Chapitre I : Présentation de l'initiative
sectorielle en faveur du coton présentée par le C_4 dans les
négociations multilatérales
Le coton joue un rôle crucial dans le développement
de plusieurs pays d'Afrique notamment en Afrique de l'Ouest et du Centre.
Depuis les années 1980, la production et les exportations de coton en
provenance de cette région ont été multipliées par
4, représentant entre 5 et 10 % du produit intérieur brut.
Près de 30% des recettes d'exportation viennent du coton et concernent
directement plus de 10 millions de personnes dans cette région. «
Naturellement » compétitif, le coton africain souffre
néanmoins de l'impact des subventions américaines et
européennes à la production de coton ayant pour effet de faire
baisser les prix sur le marché international du coton.
Dès 2001, les gouvernements des pays africains producteurs
de coton se sont trouvés confrontés au mécontentement
croissant des paysans qui souffrent de la perte des recettes tirées du
coton. Au mois de novembre, l'Union Nationale des Producteurs de Coton du
Burkina Faso (UNPCB) ainsi que d'autres associations de cotonculteurs d'Afrique
de l'Ouest et du Centre ont interpellé l'opinion dans une
déclaration commune pointant du doigt les subventions occidentales :
« En subventionnant leurs producteurs de coton les E.U. et l'U.E. menacent
gravement le coton africain, et donc l'avenir de millions de producteurs, et
les économies de nombreux pays comme celles du Bénin, du Burkina
Faso et du Mali. Aussi, nous demandons solennellement aux EU. et à
l'U.E. de supprimer leurs subventions aux producteurs de coton8
».
Les efforts de lobbying des associations de producteurs,
soutenues par plusieurs ONG, commencèrent à porter leurs fruits
en Juin 2002 quand la Conférence des Ministres de l'Agriculture de
l'Afrique de l'Ouest et du Centre décida d'analyser l'impact des
subventions occidentales sur leurs filières cotonnières en vue de
négociations futures avec les Etats-Unis et l'Union européenne
dans le cadre de l'OMC. Les négociations commerciales
multilatérales du Cycle de Doha lancées deux ans plus tôt
avec le développement comme objectif affiché seraient le moyen de
rechercher une solution en demandant la suppression ou la réduction
significative des subventions au coton qui contreviennent aux règles de
l'OMC.
Le dossier a rapidement pris de l'ampleur à l'approche de
la Conférence Ministérielle de Cancun, notamment après la
plainte du Brésil en septembre 2002 contre les Etats-Unis à l'OMC
pour ses subventions au coton (nous y reviendrons dans la partie III de ce
chapitre).
Les quatre pays en Afrique de l'Ouest et du Centre (Bénin,
Burkina Faso, Mali et Tchad) les plus touchés par les effets des
subventions des pays développés se sont mis à
préparer activement une proposition solide. En avril 2003, ils
déposent une proposition de négociations intitulée
«Réduction de la pauvreté: initiative sectorielle en faveur
du coton» aux organes compétentes de l'OMC.
Cette proposition fait suite à la Conférence
ministérielle de Doha de 2001, où il a été
décidé de faire du cycle de négociations lancé
alors un Cycle du développement, et à la veille de la
conférence ministérielle de l'OMC de Cancun
8 Appel commun des producteurs de l'Afrique de l'ouest et du
Centre, novembre 2001
11
prévue pour septembre 2003 et pour laquelle l'initiative
devait s'assurer d'être soutenue. C'est dans ce cadre que Monsieur Blaise
Compaoré, Président du Burkina Faso, a été
invité au nom de ses pairs africains à faire une
présentation devant le Conseil Général9 de
l'OMC en juin 2003. Dans son discours, le Président du Burkina Faso a
dit en substance que « pour la première fois, les pays africains ne
demandent pas l'aumône, nous demandons tout simplement que les membres de
l'OMC respectent les règles de l'organisation, règles auxquelles
ils ont librement consenti». Cela a contribué à assurer les
soutiens nécessaires, y compris ceux émanant des coalitions de
l'OMC dont davantage de soutien était recherché. C'était
là le début de l'offensive diplomatique et stratégique
appelée « l'initiative sectorielle en faveur du coton » comme
faisant partie intégrante du Programme de Doha pour le
développement.
Dans cette partie, il s'agira dans une première partie de
présenter et d'analyser l'Initiative sectorielle en faveur du coton et
de faire le point des négociations depuis la soumission de cette
initiative à nos jours (novembre 2013). La deuxième partie sera
consacrée au volet développement du dossier coton notamment une
analyse du mécanisme du Directeur Général de
l'Organisation Mondiale du Commerce en faveur du coton. La dernière
partie de ce chapitre sera consacrée au différend Etats -Unis /
Brésil sur le coton à l'OMC. Il s'agira dans cette partie
d'analyser les résultats de ce recours et qu'auraient gagnés les
pays africains en allant au recours.
