II-les finalités et les outils de l'enseignement
de l'histoire en France dans le premier et second
degrés depuis la III ème
République : 51
1) La place de l'enseignement de l'histoire dans les
programmes scolaires depuis la III ème
République : 51
a- La place de l'histoire dans les programmes scolaires sous
la IIIème République. 53
b- La place de l'histoire dans les programmes scolaires des
années 2000 57
c- La place de l'histoire dans les nouveaux programmes
scolaires 62
2) La formation des futurs-citoyens grâce à
l'usage des manuels scolaires : 64
a- La formation des citoyens patriotes grâce aux
manuels scolaires à la fin du XIXème siècle
64
b- La contribution des manuels scolaires actuels à la
formation civique des élèves de l'école
primaire : l'exemple de l'enseignement de la
IIIème République 71
3) La formation actuelle des futurs citoyens à
travers l'enseignement de l'école de la III ème
République : 76
a- Présentation du corpus de manuels des
années 2000 76
b- Jules Ferry, au coeur de l'étude de la
IIIème République dans le second degré
82
c- Les limites de l'école de la
IIIème République passées sous silence dans les
manuels scolaires. 86
CONCLUSION : 89
ANNEXES & TABLE DES ILLUSTRATIONS 92
BIBLIOGRAPHIE 96
4
REMERCIEMENTS :
J'adresse mes remerciements à l'ensemble de personnes
m'ayant apporté aide et soutien pour la réalisation de ce
mémoire de MEEF et pour le bon déroulé de ma seconde
année de Master.
Tout d'abord, je tiens à manifester toute ma gratitude
envers mes directrices de mémoire, Madame Delphine DIAZ et Madame
Frédérique MONNIER. Je les remercie pour le temps qu'elles m'ont
accordé tout au long de l'année. Je les remercie de m'avoir
guidé et soutenu à la fois dans mes recherches et la
rédaction de mon mémoire, mais également de m'avoir
soutenue dans ma pratique professionnelle.
Je tiens également à remercier Madame Catherine
MIOT et Monsieur Jérémie DUBOIS pour leurs cours de didactique et
de méthode de réalisation d'un mémoire MEEF.
Je remercie aussi le personnel des Archives
Départementales de la Marne installées à
Châlons-en-Champagne, ainsi que le personnel de la Bibliothèque
Universitaire Robert de Sorbon et le personnel de la Bibliothèque de
l'ESPE pour m'avoir permis d'accéder à de nombreuses sources et
ressources ainsi que pour leur aide apportée au cours de mes
recherches.
Enfin, je tiens à remercier famille et amis pour leur
soutien apporté tout au long de cette
année.
5
INTRODUCTION.
Selon Paul BERT, Ministre de l'Instruction Publique entre 1881
et 1882, l'école républicaine a une double vocation. Elle doit
d'une part « modeler un homme éduqué et raisonné
» et d'autre part « fonder le citoyen afin qu'il agisse et combatte
pour supporter toutes les épreuves de la patrie »1.
Ces mots ayant été prononcés il y a plus
d'un siècle trouvent encore un sens aujourd'hui. En effet, les
enseignants du premier comme du second degrés sont quotidiennement
confrontés à cette problématique. Face à un public
de plus en plus difficile, il est devenu délicat d'assurer la mission
éducative du métier d'enseignant. Pourtant, l'intitulé du
Ministère auquel les enseignants sont rattachés rappelle
l'importance de cette mission. Le passage du Ministère de l'Instruction
Publique au Ministère de l'Éducation Nationale en 1932 montre
bien que la mission première des enseignants est désormais
d'éduquer les élèves, et notamment de les éduquer
à la citoyenneté avec pour objectif de former de futurs citoyens
responsables. L'instruction n'est donc plus la mission première de
l'enseignant. Le savoir disciplinaire est relégué au second rang
au profit de l'éducation.
