Paragraphe2 -
Le devoir de coopération des États
Les États restent des acteurs incontournables dans
l'activité de la Cour Pénale Internationale. Leur concours est
indispensable. Dans chaque phase de son activité, la Cour Pénale
Internationale aura besoin de la collaboration des États88(*).Pour ce faire, il faut d'abord
que la compétence de la Cour soit acceptée, soit par
l'État national de l'auteur ou de la victime du crime, soit par
l'État sur le territoire duquel celui-ci a été commis.
C'est la condition sine qua non89(*). Cette acceptation est soit
générale et permanente, c'est le cas pour les États
parties au Statut. Elle peut être aussi ad hoc : c'est
l'hypothèse où le ou les États impliqués, non
parties au Statut de Rome, n'acceptent la compétence de la Cour que pour
la seule affaire en cause. A défaut de telles reconnaissances, la Cour
est impuissante, sauf si elle est saisie de cette affaire par le Conseil de
Sécurité de l'ONU en vertu du chapitre VII de la Charte.
Une fois sa compétence fondée, la Cour peut
ensuite déclencher son action répressive. Là encore, il
est important pour la Cour d'obtenir la collaboration des États.
Celle-ci peut intervenir sur la base de différents fondements et se
manifester de plusieurs manières.
Deux situations s'observent ici. Soit les États sont
parties au Statut, dans ce cas, ils sont soumis aux obligations définies
aux articles 86 et suivants (A); soit ils ne le sont pas,
auquel cas, leurs obligations sont, non pas sensiblement différentes en
théorie, mais ont un autre fondement que le Statut
(B).
A- L' « obligation
générale de coopérer »
Le fonctionnement efficace de la Cour dépend pour
beaucoup de la coopération que lui apportent les États parties et
particulièrement ceux qui seront impliqués dans ses
enquêtes. Ceux-ci sont les premiers destinataires de cette obligation,
d'où l'importance des dispositions du Statut qui régissent cet
aspect. Que comporte cette notion (1) et qu'elle est sa
portée pour les États parties au Statut de Rome
(2) ?
1- La notion de coopération
Un juge sans le concours d'une force de police est un homme
démuni. Autant le juge pénal étatique a besoin des
services de police dans son action, autant le juge international doit avoir
recours à une force policière pour l'appuyer dans sa tâche.
La différence fondamentale qui existe entre ces deux juges est que le
premier a à sa disposition une telle force mais pas le second. En effet,
il n'existe pas encore (hélas !) de police internationale autonome
sur laquelle pourrait s'appuyer le juge pénal international et sur
laquelle il pourrait exercer une autorité. Seules existent les
unités de police nationales des États. En outre, la Cour dispose
de pouvoirs propres limités pour mener des enquêtes et est donc
tributaire de l'assistance et de la coopération des États. De par
son mode conventionnel de création, elle ne bénéficie
qu'extraordinairement du soutien d'une résolution du Conseil de
Sécurité liant tous les États; et leur assistance est bien
sûr fonction de leur volonté de coopérer avec la Cour. En
effet, malgré l'obligation qu'ont les États membres d'assister la
Cour en cas de besoin, ceux-ci ont en pratique une relative marge de manoeuvre
dans la fourniture effective d'une assistance sérieuse et ont même
le pouvoir reconnu de ne pas apporter cet appui. Il est par conséquent
important de savoir ce que contient la notion de coopération, qui est
définie comme la participation à une oeuvre commune, la
collaboration dans sa réalisation90(*). Cette collaboration peut être
nécessaire à plusieurs stades de l'activité de la Cour.
Lors des négociations de Rome, la question se posait de savoir si les
devoirs et obligations des États devaient être fixés dans
les moindres détails par le Statut ou s'ils seraient « an
uncertain variable, subject to the will of circumstance of a particular
state »91(*), c'est-à-dire si le soin serait laissé
à chaque État de définir les modalités de sa
coopération avec la Cour en fonction de ses réalités
juridico institutionnelles. C'est la solution intermédiaire qui a
été finalement retenue. En effet, le Statut se contente de fixer
les grandes lignes de cette obligation de coopérer, tout en laissant le
choix à chaque État de préciser, dans ses textes nationaux
d'application, les aspects pratiques de cette assistance à la Cour. Les
États parties sont en effet libres dans le choix des moyens à
mettre en oeuvre pour donner effet aux demandes de coopération de la
Cour. La souveraineté des États est de ce fait
préservée et leur consentement plus facile à obtenir.
