La cour pénale internationale et les juridictions internes des états( Télécharger le fichier original )par Serges NDEDOUM Université de Dschang - Master 2014 |
Paragraphe2-La problématique de l'interruption de l'action de la CPI par un État jadis incapable de connaître une affaireLa question qui se pose ici est de savoir si le pouvoir reconnu aux États de déclencher l'action de la CPI implique la possibilité pour ces derniers d'interrompre une action en cours prétendant récupérer l'affaire qu'il avait déféré. En effet, il a été constaté que pour plusieurs raisons, essentiellement de négociations de paix ou de réconciliation nationale, nombre d'États en conflits ou en fin de période de crise interne préfèrent d'autres voies que la voie judiciaire, pour arriver à obtenir une paix durable et un accord entre acteurs et protagonistes des crimes. Il est possible d'envisager que certains États ne soient pas disposés à aller devant la CPI ou pensent même à retirer le renvoi d'une affaire qu'ils ont eu l'initiative de déposer devant elle. C'est l'hypothèse où, un État qui a déféré devant la CPI une situation qui s'est déroulée (ou non) sur son territoire voudrait que les enquêtes et les poursuites soient interrompues afin de relâcher la pression sur tels ou tels protagonistes et créer un climat propice pour des pourparlers plus sereins. L'exemple le plus illustratif est celui de l'Ouganda qui, après avoir saisi le Procureur de la CPI en décembre 2004 de la situation au Nord de ce pays, envisageait de retirer sa plainte pour favoriser les négociations avec la Lord Resistance Army (L.R.A), rébellion opérant au Nord de l'Ouganda. Cette faculté n'est pas reconnue par le Statut (A) mais néanmoins offerte aux États (B).
Bien que les États n'aient pas la possibilité de suspendre et encore moins d'interrompre unilatéralement une enquête ou des poursuites devant la CPI, certaines dispositions du Statut permettent, de manière détournée, d'arriver à ce résultat, en faisant appel aux organes dotés de ce pouvoir, à savoir le Procureur de la CPI et le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Ainsi, deux voies pourraient être utilisées par un État qui envisagerait de faire interrompre une procédure engagée à la suite d'une situation par lui déférée126(*). La première pourrait découler de l'article 16 du Statut qui autorise le Conseil de Sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, à suspendre les enquêtes et les poursuites pendant une période de douze mois renouvelables127(*). En effet, si une demande est faite en ce sens par une résolution positive du Conseil de Sécurité128(*), le Procureur doit suspendre son enquête pour 12 mois. En pratique, l'État en cause va saisir le Conseil de Sécurité pour qu'il agisse en sa faveur auprès de la CPI. Mais, pour que la démarche de l'État puisse aboutir, il faudrait d'abord que sa situation satisfasse aux conditions du Chapitre VII, ensuite que l'État développe une bonne argumentation pouvant justifier une action du Conseil de Sécurité sur base de ce Chapitre et enfin, il faut que cette action du Conseil de Sécurité aille dans le sens souhaité par cet État. La seconde voie quant à elle découle de l'article 53 du Statut de la CPI. D'abord, son al.2 reconnaît au Procureur le pouvoir de ne pas poursuivre s'il n'a pas de motifs suffisants ou parce que poursuivre ne servirait pas les intérêts de la justice. Ensuite, l'al.4 lui permet de reconsidérer sa décision de poursuivre ou non si des faits ou circonstances nouveaux sont avérés. Il est possible pour un État de plaider auprès du Procureur, afin que celui-ci décide de ne pas poursuivre au vu des circonstances particulières qui pourraient s'imposer en l'espèce. Ainsi, l'Ex-Procureur de la CPI, Luis Moreno OCAMPO, déclarait à propos de la situation en Ouganda, en avril 2005 : « Si une solution pour mettre fin à la violence était trouvée et que les poursuites ne se révèlent pas servir l'intérêt de la justice, alors mon devoir est d'arrêter »129(*). Il revient finalement à l'État qui invoque des voies de solution à ses problèmes autres que judiciaires, de défendre mieux ses arguments. Signalons que cette argumentation doit être fondée sur de solides éléments de preuve, dans la mesure où la décision du Procureur de ne pas poursuivre est soumise au contrôle de la Chambre préliminaire, qui doit la confirmer avant qu'elle ne soit effective130(*). Cette hypothèse fait surgir le délicat équilibre entre la nécessité d'une réconciliation durable d'une part, et celle de la justice et de la lutte contre l'impunité d'autre part, qui visent tous cependant un seul et même objectif à savoir la paix et la stabilité pour les États131(*).
* 126 YIRSOB (D.D.), op. cit, p.18. * 127 Article 16 du Statut de la CPI : « Aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; la demande peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions. » * 128 Cette résolution positive doit être prise par un vote unanime de tous les membres permanents du Conseil de sécurité pour la suspension c'est-à-dire qu'il ne doit pas y avoir de veto contraire d'un membre permanent. Pour plus de détail, voir SHABAS (W.), An introduction to the International Criminal Court, 2ème édition, Cambridge University Press, 2004, pp.82 et Ss. * 129 Luis Moreno OCAMPO cité par POITEVIN (A.), Les enquêtes et la latitude du Procureur, Droits fondamentaux, n°4, janvier- décembre 2004, p.1, disponible sur le site internet www. droits fondamentaux. Org * 130 Cf. l'article 53(3) alinéa b du statut de la CPI. * 131 Il s'avère souvent difficile d'une part d'obtenir l'arrêt des hostilités entre les différentes parties au conflit lorsque certains responsables sentent peser sur eux le risque de poursuites judiciaires pour leurs actions durant le conflit. D'autre part, il est difficile pour les victimes d'admettre une impunité totale des responsables même en contrepartie de l'arrêt du conflit ou des tensions. Voir à ce sujet NSANZUWERA (F.), Les juridictions gacaca, une réponse au génocide rwandais ou le difficile équilibre entre châtiment et pardon in BURGOGUE LARSEN (L.) (dir.), La répression internationale du génocide rwandais, Bruxelles, Bruylant, Pp.109-120. |
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