PREMIÈRE PARTIE :
DES ÉCOLES NORMALES AUX ESPE :
L'ÉVOLUTION DE LA FORMATION DES ENSEIGNANTS DU PREMIER ET DU
SECOND DEGRÉS.
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I- DES ÉCOLES NORMALES AUX ÉCOLES
SUPÉRIEURES DU PROFESSORAT ET DE L'ÉDUCATION : L'ÉVOLUTION
DE LA FORMATION DES ENSEIGNANTS DU PREMIER ET DU SECOND DEGRÉS.
1) La mission première des maîtres de la III
ème République : former des citoyens patriotes :
Sous la IIIème République, la
fonction première des instituteurs et institutrices de France
était de former des citoyens patriotes. Cet apprentissage
débutait dès leur entrée dans le système scolaire,
c'est-à-dire dès l'école primaire soit à
l'âge de 6 ans. Après la défaite de 1870 face à la
Prusse, l'accès à l'éducation pour tous et l'image de
l'école comme moyen d'apprentissage de la vie civique s'imposent. Selon
Paul BERT, fondateur de l'école républicaine laïque :
« c'est l'infériorité de notre
éducation nationale qui nous a conduit au revers. Même dans les
conflits modernes c'est l'intelligence qui reste maîtresse
»2.
Selon lui, l'école républicaine a une double
vocation. Elle doit d'une part « modeler un homme éduqué et
raisonneur » et d'autre part « fonder le citoyen afin qu'il agisse et
combatte pour supporter toutes les épreuves de la patrie ». Les
instituteurs et institutrices ont donc pour mission de former des citoyens
patriotes. Pour ce faire, différents outils sont mis à leur
disposition. Ils profitent du cadre de l'école perçue comme un
lieu républicain et un microcosme de la société. Les
programmes, et notamment ceux d'histoire et d'instruction morale leur
permettent également de transmettre des valeurs républicaines.
a- Le cadre : L'école, lieu républicain,
microcosme de la société.
L'école des années Ferry est un lieu
républicain par excellence. L'école primaire est une
représentation à plus grande échelle de la
société de la fin du XIXème siècle. Elle
peut être définie comme un microcosme de la société
visant à former de futurs citoyens patriotes. Le cadre lui-même de
l'école, c'est-à-dire le bâtiment et les salles accueillant
les élèves participent au formatage des futurs citoyens. En
effet, les écoles primaires communales sont très souvent
construites à proximité
2 DALISSON, Rémi, Paul Bert, l'inventeur de
l'école laïque, Paris, Armand Colin, 2015, chapitre 3.
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des mairies voire même partagent un bâtiment
commun. Cette proximité a pour vocation de rappeler le caractère
républicain de l'école des années 1880-1890. Elle permet
aux élèves de se familiariser à la fréquentation
des lieux républicains. L'école et la mairie sont indissociables.
L'école constitue le lieu d'apprentissage de la vie civique, et la
mairie constitue le lieu d'exercice de la citoyenneté. M.T LAURIN
relève cette imbrication dans un article publié en 1918 3:
« Cette mairie, centre modeste d'une vie civique encore
rudimentaire, a naturellement pour voisine cette école où
commence l'éducation des citoyens de demain ».
L'école permet donc aux élèves de se
familiariser avec ce bâtiment républicain et leur permet
d'apprendre les rouages de la vie politique. Une fois devenus majeurs,
spontanément, les Français se rendent de nouveau dans ces lieux
pour assurer leurs devoirs de citoyens comme le souligne M.T LAURIN :
« L'homme fait, sacré souverain de la cité,
franchit le même seuil que dix ou vingt ans plus tôt, lorsqu'il
faisait son apprentissage intellectuel et moral »4.
Par ailleurs, en zone rurale les maîtresses et
maîtres assurent fréquemment des fonctions de secrétaires
de mairie en dehors de leurs heures de classe. Cette double fonction leur
garantit un suivi de leurs élèves. Lorsque les citoyens se
rendent en mairie pour exercer leur droit de vote, les instituteurs retrouvent
des Français à qui ils ont inculqué quelques années
plus tôt les valeurs républicaines.
Au sein même de l'école, plusieurs
éléments de décors rappellent le caractère
républicain du lieu. Tout d'abord, sur le fronton de l'école est
gravée en majuscules la devise : « Liberté,
égalité, fraternité ». Mentionnée dans la
Constitution Républicaine de 1848, cette devise avait été
délaissée par le Second Empire. Elle est remise en valeur et
enracinée sous la IIIème République. La gravure
des trois valeurs républicaines est souvent accompagnée d'un
drapeau tricolore, symbole révolutionnaire créé en 1794.
Ces deux symboles permettent aux élèves de prendre connaissance
du caractère républicain et des missions de l'école
primaire dès leur entrée dans le bâtiment.
