c- Les limites de l'école de la III ème
République passées sous silence dans les manuels scolaires .
Après avoir analysé différents manuels
scolaires, utilisés sous la IIIème République
dans les écoles primaires, ainsi que des manuels d'histoire
utilisés aujourd'hui dans le premier et second degrés, un
élément surprend. Les limites de l'école
républicaine, celles de la IIIème République
ainsi que celles de ses « héros » comme Jules FERRY sont
passées sous silence. Suzanne CITRON est une des rares historiennes
à avoir relevé les faiblesses de la IIIème
République53.
Historiens, ministres, enseignants, tous s'entendent sur le
fait que l'enseignement de l'histoire doit contribuer à l'éveil
de l'esprit critique des élèves. Or, en réalité,
lorsque nous observons les manuels scolaires qui traitent de la
IIIème République, nous pouvons remarquer que tous
offrent une vision idéalisée de cette époque. Il y a donc
une contradiction entre les objectifs dictés par les programmes
scolaires et la réalité des manuels scolaires.
Tout d'abord, nous avons constaté que Jules FERRY est
choisi comme fil conducteur pour l'étude de la IIIème
République. Il y est présenté comme un militant
républicain dont son oeuvre scolaire a contribué à
l'enracinement du régime politique. Nous pouvons souligner le fait que
bien trop souvent, les manuels scolaires offrent une vision biaisée de
Jules FERRY puisque seule la dimension du fondateur de l'école
républicaine y est présentée. L'intérêt de
Jules FERRY pour les colonies est généralement passé sous
silence. Afin d'offrir un portrait complet de Jules FERRY, il serait donc
judicieux d'utiliser ce personnage comme fil directeur du chapitre sur les
évolutions politiques de la France de 1815 à 1914 et de
l'utiliser de nouveau dans le chapitre sur les colonies. Cela permettrait donc
de présenter d'une part le républicain soucieux de l'instruction
de son peuple, et d'autre part de présenter l'homme partisan de la
colonisation.
Outre le fait de passer son silence l'implication de Jules
FERRY dans l'exploitation des colonies, les manuels scolaires actuels ainsi que
ceux produits à la fin du XIXème siècle passent
sous silence les failles de l'école elle-même. En effet, aucun
ouvrage scolaire n'évoque les châtiments corporels subis par les
élèves à cette époque. Si une loi est
adoptée en 1887 pour interdire les châtiments corporels à
l'école, de nombreux témoignages et archives prouvent que
ces-derniers ont
53 CITRON, Suzanne, L'histoire des hommes, Paris, Syros,
2000.
90
persisté durant des années. L'ouvrage de Jules
VALLES, L'Enfant54, publié en 1881 est le premier
à dénoncer les châtiments corporels infligés aux
élèves à l'école primaire. Jérôme
KROP, maître de conférences à l'Université de Rennes
a travaillé sur les châtiments corporels infligés aux
élèves des écoles primaires de la Seine entre 1880 et
191455. Jérôme KROP a analysé les dossiers des
instituteurs et institutrices ayant enseigné dans les écoles
primaires de la Seine durant cette période. Il a constaté que
plus de 10% des instituteurs ont fait l'objet d'au moins une plainte de parents
dénonçant les actes de violence commis en classe. Les violences
semblent être davantage commises par des instituteurs. 11,5 % des
dossiers d'instituteurs étudiés comportent au moins une plainte
pour des violences contre 2,5 % pour les dossiers des institutrices. Les
plaintes font état de gifles, coups, violences commises avec un objet
(cahier par exemple) ou avec une férule. L'usage de la férule,
instrument doté d'une lamelle de cuir divisée en deux est encore
très répandu dans les écoles primaires à la fin du
XIXème siècle et au début du
XXème siècle.
Par ailleurs, en observant les manuels scolaires, nous pouvons
remarquer qu'ils passent sous silence le fait que seule l'école primaire
était accessible aux enfants du peuple. Il est important de rappeler
qu'à cette époque le système scolaire se fait à
deux vitesses. D'une part, nous avons l'école primaire gratuite et
obligatoire pour les enfants âgés de six à treize ans.
D'autre part, nous trouvons les écoles primaires supérieures
chargées de l'enseignement secondaire accessible uniquement aux
titulaires du certificat d'études. Les écoles primaires
supérieures étaient payantes. Seuls les notables et bourgeois
avaient donc la possibilité de les intégrer. L'école
primaire de Jules FERRY est donc un ascenseur social discutable où
l'égalité des chances n'est pas toujours respectée.
Enfin, les manuels scolaires n'abordent pas la difficile
scolarisation des filles dans le secondaire. L'histoire du genre et la question
de la mixité à l'école sont passées sous silence
dans les manuels scolaires. Pourtant, ils permettraient d'interroger la valeur
républicaine d'égalité et permettrait d'amener les
élèves à réfléchir sur les limites des
grandes lois scolaires de la fin du XIXème siècle.
Dès la fin du XVIIIème siècle, des hommes comme
CONDORCET réclament une égalité des genres concernant
l'accès à l'éducation. Il affirmait l'idée qu'on ne
pouvait pas prôner l'égalité politique de tous et maintenir
l'inégalité des institutions comme l'école. La loi de
Jules FERRY qui rend l'école obligatoire pour les garçons et pour
les filles âgés de six à treize ans
54 VALLES, Jules, L'Enfant, Paris, Livre de Poche,
1972.
55 KROP, Jérôme, « Punitions corporelles et
actes de brutalité dans les écoles primaires publiques du
département de la Seine (1880-1914) », Histoire de
l'éducation, 118, 2008, 109-132.
gomme en apparence les inégalités du genre au
sein de l'école. En réalité, cette loi n'est qu'une
étape dans le processus de scolarisation des filles comme le souligne
l'historienne Françoise LELIEVRE dans son ouvrage56. Si elles
ont en effet accès à l'éducation primaire à partir
de 1882, peu de filles ont accès à l'enseignement secondaire.
Elles sont souvent cantonnées au rôle de mère par leur
famille. Lorsqu'une famille aux revenus moyens a l'opportunité d'offrir
des études secondaires à l'un de ces enfants, celle-ci
privilégie les garçons. Outre le fait que la famille ferme
l'accès à l'éducation aux filles, l'institution
elle-même limite leur opportunité de faire des études. En
effet, il a fallu attendre 1880 et la loi Camille Sée pour que soit
créé l'enseignement secondaire laïque pour les filles.
Enfin, la thématique de l'école
républicaine peut être considérée comme étant
une question socialement vive d'après la définition
proposée par CHEVALLARD en 1997. Selon lui, une question est socialement
vive lorsqu'elle prend une forme scolaire et fait l'objet de débats
relatifs aux savoirs savants de référence dans la sphère
scientifique, mais aussi dans la sphère médiatique et sociale.
Les questions socialement vives sont des questions que se pose une
société. Dans le cadre de notre étude, la
société actuelle se demande s'il ne serait pas judicieux de
revenir à une école qui ressemblerait à l'école de
la IIIème République. Cette école et ses
finalités demeurent, aujourd'hui encore, un idéal.
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56 LELIEVRE, Françoise, Histoire de la scolarisation
des filles, Paris, Nathan, 1991.
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