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Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence

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par Edouard Bruc
Université de Montpellier - DJCE 2016
  

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Section 2 - L'extranéité des litiges et l'action collective

51. Droit international privé. Le caractère transnational des infractions aux droits de la
concurrence interroge car il crée des conflits, tout d'abord, un conflit de compétence (1) puis ensuite, un conflit de lois (2).

§1) Risque du forum shopping : conflits de compétence

52. Caractère transnational de l'infraction. La tentation est grande pour le justiciable,
notamment en droit des affaires dont le contentieux revêt souvent un caractère international, de vouloir introduire son action devant une juridiction qui applique un système juridique et des règles qui lui seront plus favorables. Ce choix potentiellement abusif, qualifié de « forum shopping »,

126

est limité par le fait que les juridictions internes n'admettent pas facilement la recevabilité de telles actions. Mais, la question sous-jacente du droit applicable et de la juridiction compétente est aujourd'hui renforcée par le développement du libre-échange, l'internationalisation des échanges économiques et la mondialisation, facteur de rattachement pluri-national du contentieux.

Le caractère transnational de l'infraction en droit de la concurrence et particulièrement en private enforcement s'explique logiquement par le marché unique et la liberté de circulation qu'il entraîne

125 CHAGNY, Murielle et DEFFAINS, Bruno in Réparation des dommages concurrentiels, essai, septembre 2015, p.30

126 LEMEUR-BRAUDY, Véronique in Faut-il des règles spécifiques en matière de compétence juridictionnelle internationale ? Éloge de la simplicité, in colloque du Mans, préc., Concurrences no 2-2007.

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mais surtout par le cadre économique d'échange renforcé propre à l'Europe (impliquant des échanges transfrontaliers). Par ailleurs, la taille des entreprises saisies par le droit de la concurrence explique aussi ce caractère transfrontalier de l'infraction.

C'est d'ailleurs ce que relève la directive n°2014/104 aux motifs numéro 9 :

« Sachant que les infractions à grande échelle au droit de la concurrence présentent souvent un élément transfrontalier, il est nécessaire de veiller à ce que les entreprises exerçant leurs activités dans le marché intérieur bénéficient de conditions plus équitables et à ce que les consommateurs puissent exercer les droits que leur confère le marché intérieur dans de meilleures conditions ».

Dès lors, ce caractère transfrontalier introduit un élément d'extranéité dans le litige concurrentiel et par là au sein de l'action collective, qui conduit à interroger le droit international privé.

53. Compétence juridictionnelle et contentieux subjectif. Le droit international privé en droit

civil « est constitué par l'ensemble des principes, des usages ou des conventions qui gouvernent les relations juridiques établies entre des personnes régies par des législations d'États différents 127 ». En outre, l'existence d'un ou plusieurs éléments d'extranéité (qualité de ce qui est étranger) dans la relation de droit privé, écarte l'application des règles substantielles de droit interne au profit des règles de droit international privé. Ce droit prévoit donc la résolution des conflits de juridiction, grosso modo dans quel pays le litige doit-être jugé. C'est donc cette question qui va nous intéresser vis-à-vis des actions de groupe.

Ainsi, le choix de la juridiction pose problème comme le relève le professeur Cadiet cela peut créer un « désordre processuel128» pour les acteurs au procès. Du côté des entreprises, cela peut être un moyen dilatoire face au risque de l'action collective mais cela peut aussi conduire à un éclatement du contentieux qui peut lui être utile dans le cadre d'un règlement consensuel notamment (« bargaining power » ou pouvoir de négociation plus important).

Tout d'abord, il faut partir du postulat que la saisine de la juridiction avec la qualité pour agir s'applique à la juridiction en charge de l'action collective (ou avec qui l'action collective sera démarrée) et que l'agrégation de l'action individuelle à la demande collective par le système de l'opt-in peut notamment se faire par ce moyen. Ainsi, ce postulat large ne peut pas toujours rencontrer les conditions substantielles de droit interne des diverses actions collectives quant aux champs d'applications de l'action collective qui n'est toujours pas ouvert dans tous les cas aux entreprises notamment.