L'école
3 LAURIN, M.T, « La mairie-école et l'instituteur
secrétaire de mairie », Revue de l'enseignement primaire et
primaire supérieur, 1918, p 34-35
4 LAURIN, M.T, « La mairie-école et l'instituteur
secrétaire de mairie », Revue de l'enseignement primaire et
primaire supérieur, 1918, p 34-35
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instaurée par Jules FERRY se veut être une
école équitable, dans laquelle garçons et filles, enfants
d'ouvriers, de paysans, ou de riches industriels soient égaux. Par
l'enseignement de la morale et de la civique, elle doit permettre aux futurs
citoyens d'apprendre à profiter de leurs libertés tout en
respectant celles des autres. Au sein de l'école doit également
se développer un esprit de solidarité et de fraternité
entre les élèves. D'autres symboles tels que le buste de la
Marianne sont également présents dans les écoles primaires
de la fin du XIXème siècle. Généralement
ce buste se situe dans le préau de l'école et parfois-même
dans les salles de classe. La Marianne symbolise la liberté et la
république.
L'édifice n'est pas le seul élément de
l'école utilisé pour la formation des futurs citoyens. En effet,
les tenues portées par les élèves, les maîtresses et
les maîtres permettent elles aussi d'affirmer certaines valeurs
républicaines telle que l'égalité et la
laïcité. Tous les élèves portent la blouse, qu'il
s'agisse de filles et de garçons. Cette blouse est grise ou noire. Le
port de la blouse s'inscrit dans la démarche de laïcisation de la
l'école républicaine entamée en 1882 et achevée en
1905. Tous les élèves peuvent dissimuler les insignes religieuses
sous leur uniforme. Les signes religieux ne sont donc pas interdits sous la
IIIème République, mais ils sont
généralement dissimulés sous la blouse. L'uniforme a une
autre fonction, celle d'égalité. En effet, en obligeant tous les
élèves à porter un vêtement similaire, on gomme
ainsi toutes les différences de richesses pouvant exister entre les
écoliers. Tous les élèves deviennent ainsi égaux.
Les élèves ne sont pas les seuls à porter l'uniforme. Les
maîtresses et maîtres portent eux aussi un uniforme noir. Dans son
ouvrage publié en 19135, Charles PEGUY les surnomme les
« hussards noirs de la République » de part leur
vêtement. Dans sa description de ses propres maîtres
d'écoles, Charles PEGUY insiste sur l'uniforme qu'ils portent :
« Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des
hussards noirs. Sveltes, sévères, sanglés et
sérieux et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine
omnipotence ».
Le terme de hussard fait référence aux hussards
hongrois vêtus de noir, reconnus pour leur efficacité et leur
dévouement. L'uniforme civique porté par les institutrices et
instituteurs vise lui aussi à gommer les différences de richesses
et les croyances religieuses. Charles PEGUY prend soin d'énumérer
les éléments composant l'uniforme des maîtres : « le
long pantalon noir », « le gilet noir », « la redingote
noire » et « la caquette plate, noire ». Chaque
élément composant la tenue de l'enseignant est associé
à la couleur noire. Ce costume très sobre de couleur
austère inspire la
5 PEGUY, Charles, L'Argent, 1913.
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sévérité.
Enfin, la IIIème République
prône la valeur d'égalité. L'école se doit donc
d'appliquer cette valeur, et notamment l'égalité entre les filles
et les garçons. À partir de la fin du XIXème
siècle, débute une timide volonté d'égalité
des genres au sein de la société française. Au niveau de
l'enseignement également, des progrès sont
réalisés. Des réformes en faveur des Femmes sont
adoptées. En mars 1850, la loi FALLOUX oblige toute commune de plus de
huit cents habitants à entretenir une école primaire de filles.
Mais, c'est surtout la loi du 28 mars 1881 établie par Jules FERRY qui
ouvre véritablement l'accès à l'éducation aux
filles. En effet, cette loi rend l'école obligatoire pour tout enfant
âgé de six à treize ans, sans distinction de genre. Les
filles, de plus en plus nombreuses à fréquenter l'école
avant l'adoption de ces lois sont désormais toutes tenues de suivre un
enseignement entre six et treize ans. Elles fréquentent donc
l'école primaire dès 1882 et apprennent elles aussi les valeurs
républicaines aux côtés de leur institutrice.
L'apprentissage de la morale et de la civique peut surprendre compte tenu du
fait que les Femmes ne possèdent pas encore le droit de vote à
cette époque. Les finalités de l'enseignement de ces
thématiques est donc autre. Il s'agit de soustraire les femmes à
l'influence de l'Église et d'éveiller leur sentiment patriotique
et leur esprit critique. Le gouvernement a fait le choix d'enseigner les
valeurs républicaines aux filles dans l'objectif qu'elles transmettent,
à leur tour, ces valeurs à leurs enfants. La loi GOBLET du 30
octobre 1886 renforce l'égalité filles-garçons en
instaurant la mixité dans les écoles des communes de moins de
cinq cents habitants.
Ainsi, le cadre même de l'école
républicaine et les réformes adoptées entre 1880 et 1905
permettent de formater les élèves. Ils aident les institutrices
et instituteurs à préparer leurs élèves à
devenir de futurs citoyens patriotes. Ils permettent à eux-seuls de
sensibiliser les élèves aux valeurs républicaines de
laïcité, de liberté, d'égalité, et de
fraternité.
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