Section 2 - L'utilisation de l'inefficience du droit
positif
188. Disparité de régime. Le
constat est qu'il existe un risque de forum shopping pour les
victimes, risque accru lors d'une action collective au regard des enjeux du
litige. La gestion intensive demande donc pour l'entreprise contrevenante de
penser de manière stratégique sa gestion du contentieux. Cette
gestion peut profiter des asymétries entre les régimes
juridiques, notamment le manque de législation sur les conflits
d'intérêt (1) et d'un point de vue économique, d'une
optimisation fiscale possible par le biais des prix de transfert (2).
§1) La désintégration de l'effet
holiste de l'action collective
189. Désintégration.
L'entreprise peut racheter les créances, cela permet
d'éviter le contrôle de légalité des transactions
(dans un premier temps, cf. infra) tel que prévu dans les
droits nationaux et par la recommandation sur les recours collectifs ou :
323 LEDOUX, Valérie et RODA, Jean-Christophe in Les
"compliance programs" en droit de la concurrence, Dalloz actualité 14
janvier 2008
324 Mémorandums : US Departement of Justice - Office of
the Deputy Attorney General, Memorandum, Subject : Principles of Federal
Prosecution of Business Organisations
325 US Sentencing Guidelines (Disponible à :
www.usse.gov/Guidelines/2011_Guidelines/Manual_PDF/Chapter_8.pdf)
151
« Il convient que la légalité des
solutions contraignantes issues de transactions collectives soit
vérifiée par une juridiction, compte tenu de la protection qu'il
est opportun d'accorder aux intérêts et aux droits de toutes les
parties concernées. »
L'action collective a un effet holiste, le rassemblement des
créances par une seule partie change les données, le risque pour
l'entreprise contrevenante. Le pouvoir de négociation («
bargaining power ») est plus grand au niveau de la transaction pour
la partie qui a collecté des préjudices. L'objectif pour
l'entreprise pourrait être de désagréger les demandes.
190. Filiale et rachat. Pour
désagréger les demandes et payer un montant moindre aux victimes.
Il pourrait être utile de créer une filiale dans un Etat membre
qui n'a pas de législation renforcée sur les conflits
d'intérêts ou dont l'application des textes légaux laissent
à désirer (forum shopping). Etant donné que la
directive prévoit la possibilité de cession de la créance
indemnitaire, la filiale créée pourra racheter les
créances. Pourquoi une filiale ? Parce que cela évite
déjà au cocontractant de connaitre l'identité de l'auteur
de l'infraction et que cela permet facilement de délocaliser le risque
de nullité de la société par son objet (même si cela
paraît peu probable le législateur ayant expressément
autorisé la cession de créance).
Ainsi, par le rachat d'un maximum de créance par la
filiale, qui va profiter de l'asymétrie d'information qu'elle
possède sur le cédant dans la négociation du prix, se
crée une économie de « coût ». La filiale pourra
au passage profiter du data et autres fichiers clients de la
mère pour connaître et identifier facilement les victimes.
Le rachat fait, les parties n'auront plus qu'à
transiger (si la fille ne faisait que garder les créances, à
défaut de caractère lucratif un risque de nullité pourrait
en toute hypothèse peser sur elle), la transaction devrait elle aussi
bénéficier du forum shopping pour qu'un contrôle
léger (ou aucun contrôle) ne soit effectué par le juge sur
le caractère équitable de celle-ci.
Ainsi, en sus de payer à moindre coût les
victimes, cette technique fait baisser l'effet holiste d'autres demandes
postérieures en dommages et intérêts en réduisant
l'assiette des victimes.
§2) L'optimisation fiscale
191. Optimisme fiscal. Il est possible
d'envisager un traitement fiscal du risque des actions collectives. Celui-ci
passerait par l'utilisation des prix de transfert. En outre, selon la
définition de l'Organisation de Coopération et de
Développement Economiques (OCDE), les prix de transfert sont : «
les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des
actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises
associées ». Ils se concrétisent par le prix des
transactions entre sociétés d'un même groupe et
résidentes d'États différents et supposent ainsi des
transactions intra-groupes avec le passage d'une frontière. Il s'agit
finalement d'une opération d'import-export au sein d'un même
groupe, ce qui exclut toute transaction à l'international avec des
sociétés indépendantes ainsi que toute transaction
intragroupe sans passage de frontière. Les entreprises sont
concernées non seulement pour les ventes de biens et de marchandises,
mais également pour toutes les prestations de services intra-groupes :
partage de certains frais communs entre plusieurs entreprises
152
du groupe (frais d'administration générale ou de
siège), mise à disposition de personnes ou de biens, redevances
de concession de brevets ou de marques, relations financières ou
services rendus par une entreprise du groupe aux autres entreprises. Les prix
de transfert permettent donc le déplacement de valeur vers d'autres
pays.
192. Fiscalité réduite et transfert.
Ce déplacement de valeur pour être d'un point de vue
fiscal optimal doit se faire vers un pays à fiscalité
réduite (Irlande par exemple). L'objectif est de créer une charge
dans un pays à forte fiscalité et un produit dans un pays
à fiscalité réduite. Ici, il est possible que la
compliance puisse être un outil de ce type de transfert d'un pays
vers un autre. Il faudrait ainsi qu'une filiale dans un pays à
fiscalité réduite s'occupe de la gestion de la compliance
pour le groupe. Celle-ci pourra facturer une multitude de services
correspondants et ainsi faire baisser l'assiette fiscale de la
société mère. La limite étant la
réalité de la prestation fournie, il faut que celle-ci est de la
substance. Cette optimisation par le biais d'un tax shopping est donc
le prolongement fiscal de la gestion du risque concurrentiel notamment au
regard des actions collectives.
153
193. Conclusion. Le traitement intensif du
risque peut être à la fois curatif et bénéfique dans
la gestion du risque des actions collectives. La compliance en sus
d'être une modalité permettant d'éviter la faute
vis-à-vis des normes en droit de la concurrence (section 1§1)
permet aussi a posteriori de gérer le contentieux de
manière favorable (section 1§2) tant sur le terrain probatoire
qu'au niveau de la sanction (qui pourrait être minorée).
Mais d'autres modalités éthiquement critiquables
sont possibles, cela peut passer discrètement par le rachat par l'acteur
fautif des créances indemnitaires à bas prix (section 2§1)
ou encore par l'optimisation fiscale de la compliance par le biais des
prix de transfert (section 2§2).
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