7 ANALYSE PREALABLE :
7.1 ANALYSE EPISTEMOLOGIQUE DES CONTENUS VISES PAR
L'ENSEIGNEMENT :
La natation de vitesse apparaît dans les programmes
parus en 2008. Ces programmes précisent davantage que leurs
prédécesseurs l'organisation de l'E.P.S. autour des A.P.S.A qui
sont leur objet et leur moyen (Hébrard, 1986).
La natation de vitesse apparaît dans la liste nationale
d'activité proposée aux enseignants d'E.P.S. Il était
possible auparavant de l'enseigner. Cependant, l'habitude en matière
d'enseignement de la natation se situe davantage dans un apprentissage
sécuritaire : savoir se sauver/nager, savoir nager longtemps en
s'économisant (natation longue). Cette habitude est renforcée par
les attentes du pilier 7 (savoir nager) du socle commun de connaissances et de
compétences.
Cependant pour Hébrard (1986), bien que les A.P.S.A
soient des objets culturels reconnus, elles doivent rester le moyen de la
finalité de l'E.P.S au risque d'une dérive culturaliste. L'E.P.S.
« (...) ne se confond pas avec les activités qu'elle enseigne
» (Ibid.)
Les C.M.S organisent le rôle de moyen de la natation de
vitesse pour atteindre la finalité de la discipline au travers de la
compétence attendue en niveau 1.
Chaque fois que l'E.P.S a eu une présence dans le
milieu scolaire, des vertus éducatives lui ont été
conférées. Les savoirs non moteurs sont reconnus comme
structurants.
Aujourd'hui ces compétences sont associées
systématiquement aux compétences motrices attendues dans les
programmes. Mais leur mise en oeuvre est déléguée à
la liberté pédagogique de chaque enseignant, ou, dans une
situation davantage souhaitable à l'équipe E.P.S, via le projet
pédagogique d'E.P.S. Les conceptions de l'E.P.S des personnels
pénètrent donc la manière dont ces C.M.S infiltrent la
pratique des élèves.
Nous relevons trois grands types de rapport à la C.M.S
(d'après groupe de pilotage E.P.S, académie de Toulouse, Jean
Barthe, Christian Deleris, 2014) :
- Des C.M.S satellites de la pratique des
élèves. Celles-ci sont utilisées parce qu'elles
constituent une obligation. L'enseignant valorise les savoirs moteurs et
considèrent que les savoirs non moteurs lui sont implicitement
associés. La mise en valeur des C.M.S survient aux abords des
évaluations.
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
- Des C.M.S en appui de la pratique des élèves.
Celles-ci viennent ponctuellement préparer, renforcer ou clôturer
la pratique des élèves. Elles restent à la charge des
enseignants qui n'en pensent pas la présence au sein des situations
d'enseignement-apprentissage.
- Des C.M.S intégrées aux situations
d'enseignement-apprentissage : je préfère le terme d'incluses aux
situations, dans la mesure où l'environnement de la situation est
aménagé, modifié pour que la présence produise les
effets attendus (reprise du glissement symbolique entre intégration et
inclusion scolaire des élèves à B.E.P.). L'enseignant
pense la présence des savoirs non-moteurs au sein même de la
pratique des élèves. Ces derniers ne peuvent atteindre les
critères de réussites sans acquérir et recruter les
savoirs non moteurs.
Ce travail valorise les C.M.S incluses aux situations pour la
classe de Jeanne (cycle CMS 2). Les CMS en appui voire satellites sont
volontairement valorisées dans le cycle de Serge (cycle traditionnel).
Il s'agit d'une variable de commande.
7.1.1 LES COMPETENCES METHODOLOGIQUES ET SOCIALES :
Les compétences méthodologiques et sociales sont
une référence institutionnelle de la discipline Education
Physique et Sportive. Depuis les programmes parus au bulletin officiel
hors-série n°6 du 28/08/2008, elles sont une composante
incontournable des compétences attendues, au même titre que les
compétences propres à l'E.P.S.