I. Initiative sectorielle en faveur du coton
L'initiative sectorielle en faveur du coton a été
soumisse en avril 2003 à l'OMC et visait à obtenir :
- l'élimination des subventions qui créent des
distorsions au commerce
international du coton ;
- la réduction substantielle des soutiens internes qui
créent des distorsions
au commerce international du coton ;
- le régime d'accès du coton en franchise de droits
et sans contingent
(exonéré de droits de douane et d'autres taxes, et
sans limitation des quantités exportées) sur le marché
international ;
- la mise en place d'un Mécanisme de gestion des pertes de
revenus
d'exportation du coton sur le marché international,
jusqu'à l'élimination
totale des soutiens internes et des subventions que certains pays
développés accordent à leurs producteurs et exportateurs
de coton.
9 Le Conseil général est l'Organe de
décision suprême de l'OMC à Genève; il se
réunit régulièrement pour exercer les fonctions de l'OMC.
Il est composé de représentants (habituellement, des ambassadeurs
ou des fonctionnaires de rang équivalent) de tous les gouvernements
Membres et est habilité à agir au nom de la Conférence
ministérielle, qui ne se réunit que tous les deux ans. Le
Président est actuellement S.E. Mr. Shahid BASHIR (Pakistan).
12
I.1. Point des négociations sur le dossier coton
depuis avril 2003 à novembre 2013
Comme on pouvait s'y attendre, l'initiative fut sujette à
controverse au sein des membres de l'organisation. Alors que de nombreux pays
en développement se félicitèrent de la proposition du C_4,
plusieurs délégués déclarèrent que
l'initiative ne pouvait pas être inclue dans le programme de Doha pour le
développement. Selon eux, la question du coton constituait un sujet
nouveau qui ne faisait pas partie du mandat confié à Doha. Fait
intéressant, les États-Unis et l'Union européenne n'ont
pas réagi du tout à la proposition. Il était cependant
clair que des négociations intensives allaient être
nécessaires afin de s'assurer le soutien crucial d'autres groupes de
négociation tels que le Groupe africain, les PMA et le Groupe ACP si
l'initiative devait faire partie du programme de travail de Doha.
Le premier groupe à avoir adopté l'initiative
sectorielle en faveur du coton comme dossier de négociation fut celui du
groupe d'Afrique des Caraïbes et du Pacifique (ACP), au cours de la
77eme session de son conseil des ministres tenue à Bruxelles
en mai 2003.
En juin 2003, il fut suivi par le Groupe des PMA au cours de la
réunion ministérielle de Dacca, au Bangladesh. Cependant, arriver
à cette décision ne fut pas chose facile, car certains des
États membres ayant un grand intérêt dans l'importation du
coton, y compris en provenance des Etats-Unis, pour alimenter leur industrie
textile très performante qui, bénéficiant de la Loi des
Etats-Unis sur la Croissance et les Opportunités en Afrique (AGOA en
anglais), pouvait exporter ses produits textiles sur le marché
américain. Ces pays se trouvaient donc dans un conflit
d'intérêt mais finalement, après d'intenses consultations
où on a fait valoir que la question du coton était une
préoccupation pour 36 pays (dont la plupart était des PMA) et
qu'on ne pouvait pas laisser les intérêts d'un seul pays ou de
quelques pays menacer les moyens de subsistance de plus de 15 millions
d'africains, ces pays résistants ont finalement accepté de
s'associer au consensus. À ce stade, l'initiative
bénéficiait donc de l'appui de deux groupes majeurs de pays en
développement au sein de l'OMC.
Dans le cas du Groupe africain, des complications sont
également apparues du fait qu'un certain nombre de membres avaient
décidé à la même époque de présenter
une proposition sur les matières premières. Heureusement, alors
qu'une certaine rivalité commençait à naître entre
les deux propositions, la seconde fut abandonnée et le Groupe finit par
appuyer l'initiative du C_4.
Ainsi, durant les préparatifs pour la Conférence
ministérielle de Cancun, le Groupe africain, les ACP et les PMA n'eurent
de cesse d'appuyer l'initiative en faveur du coton dans leurs
déclarations tant individuelles que collectives, et furent bientôt
rejoint par d'autres pays en développement influents comme le
Brésil, l'Inde et la Chine. Au vu de ce soutien général
des pays en développement et de quelques pays développés,
il devenait difficile d'ignorer le sujet du coton dans le cadre de la
conférence de Cancun et les Etats-Unis firent alors une courte
déclaration par laquelle ils reconnaissaient que la question du coton
était d'importance et méritait d'être examinée.
C'était là l'un des premiers et plus importants succès
diplomatiques de l'initiative sectorielle en faveur de coton.