Réconfortant cette analyse en ce qui concerne la compétence juridictionnelle, la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions («Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs») précise que :

127 BRAUDO, Serge in Dictionnaire du droit privé, 2014

128 CADIET, Loic in Ordre concurrentiel et justice, in L'ordre concurrentiel, Mélanges en l'honneur de A.Pirovano, p. 109

52

« Les principes généraux de droit international privé européen exigent qu'un litige collectif comportant des éléments d'extranéité soit soumis à une juridiction compétente en vertu des règles européennes de compétence, y compris celles prévoyant un choix de juridiction, en vue d'éviter le forum shopping. Les règles relatives au droit européen de la procédure civile et au droit applicable devraient fonctionner efficacement dans la pratique afin d'assurer la bonne coordination des procédures nationales de recours collectif dans les affaires transfrontières. [É] A cet égard, la Commission considère que les actuelles dispositions du règlement (CE) n° 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (le «règlement Bruxelles I»)[40] devraient être pleinement exploitées. À la lumière de l'expérience supplémentaire acquise dans le cadre du contentieux transfrontière, la question de l'exécution effective des décisions de justice dans les actions collectives transfrontières devrait figurer dans le rapport prévu sur l'application du règlement Bruxelles J ».

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Specialia generalibus derogant, il faut donc se pencher a priori sur le règlement européen n°1/2003 et ses modifications. Malheureusement, apparaît le constat que le règlement est silencieux sur la compétence des autorités de concurrence pour ce type de contentieux. Ce mutisme renvoie ainsi au règlement n°1215/2012 (ancien règlement n°44/2001) dit « Bruxelles I bis » en ce qu'il est

130

applicable aux actions intentées depuis le 10 janvier 2015.

Deux autres critères tiennent à l'application de ce règlement, la pratique anticoncurrentielle présente un élément d'extranéité avec plusieurs Etats membres et le défendeur est domicilié sur le territoire de l'un d'entre eux. Le règlement s'applique en matière civile et commerciale quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s'applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l'Etat pour des actes ou omissions commis dans l'exercice de la puissance publique et le recours collectif sur le fondement des pratiques anticoncurrentielles ne rentrent dans aucune de ces hypothèses.

La question de la nature civile et commerciale a été précisée, tout d'abord, il s'agit d' « une notion autonome » donc propre au droit européen. Qui plus est, la jurisprudence est intervenue pour en préciser le contour de manière négative, ainsi ne relève pas de la matière civile et commerciale une personne publique qui agit dans le cadre de prérogative de puissance publique131.

Dans l'hypothèse d'une action collective contre des autorités publiques contrevenantes, une pratique anticoncurrentiel ne se rattache en principe pas à l'exercice de prérogative de puissance publique. De plus, existe le critère général du lien direct de l'action avec la procédure ou le lien de droit visé, par exemple une action en comblement de passif est en lien direct avec la procédure d'insolvabilité qui ne relève pas du règlement Bruxelles I bis. En l'espèce, pour les actions collectives en dommages et intérêts il ne semble pas y avoir de telles exceptions. Qui plus est, il est nécessaire de regarder les compétences exclusives qui « sont seules compétentes les juridictions ci-

129 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions «Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs» /COM/2013/0401 final

130 Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte)

131 CJCE, arrêt du 4 octobre 1976, LTU Lufttransportunternehmen GmbH & Co. KG contre Eurocontrol, affaire 29-76

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après d'un État membre, sans considération de domicile des parties ». En l'espèce, l'action collective ne rentre pas aussi dans ce cadre exclusif de compétence (article 24 dudit règlement). Maintenant que les conditions globales du régime du règlement Bruxelles I bis ont été posées, il faut se tourner vers les opportunités offertes aux demandeurs. En outre, ne règlement laisse aux demandeurs à l'action une multitude de choix, ce qui a conduit à parler de « forum shopping132 » en matière concurrentielle.

54. For de le l'auteur, défendeur à l'action de groupe. C'est en effet, le premier choix pour le

demandeur et par extension, aux demandeurs à l'action collective. Ici, le demandeur peut être une entreprise (PME notamment) ou un consommateur. Les dispositions générales de l'article 4 dudit règlement précise :

« 1. Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

Ainsi, le demandeur peut agir devant les juridictions du domicile du défendeur et en respectant le principe de spécialité s'il existe quant à la gestion de l'action collective par une (ou des) juridiction(s) exclusive(s) précisément définie(s). Subséquemment, il faut analyser la notion de domicile.

