prévoir des règles procédurales effectives à sa protection tout en respectant les principes d'équivalence et d'effectivité (au paragraphe 11 de la directive n°2014/104). Le changement imposé par la directive se traduit dans un premier temps par une réduction : « à due concurrence, dans son domaine d'application, le principe d'autonomie procédurale des Etats membres qui détiennent, via leurs juridictions le monopole des sanctions civiles et auxquelles il appartient de fixer le régime de celles-ci tant qu'une législation européenne n'est pas intervenue148 ». Actant les décisions jurisprudentielles, la force de l'obligation qui pèse sur les Etats est rappelée par la directive à l'article 4 qui précise que : « Conformément au principe d'effectivité, les États membres veillent à ce que toutes les règles et procédures nationales ayant trait à l'exercice du droit de demander des dommages et intérêts soient conçues et appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice du droit, conféré par l'Union, à réparation intégrale du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence. Conformément au principe d'équivalence, les règles et procédures nationales relatives aux actions en dommages et intérêts découlant d'infractions à l'article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne sont pas moins favorables aux parties prétendument lésées que celles régissant les actions similaires en dommages et intérêts découlant d'infractions au droit national ». En outre, cette introduction du droit européen dans la procédure civile des Etats membres pour les actions découlant du droit européen devraient en toute état de cause contaminer le contentieux interne de la concurrence. En effet, il n'y aurait aucune raison opportune de ne pas uniformiser le régime procédural interne et européen, ainsi le contentieux interne découlant du droit interne devrait de manière identique développer le même régime procédural. 65. Droit à une protection juridictionnelle effective. Implicitement derrière la directive se cache une volonté d'européanisation du droit de la concurrence dans tous ses aspects, qui semble selon la Commission nécessaire pour en assurer l'effectivité. Ainsi, d'un point de vue juridique, la nécessité de moyens de recours procéduraux effectifs découle au-delà du droit à réparation du droit à une protection juridictionnelle effective prévu à l'article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, du traité sur l'Union européenne qui stipule que : « Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l'Union ». À ceci, il faut ajouter l'article 47, premier alinéa, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui précise : 65 « Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article ». Dès lors, le droit à une réparation intégrale étant garanti par le droit de l'Union depuis l'arrêt Courage, la directive sur les actions en dommages et intérêts peut à bon droit régir la procédure concurrentielle pour les actions en dommages et intérêts. 66. Invocabilité du droit de l'Union. De manière subsidiaire, se pose la question de la non- transposition ou de la transposition non conforme à la directive. Dans quelle mesure les acteurs aux procès et à l'action collective pourront invoquer les normes érigées au travers de la directive ? Tout d'abord, la Cour de justice permet d'accorder aux particuliers, sous certaines conditions149, la possibilité d'obtenir réparation concernant les directives mal transposées ou transposées avec retard . 150 Ensuite, depuis l'arrêt Von Colson du 10 avril 1984, la Cour de justice a édicté que le particulier peut invoquer une directive dépourvue d'effet direct devant le juge national pour qu'il puisse interpréter le droit national à la lumière de cette directive : « Il appartient à la juridiction nationale de donner à la loi prise pour l'application de la directive, dans toute la mesure où une marge d'appréciation lui est accordée par son droit national, une interprétation et une application conformes aux exigences du droit communautaire ». 151 Ainsi, le juge européen impose à toutes les autorités des Etats membres, y compris les tribunaux, dans les matières ressortant de leur compétence, l'obligation d'adopter toutes mesures pertinentes, générales ou particulières, pour remplir leurs obligations nées du droit européen. Par la suite, il y a eu une extension de cette invocabilité au droit national préexistant au travers de l'arrêt Marleasing : 149 Conformément à l'arrêt Francovich : dans le cas d'un État membre qui méconnaît l'obligation lui incombant, en vertu de l' article 189, troisième alinéa, du traité, de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le résultat prescrit par une directive, la pleine efficacité de cette norme de droit communautaire impose un droit à réparation dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir, en premier lieu, que le résultat prescrit par la directive comporte l'attribution de droits au profit des particuliers, en second lieu, que le contenu de ces droits puisse être identifié sur la base des dispositions de la directive et, en troisième lieu, qu'il existe un lien de causalité entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées. En l'absence d'une réglementation communautaire, c'est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incombe à l'État de réparer les conséquences du préjudice causé. Néanmoins, les conditions de fond et de forme fixées par les différentes législations nationales en la matière ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre excessivement difficile ou pratiquement impossible l' obtention de la réparation (CJCE, arrêt du 19 novembre 1991, Francovich, affaires jointes C-6/90 et C-9/90). 