2- La nature et l'étendue de l'obligation de
coopérer pour les États parties
La coopération se présente-t-elle comme un
ensemble d'obligations contenues dans le Statut, ou s'apprécie-t-elle
aussi au-delà de celui-ci ?
L'obligation de coopération pour les États
membres est avant tout de nature conventionnelle. Elle obéit dès
lors aux règles applicables aux traités, et s'interprète
en fonction des buts et objectifs fixés par le traité qu'est le
Statut de Rome, et auxquels les États membres doivent se conformer. Par
conséquent, l'obligation de coopérer s'apprécie certes sur
la base des articles 86 et suivants du Statut, mais aussi par rapport à
toutes les dispositions de celui-ci que les parties ont l'obligation
d'exécuter de bonne foi92(*). En outre, l'exécution de bonne foi, qui
s'interprète assez largement, permet d'affirmer que l'obligation de
coopération contient, en plus des dispositions du Statut, des devoirs
contenus dans le droit international général. Seul le bon
fonctionnement de la Cour doit être pris en compte et par-delà, la
réalisation des objectifs qu'elle vise, la répression des crimes
internationaux, pour laquelle les États sont d'ailleurs les premiers
responsables93(*). Cette
obligation peut aussi résulter d'une résolution du Conseil de
sécurité de l'Organisation des Nations Unies, lorsque celui-ci
saisit la Cour en vertu du chapitre VII de la Charte. En effet, lorsque le
Conseil de sécurité use de ce pouvoir de saisine de la Cour,
pouvoir reconnu à l'article 13(b) du Statut, tous les États
membres de l'ONU - parties ou non - ont l'obligation de coopérer avec la
Cour parce qu'ils sont liés par les décisions prises en vertu du
chapitre VII de la Charte des Nations Unies94(*). L'obligation de coopération est ensuite
générale et s'applique à tous les organes de
l'État. Le droit national fixe les détails formels et la Cour ne
s'y intéresse que très ponctuellement. Toujours est-il que le
droit national des États parties doit être en harmonie - et non
forcément uniforme - avec les dispositions du Statut, notamment dans les
mesures de mise en oeuvre.
B- La Cour et les États non parties au
Traité de Rome
La Cour peut avoir des rapports avec des États qui ne
sont pas parties à son Statut. Bien qu'ayant cette qualité, ces
États peuvent avoir des obligations envers la Cour. En outre, les
États non parties peuvent, dans certaines circonstances être en
relations avec des États parties au Statut. L'obligation de
coopération, pour les États qui n'ont pas ratifié le
Statut, peut trouver son fondement dans le Statut lui-même (2). Cependant
une certaine opinion voudrait qu'elle puisse aussi résulter du droit
international humanitaire coutumier (1).
1- Le droit international humanitaire coutumier comme
source d'obligation de coopération des États non parties au
Statut
Tels que définis dans le Statut, les crimes qui
relèvent de la compétence de la Cour, sont pour l'essentiel
prévus par le droit humanitaire. Des crimes comme le génocide
(art.6) ou les crimes de guerre, notamment les infractions graves (art.7), sont
définis aussi par des conventions telles que la convention du 10
décembre 1948 pour la répression et la prévention du crime
de génocide, ou encore les conventions de Genève du 12 août
1949, dont le caractère coutumier est aujourd'hui reconnu95(*). Par ailleurs, en tant que
droit coutumier, ces normes valent indépendamment de leur fondement
conventionnel, et sont opposables aux États qu'ils soient parties ou
non à ces conventions96(*). Ceux-ci ont à ce titre l'obligation de les
respecter et de les faire respecter en toutes circonstances97(*). Il s'agit ici de la
sauvegarde d'un intérêt collectif qui incombe à chaque
État à l'égard de tous les autres98(*). Ce respect du droit coutumier
se manifeste non seulement par l'application effective des normes par les
États, mais aussi par la mise en oeuvre et le concours à la mise
en oeuvre de sanctions, en cas de violations constatées. Or, la mission
de la Cour est justement d'assurer cette répression lorsque les
États ne sont pas en mesure de le faire. Ce raisonnement permet de
conclure que le droit international coutumier requiert des États qu'ils
assistent les juridictions pénales internationales, en l'occurrence la
Cour pénale internationale. Ainsi, « L'obligation qu'ont
les États - parties ou non au Statut de la Cour - de coopérer
avec elle et d'arrêter les personnes faisant l'objet d'un mandat
d'arrêt demeure, puisque les États sont toujours liés par
les exigences du droit international général et du droit
international humanitaire »99(*). Ce point de vue, plus avéré pour les
États qui ont ratifié lesdites conventions que pour les autres,
se justifie à certains égards dans la mesure où la
convention de 1948 par exemple, bien que n'instituant pas de tribunal
international oblige les premiers à extrader les personnes
recherchées pour génocide vers un autre État, mais aussi
vraisemblablement, vers tout autre instance habilitée à engager
des poursuites, en l'occurrence un tribunal pénal
international100(*).