Qui est défini à l'article 62 pour les personnes physiques selon un droit interne (néanmoins lorsqu'une partie n'a pas de domicile dans l'État membre dont les juridictions sont saisies, le juge, pour déterminer si elle a un domicile dans un autre État membre, applique la loi de cet État membre).

Qui est défini à l'article 63 pour les personnes morales, selon des critères européens alternatifs : siège social, administration centrale ou lieu d'immatriculation.

En droit de la concurrence, par l'extension de la notion d'entreprise (notamment pour des filiales sur un même territoire), certains juges nationaux ont pu étendre le chef de leur compétence par le biais de l'article 4 comme dans l'affaire Provimi133.

Ce choix peut être difficile pour la partie demanderesse qui pourrait saisir un for étranger alors qu'elle ne connaît pas le système juridique de celui-ci, sans compter la complexification du fait de la langue et de la distance. Néanmoins, par le biais de l'action collective ces difficultés s'estompent, l'agrégation de moyens permettant pour partie de surmonter ce type de problème.

Pour l'entreprise, le risque est ici moindre, elle connaît son ordre juridique. Plus factuellement, le juge du défendeur s'il partage la même nationalité pourrait être plus enclin à protéger le défendeur (dans une forme de protectionnisme « politique » moderne par le biais de l'appréciation souveraine des faits par le juge notamment). Toutefois, si son for offre un système d'action collective plus

132 DUMARÇAY, Marie in La situation de l'entreprise victime dans les procédures de sanction des pratiques anticoncurrentielles, étude des procédures française et communautaire d'application du droit communautaire des pratiques anticoncurrentielles, soutenue le 11 décembre 2008, Université de Montpellier I, page 308

133 IDIOT, Laurent in Le droit de la concurrence in Les conflits de lois et le système juridique communautaire, p. 255

134 Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 1 mars 1982, Syndicat des Expediteurs et Exportateurs en Legumes et Pommes de Terre, Primeurs de la Région Malouine c. SIPEFEL, n° de pourvoi: 80-15834: Bull. n° 76

54

avantageux, le consommateur va pouvoir s'agréer à l'action de ce for augmentant ainsi le montant du coût de l'action.

55. Compétence spéciale. C'est un choix offert aux demandeurs (entreprise ou consommateur)

qui peut s'orienter vers des règles de compétence spéciale propre à la matière contractuelle ou délictuelle, selon le terrain choisi par le demandeur.

En outre, l'article 7 dudit règlement précise, cette capacité d'option :

« Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre:

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande; fÉ]

2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait

dommageable s'est produit ou risque de se produire ».

Au préalable, se pose la question de cette capacité à saisir le tribunal et l'existence (comme déjà soulevée supra) de juridiction spécialisée ayant une compétence exclusive en matière d'action collective. Il semble de manière logique en faisant jouer la ratio legis qu'au lieu de renvoyer à une juridiction précise, il faudrait renvoyer à la seule ou aux seules juridiction(s) compétente(s) sur le territoire de l'Etat membre en question.

La nature de l'exercice de l'action en réparation des dommages causés par les infractions de concurrence a longtemps été source d'interrogation. Mais maintenant la réparation selon le droit commun de la responsabilité délictuelle est acquise. L'arrêt Courage affirme in fine la nature délictuelle pour violation de la loi de la réparation du dommage concurrentiel suivant par là l'arrêt antérieure Sipefel de la Cour de Cassation rendu en 1982 est fondateur sur le sujet :

«Mais attendu que l'abrogation, par l'article 19 de la loi du 17 juillet 1977, des dispositions de l'article 45, 2° alinéa, de la loi du 27 décembre 1973, permet l'exercice, selon le droit commun, de l'action civile en réparation des dommages causés par les infractions visées à l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, que les autorités des États membres de la communauté sont seules compétentes pour statuer sur les responsabilités civiles encourues par les entreprises qui, en infraction à l'article 85-2 du traite de Rome, pratiquent des ententes a caractère monopolistique, qu'au plan civil de la responsabilité tant l'article 50 de l'ordonnance précitée que l'article 85-2 dudit traite appellent une solution identique, étant indiffèrent a cet égard que le motif critique ait employé la conjonction "ou "; que loin de violer les textes vises au moyen, c'est à bon droit que la cour d'appel a appliqué à la cause les principes généraux de la responsabilité civile 134 ».