13
A partir de cet instant, le Groupe C_4 a intensifié son
travail de plaidoyer et les consultations ont continué pour faire
accepter l'initiative sectorielle en faveur du coton comme faisant partie
intégrante du programme de Doha pour le développement à
Cancun. Quelques jours avant le début de la conférence, le
président du Bénin d'alors, Monsieur Mathieu Kerekou, s'est rendu
à la commission de l'Union européenne pour rechercher des
soutiens alors qu'au même moment le Président du Mali, Monsieur
Amadou Toumani Touré se rendait à Washington pour évoquer
entre autres avec les autorités américaines la question du coton.
A la veille de la conférence, les ministres de l'Allemagne, de
l'Angleterre, des Pays-Bas et du Danemark, pays qui fournissent de l'aide aux
pays en développement ont organisé une réunion sur la
question du coton qui a rassemblé de nombreuses ONG, organisations de
producteurs de coton africains, journalistes et représentants des
États-Unis, et dont les résolutions favorables à
l'initiative sur le coton ont contribué à la faire
connaître. Cette volonté politique au plus haut niveau
couplée à une campagne de sensibilisation efficace ont finalement
porté leurs fruits et la question du coton fut inscrite comme le premier
point de l'ordre du jour de la conférence ministérielle de
Cancun, tout juste après les discours d'ouverture.
A cette conférence, le coton devint le symbole de l'aspect
développement du Cycle de Doha. Toutefois, avec l'échec de Cancun
et le dépassement de toutes les échéances
programmées du Cycle, le sprint devint un marathon.
En 2003, l'Initiative Coton est devenue l'un des thèmes
principaux de la négociation de Doha et représente toujours pour
la communauté internationale un test quant à son engagement
réel de faire de Doha le cycle du Développement. Il y a
aujourd'hui une reconnaissance internationale du fait que les subventions au
coton nuisent gravement aux pays pauvres en développement
dépendant des exportations de coton et des produits
dérivés du coton10 à la fois pour leur
intégration économique internationale et leur
développement national.
La prolongation des négociations a nécessité
des capacités grandissantes des pays impliqués pour prendre des
décisions rapides et difficiles sur des compromis relatifs aux positions
qu'ils défendent.
I.1.1. Conférence de Cancun :
échec/espoir
A l'ouverture de la Conférence Ministérielle de
Cancun le 10 septembre 2003, la plupart des groupes de négociation ont
apporté leur soutien au « dossier coton » et ont
réclamé que l'on mette fin dans un bref délai à
l'injustice des subventions ayant des effets de distorsion des échanges.
En fait, toutes les délégations des pays en développement
ainsi que celles de certains pays développés, à
l'exception de l'Union européenne et des Etats-Unis, ont soutenu
l'initiative. Le soutien du Groupe africain, des PMA, du Groupe des Etats ACP
et du G-90 (PMA, Groupe africain et ACP) créé lors de cette
conférence ont largement contribué à cette grande victoire
d'étape.
A l'issue de la session d'ouverture, la délégation
des Etats-Unis a invité le C_4 pour des consultations durant lesquelles
elle a fait valoir que leurs subventions
10 La définition de produits dérivés pose
problème à certains alliés du C_4 qui fini par
abandonné le terme
14
n'étaient pas la cause de la chute du prix du coton sur
les marchés internationaux, mais plutôt la concurrence avec les
nouvelles fibres comme le nylon et d'autres dérivés du
pétrole qui étaient moins cher que le coton. Les Etats-Unis ont
présenté un projet d'accord au C_4 qui résumait ces
arguments et arguait que les Etats-Unis étaient déterminés
à aider les producteurs de coton africains à atteindre des
rendements plus élevés. Naturellement le C_4 a refusé cet
accord.
Lors de la session officielle consacrée à
l'initiative sectorielle en faveur du coton, tous les pays en
développement ont réaffirmé leur soutien à la
position du C_4 et les États-Unis sont restés sur leur position
qui consistait à dire que les nouvelles fibres et le faible rendement du
secteur cotonnier africain étaient responsables des prix bas. Plus la
Conférence avançait, plus cette opposition entre pays en
développement et pays développés s'est accentuée
à tel point que la conférence s'est retrouvée dans
l'impasse un jour avant sa conclusion prévue. Si la principale cause de
cet échec est à chercher dans le refus des pays en
développement de débattre des «questions de
Singapour11» chères aux pays développés,
les désaccords sur le dossier agricole en général et sur
le coton en particulier ont cristallisé les divergences. Si certains ont
soutenu que l'initiative sur le coton était responsable de
l'effondrement de la conférence ministérielle de Cancun et que
l'espoir s'était évanoui pour des millions de producteurs de
coton africains, les négociateurs du C_4 n'ont pas abandonné pour
autant.
En effet, dans la période qui suivit, le travail technique
sur la question du coton a continué à Genève malgré
l'opposition des pays développés qui faisaient valoir que
l'introduction d'une initiative distincte sur le coton perturberait le
processus de négociation.
|