L'existence d'une obligation de coopérer avec la CPI,
incombant aux États non parties au Statut sur la base du droit
coutumier, n'est cependant pas unanimement admise. Certains auteurs expriment
en effet des doutes, en s'appuyant sur le droit international, notamment sur la
Convention de Vienne sur le droit des traités en ses articles 34 et 35.
Ces dispositions affirment le principe de l'effet relatif des conventions
internationales, et donc le fait que le consentement d'un État est
nécessaire pour qu'une obligation puisse être mise à sa
charge. Un autre argument est le fait qu'un État ne peut recevoir
d'«ordres » d'un autre État ou d'un organisme
international comme l'a reconnu le TPIY. Ces arguments paraissent peu
appropriés, dans la mesure où s'agissant de la Cour, les demandes
adressées aux États le sont dans le respect de leur
souveraineté. Cette souveraineté est d'ailleurs
préservée tout au long des dispositions du Statut. Il
résulte de ce raisonnement que l'obligation de coopérer en vertu
du droit international humanitaire coutumier pour les États non
parties, est une approche qui correspond logiquement aux exigences et aux
objectifs de ce corps de règles internationales. Les États tiers
au Statut peuvent néanmoins avoir des obligations sur le fondement du
Statut lui-même.
2- L'obligation de coopération des
États non parties sur la base du Statut
Lorsqu'un crime est commis sur le territoire d'un État
non partie, et que l'auteur présumé est aussi le national d'un
État non partie au Statut, la compétence de la Cour peut
être fondée sur une acceptation expresse de l'un ou l'autre de ces
États (à moins que la Cour ne soit saisie par le Conseil de
sécurité de l'ONU). Cette éventualité est
prévue à l'article 12(3) du Statut, qui ajoute aussi que
l'État (non partie) qui donne son consentement coopère
« sans retard et sans exception » avec la Cour.
Ainsi, l'obligation de coopérer pour les États tiers,
résulte directement de leur consentement exprès et ad
hoc à la compétence de la Cour pour un crime dans lequel ils
sont impliqués. En conséquence, cet État n'est plus
considéré (dans les faits) comme tiers et se trouve dans le cas
d'espèce dans une position quasi identique à celle d'un
État partie. Les détails pratiques de cette coopération
État non partie/CPI, dont il est également fait mention à
l'article 87 du Statut, sont en principe fixés dans l'accord de
circonstance et par le droit national de l'État concerné, mais
cet État reste soumis aux mêmes obligations
générales de coopération que les États parties.
Ceci dans le respect du Statut de la Cour, du droit national de l'État
concerné et du droit international général. Cet accord
devrait en général se référer aux dispositions
pertinentes du Statut. Néanmoins, il convient de signaler que la source
des obligations de l'État non partie est bien l'Accord ainsi conclu et
non le Statut de la Cour qui ne lui est pas opposable, même si le contenu
de cet accord peut procéder des mêmes principes que ceux qui sont
prévus par le Statut. Lorsqu'on sait que bien souvent, l'État sur
le territoire duquel le crime a été commis est aussi celui de son
auteur, il s'avère important pour la Cour de bénéficier
aussi du concours de ces États non parties pour pouvoir accomplir
efficacement sa tâche. Il existe également l'hypothèse
où la Cour est saisie par le Conseil de Sécurité et qui
entraîne pour les États non parties au Statut une obligation de
coopérer. Dans cette hypothèse en effet, il n'est nul besoin du
consentement de l'État non partie, en raison du fait que le Conseil de
Sécurité agit en vertu du chapitre VII de la Charte et que tous
les États membres des Nations Unies ont l'obligation d'appliquer les
décisions contraignantes prises en vertu de ce chapitre.
