2.1.2 CONSIDERATIONS TERNAIRES
L'acte didactique a pour but d'instruire, d'enseigner,
d'informer. La ternarité fonde la didactique pour Chevallard (1985).
L'intention de l'enseignant y est traduite en réponse à son
désir d'expliquer à l'élève comment
développer les compétences attendues.
Cet acte relie élève, enseignant et savoirs. Il
met en place les conditions de l'apprendre, de l'enseigner et du former
(Giordan & al, 1994)16.
Mais cet acte est posé au sein d'un environnement
conditionnant la nature des interactions entre acteurs. La question
posée à l'enseignant est celle de la manière dont il va
s'instrumentaliser au service des apprentissages de ses élèves
(au sens de Rabardel, 1995). L'enseignant porte la responsabilité des
contenus d'enseignement. A son désir de mise en forme des savoirs est
associé la réalité des conditions d'enseignement :
caractéristiques du public, du contexte matériel et humain, des
savoirs. Grâce à la qualité de son organisation et de ses
mises en oeuvre, l'enseignant définit le périmètre du
triangle didactique (élève-enseignant-savoirs).
Le rôle de l'enseignant, au sein du milieu
didactique*17 qu'il conçoit, tout comme sa prise en compte de
la spécificité du contexte, nous questionne. En posant la
question de l'effet d'un enseignement valorisant les C.M.S. incluses aux
situations, sur les apprentissages, nous tentons d'explorer les modes de
présentation et de transmission-appropriation des savoirs au sein des
milieux didactiques.
Ce processus par lequel le professeur aménage un milieu
avec lequel il attend que ses élèves interagissent pour apprendre
est appelé mésogenèse (présentation (ostension) des
objets, gestion des connaissances anciennes, gestion des rapports avec les
autres) (Chevallard, 1992 p.95).
La réflexion sur les C.M.S s'initie en prenant acte du
principe du tiers exclu dans le modèle de Houssaye (1988). Lorsque deux
(élèves, enseignant, savoirs) des éléments existent
de façon privilégiée, il faut que le troisième
accepte de «faire le mort». Notre projet est de
15 MARTINAND, J.-L. (1989), Pratiques de
référence, transposition didactique et savoirs professionnels en
sciences techniques. Les sciences de l'éducation, pour l'ère
nouvelle, n° 2
16 ASTOLFI J.P., GIORDAN A., DEVELAY M., (1983).
L'élève et/ou les connaissances scientifiques, Peter Lang,
Berne
HOUSSAYE J. (2000 (3e Éd., 1re
Éd. 1988). Le triangle pédagogique. Théorie et pratiques
de l'éducation scolaire, Peter Lang, Berne
17 Milieu didactique :* Le milieu didactique est la partie
de la situation d'enseignement avec laquelle l'élève est mis en
interaction (aspects matériels, sémiotique).
14
Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
valoriser le retrait de l'enseignant afin de promouvoir la
relation entre l'élève et la compétence attendue en
natation de vitesse. Aussi, si l'enseignant se retire au profit de
l'activité de l'élève, il faut que la sémiotique de
son propos, de ses interactions, soit portée autrement. C'est à
mon sens le rôle de la médiation par le milieu didactique, celui
des outils utilisés, rôles et responsabilités
endossés.
En termes de médiation, nous questionnons les
ressources éducatives au service des apprentissages disciplinaire :
médias, ressources humaines, outils, etc.
Les ressources éducatives possèdent à la
fois une fonction de mise à disposition des savoirs ainsi qu'une
fonction de socialisation et de communication. Elles peuvent être
matérielles, humaines, relationnelles. L'apprenant peut être
l'objet, le sujet ou l'agent dans la situation. L'enseignant peut jouer le
rôle de transmetteur, de référent du savoir ou de
ressources, d'accompagnateur. Il active successivement ces rôles afin
d'optimiser la réalisation de l'apprentissage.
Dans la transmission des savoirs (interaction
savoirs-enseignant-contexte) se joue une demande croissante d'information (sur
l'intention de formation) à destination des premiers usagers de
l'école que sont les élèves. Il me semble que
l'élève en difficulté (B.E.P, éducation
prioritaire) aspire à réussir. Mais à défaut de
savoir ce qu'il a à faire, à réussir, faute d'être
informé sur comment réussir, il adhère plus difficilement
aux situations proposées et désinvestit les savoirs.