Les C.M.S font partie de la matrice disciplinaire de l'E.P.S.
Elles sont un puissant levier d'atteinte de la finalité de la discipline
: « L'EPS a pour finalité de former un citoyen, cultivé,
lucide, autonome, physiquement et socialement éduqué.
»
Chaque compétence attendue au sein des A.P.S.A est
assortie d'une phrase indiquant les savoirs que l'élève doit
posséder en matière de C.M.S pour chaque niveau
d'enseignement.
Notre étude, sensible à la responsabilité
de l'élève dans la conduite de son apprentissage, retiendra la
seconde C.M.S.
Nous pensons les C.M.S comme un ensemble régit par deux
principes :
- Un principe de permanence : toutes les C.M.S sont
valorisées à chaque instant de l'acte d'enseignement comme du
parcours de formation de l'élève. Mais, pragmatique, les
enseignants d'E.P.S valorisent une ou deux de ces C.M.S au maximum selon les
contraintes et les ressources des A.P.S.A et/ou de la classe.
- Un principe de progressivité : de la première
à la quatrième, les C.M.S sont imbriquées, poreuses. Elles
s'enchaînent dans l'ordre de leur énonciation. Ainsi, bien que
chacune reste constamment valorisée, l'avancée dans le parcours
de formation est assortie d'une progression dans les C.M.S prioritaires.
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
Les Compétences Méthodologiques et Sociales sont
au nombre de quatre et font référence aux compétences du
socle commun de connaissances et de compétences :
- C.M.S. 1 : Agir dans le respect de soi, des autres,
et de l'environnement par l'appropriation de règles.
- C.M.S. 2 : Organiser et assumer des
rôles sociaux et des responsabilités par la gestion et
l'organisation des pratiques et des apprentissages : installer,
utiliser, ranger du matériel, recueillir des informations, travailler en
équipe, et s'entraider.
- C.M.S. 3 : Se mettre en projet par l'identification,
individuelle ou collective des conditions de l'action, de sa réussite ou
de son échec pour élaborer un projet d'action et le mettre en
oeuvre, raisonner avec logique et rigueur, apprécier l'efficacité
de ses actions, développer sa persévérance.
- C.M.S. 4 : Se connaître, se préparer, se
préserver par la régulation et la gestion de ses ressources et de
son engagement en sachant s'échauffer, récupérer d'un
effort, identifier les facteurs de risque, prendre en compte ses
potentialités, prendre des décisions adaptées,
maîtriser ses émotions, apprécier les effets de
l'activité physique sur le corps humain, s'approprier des principes de
santé et d'hygiène de vie.
Ces compétences méthodologiques et sociales sont
un construit historique. Depuis toujours, des valeurs et des intentions
parallèles ont été associées à la pratique
physique. Les sports deviennent des A.P.S.A par le truchement de leur
présence à l'Education Nationale. Ces activités mettent le
corps en jeu et sont porteuses d'enjeux souvent discutés (Jeu,
1977)66.
Pour se concentrer sur l'histoire récente de l'E.P.S,
nous remarquons qu'avant de parler de C.M.S, nous avons parlé de
compétences générales dans les programmes de1996. Le
projet de programmes de 2001 (G. Klein) parlait également de
visées éducatives.
Les C.M.S renvoient aux compétences sur soi que
l'élève doit posséder pour valoriser les acquis moteurs.
Elles renvoient à la notion d'apprenance abordée
précédemment. Elles font appel au méta (à propos de
soi) et aux compétences psychosociales définies par l'O.M.S
(Division de la santé mentale et de la prévention des
toxicomanies et Arwidson, 1997) en 1993 ; c'est-à-dire aux
compétences du vivre ensemble et du vivre avec soi :
« Les compétences psychosociales sont la
capacité d'une personne à répondre avec efficacité
aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C'est l'aptitude
d'une personne à maintenir un état de bien-être mental, en
adoptant un comportement approprié et positif à l'occasion des
relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement.