135 CJUE, arrêt du 21 mai 2015, Cartel Damage Claims (CDC) Hydrogen Peroxide SA / Akzo Nobel NV e.a., affaire C-352/13

55

Par ailleurs, la Cour de justice précise dans un arrêt de 2015 qu'une personne lésée par une

135

entente illicite a l'option alternative d'introduire son action en réparation à l'encontre de plusieurs sociétés ayant participé à l'infraction soit devant le tribunal du lieu de la conclusion de l'entente ou d'un arrangement particulier sous-tendant cette entente, soit devant le tribunal du lieu de la matérialisation du dommage. Celui-ci doit être déterminé pour chaque victime individuelle et se trouve, en principe, au siège social de celle-ci.

Mais un autre chef de compétence est possible, c'est le fondement contractuel avec l'action basée sur le dol. Le dol dans la conclusion d'un contrat est défini par l'article 1109 du code civil qui dispose qu'il : « [É] nÕy a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol ».

Ainsi, l'acheteur victime d'une pratique anticoncurrentielle peut en outre demander au juge des dommages et intérêts sur le fondement du dol (i.e. une manoeuvre destinée à tromper une personne et à l'amener à conclure un contrat à des conditions désavantageuses).

Mais encore, et sur le modèle de la jurisprudence administrative en la matière, les acheteurs directs pourraient préférer la voie contractuelle de l'action en réduction du prix pour dol, sur le fondement de l'article 1116 du Code Civil et de l'article 1137 dans l'Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations qui précise que :

« Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. »

La pratique anticoncurrentielle constitue un dol puisque l'entreprise contrevenante a trompé l'acheteur sur la réalité de la concurrence, qui a conduit l'acheteur à accepter le contrat à des conditions plus onéreuses. Il pourra donc agir en réparation contre son cocontractant pour obtenir des dommages et intérêts. Reste d'un point de vue théorique qu'ici l'action collective ne serait pas du private enforcement pur mais un dérivé subsidiaire de celui-ci.

Le régime est identique et permet une action en réduction du prix de nature contractuelle comme affirmé plus en détail dans la thèse de Guillaume Zambrano sur l'inefficacité de l'action civile en réparation des infractions en droit de la concurrence (page 235 et suivantes), ce qui permet d'user de l'article 7.1.b) du règlement (« ouvrant » d'autres possibilités de saisine selon la qualification en question).

Enfin lorsqu'il y a plusieurs défendeurs, un défendeur peut aussi être attrait devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient étroitement liées et qu'il y ait ainsi intérêt à les juger en même temps pour éviter que des décisions divergentes et inconciliables ne soient rendues dans différents États membres.

56

56. Protection du consommateur. Enfin, si les demandeurs sont des consommateurs, il y a la

possibilité de saisir la juridiction du for ou celle de l'autre partie. En outre, l'action intentée par un consommateur contre l'autre partie au contrat peut être portée soit devant les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l'autre partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié.

Les cas pour entrer dans le champ d'application de cette capacité à choisir est précisé à l'article 17 du Règlement :

« Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs Article 17

1. En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l'article 6 et de l'article 7, point 5):

a) lorsqu'il s'agit d'une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels;

b) lorsqu'il s'agit d'un prêt à tempérament ou d'une autre opération de crédit liés au financement d'une vente de tels objets; ou

c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce
des activités commerciales ou professionnelles dans l'État membre sur le territoire

duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

2. Lorsque le cocontractant du consommateur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, il est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire de cet État membre.

3. La présente section ne s'applique pas aux contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement. »

57. Risque accru de sanction pour les entreprises. Malgré la possible utilisation malicieuse

d'une « torpille italienne » (italian torpedo) par l'entreprise, le demandeur à l'action collective gardera en hypothèse une capacité à saisir une multitude de juridiction constitutive d'une forme accentuée de forum shopping.