L'éducation à la citoyenneté
débute dès l'école primaire, c'est-à-dire
dès l'âge de six ans. Elle se poursuit et se développe
ensuite dans l'enseignement secondaire. La formation des citoyens est
assurée par l'ensemble du corps enseignant. Elle se traduit par
l'apprentissage de notions associées à la citoyenneté
telles que le respect, le savoir-vivre, le vivre ensemble, la
responsabilité, la vie en collectivité... L'ensemble des
enseignants doit également apprendre aux élèves à
développer leur sens critique, à se forger une opinion, à
défendre et argumenter ses idées. L'enseignant
d'histoire-géographie occupe aujourd'hui encore une place centrale dans
la formation des futurs citoyens puisque la transmission de l'Enseignement
Moral et Civique (EMC) instauré en 2016 lui est confiée. Lors de
ces cours, les enseignants doivent apprendre aux élèves quel est
le fonctionnement de la société et le fonctionnement de la
démocratie française. Cela se traduit par l'explication du
fonctionnement de nos institutions, par l'apprentissage du rôle du
citoyen. L'Enseignement Moral et Civique vient compléter les cours
d'histoire dans lesquels les élèves découvrent comment les
Français sont-ils parvenus à acquérir leurs
libertés, leurs droits et leurs devoirs. Face aux difficultés
auxquelles sont confrontés les Français ces derniers mois, il est
devenu indispensable de faire réfléchir les élèves
sur les libertés et leurs limites.
Aujourd'hui, l'enseignant est lui-même formé au
sein des ESPE (École Supérieure du
1 DALISSON, Rémi, Paul Bert, l'inventeur de
l'école laïque, Paris, Armand Colin, 2015,
6
Professorat et de l'Enseignement). Cette formation doit lui
permettre d'appréhender au mieux sa mission d'éducateur et de
formateur de citoyens. À l'époque de Paul BERT,
c'est-à-dire sous la IIIème République, cette
formation est assurée par les Écoles Normales. Celles-ci ont
ouvert tardivement en France par rapport aux pays voisins. Dès le
XVIIIème siècle les philosophes des Lumières
réclament la gratuité à l'accès à
l'éducation ainsi que la laïcisation de l'école. Ils
considèrent que l'éducation permettrait de faire de l'Homme un
être éclairé. Frédéric II, roi de Prusse
entre 1740 et 1746, proche de Voltaire, a mis en place en 1771 le
Ministère de l'Instruction Publique en Prusse. Il a fait de
l'école primaire une école obligatoire mais non gratuite. Il a
également créé des Écoles Normales afin qu'y soient
formés les futurs enseignants et que des méthodes leur soient
prodiguées pour assurer la formation citoyenne de leurs
élèves. La France accuse donc du retard en matière
d'éducation publique par rapport à ses voisins.
Après la Révolution Française, la
volonté de développer l'accès à l'éducation
se renforce. La Constitution de 1791, constitution qui n'a jamais
été appliquée réclame la mise en place d'un
enseignement commun, public et gratuit pour tous. Le 20 et 21 avril 1792, le
marquis de CONDORCET présente son rapport sur l'instruction à
l'Assemblée. Il demande que soit créé un enseignement
laïc, gratuit mais non obligatoire. Il prévoie qu'il soit
divisé en cinq cycles : le primaire (de 9 à 13 ans), le
secondaire (de 13 à 16 ans), les instituts (de 16 à 21 ans), le
lycée (à partir de 21 ans), et enfin l'enseignement
académique avec une sélection des élèves au
mérite. Ce projet n'a jamais été appliqué.
Cependant, ces plans témoignent de la volonté de
développer l'accès à l'éducation au peuple
français. Une volonté d'améliorer la formation des
maîtres apparaît elle aussi. Le décret du 8 Brumaire an II
(30 octobre 1794) oblige l'entretien d'une École Normale de
garçons pour chaque ville de plus de 20 000 habitants. Des hommes
âgés d'au moins 21 ans viennent suivre des cours à Paris
pendant quatre mois. De retour en province, ces maîtres sont ensuite
autorisés à ouvrir à leur tour des Écoles Normales
régionales. Toutefois, dès 1795 l'École Normale de Paris
ferme ses portes. Ses cours sont jugés beaucoup trop théoriques.
Aucune école n'a été créée en province.
Sous le Premier Empire, les lycées sont
créés par Napoléon Ier. Ce-dernier
décide également d'instaurer une formation des maîtres
contrôlée par l'État. En 1810, la première
École Normale d'instituteurs ouvre à Strasbourg. Jusque sous la
Restauration, l'école de Strasbourg reste l'unique École Normale
en France. Dans les années 1820 quelques Écoles Normales de
garçons sont créées, par exemple en Moselle. Sous la
Restauration le recrutement dans les Écoles Normales est confié
à des structures locales. En 1833, le Ministre de l'Instruction Publique
François GUIZOT rédige deux textes de lois majeurs pour
développer et encadrer l'accès à l'éducation. Tout
d'abord, par la loi du 28 juin 1833 il accroît la liberté de
l'enseignement primaire. Il demande à ce que chaque commune
7
de plus de 500 habitants assure l'entretien d'une école
primaire pour garçons. L'article 11 de cette même loi oblige
chaque département à entretenir une École Normale de
garçons seul ou avec l'aide de départements voisins. Le cas de la
scolarisation des filles n'est pas abordé dans cette loi. Il a fallu
attendre la loi PELET adoptée le 23 juillet 1886 pour qu'il soit
demandé à chaque département d'entretenir une École
Normale d'institutrices. Ainsi, en apparence la formation des maîtres et
maîtresses s'améliore sous la Monarchie de Juillet. Toutefois, la
scolarisation des filles en primaire et dans l'enseignement secondaire accuse
un retard par rapport à la scolarisation des garçons.