150 En effet, l'obligation de réparation de l'État a lieu indépendamment de l'effet direct de la directive: même si les dispositions qui confèrent des droits aux particuliers ne sont pas assez précises et inconditionnelles pour être directement invoquées, le particulier est considéré comme lésé par l'inexécution de l'État (ibid.). 151 CJCE, arrêt du 10 avril 1984, Sabine von Colson et Elisabeth Kamann contre Land Nordrhein-Westfalen, affaire 14/83 66 « Il s'ensuit qu'en appliquant le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l'interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive, pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l'article 189, troisième alinéa, du traité. [É] Le juge national qui est saisi d' un litige dans une matière entrant dans le domaine d' application de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l' article 58, deuxième alinéa, du traité CEE pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers, est tenu d' interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive, en vue d' empêcher la déclaration de nullité d' une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à son article 11152». Enfin, dans ce mouvement vertical d'uniformisation par le haut, l'arrêt Pfeiffer de la Cour de justice est encore plus tranchant, du fait qu'il a étendu ce principe au droit national en son entier et non pas seulement aux normes adoptées pour transposer une directive : « Si le principe d'interprétation conforme du droit national, ainsi imposé par le droit communautaire, concerne au premier chef les dispositions internes introduites pour transposer la directive en cause, il ne se limite pas, toutefois, à l'exégèse de ces dispositions, mais requiert que la juridiction nationale prenne en considération l'ensemble du droit national pour apprécier dans quelle mesure celui-ci peut recevoir une application telle qu'il n'aboutit pas à un résultat contraire à celui visé par la directive ». 153 Ainsi, apparaît que l'obligation à la charge de l'Etat d'assurer un droit à réparation effectif des victimes de pratique anticoncurrentielle soit en réalité bien plus large que les simples indications de la directive à la lecture de l'arrêt Pfeiffer. Assurer une telle effectivité demande aux juridictions nationales d'analyser in concreto la réalité de l'effectivité du droit donné par la directive au travers de son exercice en droit interne. Cette obligation de conformité peut être un outil pour les acteurs aux procès que ce soit l'entreprise et le consommateur, possible demandeur et l'entreprise, défenderesse lors du recours collectif contre elle par le truchement du droit interne. De la sorte, les acteurs peuvent soulever des moyens de non-conformité du droit interne pour soit rechercher à rendre inefficient le recours collectif (recherche dilatoire essentiellement), soit l'améliorer au regard de la directive (son applicabilité aux recours collectifs n'étant pas discutable, voir infra). 67. Action collective et effectivité procédurale du private enforcement. La directive est claire et elle précise au considérant 13 : 152 CJCE, arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing SA contre La Comercial Internacional de Alimentacion SA. - affaire C-106/89 153 CJCE, arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer Gro§handel GmbH contre Löwa Warenhandel GmbH, affaires jointes C-397/01 à C-403/01 67 « La présente directive ne devrait pas exiger des États membres qu'ils mettent en place des mécanismes de recours collectif aux fins de la mise en oeuvre des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ». Au premier regard, la directive ne semble pas avoir à régir les actions collectives mais cela est trompeur. En outre, l'intérêt de la directive n'existe qu'au travers des actions collectives. En effet, les modalités procédurales précisées n'ont de raison d'être au-delà du contentieux entre concurrents que pour les recours collectifs, le bilan étant à une inertie du recours individuel. D'autre part, l'agrégation des justiciables ne sauraient en aucune hypothèse les priver des droits comme garantis au travers de la directive, si non à méconnaître l'essence même de la directive et la jurisprudence européenne. Enfin et de manière définitive, l'article 2 de la directive concernant les définitions précise bien que par action en dommages et intérêts, il faut entendre : « une action introduite en vertu du droit national par laquelle une juridiction nationale est saisie d'une demande de dommages et intérêts par une partie prétendument lésée, par une personne agissant au nom d'une ou de plusieurs parties prétendument lésées, lorsque cette possibilité est prévue par le droit de l'Union ou par le droit national, ou par une personne physique ou morale qui a succédé dans les droits de la partie prétendument lésée, y compris la personne qui a racheté la demande ». 68. Facteurs endogènes d'amélioration. Dès lors se pose la question du nouveau régime de la directive n°2014/104 (affectant comme il a été montré le régime des actions collectives), il convient de regarder quatre facteurs d'amélioration extérieurs à une meilleure interaction avec le contentieux objectif. Il s'agira d'une part, de s'intéresser au champ d'application et à la prescription (1), à la responsabilité solidaire mise en place (2), mais aussi à la production de preuve facilitée (3) et enfin à la cession du droit d'agir et au financement des actions collectives (4). §1) Champ d'application et prescription