Si l'on reprend la compétence attendue en natation de
vitesse, nous n'ignorons pas que la fin de la compétence est relative
à la compétence méthodologique et sociale dont nous
parlons. À ce titre, elle relève également d'un
apprentissage disciplinaire. La C.M.S n'est donc pas une ressource
éducative ; elle relève de savoirs-être non moteurs
supposés favoriser l'acquisition des savoirs moteurs. Leur utilisation
au sein des situations procède d'une stratégie d'optimisation de
la mise en relation des savoirs moteurs et non-moteurs ; stratégie
pensée pour renforcer l'effectivité du rapport à la
finalité de l'E.P.S.
La mise en évidence stratégique des
connaissances, capacités et attitudes relatives aux C.M.S concoure
à l'acquisition des compétences attendues chez les
élèves.
Dans un monde à la complexité croissante, dans
une école refondée de manière inclusive (au sens de la loi
d'orientation du 08 juillet 2013 (M.E.N, 2013)), il est prescrit que l'acte
d'enseignement soit organisé non seulement pour permettre une
réussite optimale au moment de l'apprentissage, mais aussi, pour poser
les conditions de la transposition de cette
15
Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
réussite (atteindre une finalité disciplinaire
en E.P.S). Nous retrouvons cette pensée au niveau européen avec
la notion de compétence clés.18
La valorisation des C.M.S dans notre enseignement de l'E.P.S
procède de cette intention : jouer sur « l'apprenance »
(Carré, 2005) via les C.M.S pour produire des effets sur les
apprentissages. La méthode et surtout les relations entre
élèves au sein des situations d'enseignement-apprentissage, font
office de variable de commande, c'est-à-dire des variables qui
permettent de provoquer l'efficacité, qui provoquent de
véritables transformations (Paris & Artigue, 1988 ; Marsenach,
199119).
C'est au pôle « savoir » que nous nous
intéressons ; pôle qui questionne ce qui se transmet y compris les
savoirs-être, charnière ici désignées par notre
intention de recherche. Le triangle didactique peut être utilisé
pour questionner le pôle savoir à l'aide des relations qu'il
entretient avec ses deux autres composante.
Cette atteinte du disciplinaire grâce aux C.M.S
relève d'un déplacement lié à ma lecture des enjeux
contemporains de l'Instruire-Éduquer-Former. Aussi,
l'entrée-accompagnement dans les apprentissages disciplinaires à
l'aide des apprentissages liés à la subjectivation de
l'élève est un processus qui fait sens chez l'enseignant que je
suis. L'assujettissement de l'agent au cadre fixé par l'institution est
teinté de la lecture qu'il fait de la commande et des enjeux, à
son niveau de responsabilité, dans sa temporalité. Notre choix
procède d'une inclinaison vers l'Instruire et l'Éduquer davantage
que vers le Former. L'analyse critique de la notion de compétence, de
réussite scolaire et d'hétérogénéité
m'aura influencé dans ce domaine. Ces tensions sont inhérentes
à la fonction d'enseignant. La prise de décision entraîne
nécessairement des tensions entre intentions prisées et
publiques, à court terme et à long terme, didactiques,
pédagogiques et axiologiques (Portugais. J, 1999)20.
Cette réflexion sur les tensions autour des pôles
du triangle didactique et notamment du savoir, a accompagné le
développement du concept de « déjà-là
intentionnel » qui est une des trois instances du
déjà-là décisionnel à l'origine de toute
décision en enseignement - apprentissage. Entre intentions relatives
à l'instruction, à l'éducation et à la formation,
les tensions repérées rendent compte, et s'inscrivent dans une
logique propre au sujet
18 Parlement européen, le 26 septembre 2006 : «
une compétence est une combinaison de connaissances, d'aptitudes
(capacités) et d'attitudes appropriées à une situation
donnée. Les compétences clés sont celles qui fondent
l'épanouissement personnel, l'inclusion sociale, la citoyenneté
active et l'emploi. »
19 ARTIGUE M. (1988) Ingénierie didactique, Recherches en
Didactique des Mathématiques, Vol 9, n°3 MARSENACH J. (1991)
Éducation Physique et Sportive. Quel enseignement ? Paris, INRP.
20 PORTUGAIS. J (1999). Esquisse d'un modèle des
intentions didactiques. Actes des secondes journées didactiques de La
Fouly, 57-88.
16
Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
enseignant (singulier, assujetti et divisé dans et par
son inconscient). Les décisions qui en découlent relèvent
d'arrangement, de compromis, parfois de compromissions élaborées
entre concessions et renoncements (Carnus, 2002)21.
