La cour pénale internationale et les juridictions internes des états( Télécharger le fichier original )par Serges NDEDOUM Université de Dschang - Master 2014 |
Paragraphe 2 : La compétence extraterritorialeTraditionnellement, les tribunaux d'un État ont uniquement pour fonction de juger les personnes qui ont commis un crime sur leur territoire (compétence territoriale). Mais avec le développement du droit international, ils peuvent désormais exercer leur compétence même en dehors de leur territoire pour connaître précisément les crimes commis par leurs ressortissants (compétence personnelle active), des crimes commis à l'encontre des intérêts essentiels à leur sécurité (compétence réelle), ou encore de ceux commis à l'encontre de leurs ressortissants (compétence personnelle passive), bien que cela soit contesté par certains États . En outre, le droit international reconnait aux tribunaux des États le droit d'exercer leur compétence au nom de l'ensemble de la Communauté Internationale à l'égard de certains crimes graves ayant une portée internationale. Du fait que ces crimes portent atteintes à l'entièreté du système de droit international, tout État peut poursuivre devant ses propres tribunaux, toute personne découverte sur son territoire, qui est soupçonnée d'avoir commis de tels crimes, quel que soit le lieu où ont été commis ces crimes. Il en va de même des crimes commis sur le territoire d'un autre État, même s'ils concernent des suspects ou des victimes qui ne sont pas des ressortissants de l'État en question et même si ces crimes ne menacent pas directement les intérêts de la sécurité nationale de cet État (compétence universelle). Pour cette raison, une étude sera d'abord faite sur les compétences personnelle et réelle (A) avant celle de la compétence universelle (B).
Il sera étudié ici la compétence personnelle (1) et réelle (2).
Comme nous l'avons déjà souligné, la compétence personnelle des juridictions nationales se décline en compétence personnelle active et en compétence personnelle passive.
Dans la philosophie politique de Hobbes et de Rousseau62(*), l'État trouve sa légitimité dans son aptitude à protéger l'individu des atteintes à sa liberté, protection à laquelle l'individu ne peut prétendre dans l'état de nature. L'existence d'un « contrat social », organisé autour du droit de l'État d'assujettir l'individu et de son devoir de le protéger, semble constituer un des fondements essentiel de l'ordre étatique. Les affaires Florence Cassez et Clotide Reiss témoignent de l'actualité de la question du « devoir de protéger » et de son importance pour l'opinion publique française. La compétence personnelle passive constitue ainsi l'une des manifestations du droit et même de l'obligation pour les États de protéger les intérêts de ses nationaux.
Elle constitue un volet de la compétence passive. L'État a le droit et même l'obligation de protéger ses propres intérêts, les intérêts concernant sa sécurité. La compétence réelle est en fait l'aptitude de l'État à incriminer et juger des faits commis à l'étranger au préjudice de cet État quelle que soit la nationalité de son auteur. Elle n'est pas fondée sur un titre territorial, car elle se justifie par la nature des faits incriminés qui portent atteinte aux intérêts supérieurs de l'État. La compétence réelle ne vise que certaines infractions spécifiquement prévues par la législation pénale nationale telles que les crimes et délits attentatoires à la sûreté de l'État ou la contrefaçon du sceau de l'État, de monnaies, d'effets ou de billets de banque commises hors du territoire de l'État victime. C'est une compétence qui est très ancienne, à ce propos, Donnedieu de Vabres faisait ressortir son caractère ancien lorsqu'il affirma que : « si haut que l'on remonte dans l'histoire du droit pénal international, on constate une réaction pénale de l'État contre les infractions qui menacent sa sûreté intérieure ou extérieur, même si ces infractions ont été perpétrées et consommées en dehors de son territoire, même si elles ont pour auteur un étranger. »63(*). En 1927, la première conférence internationale pour l'unification du droit pénal a reconnu la compétence de l'État victime à connaître d'un crime ou d'un délit contre sa sûreté (falsification de sceaux, poinçons, cachets ou timbres)64(*).La compétence réelle présente de l'intérêt pour des infractions que la loi pénale ne pourrait atteindre autrement, c'est-à-dire pour des infractions commises à l'étranger par des étrangers. Car, à notre avis l'État au préjudice duquel la sûreté a été violée est seul victime et qui mieux que lui peut mettre en mouvement l'action pénale sans se voir opposer l'irrecevabilité de son action fondée sur le défaut de qualité et d'intérêt ? De toutes les façons, les juridictions nationales auront toujours plus d'un titre de compétence et surtout lorsque l'infraction en question est une infraction qui trouble l'ordre public international.