68 en justice. Dès lors, les délais de prescription ne doivent pas rendre l'exercice du droit à réparation intégrale « pratiquement impossible ou excessivement difficile ». Ainsi, le déplacement dans le temps du point de délai et/ou l'interruption de la prescription sont factuellement des limites à l'action. Les autorités européennes ont dressé ce bilan depuis le Livre Vert (page 12) et ont déjà pointé à l'époque que : « Le rôle de la suspension ou de la prorogation des délais de prescription est important, dans la mesure où ils permettent de garantir que les demandes d'indemnisation puissent effectivement être introduites (particulièrement dans le cas des «actions de suivi») ». Dès lors, la directive a vocation à régir la prescription et ses modalités. Comme précisé dans la texte, le texte européen à vocation à déterminer le moment à partir duquel le délai de prescription commence à courir, la durée de ce délai et les circonstances dans lesquelles il est interrompu ou suspendu. Concrètement, l'action en justice passé le délai pour agir sera irrecevable et l'entreprise contrevenante n'aura pas à rembourser le préjudice. Par exemple, le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi pu refuser de faire droit à des demandes de réparation soulevées près de quinze ans après la découverte des faits susceptibles d'ouvrir un droit à réparation154. Du fait de son importance, les débats ont été intense au regard des nombreuses modifications survenues entre la proposition de directive de la Commission et la directive finale. 71. Un minimum de cinq ans. La directive impose un minimum qui est de cinq ans. Ce qui rend contraire les délais dans de nombreux pays notamment en Espagne où le délai était parfois seulement d'un an ou encore au Portugal avec un délai qui était de trois ans . Ce délai standard 155 156 assure donc un égalité de traitement entre les justiciables des Etats membres, tout comme le point de départ des délais de prescription (article 10.2 de la directive) : « 2. Les délais de prescription ne commencent pas à courir avant que l'infraction au droit de la concurrence ait cessé et que le demandeur ait pris connaissance ou puisse raisonnablement être considéré comme ayant connaissance :
Ce triptyque de possibilité offerte avec le critère pour le demandeur de la prise de connaissance raisonnable laisse un aléa qui sera donc un enjeu préalable même du contentieux. Le déplacement du point de départ peut aussi poser des problèmes de transposition, notamment en droit français où l'article 2224 du Code civil prévoit que les actions personnelles ou mobilières se 154 Tribunal de grande instance de Paris, jugement du 17 décembre 2013, n° 10-03480 155 articles 1968 et1902 du Code civil espagnol 156 article 498 du Code civil portugais 69 prescrivent par cinq ans : « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». En effet, il faudra comme le souligne le professeur Chagny157 reprendre les éléments sur la connaissance réelle ou raisonnable pour faire courir le délai ou encore sur le point de départ à la fin de l'infraction.
157 Ibid., p.180 158 Commission Staff Working Document Impact Assessment Report : Damages actions for breach of the EU antitrust rules, Accompanying the proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on certain rules governing actions for damages under national law for infringements of the competition law provisions of the Member States and of the European Union (Text with EEA relevance), p. 64 70 « Lorsque plusieurs entreprises enfreignent conjointement les règles de concurrence, par exemple dans le cas d'une entente, il convient de prévoir que ces coauteurs de l'infraction sont tenus solidairement pour responsables de l'intégralité du préjudice causé par l'infraction ». Mais la réparation solidaire159 du préjudice implique en matière de responsabilité, la question du partage de celle-ci entre les auteurs de l'infraction, ainsi le même considérant ajoute que : « Si l'un des coauteurs de l'infraction a contribué à la réparation dans une proportion plus importante que celle qui lui incombe, il devrait être en droit d'obtenir une contribution des autres coauteurs de l'infraction. La détermination de cette part correspondant à la responsabilité relative d'un auteur donné d'une infraction, de même que la définition des critères pertinents tels que le chiffre d'affaires, la part de marché ou le rôle joué dans l'entente, relèvent du droit national applicable, dans le respect des principes d'effectivité et d'équivalence ». Ce raisonnement est dans la suite logique de la décision Courage avec le critère de responsabilité 160 « significative » comme critère préalable à la responsabilité de la partie adverse. En effet, il s'agit bien d'une appréciation de la part de responsabilité incombant à la partie demanderesse pourtant partie à l'infraction ; même si dans cette hypothèse, il s'agit plus d'une forme d'exonération partielle de responsabilité ouvrant droit à l'action. Ainsi, pour éviter toute dérive dans la réparation et pour que la victime obtienne intégralement la réparation de son préjudice, la directive prévoit son régime à l'article 11. Cet article prévoit qu'en cas de comportement conjoint les opérateurs contrevenants soient solidairement responsables du préjudice causé par l'infraction : « 1. Les États membres veillent à ce que les entreprises qui ont enfreint le droit de la concurrence par un comportement conjoint soient solidairement responsables du préjudice causé par l'infraction au droit de la concurrence; cela a pour effet que chacune de ces entreprises est tenue d'indemniser le préjudice dans son intégralité et que la partie lésée a le droit d'exiger de chacune d'elles la réparation intégrale de ce préjudice jusqu'à ce qu'elle ait été totalement indemnisée ». Comme rappelé dans le rapport d'étude d'impact, tant le droit anglais , allemand que le droit 161 162 espagnol (« solidaridad propia ») ou italien (l'article 2055, alinéa 1er du Code civil italien) prévoient une responsabilité solidaire. 