* 88 LATTANZI (F).,
« Compétence de la Cour Pénale Internationale et
consentement des États », Op. cit, pp. 425- 444.
* 89 Cf. article 12 du
Statut. A moins de la saisine par le Conseil de Sécurité qui
agirait en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Il faudrait
pour ce faire que la situation en cause rentre dans les conditions de l'article
39.
* 90 REY-DEBOVE (J.) et REY
(A.) (dir.), Le petit Robert, Paris, Dictionnaire le Robert, 2002, p.
543.
* 91 Mochochoko (P.),
« International cooperation and judicial assistance », in
LEE S. R., The ICC, the making of the Rome statute. Issues,
negociations, results, Kluwer law international, The Hague, London,
Boston, 1999, p. 306.
* 92 Conformément
à l'article 26 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des
traités.
* 93 Le préambule du
Statut reconnaît les États comme responsables de la
répression des crimes internationaux dont ceux qui figurent dans ses
dispositions. Cf. le préambule du Statut alinéa 6.
* 94 Cet avis ne fait pas
l'unanimité, certains estiment en effet que l'obligation de
coopérer n'existe à l'égard des États non parties
que sur la base d'un accord séparé entre ces derniers et la Cour.
V. par exemple LAUCCI C., « Compétence et
complémentarité dans le Statut de la future Cour Pénale
Internationale », précité note 54, p. 141.
* 95 Cf. les arrêts du
TPIY, Tadic, arrêt du 07 mai 1997, paragraphe 577; kupreskic et consorts,
arrêt du 14 janvier 2000, paragraphe 520; Delalic et consorts,
arrêt du 16 novembre 1998, paragraphe 306, sur le site
http://www.un.org/icty/
(Visité le 30 décembre 2005); V. encore BOISSON DE
CHAZOURNES L. et CONDORELLI L., << Quelques remarques à
propos de l'obligation des États de « respecter et faire
respecter » le droit international humanitaire « en toutes
circonstances >>, in SWINARSKI C., Études et essais sur
le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix Rouge en
l'honneurde Jean Pictet, CICR, Martinus Nijhoff, Genève, La Haye,
1984, pp. 17-35.
* 96 V. le Rapport du
Secrétaire général des Nations Unies du 3 mai 1993 sur la
création d'un Tribunal pénal international pour l'Ex-Yougoslavie
(Document ONU S/25704, ch. 45), ainsi que l'Avis consultatif de la CIJ du 8
juillet 1996 sur la licéité de la menace ou de l'emploi d'armes
nucléaires, Rec., 1996, para. 81-83.
http://www.icj-cij.org/cijwww/ccases/cunan/cunanframe.htm
(Visité le 30 décembre 2015).
* 97 Cf. l'article
1er commun aux conventions de Genève du 12 Août
1949.
* 98 Boisson de Chazournes (
L.) et Condorelli (L.), « Common article 1 of the Geneva Conventions
revisited : Protecting a collective interests », in Revue
Internationale de la Croix Rouge, n°837, Genève, CICR, 2000,
pp. 67-87.
* 99 LA ROSA (A.-M.), Op.
cit., p. 84. Cette affirmation devrait tout de même être
nuancée selon la qualité d'État partie ou non au
Statut.
* 100 Ce point de vue est
partagé par PALMISANO (G.), « The ICC and Third
States », in LATTANZI (F.) et SHABAS (W.), Essays on the Rome
Statute of the international criminal court, précité note
72, pp. 419 et Ss; ou encore du même auteur «Cooperation by
non-States parties», in LATTANZI F., The International Criminal Court,
Comment On The Draft Statute, Naples, Editoriale Scientifica, 1998, pp.
339-366 ; également TRIFFTERER (O.), Commentary of the Rome
Statute of the international Criminal Court : Observer's notes article by
article, Baden Baden, Nomos Verlagsgesellschaft, 1999, p. 1061
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