Comme le met en exergue Antonio Capobianco, analyste de l'OCDE en droit de la concurrence :

136

« There is a risk that a few jurisdictions will become the forum of choice for antitrust litigation (as seems to be the case of the UK) simply because they offer potential plaintiffs the most favourable substantive and procedural framework for their antitrust actions137».

Ce risque crée un danger majeur pour les entreprises contrevenantes dans leur gestion des actions

138

collectives, déjà au niveau du coût procédural dupliqué par la multiplicité des actions collectives à

136 Organisation de coopération et de développement économiques

137 CAPOBIANCO, Antonio in Private antitrust enforcement of EC competition rules: recent developments, Competition Law Insight, 23 novembre 2004.

138 pour un exemple du contentieux pouvant en découler : CJUE, arrêt du 21 mai 2015. Cartel Damage Claims ( CDC) Hydrogen Peroxide SA contre Akzo Nobel NV (voir le communiqué : http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/ application/pdf/2015-05/cp150058fr.pdf )

57

gérer, mais aussi du fait de l'efficacité probable du private enforcement permettant de limiter la faute lucrative, et encore à travers de l'efficience recherché par le coût brut du préjudice demandé qui peut grossir hypothétiquement (si la victime n'est pas apathique) du fait de l'agrégation de nouveaux préjudices dans l'action. Ce qui explique la nécessaire harmonisation des recours collectifs pour éviter que l'asymétrie d'efficacité des actions collectives dans les Etats membres avec l'attraction des victimes vers un système juridique en particulier139.

§2) Insécurité juridique issue du conflit de loi

58. Loi applicable et recours collectif. Sous quel régime juridique le conflit doit-il se

dérouler ? La question interroge les règles actuelles de conflit de lois de l'Union européenne.

En outre, il faut pointer qu'une juridiction saisie d'un litige collectif dans une affaire impliquant des demandeurs originaires de plusieurs États membres devrait parfois appliquer plusieurs lois différentes au fond.

Au demeurant, s'agissant de la violation des règles de concurrence européenne, toutes les juridictions de l'Union se réfèrent aux articles 101 et/ou 102 TFUE afin d'établir l'existence d'une faute ouvrant droit à réparation. La faute étant démontrée, la question substantielle est ici celle des règles générales relatives à l'intérêt à agir et à la responsabilité délictuelle, dont l'application est déterminée. Dès lors, la question conformément à l'arrêt Courage et à la directive n°2014/104 relève du règlement sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit « Rome II ».

140

Tout d'abord, la règle générale en matière délictuelle est que la loi applicable aux obligations résultant d'un fait dommageable est la loi du pays dans lequel est survenu le fait générateur du dommage, comme le précise l'article 4 du règlement « Rome II » :

« 1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. »

Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique. En cas de localisation du dommage dans des endroits multiples, il faut appliquer la jurisprudence Fiona Shevill de la Cour de justice, ainsi tous les lieux où les dommages sont subis peuvent servir de chef de compétence (arrêt du 7 mars 1995):

« L' expression "lieu où le fait dommageable s' est produit", utilisée à l' article 5, point 3, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l' exécution des décisions en matière civile et commerciale, [É] doit, en cas de diffamation au moyen d' un article de presse diffusé dans plusieurs États contractants, être

139 LECLERC, Mélanie in Les class actions, du droit américain au droit européen : Propos illustrés par le droit de la concurrence, thèse soutenue en 2011, Université de Paris-Dauphine, point 1021

140 Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II)

Le paragraphe trois pose tout d'abord le critère d'affectation du marché, critère pertinent sauf si le marché d'un pays ne suffit pas à encadrer la restriction de concurrence. Ainsi, le texte prévoit que le

58

interprétée en ce sens que la victime peut intenter contre l' éditeur une action en réparation soit devant les juridictions de l' État contractant du lieu d' établissement de l' éditeur de la publication diffamatoire, compétentes pour réparer l' intégralité des dommages résultant de la diffamation, soit devant les juridictions de chaque État contractant dans lequel la publication a été diffusée et où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa réputation, compétentes pour connaître des seuls dommages causés dans l' État de la juridiction saisie. »

Enfin, s'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre, la loi de cet autre pays s'applique. Ainsi, un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question (ce qui pourrait être aisément soulevé la victime ayant souvent contractée avec l'auteur de la faute au droit de la concurrence).