Sous la IIème République et le Second
Empire, l'enseignement primaire s'ouvre progressivement aux filles. La loi
FALLOUX adoptée le 15 mai 1850 demande à toute commune de plus de
800 habitants d'entretenir une école primaire pour les filles. Treize
ans séparent donc la loi GUIZOT valable pour les garçons et la
loi FALLOUX valable pour les filles. En 1867, sous le Second Empire, la loi
Victor DURUY encourage l'enseignement primaire féminin. Elle demande aux
communes de faire des impositions spéciales pour permettre aux familles
à faibles revenus de scolariser leurs enfants. La fréquentation
de l'école primaire par les garçons et par les filles progresse.
Ainsi, à la veille de l'adoption des lois scolaires de Jules FERRY de
1881 et 1882, la plupart des enfants français fréquentent
l'école primaire. Cependant, nombreux sont ceux qui ne
fréquentent pas l'école de manière
régulière. En milieu rural notamment, les élèves
fréquentent l'école en dehors des périodes de travaux dans
les champs. De même, la fréquentation de l'école par les
filles demeure inférieure à la fréquentation des
garçons. Face à l'augmentation de la fréquentation des
écoles primaires, il est devenu urgent d'améliorer et de
développer la formation des instituteurs et institutrices de
l'école primaire. En 1863, soit vingt-sept ans après la loi PELET
seuls onze départements sont pourvus d'École Normale de filles.
À l'arrivée au Ministère de Jules FERRY en 1879, onze
départements ne possèdent pas d'École Normale
d'instituteurs et soixante-sept départements ne possèdent pas
d'École Normale d'institutrices. Face à ce retard, le Ministre
oblige tous les départements à ouvrir une école pour
filles et une école pour garçons dans un délais de quatre
ans. L'École Normale d'institutrices de Châlons-sur-Marne ouvre
ses portes l'année suivante.
Notre sujet débute en 1880 avec l'ouverture de
l'École Normale d'institutrices de Châlons-sur-Marne et
s'achève en 1905 avec la loi de Séparation de l'Église et
de l'État. La création de l'École de
Châlons-sur-Marne intervient un an après la loi FERRY qui
renouvelle l'obligation d'ouverture d'une école pour former les
instituteurs et d'une école pour former les institutrices dans chaque
département. La période retenue pour notre mémoire nous
permet de mesurer l'amélioration de la formation des maîtres ainsi
que l'ouverture de l'accès à l'éducation pour le peuple
français. Elle
8
nous permet également de mesurer l'évolution des
enjeux de l'enseignement de l'histoire et des valeurs républicaines
à l'école primaire. Parmi ces valeurs, celle de la
laïcité occupe une place grandissante au sein des écoles et
dans la société de la fin du XIXème
siècle. La loi du 9 décembre 1905 entérine la
laïcité en France.
L'École Normale d'institutrices de
Châlons-sur-Marne ouvre le 4 octobre 1880. Cette école qui a
peiné à ouvrir est un exemple révélateur de
l'histoire de la scolarisation des filles en France. Dès 1838 une
École Normale de garçons est créée dans la Marne
alors qu'il a fallu attendre 1880 pour qu'un équivalent apparaisse pour
les filles. Cet exemple a également été choisi pour
comprendre comment les institutrices de l'école primaire étaient
formés à la fin du XIXème siècle. En
effet, l'étude des archives départementales de l'École
Normale d'institutrices montre comment le contenu des cours enseignés au
sein de ses écoles est minutieusement choisi. Chaque discipline doit
contribuer à la formation de « guides républicains ».
L'enseignement de la morale, de l'instruction civique et de l'histoire occupe
une place centrale dans les programmes des écoles primaires et
également dans ceux des Écoles Normales. Ils contribuent à
développer le sentiment patriote et l'amour de la patrie chez les
enseignants et chez les élèves.