»
L'observation des pratiques les plus courantes montrent que
les C.M.S sont investies selon la conception que l'enseignant d'E.P.S a de sa
discipline. Les C.M.S sont dépositaires
66 JEU B., (1977) Le sport, l'émotion, l'espace, Ed.
Vigot, Paris
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
de l'idéal de la culture commune. Chaque enseignant,
selon sa culture d'origine, comme la culture scolaire (norme), entretient un
rapport singulier avec les C.M.S. Il est donc normal que ce
déjà-là influence les passages à l'acte
enseignant.
Souvent, les enseignants soucieux du temps moteurs de leurs
élèves valorisent des séances où l'organisation
méthodologique et sociales ne prend de l'importance qu'en seconde
partie, voir en fin de cycle (à l'approche de l'évaluation).
L'usage de l'outil d'évaluation des pratiques et des formes de
groupement illustre ce propos.
En parallèle, nous constatons la récurrence des
questions à propos de la gestion de
l'hétérogénéité, de l'inclusion scolaire des
élèves à Besoins Éducatifs Particuliers. Les
professeurs essaient de créer des enseignements
différenciés et motivants.
Il est fréquemment reproché aux
élèves de manquer de maturité et de goût de
l'effort. L'appropriation des dispositifs nécessite une attention
parfois défaillante. Enfin, le maintien en activité de tous n'est
pas évident.
Dans une activité de production de performance (comme
la Compétence Propre n°1), l'effort, le défi physique et
affectif se vivent intensément. Nous faisons le pari que l'accroissement
des savoirs non moteurs, et, que l'amélioration du lien entre savoirs
moteurs et non moteurs optimise les acquisitions des élèves.
Lorsque les compétences méthodologiques et
sociales conditionnent le déroulement du parcours de formation, le cadre
symbolique mis à disposition des apprenants serait davantage porteur de
confiance, d'apprentissages et de réalisations efficientes. Des
invariants peuvent être repérés : présentation des
outils et valorisation des rôles sociaux à l'approche des
évaluations (sommatives surtout), délégation de
rôles en étayage des attitudes positives (délaissant les
élèves les moins compétents en C.M.S/ ceux qui en auraient
le plus besoin), utilisation des élèves sous l'autorité de
l'enseignant (installation chaque fois différente qui ne permet pas
à l'élève de prendre des initiatives).
Les C.M.S viennent renforcer la médiation de
l'enseignant (de la formation) et la médiatisation et
l'interactivité des savoirs (scénario pédagogique).
Pour Rabardel et Samurçay (2001)67, la
médiation instrumentale68 peut se fractionner en quatre types
de médiation dont la médiation relationnelle (qui se
réalise entre les sujets) et la médiation réflexive
(orientée vers le sujet lui-même). Celles-ci seraient
valorisées par une plus forte présence des C.M.S au sein des
situations. Souvent, au détriment d'un équilibre
67 RABARDEL P, SAMURCAY (2001). From Artifact to
Instrument-Mediated Learning. Symposium on New challenges to research on
Learning, Helsinki.
68 Certains auteurs opposent médiation et
médiatisation des instruments. Rézeau (2002) propose de les
réconcilier. Il les considère dans « le même rapport
bifacial que les processus d'instrumentalisation et d'instrumentation dans la
genèse instrumentale » telles que définies par Rabardel
(1995)
48
Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
d'ensemble, les deux autres formes de médiations sont
privilégiées : médiation praxéologique
(orientée vers l'action) et épistémique (orientée
vers la connaissance de l'objet).
Les compétences méthodologiques et sociales
émergent institutionnellement en E.P.S mais dépassent le cadre de
la discipline. En ce sens, il s'agit d'un concept nomade (Stengers,
1987)69.