159 qui se différencie de l'obligation in solidum, qui est utilisé en droit français notamment 160 par une lecture a contrario du dispositif qui prévoit que le : « droit communautaire ne s'oppose pas à une règle de droit national qui refuse à une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence de se fonder sur ses propres actions illicites aux fins d'obtenir des dommages et intérêts, dès lors qu'il est établi que cette partie a une responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence ». 161 WAGNER-VON PAPP, Florian in Implementation of the Damages Directive in England & Wales, in La transposition de la directive 2014/104/UE relative aux actions en dommages et intérêts pour violation du droit des pratiques anticoncurrentielles, Concurrences, n°2-2015, p. 33 162 aux paragraphes 830 et 840 BGB et l'arrêt ORWI de la Cour fédérale de justice rendu en 2011 71 La question reste qu'en à la définition exacte de « comportement conjoint » qui devra être défini soit législativement ou jurisprudentiellement . Selon Muriel Chagny, la notion de comportement 163 conjoint apparaît à même de comprendre « outres les comportements collectifs stricto sensu, reposant sur une concertation, d'autres comportements, dès lors qu'ils produisent ses résultats indissociables pour leurs victimes164». Enfin, dès lors qu'un seul opérateur a entièrement réparé la victime, celui-ci est en droit de demander la contribution aux autres contrevenants dont le montant est proportionnel à leur participation à l'infraction. Il s'agit ici du principe des actions récursoires. 75. Aménagement pour les PME. Un régime propre est mis en place en faveur des PME165 avec une aménagement de la responsabilité des PME (sous certaines conditions). Celui-ci joue sauf si l'entreprise a été l'instigatrice de l'infraction ou a contraint d'autres entreprises à participer à celle-ci ou si la PME a précédemment été convaincue d'infraction. Textuellement, l'article 11 prévoit que : « 2. Par dérogation au paragraphe 1, les États membres veillent à ce que, sans préjudice du droit à réparation intégrale prévu à l'article 3, lorsque l'auteur de l'infraction est une petite ou moyenne entreprise (PME) au sens de la recommandation 2003/361/CE de la Commission166, il n'est responsable qu'à l'égard de ses propres acheteurs directs et indirects lorsque : 167
3. La dérogation prévue au paragraphe 2 ne s'applique pas lorsque:
Cette restriction du champ d'application de la solidarité des PME s'explique économiquement par la volonté de ne pas affecter même provisoirement le coût du préjudice (notamment d'un action collective) sur une entreprise au ressource financière limitée. 163 CHAGNY, Murielle et DEFFAINS, Bruno in Réparation des dommages concurrentiels, essai, septembre 2015, p.279 164 Ibid., p. 277 165 moins de 250 personnes et son chiffre d'affaires n'excède pas 50 millions d'euros ou son bilan n'excède pas 43 millions d'euros 166 Recommandation 2003/361/CE de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (JO L 124 du 20.5.2003, p. 36). 167 art. 2 de la directive n°2014/104: « acheteur indirect : une personne physique ou morale qui a acheté, non pas directement auprès de l'auteur de l'in fraction, mais auprès d'un acheteur direct ou d'un acheteur ultérieur, des produits ou services ayant fait l'objet d'une infraction au droit de la concurrence, ou des produits ou services les contenant ou dérivés de ces derniers. » 72 168 LAINA, Flavio in Politique de clémence et lutte contre les cartels (Forum de concurrence européen), septembre 2006, Revue Concurrences N° 3-2006, art. n° 1557, pp. 73-84 76. Immunité et responsabilité solidaire. Lorsqu'un participant à l'entente coopère avec l'autorité de concurrence dans le cadre de son enquête en présentant spontanément des éléments concernant sa connaissance de l'entente et le rôle qu'il y joue, il peut jouir d'une immunité d'amendes pour sa participation à l'entente ou de la réduction du montant de l'amende. Il est prévu qu'un bénéficiaire d'une immunité d'amende accordée au titre d'un programme de clémence ne soit pas solidairement responsable, mais que sa contribution par rapport aux autres coauteurs de l'infraction n'excède pas le montant du préjudice causé à ses propres acheteurs directs ou indirects ou fournisseurs directs ou indirects. Néanmoins, une limite est apportée dans l'hypothèse où le justiciable ne pourrait pas recevoir une réparation intégrale de son préjudice avec un retour au régime de droit commun d'espèce. De plus, dans la mesure où l'infraction a causé un préjudice à des parties autres que les clients ou les fournisseurs des auteurs de l'infraction, sa contribution ne doit pas excéder le montant correspondant à sa responsabilité relative dans le préjudice causé par l'entente. La directive dispose ainsi que : « 4. Par dérogation au paragraphe 1, les États membres veillent à ce que les bénéficiaires d'une immunité soient solidairement responsables du préjudice comme suit:
Les États membres veillent à ce que tout délai de prescription applicable aux cas visés au présent paragraphe soit raisonnable et suffisant pour permettre aux parties lésées d'introduire de telles actions.