« Il est donc clair dans ce contexte que l'intention
d'enseigner des connaissances identifiées à l'avance est
première sur toute construction et tout choix de situation, c'est
d'ailleurs cette intention reconnue par les élèves
eux-mêmes qui rend légitime l'aventure dans laquelle le professeur
et les élèves s'engagent, avec les incertitudes qui y sont
liées. » (Ratsimba-Rajohn, 1982, p.65-113).
Cette présentation institutionnalisée de la
compétence ne doit pas faire oublier que pour la recherche en
éducation et en formation, la compétence reste une notion
ambiguë, voire une énigme (Dolz & Ollagnier, 2002). Sa
composition est de l'ordre du prescrit. Elle est issue du langage des
praticiens. L'infiltration de la notion dans le domaine scientifique manque
encore d'étayage. Cela fait courir d'une confusion entre ce qui
relève de la théorie et de la pratique. Cela affaiblit la
qualité des allers-retours théorie-pratique propres à la
démarche épistémologique (Bachelard, 1938). Les
différents acteurs de l'éducation nationale désignent-ils
le même objet lorsqu'il évoque la compétence
(l'élève, le processus d'apprentissage, les savoirs) ?
Cet alignement des opinions au service d'une action
éducative commune valorise les aspects utilitaires du savoir. Nous
remarquons surtout que la compétence, ce terme consensuel au niveau de
politiques globalisées, n'est pas pensé
épistémologiquement.
Or pour Bachelard (Bachelard, 1938, p.14), «En
désignant les objets par leur utilité, elle (l'opinion)
s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion : il
faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à
surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points
particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une
connaissance vulgaire provisoire. (...) Rien ne va de soi. Rien n'est
donné. Tout est construit.»
Par exemple, Crahay (2006)22
préférerait parler d'apprentissage plutôt que de
compétence, d'égalité des acquis, plutôt que
d'égalité des chances.
21 CARNUS, M.F. (2002). Croyances, conceptions, intentions et
pratiques effectives dans l'enseignement de la gymnastique : Le cas de l'ATR et
du repérage, in J.F. Robin et A Durny (dir), Travaux d'actualité
en activités gymniques et acrobatiques, Dossiers EPS, Paris, 57,
160-164.
22 CRAHAY M. (2006), « Dangers, incertitudes et
incomplétude de la logique de la compétence en éducation
», Revue française de pédagogie n°154
DOLZ J & OLLAGNIER E, (2002) L'énigme de la
compétence en éducation, Bruxelles, De Boeck Supérieur
«Raisons éducatives»
17
Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
La compétence vient renouveler le questionnement entre
justice et égalité ; elle interroge les modèles de justice
sociale qui organise nos fonctionnements sociaux. La notion de
compétence dont on ne peut ignorer qu'elle s'origine dans le lexique de
l'entreprise (Chomsky, 1971a) renvoie à un élève
adaptable, insérable socialement. Notre démarche s'oriente dans
le sens de la justice plus que de l'égalité. Cette pensée
provient de la notion d'inclusion scolaire. Nous considérons comme
importante l'analyse critique de la notion de compétence dans ce
travail, et tout particulièrement celles relevant de l'E.P.S et de la
maîtrise de soi en contexte scolaire.
Nous remarquons comme les C.M.S participent à
l'incorporation des normes scolaires, partie propédeutique de la norme
sociale. L'école participe ainsi à son rôle social
(Goirand, 1989), celui de l'incorporation de la culture. Et, quoi qu'on en
pense, la culture contemporaine valorise la notion de compétence, afin
que l'élève, fort de son portefeuille de compétence, soit
employable.
Nous retrouvons ici l'instrumentation de l'école dont
parle Charlot, (1999) lorsqu'il évoque que l'on va à
l'école davantage pour être formé que pour apprendre.
Cependant, notre propos fait sienne l'hypothèse que
« fondamentalement le savoir est libérateur » (Goirand, 1989),
et que, par le langage, l'accès à la lucidité, aux
apprentissages moteurs, à la conscience de « ce que je sais »,
« ce que je réussis » et « ce que je dois encore
travailler », les élèves acquièrent également
la compétence à s'émanciper, tant des doutes, des
questionnements relatifs à l'apprendre, que des travers aliénant
que l'on associe parfois à cette notion polymorphe.
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