La compétence universelle est, en droit, la compétence exercée par un État qui poursuit les auteurs de certains crimes, quel que soit le lieu où le crime a été commis, et sans égard à la nationalité de ces auteurs ou de celle des victimes. Elle a l'avantage qu'elle sert à empêcher l'impunité de crimes graves tels que les crimes de guerre, crimes contre l'humanité, qui seraient commis dans des régions particulièrement instables dont les habitants, citoyens du monde, ne bénéficieraient pas de protection légale adéquate. Nous allons étudier tour à tour le fondement juridique de cette forme de compétence tant en droit international (1) qu'en droit interne (2).
À l'origine, la compétence universelle des juridictions nationales se limitait à la piraterie en haute mer65(*). Désormais, elle trouve application aussi bien par les conventions(a) que par la coutume internationale.
À côté des conventions, la compétence universelle s'applique sur la base de la coutume. La gravité des crimes tels que les crimes contre l'humanité et de génocide a amené la Communauté internationale à adopter un certain nombre de mesures concernant leur répression. L'incrimination de crimes contre l'humanité a été définie pour la première fois de façon formelle par le Statut du Tribunal de Nuremberg à la suite des horreurs et atrocités commises durant la Seconde Guerre mondiale par l'Allemagne nazie et ses alliés67(*). Plus tard, les traités ou résolutions ont apporté une définition mais qui demeurait insuffisante68(*). Depuis, ils ont fait l'objet d'une définition beaucoup plus complète à l'article 7 du Statut de la Cour pénale internationale69(*). Il est regrettable de savoir ici qu'aucune norme conventionnelle n'a consacré le principe de compétence universelle pour la répression d'une infraction aussi grave que les crimes contre l'humanité. Fort heureusement, il a été largement admis en droit international que ce principe découle de la coutume ainsi que de la jurisprudence internationale. Ainsi, en l'absence de toutes dispositions internes, les juridictions nationales devraient recourir à la compétence universelle pour réprimer les crimes contre l'humanité. Ainsi, dans l'affaire Furundzia précitée, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie observe que : « [...] les crimes internationaux étant universellement condamnés quel que soit l'endroit où ils ont été commis, chaque État a le droit de poursuivre et de punir les auteurs de ces crimes. ». La Cour suprême d'Israël et la Cour européenne
des droits de l'Homme ont respectivement dans l'affaire Eichmann70(*), et
Demjanjuk71(*),
repris les mêmes propos à savoir « c'est le
caractère universel des crimes en question (c.-à-d. des crimes
internationaux) qui confère à chaque État le pouvoir de
traduire en justice et de punir ceux qui y ont pris
part. » Outre le crime de génocide à proprement parler, la Convention de 1948 précise que seront également punissables l'entente en vue de commettre le génocide, l'incitation directe et publique à commettre le génocide, la tentative de génocide et la complicité dans le génocide. Comme pour le crime contre l'humanité, l'obligation d'intention inscrite dans la Convention de 1948 constitue la principale difficulté pour démontrer le génocide. Elle est également une source d'ambiguïté majeure, puisqu'elle permet le plus souvent aux auteurs du génocide de se réfugier derrière les « motifs » de leur action pour en dissimuler « l'objectif final ». Selon l'article 6 de la Convention de 1948 précitée, « les personnes accusées de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article 3 seront traduites devant les tribunaux compétents de l'État sur le territoire duquel l'acte a été commis, ou devant la Cour criminelle internationale qui sera compétente à l'égard de celles des parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction ». Par cet article, la Convention exclut la compétence personnelle d'un État, ainsi que la possibilité d'exercer une compétence universelle. Seule la compétence territoriale est retenue. Cependant, tout comme les crimes contre l'humanité, cette lacune a été aisément comblée par la coutume72(*) du principe de compétence universelle. Il semble que n'importe quel État puisse maintenant affirmer sa juridiction sur les crimes de génocide, quel que soit l'endroit où ils ont été commis et quelle que soit la nationalité des auteurs ou des victimes.