Ainsi, il s'agit au travers de régime dérogatoire de garder l'attractivité du régime de clémence actuel qui a connu un succès certain tout en assurant à la victime la possibilité effective d'être 168 dédommagée. 73 §3) Production de preuve par le défendeur ou un tiers
169ANDERSON, Brian et TRASK, Andrew in The Class Action Playbook, Oxford, 2010, page 116 170 Commission Staff Working Document, Impact Assessment Report : Damages actions for breach of the EU antitrust rules, 2013, p. 67 : « The costs imposed on citizens and businesses are proportionate to the stated objectives. A first step in this direction was already taken with the White Paper by excluding more radical measures (for instance multiple damages, opt-out class actions and wide discovery rules). » 171 Recommandation de la Commission en date du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l'Union (2013/396/UE), point 15. 74 s'incarne en premier lieu pour la victime dans sa capacité à étayer sa demande (comparativement notamment aux droits américains ou anglais). Le bilan est que les preuves pertinentes dont un demandeur a besoin pour démontrer le bien-fondé de sa demande sont en grande partie détenues par le défendeur ou des tiers et, la plupart du temps, elles ne sont pas suffisamment connues du demandeur, qui n'y a pas accès. Cette pierre d'achoppement du fait d'une « asymétrie de l'information » est constatée de longue date par les autorités européenne, ainsi le Livre Vert de 2005 à ce titre a envisagé cinq possibilités pour remédier au problème . La proposition de directive sur les actions en dommages et intérêts 172 173 s'intéresse donc au sujet et relève d'ailleurs qu'elle s'inspire sur le sujet de la directive relative au respect des droits de propriété intellectuelle . 174 Quant à la directive, elle aborde la situation au travers de son considérant 14 : « Les actions en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence de l'Union ou au droit national de la concurrence requièrent habituellement une analyse factuelle et économique complexe. Dans bien des cas, les preuves nécessaires pour démontrer le bien-fondé d'une demande de dommages et intérêts sont détenues exclusivement par la partie adverse ou des tiers et ne sont pas suffisamment connues du demandeur, ou celui-ci n'y a pas accès ». Il est en effet, assez décourageant pour les demandeurs de devoir prouver par exemple une entente horizontale à partir du moment où elle est souvent tacite et qu'il n'y a jamais de documents écrits pouvant l'établir (à la différence de sa contractualisation écrite). Ainsi, il est largement admis que les difficultés qu'éprouvent les demandeurs à obtenir tous les éléments de preuve nécessaires constituent, dans de nombreux États membres, un des principaux obstacles aux actions en dommages et intérêts dans les affaires de concurrence. C'est pourquoi la directive n°2014/104 distille un régime à l'article 5 qui établit les conditions que doit satisfaire le requérant pour que sa requête soit recevable, avant que la directive ne s'intéresse spécifiquement à des questions plus techniques. 79. Recevabilité de la demande. En ce qui concerne la recevabilité de la demande, le texte donne des critères d'appréciation au juge pour décider si la demande de production de pièce par le défendeur ou un tiers. Tout d'abord, la preuve s'entend dans la directive (article 2) comme : « tous les moyens de preuve admissibles devant la juridiction nationale saisie, en particulier les documents et tous les autres éléments contenant des informations, quel qu'en soit le support. » 172 Livre Vert, du 19 décembre 2005, intitulé : Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante [COM(2005) 672 final, page 5 173 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l'Union européenne,Strasbourg, le 11.6.2013 COM(2013) 404 final, p. 16 174 Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157 du 30.4.2004, p. 45). 75 Sur le plan normatif, la preuve demandée semble allégée et se limiter à la capacité du demandeur à fournir la preuve exigée. Textuellement, il est ainsi précisé à l'article 5 que : « 1. Les États membres veillent à ce que, dans les procédures relatives aux actions en dommages et intérêts intentées dans l'Union à la requête d'un demandeur qui a présenté une justification motivée contenant des données factuelles et des preuves raisonnablement disponibles suffisantes pour étayer la plausibilité de sa demande de dommages et intérêts, les juridictions nationales soient en mesure d'enjoindre au défendeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes qui se trouvent en leur possession, sous réserve des conditions énoncées au présent chapitre. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales puissent, à la demande du défendeur, enjoindre au demandeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes » Si les requérants n'ont pas à désigner expressément des preuves précises pour ne pas empêcher l'exercice effectif du droit à réparation : « Dans ces circonstances, des exigences juridiques strictes faisant obligation aux demandeurs d'exposer précisément tous les faits de l'affaire au début de l'instance et de produire des éléments de preuve bien précis à l'appui de leur demande peuvent indûment empêcher l'exercice effectif du droit à réparation garanti par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ». Reste qu'ils doivent motiver leur requête par « des données factuelles et des preuves raisonnablement disponibles suffisantes pour étayer la plausibilité » de leur demande (article 5 alinéa 1). Il y a donc un contrôle de pertinence des demandes par le juge. La directive prévoit aussi la possibilité d'ordonner la production de certains éléments de preuves ou de catégories pertinentes de preuves. Ces éléments ou catégories doivent être circonscrites de manière aussi précise et étroite que possible, sur la base de données factuelles raisonnablement disponibles dans la justification motivée. Ce qui renvoie à la question du caractère insécable ou indivisible de la chose saisie notamment, sujet d'un contentieux notamment en ce qui concerne le privilège entre l'avocat et son client. 80. Proportionnalité et intérêt de la partie défenderesse. Ensuite, apparaît à l'alinéa 3 une exigence de proportionnalité qui pèse sur l'appréciation des juges lorsqu'ils examinent la demande, avec quelques points essentiels à regarder aux yeux du législateur dont notamment le caractère étayé de la demande, le coût de production des preuves, le caractère confidentiel des documents demandés ; ou plus précisément : « 3. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales limitent la production des preuves à ce qui est proportionné. Lorsqu'elles déterminent si une demande de production de preuves soumise par une partie est proportionnée, les juridictions nationales tiennent compte des intérêts légitimes de l'ensemble des parties et tiers concernés. En particulier, elles prennent en considération: 76
À ce titre, un rapprochement peut être fait vis-à-vis de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme à propos d'une affaire concernant des visites et saisies réalisées par des enquêteurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans les locaux de deux sociétés. La question d'espèce était la mise en balance des intérêts relatifs, d'une part, à la recherche légitime de preuves d'infractions en matière de droit de la concurrence et, d'autre part, au respect du domicile, de la vie privée et des correspondances, et notamment de la confidentialité entre un avocat et son client. La Cour impose aussi sur ce point un contrôle concret de proportionnalité : 175 « À cet effet, la Cour estime qu'il appartient au juge, saisi d'allégations motivées selon lesquelles des documents précisément identifiés ont été appréhendés alors qu'ils étaient sans lien avec l'enquête ou qu'ils relevaient de la confidentialité qui s'attache aux relations entre un avocat et son client, de statuer sur leur sort au terme d'un contrôle concret de proportionnalité et d'ordonner, le cas échéant, leur restitution. Or, la Cour constate qu'en l'espèce, si les requérantes ont exercé le recours que la loi leur ménageait devant le juge des libertés et de la détention, ce dernier, tout en envisageant la présence d'une correspondance émanant d'un avocat parmi les documents retenus par les enquêteurs, s'est contenté d'apprécier la régularité du cadre formel des saisies litigieuses, sans procéder à l'examen concret qui s'imposait. En conséquence, la Cour juge que les saisies effectuées aux domiciles des requérantes étaient, dans les circonstances de l'espèce, disproportionnées par rapport au but visé176 ». Par ailleurs, il faut relever que les principes généraux du droit communautaire protègent l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets commerciaux ne soient pas divulgués . Ainsi, 177 l'injonction des juridictions est d'autant plus nécessaire pour empêcher que le défendeur se retranchent subtilement derrière le secret des affaires ou la confidentialité des informations. Toutefois, les juridictions ne peuvent agir ainsi que si elles l'estiment utile (article 5 alinéa 4) : 175 pour un exemple en droit français : Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 9 mars 2016, n° de pourvoi: 14-85325 176 CEDH, arrêt du 2 avril 2015, n° 63629/10 et n° 60567/10, aff. Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services c. France 177 SCHURMANS, Christine et TATON, Xavier in Questions actuelles de procédure en droit de la concurrence. À la recherche d'un système cohérent entre l'autorité de concurrence et l'ordre judiciaire in dans Andrée Puttemans, dir, Actualité du droit de la concurrence, Bruxelles, Bruylant, 2007, pages 79-80. 77 « Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales soient habilitées à ordonner la production de preuves contenant des informations confidentielles lorsqu'elles le jugent utile dans le cadre de l'action en dommages et intérêts. Lorsque la production de telles informations est ordonnée, les États membres veillent à ce que les juridictions nationales disposent de mesures efficaces de protection de ces informations. » L'alinéa 6 précise que les États membres veillent à ce que, lorsqu'elles ordonnent la production de preuves, les juridictions nationales donnent plein effet au secret professionnel applicable en vertu du droit de l'Union ou du droit national. L'alinéa 5 rappelle que l'intérêt qu'ont les entreprises à éviter des actions en dommages et intérêts à la suite d'infractions au droit de la concurrence n'est pas de nature à justifier une protection, c'est une évidence mais qui peut avoir son utilité car elle met fin à tout débat sur le sujet et lie les juges. 