Les apprentissages en matière de C.M.S nous semblent
potentialiser les autres apprentissages pour deux raisons :
- Ils enrichissent la disponibilité de
l'élève et la qualité de ses démarches d'action (au
sens de Brousseau, 1998)
- Ils tissent du lien entre les A.P.S.A, les temps de
l'enseignement, mais aussi avec les autres disciplines.
Les savoirs non moteurs, forment des compétences
larges, utiles dans plusieurs domaine parce qu'ils concernent l'ensemble des
pratiques : « (...) un savoir n'existe pas in-vacuo dans un vide
social : tout savoir apparaît, à un moment donné, dans une
société donnée, comme ancré dans une ou des
institutions. » (Chevallard, 1989, p13)
La spécificité de l'E.P.S est forte au sein des
disciplines scolaires. Le corps y est en jeu avec une symbolique et une
immédiateté qui est singulière. La pratique de l'E.P.S est
une expérience de mise en monde de soi et de gestion de
l'immédiateté des ressentis. C'est la raison pour laquelle
l'E.P.S reste à la fois atypique et révélatrice de
nombreux enjeux de l'apprendre.
Les savoirs moteurs sont plus précis, utiles à
un domaine particulier ; ici la natation de vitesse. Ils proviennent de
pratiques reconnues pour leur utilité, leur contribution à une
finalité comme celle de l'E.P.S. Ils sont également bien plus
nombreux et instables dans le temps que les savoirs non moteurs.
Par leur temporalité et leur transversalité, les
savoirs non moteurs organisent-ils la transférabilité des savoirs
moteurs ?
Nous questionnons les modes les plus pertinents de
présentation des savoirs et de médiation afin d'optimiser
l'investissement et l'appropriation des contenus de formations par les
apprenants.
Les apprentissages relatifs aux C.M.S vont dans le sens de la
conscience et de la connaissance de soi. Ils font appel aux émotions et
à la manière de les appréhender. Ces expériences
s'engramment*70 ; ces traces permettent à un individu de
prendre en
69 STENGERS I, (1987) D'une science à l'autre ; des
concepts nomades - Ed du Seuil
70 *Engramme : Trace que gardent les centres nerveux en
mémoire et qui est dû à diverses stimulations
antérieures ou bien à des activités passées.
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
considération ses rencontres précédentes,
lorsqu'il est à nouveau dans une situation similaire, et d'en tirer
parti pour la réalisation de ses choix et de ses plans d'actions. Cela
nous renvoie au déjà-là expérientiel.
La lucidité avec laquelle les émotions sont
acceptées limite les perturbations de la pensée. Ceci fait
écho aux travaux d'Hannah Arendt sur la banalité du mal
(1963)71. Cette auteure a montré que l'assujettissement
à la règle conditionne la difficulté de penser et
précède l'émergence du mal. L'altération de la
faculté de penser apparaît lorsque le sujet n'est pas en mesure de
se questionner sur les motifs de son action. La production de pensée sur
soi est donc capitale pour comprendre ses émotions et développer
une conscience de soi et ses actes/apprentissages.
« Les clichés, les phrases toutes faites,
l'adhésion à des codes d'expression ou de conduite conventionnels
et standardisés, ont socialement la fonction reconnue de nous
protéger de la réalité, de cette exigence de pensée
que les évènements et les faits éveillent en vertu de leur
existence » (Arendt, 1971, p.29)72
La conscience de soi conditionne le désir de savoirs
(intentionnalité). Elle est indissociable de la capacité de (se)
penser. Les compétences de méthodes et de socialisation, parce
qu'elles favorisent la conscience de soi, sont des leviers utiles aux
apprentissages.
Les savoirs scolaires sont « présentés
comme des faits établis » sans histoire, sans dimension culturelle,
humaine ou sociale (Giordan,1983)73. Cependant, ils ont une
trajectoire, une histoire institutionnelle. En E.P.S., ils ont sont aussi le
fruit d'une lente structuration.
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