Pour étudier le fonctionnement type d'une École
Normale de la fin du XIXème siècle, j'ai fait le choix
de m'intéresser au cas de l'École Normale d'institutrices de
Châlons-sur-Marne. L'étude de cet exemple local s'est faite
à partir des archives de l'école conservées aux archives
départementales de la Marne de Châlons-en-Champagne. Au total,
onze cartons d'archives traitent de l'École Normale pour la
période qui nous intéresse, 1880 - 1905. Parmi ces cartons, j'ai
fait le choix de me concentrer sur sept cartons qui traitent de
l'administration de l'École, du contenu des cours, des dossiers des
élèves et des conférences pédagogiques. L'essentiel
de ces archives se compose d'échanges écrits entre les
directrices de l'École Normale et les inspecteurs académiques.
Dans leurs courriers ils abordent surtout des questions administratives (devis
pour les travaux de l'école, absences des professeurs ou des
élèves-maîtresses...). Ces archives comportent
également des
circulaires ministérielles envoyées à la
Directrice de l'école. Ces découvertes m'ont permis d'orienter
mon sujet d'étude vers les enjeux de la formation des
élèves-maîtresses de l'École Normale et les missions
des enseignants de l'école primaire à la fin du
XIXème siècle. Pour exploiter ces archives, je me suis
rendue durant quatre jours aux archives. J'y ai effectué le travail de
dépouillement : prise de notes rapides de chaque source (date, auteur,
destinateur, présentation du thème abordé) et prise de
photographies des sources. Ensuite, en octobre et novembre j'ai
procédé à l'analyse plus précise des sources pour
en dégager une problématique plus générale. Les
deux mois
9
suivants ont été consacrés au choix des
archives utilisées dans le mémoire et à leur analyse fine.
Celle-ci s'est opérée avec l'aide de manuels pour replacer ce cas
précis à plus petite échelle. En février, j'ai
débuté la rédaction de la première partie plus
orientée sur la dimension scientifique. Le mois suivant a
été consacré à l'adaptation pédagogique de
mon sujet. L'objectif étant de comprendre quels sont les
héritages des Écoles Normales et de l'école
républicaine de Jules FERRY, et comment la IIIème
République est-elle aujourd'hui encore utilisée par les
enseignants du premier et second degrés pour assurer la formation
civique des élèves. Pour ce faire, j'ai analysé les
programmes d'histoire de la IIIème République, ceux
des années 2000 et ainsi que les futurs programmes appliqués
dès la rentrée prochaine. J'ai également travaillé
à partir de manuels scolaires afin de comprendre comment ces ouvrages
sont-ils utilisés comme des outils pour la formation civique des
élèves.
En effet, depuis plusieurs années, le Ministère
de l'Éducation Nationale ne cesse de rappeler aux enseignants qu'ils
doivent avant tout former leurs élèves à devenir de futurs
citoyens responsables ayant connaissance des valeurs républicaines. Le
contexte actuel nous rappelle l'importance de notre mission. Face à un
public de plus en plus difficile, connaissant peu voire pas les valeurs
républicaines, il est de plus en plus compliqué de former des
futurs-citoyens responsables en France. L'école de la
IIIème République est aujourd'hui
présentée comme un idéal. Son étude occupe une
place importante dans le cadre de la formation civique des élèves
assurée par les enseignants du premier et du second degrés.
Tout au long de ce mémoire, il s'agira de comprendre en
quoi le rôle de l'enseignant du premier degré, puis du second
degré est-il d'assurer la formation civique des élèves
depuis la IIIème République.
Pour ce faire, nous nous intéresserons dans un premier
temps à l'évolution de la formation des enseignants depuis la
IIIème République. L'exemple de l'École Normale
de Châlons-sur-Marne nous permettra de comprendre comment les
institutrices étaient-elles formées sous la
IIIème République et comment les enseignants
assuraient-ils ensuite la mission de formation civique auprès des
élèves. L'analyse du fonctionnement de l'École Normale de
la Marne nous permettra de comprendre quel est l'héritage de ces
infrastructures dans la formation actuelle des enseignants du premier et du
second degrés.
Dans un second temps, nous étudierons les enjeux de
l'enseignement de l'histoire depuis la IIIème
République ainsi que les outils mis à la disposition des
enseignants pour former des citoyens responsables. Nous verrons comment les
programmes, les manuels scolaires ainsi que l'étude de la
IIIème République et de l'école de Jules FERRY
constituent-ils un outil de transmission des valeurs
10
républicaines.
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