81. Garantie minimale du défendeur et sanction. L'alinéa 7 donne une garantie procédurale au défendeur ce qui s'inscrit dans le nécessité du respect du droit au procès équitable. Ainsi, les États membres veillent à ce que les personnes à qui une demande de production de preuves est adressée aient la possibilité d'être entendues avant qu'une juridiction nationale n'ordonne la production d'informations en application du présent article. Les règles des alinéas 4 à 7 constituent un minimum de règles en faveur de la partie défenderesse à respecter. Néanmoins la directive en dehors de ces cas ne fait pas obstacle au maintien ni à l'introduction, par les États membres, de règles qui conduiraient à une production plus large de preuves. En effet, l'objectif est de garantir que tous les États membres accordent un accès effectif minimal aux éléments de preuve dont les demandeurs et/ou les défendeurs ont besoin pour démontrer le bien-fondé de leur demande de dommages et intérêts pour infraction aux règles concernant les ententes et les abus de position dominante et/ou pour étayer un moyen de défense y afférent. L'article 8 de la directive se penche sur les sanctions, corollaire nécessaire pour rendre la règle efficace. Ainsi, il faut mettre en place des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives. Le texte précise qu'en cas de comportement non-coopératif, le juge doit avoir la faculté de tirer des conclusions défavorables, par exemple en présumant que le fait litigieux en question est avéré ou en rejetant, en tout ou en partie, les demandes et moyens de défense, ainsi que la faculté de prononcer une condamnation aux dépens. Enfin, est prévu une liste de comportement nécessitant une sanction, c'est-à-dire : le non-respect d'une injonction de production de preuves émanant d'une juridiction nationale ou le refus de s'y conformer, la destruction de preuves pertinentes, le non-respect des obligations imposées par une injonction d'une juridiction nationale protégeant des informations confidentielles, ou le refus de s'y conformer, ou encore la violation des restrictions prévues dans la directive pour l'utilisation des preuves. 78 §4) Actions collectives et cession du droit à agir
citoyens et les entreprises, en particulier les PME, ne devraient pas être « privés de l'accès à la justice, faute de ressources financières suffisantes178 ». Il conviendrait, dès lors, d'examiner dans quelle mesure il existe des mécanismes de financement appropriés aux fins des recours collectifs. Au-delà de l'action collective et de son financement intrinsèque, existe un autre moyen de rassembler les demandes ou plutôt les créances. Comme déjà expliqué infra au travers de la législation allemande, l'opération de collecte des actions individuelles ou précisément des créances qu'elles sous-entendent se réalise par pacte de quota litis. En outre, apparaît une entreprise qui rachète les créances délictuelles probables appartenant aux acheteurs directs victimes (l'exemple typique est la société allemande Cartel Damages Claims). Ce commerce du préjudice délictuel, ce marché du recyclage des indemnisations intrigue quant à sa légalité juridique179. Ainsi, se pose la question de la disposition de la créance née, ce qui signifie faire sortir un bien, un droit ou une valeur, du patrimoine de celui ou de ceux qui en sont les propriétaires, pour le transférer dans le patrimoine d'une ou plusieurs autres personnes. La question est donc l'aliénation de l'action individuelle découlant du préjudice du fait d'une entente ou d'un abus de position dominante. Or depuis l'arrêt Courage existe un droit subjectif d'action qui fait naître ipso facto une créance dans le patrimoine du justiciable, qui par principe doit pouvoir être cessible par son transport. La directive n'est pas insensible au sujet et prévoit au point 31 que : « (31) Toute personne physique ou morale qui obtient des preuves en accédant au dossier d'une autorité de concurrence devrait pouvoir utiliser ces preuves aux fins d'une action en dommages et intérêts à laquelle elle est partie. Une telle utilisation devrait également être autorisée pour toute personne physique ou morale qui lui a succédé dans ses droits et obligations, notamment par le rachat de sa demande. Lorsque les preuves ont été obtenues par une personne morale faisant partie d'un groupe d'entreprises constituant une seule entreprise aux fins de l'application des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, d'autres personnes morales appartenant à la même entreprise devraient également pouvoir utiliser ces preuves. » Possibilité d'accès confirmée dans le texte brut à propos des limites à l'utilisation des preuves obtenues uniquement grâce à l'accès au dossier d'une autorité de concurrence : 178 Document de travail des services de la Commission : consultation publique : Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, Bruxelles, 4 février 2011 SEC(2011) 173 final, p. 14 179 pour un éclairage approfondi sur le sujet voir le chapitre 5 de la thèse de Guillaume Zambrano qui relève au passage une absence générale d'interdiction (L'inefficacité de l'action civile en réparation des infractions en droit de la concurrence, étude du contentieux français devant le Tribunal de Commerce de Paris (2000-2012), thèse de l'Université de Montpellier, 2012, p. 299 et s.). 