59. Compétence spéciale. Face à cette compétence générale s'articule une compétence spéciale

et en vertu de l'adage specialia generalibus derogant, ainsi sauf convention fixant la loi applicable, la réponse à la loi applicable pour la réparation du préjudice pour violation de la loi en matière de droit de la concurrence est à l'article 6, paragraphe 3 du règlement (sur la loi applicable aux obligations non contractuelles) :

« Concurrence déloyale et actes restreignant la libre concurrence

1. La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un acte de concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l'être.

2. Lorsqu'un acte de concurrence déloyale affecte exclusivement les intérêts d'un concurrent déterminé, l'article 4 est applicable.

3.

a) La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un acte restreignant la concurrence est celle du pays dans lequel le marché est affecté ou susceptible de l'être.

b) Lorsque le marché est affecté ou susceptible de l'être dans plus d'un pays, le demandeur en réparation qui intente l'action devant la juridiction du domicile du défendeur peut choisir de fonder sa demande sur la loi de la juridiction saisie, pourvu que le marché de cet État membre compte parmi ceux qui sont affectés de manière directe et substantielle par la restriction du jeu de la concurrence dont résulte l'obligation non contractuelle sur laquelle la demande est fondée. Lorsque le demandeur, conformément aux règles applicables en matière de compétence judiciaire, cite plusieurs défendeurs devant cette juridiction, il peut uniquement choisir de fonder sa demande sur la loi de cette juridiction si l'acte restreignant la concurrence auquel se rapporte l'action intentée contre chacun de ces défendeurs affecte également de manière directe et substantielle le marché de l'État membre de cette juridiction.

4. Il ne peut être dérogé à la loi applicable en vertu du présent article par un accord tel que mentionné à l'article 14. »

59

défendeur puisse choisir de fonder sa demande sur la loi de la juridiction saisie, pourvu que le marché de cet État membre compte parmi ceux qui sont affectés de manière directe et substantielle par la restriction du jeu de la concurrence dont résulte l'obligation non contractuelle sur laquelle la demande est fondée.

Par ailleurs, le domaine de la loi déterminée par cette règle de conflit englobe également la cession de créance de droits litigieux (selon l'article 15.e du règlement qui prévoit son application à : « la transmissibilité du droit à réparation »), cession permettant comme par exemple en Allemagne (exemple de Cartel Damage Claims Hydrogen Peroxide SA) d'agréger les demandes avant d'agir en justice.

Enfin, il peut être soutenu que les articles 101 et 102 TFUE relèvent de la catégorie des lois de police. Dès lors, ces dispositions sont applicables à toutes les situations relevant de leur champ d'application territorial. Ce qui explique en partie l'utilisation du critère d'affectation du marché et comme le pointe Laurence Idot :

« En d'autres termes, si un cartel remplit des conditions d'applicabilité de l'article 101, § 1, TFUE, soit la localisation des effets dans l'Union européenne et l'affectation du commerce entre États membres, le droit de l'Union a vocation à s'appliquer quelle que soit la loi désignée par ailleurs par la règle de con it. L'article 6, § 3, du règlement «Rome II» n'a de sens que s'il est combiné avec l'article 16 du même règlement sur le respect des dispositions impératives141 ».

60. Conflits de lois et difficulté pratique. Apparaît ainsi, qu'une multitude de lois sont

applicables devant un même tribunal, à ce sujet la Communication de la Commission (intitulée « Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs ») n'y voit pas un souci majeur, en outre :

« Cependant, la Commission n'est, jusqu'ici, pas persuadée qu'il serait opportun d'édicter une règle spéciale pour les actions collectives qui obligerait la juridiction à appliquer une loi unique à une affaire. En effet, cela pourrait faire naître des incertitudes lorsqu'il ne s'agit pas de la loi du pays de la personne réclamant des dommages et intérêts. »

