2. Un capital économique variable, de la «
classe moyenne » aux catégories sociales supérieures
Cette appartenance à la classe moyenne recoupe une
dimension économique. La détermination de ce que serait une
« classe moyenne haute » reste délicate, au vu de
l'insuffisance des données récoltées à propos du
niveau de richesse (revenus ou rentes) des parents. Les données de la
Banque mondiale, ainsi que les pratiques impliquant un coût
économique pour ces acteurs, pallient quelque peu cette lacune. Il est
d'abord important de rappeler que le Liban, en dehors de cet imaginaire de
« Suisse du Moyen-Orient », reste un pays économiquement
très inégalitaire, entre les différentes couches sociales
de nationaux et entre Libanais et travailleurs étrangers31.
Ces derniers ne rentrent que peu dans les données officielles,
conséquence d'un important travail illégal. Cela relativise les
données de la Banque mondiale, qui devraient certainement être
revues à la baisse. Le revenu national brut par habitant (méthode
Atlas) en 2014 au Liban était de 10030$, soit un peu moins de 836$/mois
par habitant (en comparaison, le RNB par habitant français en 2014
était de 42960$, soit 3580$/mois par habitant). Le taux de
pauvreté s'élevait quant à lui à 28,6% de la
population en 2004 ce qui, depuis 2011 et l'afflux de près de deux
millions réfugiés syriens32, a encore dû
augmenter.
Le positionnement du milieu familial des graffeurs dans ce
bref panorama semble confirmer l'impossibilité d'un capital
économique restreint et d'une origine populaire, voire
défavorisée. Le fait est que tous ont eu la possibilité de
suivre des études supérieures dans la capitale, où les
prix de l'immobilier avoisinent ceux de villes comme Paris ou
Lille33. Cette possibilité fait dès lors office de
sélection : les agents ayant les moyens financiers d'habiter Beyrouth et
d'y étudier auront un accès facilité à une pratique
artistique réduite à cette même capitale. Tous les
graffeurs habitent actuellement à Beyrouth, dans les quartiers que nous
avions déjà cités (Achrafieh, Furn es-Chebbak, Hamra).
À l'exception de Spaz, actuellement en période
31 Ces travailleurs proviennent principalement d'Asie du sud-est,
du Soudan et désormais de Syrie.
32 Fin décembre 2015, 1835840 réfugiés ont
été recensés par le HCR pour l'ensemble du Liban.
33 Une chambre de 10m2 dans un appartement «
relativement » salubre à Achrafieh ou Furn es-Chebbak coûte
en moyenne 400 - 500$/mois, un studio dans un quartier annexe entre 800 et
1000$/mois.
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de transition entre sa fin d'études et la recherche
d'un travail à la rémunération suffisante : «
Actually I left Beirut few months ago since I can't afford the rent
anymore », arguant avec humour qu'il préférait rester
chez ses parents pendant un moment pour profiter de la nourriture... «
I choose food, you should do the same unless you don't want to be as fat as
me (rires), that's why I'm staying at my parents now » (janvier
2016). Certains graffeurs proviennent enfin de milieux d'affaires, ce qui tend
à les faire entrer dans une catégorie au capital
économique plus conséquent. Il s'agit en effet d'individus dont
les parents occupent des fonctions plus commerciales, le père de famille
étant « homme d'affaires », investisseur, ou dirigeant
d'entreprise. Ainsi, le père et l'oncle de Chad The Mad sont
respectivement chef d'entreprise et autoentrepreneur, le père et le
frère aîné des jumeaux Ashekman dans les milieux d'affaires
internationaux, notamment entre le Liban et les États-Unis où une
partie de la famille y est installée. Si ces derniers appartiennent
à un milieu plutôt forgé par des professions et des
relations d'ordre économique, certaines pratiques culturelles ont
été transmises par leur mère, peintre amateur.
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