79 « Article 7 : [É] 3. Les États membres veillent à ce que les preuves obtenues par une personne physique ou morale uniquement grâce à l'accès au dossier d'une autorité de concurrence et qui ne relèvent pas du paragraphe 1 ou 2 ne puissent être utilisées dans le cadre d'une action en dommages et intérêts que par cette personne ou par une personne physique ou morale qui a succédé dans les droits de cette personne, ce qui inclut la personne qui a racheté sa demande. » Cette incise a son importance, elle suit une logique civiliste bien connue qui est que la cession de créance transfère au cessionnaire les droits et actions appartenant au cédant attachés à la créance cédée, ou dit plus simplement accessorium sequitur principale. Application extensive du principe qui vient toucher ici la preuve. Preuve qui en droit de la concurrence est souvent difficile du fait du déséquilibre d'information et de leur détention par l'opérateur contrevenant (le Livre Blanc relevant: « l'inaccessibilité et la dissimulation fréquentes des éléments de preuve déterminants dont disposent les défendeurs180»). Mais la directive va bien plus loin et explicite directement la validité de la cession du droit d'agir. En outre, le texte prévoit dans sa définition d' « action en dommages et intérêts » (article 2) que cela comprend une personne physique ou morale : « qui a succédé dans les droits de la partie prétendument lésée, y compris la personne qui a racheté la demande ». 181 Ensuite, la « demande de dommages et intérêts » est définie comme « demande de réparation pour le préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence ». Or, l'article 1 précise que toute 182 personne ayant un tel préjudice : « puisse exercer effectivement son droit de demander réparation intégrale de ce préjudice à ladite entreprise ou à ladite association [d'entreprise contrevenante] ». Cette phrase n'est donc pas anecdotique et conforte l'idée que le rachat de la demande est toléré. Il y a donc une possible cession du droit et une libre disposition de celui-ci par le justiciable victime de pratique anticoncurrentielle. Plus encore, il y a une obligation pour les Etats membres de rendre concevable la cession de créance conformément aux obligations à la charge des Etats d'effectuer une transposition fidèle en droit interne des dispositions requises par la directive.
créances litigieuses apparaît a priori comme un risque potentiel pour les entreprises contrevenantes, avec le risque de se voir demander en justice avec une probabilité plus accrue le préjudice causé aux acheteurs directs ou indirects. Risque de voir émerger des acteurs centralisateurs du contentieux qui pourront du fait de leur « institutionnalisation de fait » comme acteur central du private enforcement, devenir des contrepouvoirs, rééquilibrant l'échiquier en leur défaveur. 180 Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril 2008, COM(2008) 165 final. p. 2 181 ce qui est un changement notable vis-à-vis de la proposition de directive sur les actions en dommages et intérêts. (citée supra). 182 article 2 de la directive n°2014/104 80 Se dévoile aussi une probable professionnalisation du « demandeur » à l'action avec les corollaires classiques : de réduction des coûts, rentabilité augmentée, concentration et efficacité des moyens mises en oeuvre plus grande, etc. C'est aussi surtout à défaut d'un contrôle de leur activité, la menace de voir émerger des acteurs non-officiels183 et n'ayant démocratiquement à rendre des comptes à personne. Ainsi, les marchands de procès en tant qu'acteurs au procès peuvent assurer à défaut d'une existence ou même d'une efficience des actions collectives stricto sensu l'efficacité du droit de la concurrence en rendant l'infraction plus coûteuse (dans la limite de la rentabilité de l'opération d'achat). Néanmoins, ce « marché des actions en justice » est aussi une porte ouverte au marchandage pour 184 les entreprises auteurs d'infraction. En effet, cet ancrage dans le milieu économique de nouveaux acteurs peut être une opportunité. Une chance à saisir car ces acteurs économiques pourraient chercher à échapper à l'aléa du procès judiciaire avec tout ce qu'il implique en risque et en coût, pour se tourner vers une voie médiane comme le sont les règlements alternatifs des litiges (et notamment la transaction comme aux Etats-Unis185). Cette recherche de certitude peut transformer la relation frontale d'affrontement (comme cela peut être le cas lors d'une action collective gérée par une association à but non lucratif) en une relation économique ou mieux d'affaires186 (avec la prise en compte de l'aspect réputationnel de l'acteur « marchand de procès » et sa propagation dans le milieu des affaires). |
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