Néanmoins, l'éclatement du droit applicable peut poser des problèmes. Certes, cet éclatement se justifie par la nécessité de protéger la partie demanderesse d'une loi qu'il lui serait inconnue. Cependant, le critère du marché affecté ou susceptible de l'être par l'acte anticoncurrentiel est flou au regard de la multiplicité des dommages sur divers marchés ; le problème est aussi que l'alternative en cas de plusieurs marchés affectés n'est qu'une option ouverte au demandeur à l'action collective. Ainsi, il y a une versatilité des demandes et du contentieux découlant de l'action collective qui se dégage. Concrètement, la question du régime peut poser problème car par exemple le droit anglo-saxon n'apprécie pas de la même manière la responsabilité par la notion de « tort

141 IDOT, Laurent in Choisir sa loi et son juge : Quelles possibilités ?, Concurrences, Colloque, 13 mai 2014, p. 19

60

law » que le droit civil de tradition romaine. Par exemple, les jurisprudences Albion Water et

142

Cardiff Bus devant le Competition Appeal Tribunal établissent que des exemplary damages sont exceptionnellement possibles lors d'action en private enforcement (notamment dans l'objectif de sanctionner : « punish and deter », ce qui ne peut jamais être le cas après une décision d'une ANC 143), ce qui est contraire au principe de réparation intégrale.

L'exception sur ce point est toutefois en sursis, la directive n°2014/104 harmonisant cette différence.

En toute état de cause, ce conflit de lois est facteur d'insécurité juridique pour les parties aux procès et essentiellement pour le juge et l'entreprise contrevenante. Cette insécurité juridique s'explique par l'incapacité à saisir de manière aisée la règle de droit applicable mais surtout de la complexité engendrée par l'éclatement du droit applicable, facteur de lenteur mais aussi de coût dans la procédure.

142 Competition Appeal Tribunal, 2 Travel Group plc (in liquidation) v. Cardiff City Transport Services Ltd [2012] CAT 19 at [448]-[598], esp. [496] and concluding in [593]-[598]; Competition Appeal Tribunal, Albion Water Ltd v. Dr Cymru Cyfyngedig [2010] CAT 30.

143 référence à la règle ne bis in idem : England and Wales High Court, Devenish Nutrition Ltd v. Sanofi-Aventis SA [2007] EWHC 2394 at [48]

61

61. Conclusion. L'action collective, comme risque actuel, frappe déjà par la dissymétrie « des

actions collectives » au travers des différents régimes des Etats membres.

Le Comité économique et social européen pointe lui que l'absence de règles nationales qui gouvernent de manière adéquate les actions en dommages et intérêts ou, d'autre part, la disparité entre les législations nationales « places not only victims, but also the perpetrators of competition law infringements in a position of inequality144 ».

Malgré la volonté du législateur d'harmonisation, le soft law apparaît comme un outil inefficient et mal venu (voir section 1§1). Une harmonisation verticale est nécessaire pour éviter une inégalité de traitement entre les justiciables car le constat de l'hétérogénéité des actions de groupe dans l'Union européen (section1§2) a pour corollaire leur efficience à géométrie variable. Ce qui par ailleurs constitue aussi un risque ou un avantage comparatif pour les entreprises.

Mais cet avantage comparatif s'évanouit rapidement au regard tant du forum shopping possible (section 2§1) que de l'insécurité juridique créée par le conflit de loi (section 2§2) propre au litige concurrentiel dans une société mondialisée et consumériste avec une globalisation des pratiques anticoncurrentielles.

Ainsi, l'entreprise dans sa stratégie doit donc en prendre ce qui constitue l'état actuel du risque des actions collectives en droit de la concurrence sur le fondement du droit européen. Or, ce risque actuel est en mutation, la directive n°2014/104 établissant un standard minimal commun horizontal des actions privées en dommages et intérêts.

144 Opinion of the European Economic and Social Committee on the Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on certain rules governing actions for damages under national law for infringements of the competition law provisions of the Member States and of the European Union COM(2013) 404 final - 2013/0185 (COD) and on the Communication from the Commission on quantifying harm in actions for damages based on breaches of Article 101 or 102 of the Treaty on the Functioning of the European Union C(2013) 3440, 16 Octobre 2013, point 1.1.1

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand