2. ANALYSE DES STRATEGIES DE COMMUNICATION AVANT LA CRISE
DE 2008
Dans le cadre de notre problématique, qui est de savoir
si la crise a impacté les stratégies de communication et de
quelle manière, nous devons tout d'abord analyser les stratégies
de communication des banques avant la crise financière. Cela nous
permettra de faire apparaître les évolutions entre les deux
périodes. Nous pouvons commencer par donner un historique succinct de
l'évolution des stratégies de communication des grandes banques
françaises grâce à l'article de recherche de Paviot
(1995).
La publicité mass média des banques
débute dans les années 50 lorsque de nouveaux produits financiers
sont développés, l'objectif est alors d'éduquer le
consommateur avec des messages pédagogiques. Dans les années 70,
la société se bancarise fortement et la concurrence augmente
progressivement. Les banques tentent de sortir du lot comme le montre la
célèbre affiche de BNP « Votre argent m'intéresse
». Nous appellerions cela aujourd'hui en marketing, un « buzz ».
En effet comme nous l'avons expliqué, l'argent est un symbole tabou dans
la société française et les consommateurs n'ont pas bien
accueilli cette campagne. La communication des banques évolue en
même temps que la société, et elles vont chercher les
nouveaux clients : les femmes et les enfants. Depuis 1965, les femmes sont
légalement autorisées à ouvrir un compte sans autorisation
maritale. Treize ans plus tard, BNP lance sa campagne d'affichage « c'est
moi qui compte » où l'on peut voir une femme ouvrir un compte
bancaire. Nous pouvons remarquer grâce à cet article, que la
plupart des banques ont un manque de stabilité dans les campagnes et les
slogans employés. Par exemple, la Société
Générale a lancé plus de quatre slogans et campagnes
différents entre 1982 et 1992. En revanche une banque qui a toujours
fait figure de bonne élève dans la construction de sa
stratégie de communication, c'est le Crédit Agricole. Sa
stratégie est restée stable depuis très longtemps comme le
justifie le slogan, resté inchangé depuis quarante ans « Le
bon sens ». En 1991 la première grave crise immobilière
touche
44 Paviot G. (1995) - La communication publicitaire et la
réputation des banques, Communication et langages, N°105,
pp.92-104
la France et les stratégies de banque ne perdent pas de
temps pour s'y adapter. On s'aperçoit en effet que les banques
intègrent les clients dans les campagnes télévisées
« Grandissons ensemble » « Conjuguons nos talents » «
votre projet est le nôtre ». BNP lance même en 1994 un spot
télévisé « 15 secondes pour changer d'idée sur
la banque ».
Le logo est devenu au fil des années, un
élément phare de la stratégie de communication.
Présent dans les publicités mass-médias et hors
médias, en interne et en externe, il est l'élément le plus
visible et celui qui transcrit le plus simplement les valeurs de l'entreprise.
Un tournant important est entrepris par le secteur à la fin des
années 80 car l'intégralité des banques modernise leur
logo. BNP ouvre la danse en 1986 après vingt ans sans changement. La
Banque Populaire (1987), le Crédit Agricole (1988) la
Société Générale (1990) et enfin la Caisse
d'Epargne (1991) suivent le pas en intégrant des nouvelles couleurs, des
contours plus épurés... Comme l'avait expliqué Phil
Passani (2015) devant les élèves de Master de Montpellier
Business School, « un bon logo doit pouvoir se tracer à main
levée dans le sable en restant le plus simple possible». C'est en
effet dans ce sens que les logos des banques sont transformés et
épurés depuis cinquante ans.
Les banques traversent par la suite de nouvelles crises
externes (bulle Internet) ou internes (Crise du Sentier au Crédit
Lyonnais). Certaines banques retravaillent leur image comme le Crédit
Lyonnais qui affiche « Nous vous devons une nouvelle banque ».
Après les années 2000, les messages sont au diapason et cherchent
à démontrer la capacité d'adaptation des banques au monde
qui les entoure. CIC lance son fameux slogan, « Parce que le monde
bouge» et BNP «La banque d'un monde qui change ». Les banques
françaises ont donc pris plusieurs décennies pour acquérir
une indépendance totale dans leurs stratégies de communication.
Au milieu des années 2000, le « back office » est au centre
des communications, souvent de manière décalée. La prise
de parole est de plus en plus décontractée, ce qui permet de
créer un nouveau lien loin de l'image sérieuse et ennuyante du
banquier. Cela est aussi fait pour montrer que l'humain est important face aux
nouvelles banques en ligne.
Au sein de l'étude qualitative sémiologique,
nous avons donc analysé les campagnes de publicité des banques
françaises en nous concentrant sur le Crédit Agricole, la
Société Générale et BNP Paribas. Ces trois banques
sont en effet les plus importantes en termes de PNB45. Une centaine
de spots publicitaires ont été visualisés et
analysés. Cette étude a été couplée à
la lecture des communiqués de presse des banques concernant les
campagnes de communication.
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45 Terme défini dans le glossaire p.69
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Dans un premier temps, l'analyse des publicités avant
la crise financière nous permet de dégager une tendance
générale dans la manière de communiquer : l'humour. Le ton
employé dans les campagnes est en effet très
décontracté et loin de l'image habituellement
dégagée par le secteur bancaire. La volonté d'inspirer un
capital sympathie a entraîné les banques à adopter une
stratégie créative tournée sur le ton du comique.
L'exemple le plus évocateur est celui du Crédit Agricole et sa
saga des banquiers chanteurs. Durant cinq années (à partir de
2006) les publicités du CA montrent des conseillers répondant aux
interrogations de leur client en chantant. Ainsi lorsque le sujet du prêt
immobilier est abordé, la chanson de Claude François « viens
à la maison » résonne dans l'agence en play-back. Le
banquier se transforme alors en « bête de scène »,
à la limite de l'hystérie. Face à cette attitude, les
clients dans les publicités ainsi que le spectateur ne peuvent
être que surpris. Chez BNP Paribas, les humoristes Eric et Ramzy sont les
protagonistes d'une large campagne publicitaire, à destination
première des jeunes. L'univers des spots est très ouvert
artistiquement. Des personnages burlesques sont présents comme un pirate
qui chante, danse et tombe. Les deux acteurs emploient un ton léger et
comique pour aborder différents sujets bancaires. Ils lancent par
exemple des sacs d'AJO en volant en montgolfière. La publicité
à destination des actifs n'est pas plus sérieuse puisqu'elle met
en scène un adulte cherchant une banque pouvant le recevoir au Far-West.
BNPP souhaite démontrer qu'elle peut s'adapter aux jeunes ainsi
qu'à leur discours avec l'utilisation du langage SMS « TA + K
ENTRER ». La Société Générale avait aussi
lancé une grande campagne basée sur l'humour avec le « Coup
de Pouce » lancé en 2006. La banque est en effet
représentée par un pouce en 3D qui aide les clients de la banque
dans la vie quotidienne. L'image même du pouce géant est
humoristique, même si le message est sérieux. On peut par exemple
voir un pouce qui aide un homme à voir par-dessus un mur (cela
représente l'aide dans l'achat immobilier). Cette métaphore vient
expliquer le slogan « on est là pour vous aider ». La musique
de fond très joyeuse vient appuyer l'émotion
déclenchée. D'autres banques ont aussi choisi de communiquer avec
humour comme le CIC qui depuis 2006 se compare à ses concurrents en les
ridiculisant. Le comique de situation est alors largement utilisé pour
prouver que les services des concurrents du CIC sont inférieurs. Le LCL
lui a décidé depuis la même année d'engager des
personnes connues (comiques, sportifs...) afin de les mettre au premier plan
dans les publicités. Ainsi Karim Benzema, Muriel Robin inspirent la
confiance populaire au sein de la banque en venant participer de manière
humoristique aux spots. La Caisse d'Epargne communique grâce à des
animaux humanisés. C'est un prolongement du célèbre
écureuil, symbole même de la banque. Ces animaux chantent et font
des blagues. La Banque Postale ne déroge pas à la règle et
communique avec humour sur le prêt immobilier pour emménager.
Nous comprenons donc qu'une grande liberté est
donnée aux agences dans la stratégie créative. C'est en
effet une période de développement économique importante
où il n'y a pas de crise. Les
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banques ont une volonté de se démarquer en
adoptant ce ton décalé et comique. L'objectif est ainsi de
changer l'image d'un banquier sérieux et ennuyant.
Nous avons de plus compris grâce à notre
étude, que les publicités bancaires avaient pour objectif
principal avant la crise, de mettre en avant des produits. Ainsi les cartes
bancaires font souvent l'objet de spots spécifiques (exemple de la
publicité du banquier chanteur pour la carte débit
différé/classique). Les publicités parlent aussi souvent
des produits d'assurance proposés par les banques (assurance auto ou
maison par exemple). Les taux des crédits sont des vecteurs de
différenciation importants et les opérations spéciales se
multiplient afin d'afficher les taux les plus bas. Cette stratégie
produit est surtout pratiquée par le Crédit Agricole, le CIC et
le LCL. L'analyse sémiologique verbale confirme que les mots les plus
employés dans les spots se réfèrent à des produits
et non des valeurs, ainsi les mots « carte » « acheter »
« solution » « propriétaire » sont des termes
très employés. Le CIC affiche clairement cette communication sur
ces produits dans la publicité TV ou affichage. On peut y voir une
affiche en Front-Office décrivant en une phrase les avantages des
produits « Le taux du livret CIC est de 5,25% ». Karim Benzema lui,
incarne un client attentif aux avantages que propose la banque en ligne E-LCL.
Eric et Ramzy évoluent dans une publicité TV dans un appartement
gigantesque où ils sont minuscules et démontrent ainsi la
capacité de BNP Paribas à délivrer des crédits
immobiliers pour les jeunes. Pour présenter ces produits, les
stratégies sont diverses : en montrant des clients dans une agence (CA -
CIC) ou grâce à une vision métaphorique (SG - CE). Les
banques en ligne en plein développement ont centré leur
stratégie sur la communication produit, et notamment sur la
gratuité des cartes bancaires (Boursorama ou ING Direct par exemple).
Les banques communiquent ainsi peu sur les valeurs des groupes. Certaines
banques (SG - Banque Populaire) ont une communication un peu plus
institutionnelle en démontrant l'accompagnement tout au long de la vie
d'un client (de sa naissance jusqu'à sa mort).
Certains spots publicitaires paraissent complètement
inappropriés lorsque nous connaissons l'histoire du secteur bancaire
après 2008. La Société Générale diffuse par
exemple un spot TV sur les produits de bourse. On peut y entendre un discours
vantant les avantages à investir en bourse à la SG. Le slogan
était « Prenez plaisir à réussir en bourse ».
Dans ce spot de 2006, les images sont de synthèse et aucun humain
n'apparaît dans la publicité. La caisse d'épargne nous
informe aussi via son écureuil que l'on peut « placer en bourse et
sécuriser nos gains ». On comprend donc qu'il n'y a à
l'époque aucun tabou à parler de la bourse et de la
spéculation ouvertement au grand public.
Il est important de noter que les campagnes lancées en
2006/2007 étaient des campagnes à haut budget qui n'ont pas
été stoppées suite à la crise financière. Le
maintien de ces campagnes dans le temps s'explique par plusieurs raisons. D'une
part, leur coût oblige les banques à les utiliser le plus
longtemps possible. D'autre part la durée, l'intensité et les
conséquences de la crise financière étaient des variables
encore inconnues et ne permettaient pas de changer le cap des décisions
stratégiques. La
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plupart de ces campagnes multi-supports ont duré
jusqu'en 2010/2011. Les grandes campagnes, notamment celles de BNPP, SG et CA
ont donc été les mêmes malgré les
évènements récents dans le monde. La SG a cependant en
2009 changé légèrement le ton de sa campagne « coup
de pouce ». Le slogan reste le même, mais le pouce 3D est
oublié et laisse place à des clients et conseillers en chair et
en os. Cette stratégie permet de comprendre le sens que prennent les
publicités du secteur bancaire.
Les campagnes publicitaires avant la crise financière
avaient donc comme principal ton de communication l'humour. L'utilisation de
l'humour était alors possible dans un climat de prospérité
économique. Les publicités concentraient les messages autour des
produits, en donnant assez peu la parole aux clients. Certaines banques sont
même allées jusqu'à communiquer sur des produits boursiers,
à l'aube d'une crise qui remettra en cause le paysage actuel.
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