Sur le plan interne, certains pays ont intégré la compétence universelle dans leurs lois nationales (code pénal, code de procédure pénal, loi de justice militaire...) d'autres y ont consacré des lois spécifiques comme la Belgique avec le vote en 1993 à l'unanimité de l'étendue de la compétence en matière de crime de génocide73(*). D'autres par contre ont ratifié les quatre conventions de Genève précitées mais n'ont pas encore adapté leurs législations. C'est par exemple le cas du Cameroun qui a ratifié la convention de Genève mais n'a pas encore intégré sa législation à propos. Il se limite uniquement sur le critère de rattachement qui est la présence du suspect74(*) et surtout son arrestation sur son territoire. Donnedieu De Vabres, affirme à cet effet que « la compétence du judex deprehensionis est justifié par le trouble social que cause, sur le territoire, la présence d'un criminel impuni »75(*) C'est cette forme que le législateur camerounais a retenu dans l'article 11 du code pénal intitulé « infractions internationales » qui dispose dans l'alinéa 1 que « La loi pénale de la République s'applique au mercenariat, à la discrimination raciale, à la piraterie, au trafic de personnes, à l'esclavage, au trafic des stupéfiants, au trafic des déchets toxiques, au blanchiment des capitaux, à la cybercriminalité, à la corruption et aux atteintes à la fortune publique commis même en dehors du territoire de la République ». L'alinéa 2 du même code ajoute le point de rattachement selon lequel, l'étranger qui a commis une infraction internationale à l'étranger ne peut être jugé par les juridictions camerounaises que s'il a été sur le territoire de la République camerounaise. Le droit camerounais s'est de la sorte conformé à de multiples conventions internationales ratifiées qui traitent des infractions particulières et qui prescrivent l'instauration de la compétence universelles.
* 62 Voir en ce sens Hobbes (Th.), Le Léviathan, 2000 (1ère édition 1651), Paris, Gallimard, p. 1027. ; Rousseau (J.J.), Du contrat social, 1993 (1ère édition 1762), Paris, Gallimard, p.535. * 63 Donnedieu de Vabres, Les principes modernes du droit pénal international, Paris, Recueil Sirey, 1928, p.86. * 64 Voir en ce sens la résolution sur le droit pénal international adoptée à Varsovie du 1er au 5 novembre 1927, in Actes de conférence, Paris, Recueil Sirey, 1929, p.132. * 65 Voir Affaire Lotus, Recueil des arrêts de la CPJI, Série A, N°10, arrêt du 7 septembre 1927 ; l'article 105 de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982.
* 67 On peut lire en effet, à l'article 6(c) du statut du Tribunal de Nuremberg, la définition des crimes contre l'humanité, c'est-à-dire : L'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays dans lequel ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime. * 68 On peut les résolutions telles que : les résolutions n°3 (I) du 13 février 1946 et n°95 (I) du 11 décembre 1946 de l'Assemblée générale des Nations unies. * 69 L'article 7 du Statut de Rome en définissant les crimes contre l'humanité dispose en effet que « Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l'humanité l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque : a. Meurtre ; b. Extermination ; c. Réduction en esclavage ; d. Déportation ou transfert forcé de population ; e. Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; f. Torture ; g. Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; h. Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ; i. Disparitions forcées de personnes ; j. Crime d'apartheid ; k. Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale * 70 Cf. ILR, 36, p. 298. * 71 Voir 612 F. Supra. 544 (N.D. Ohio 1985.) * 72 Voir l'affaire Bosnie-Herzégovine c/ RFY, CIJ, Paris, Recueil Sirey, 11 juillet 1996, p.53. * 73 Voir en ce sens la lecture de la loi sur le site : http://www.ulb.ac.be/droit/cdi/competence.html. * 74 Huet (A.) et Koering-Joulin (R.), Droit pénal internationale, précité, n°139, p.26. * 75 Cité par Henzelin (M.), Op. cit., p.130. |
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