B. Constructivisme
Piaget (1936) se base sur une théorie
constructiviste, où le langage se construit en suivant le
développement cognitif. Les connaissances font suite aux
activités du sujet, elles ne sont pas uniquement dues à une
prédisposition génétique ou à l'imitation. Le
langage s'acquiert selon les stades de l'intelligence sensori-motrice. Le
développement de la langue et sa maitrise est l'expression d'une
intelligence générale. C'est au moment de l'acquisition de la
logique sensori-motrice que le langage apparaît. Piaget explique dans un
débat qui l'oppose à Chomsky (1979) que : «
(...) Il y a une raison à ce synchronisme et une parenté
entre l'intelligence sensori-motrice et la formation du langage ; la
formation de la fonction symbolique, qui est un dérivé
nécessaire de l'intelligence sensori-motrice, permet l'acquisition du
langage ». (p.250.) Il prétend ainsi que les capacités
cognitives ne sont ni totalement innées, ni totalement acquises ;
elles découlent d'une construction, qui est progressive, où
l'expérience et la maturation interne entrent en jeu.
C. Innéisme
Dans l'ensemble de ces différentes théories, ce
qui semble être oublié est le fait que nous avons des
compétences langagières qui se développent naturellement
(comme par exemple la compréhension de l'ironie et des
inférences).
C'est Chomsky qui est le pionner de cette
théorie innéiste. Chaque humain naît avec une
capacité linguistique innée. Il pense que l'enfant dispose de
conditions préalables dans l'apprentissage. Le dispositif que l'enfant
possède à sa naissance est appelé Language Acquisition
Device (LAD). Ce LAD est constitué de règles linguistiques de la
langue dont l'enfant est entouré. C'est lui qui permet à l'enfant
de construire la grammaire de sa langue, grâce aux informations
linguistique de son entourage. Les enfants actualisent leurs règles de
grammaire fréquemment dès leur naissance et c'est ce qui leur
permettent de progresser. Cette faculté de langage est propre à
notre espèce.
Boysson-Bardies (2003)dit que l'aptitude
à développer le langage est inscrite dans notre patrimoine
génétique. Les mécanismes qui permettent d'acquérir
la langue sont présents dès la naissance et pour que son
développement soit possible, nous devons être plongés dans
un groupe humain. Elle explique que « l'enfant est porté par
le désir vital et impérieux de devenir un être
parlant » (p.14).
Il y a certaines choses que les enfants n'ont pas besoin
d'apprendre. Chomsky explique dans son livre Nouveaux horizons dans
l'étude du langage (2000)qu'ils n'ont pas besoin d'apprendre la
propriété de l'infinité. Cette propriété
s'exprime dans les suites de nombres (1,2,3,4,...), ou dans la
récursivité des phrases :l'enfant sait qu'il existe des
phrases constituées de plusieurs mots qui peuvent se continuer
jusqu'à l'infini.
Chomsky appareille la faculté de langage de l'humain
à un « organe linguistique », semblable à des
organes corporels, lieux d'expressions des gènes.
Rondal (1999) affirme que « la
psychologie néonatale nous révèle chaque jour davantage
à quel point le « petit de l'homme » est
déjà un être sophistiqué quant à ses
capacités perceptives et cognitives, même s'il est limité
sur le plan moteur. Cette conception moderne contraste avec les croyances
traditionnelles envisageant le bébé humain comme une
« tabula rasa », un organisme dépourvu de contenus
mentaux. » (p.45).
Anne Christophe (2000) explique que le
langage est un système dit « productif » car il
donne la possibilité de créer un nombre de phrases infinies,
à partir d'un nombre fini de mots. Elle montre que les enfants ont
certaines compétences innées dans le domaine du langage. Nous
pouvons développer l'exemple de la syntaxe qui permet de comprendre le
sens d'une phrase, grâce au sens des mots qui composent cette
dernière. Des chercheurs tels que Crain et Thornton (1998) ont
développé des méthodes pour savoir quand les règles
de syntaxe sont apprises par les enfants. Anne Christophe prend l'exemple
où un expérimentateur joue une scène avec les personnages
du dessin animé « Bonne nuit les
petits » : Nounours, Nicolas, et Pimprenelle. Deux phrases
sont utilisées pour le test, la première étant
« Il a mangé les crêpes quand Nounours était dans
la cuisine » et « Quand il a mangé les crêpes,
Nounours était dans la cuisine ». La poupée prononce
une phrase et l'enfant doit indiquer si celle- ci à bien compris la
situation ou non. Dans la première phrase, l'enfant doit donc
comprendre que c'est Nicolas qui a mangé les crêpes pendant que
Nounours était dans la cuisine et dans la seconde, c'est soit Nicolas
qui a mangé les crêpes pendant que Nounours était dans la
cuisine, soit elles ont été mangées par Nounours qui se
trouvait dans la cuisine. Ici, on voit que l'analyse sémantique des
enfants de 3-4 ans est égale à celle des adultes.
Elleexplique cela par le fait que l'interprétation des pronoms est
évidente pour tout le monde, y compris pour les enfants. Les enfants
n'ont donc pas besoin d'apprendre certaines règles de syntaxe.
Anne Christophe parle de « révolution
cognitive » : au début du siècle, on pensait que
le bébé devait tout apprendre par des procédures
d'apprentissages (tel que le conditionnement). C'est à partir des
années 50 oùl'on reconnaît que chaque espèce, en
arrivant au monde, a des procédures d'apprentissages qui lui sont
spécifiques. Il y a une part d'inné dans les apprentissages.
Alain Trognonillustre cela par une étude
réalisée sur des sujets soumis à un apprentissage de
règles soit inventées, soit appartenant à deux langues
naturelles, mais inconnues pour le sujet. Le résultat de l'étude
montre qu'il y a uniquement les règles de langues qui ont
activées les neurones de la zone de Broca, comme si l'espèce
humaine était dotée d'un cerveau sensible aux règles
grammaticales universelles à toutes les langues humaines. L'aire de
Wernicke, l'hémisphère droitet les lobes frontaux sont notamment
impliqués dans les aspects pragmatiques.Chomsky explique cela par le
fait que l'évolution aurait doté les humains d'un
mécanisme produisant de la grammaire de n'importe quelle langue
naturelle.
En 2002, Hauser, Chomsky et Fitch définissent
unefaculté de langage au sens large. Elle est
une hypothèse sur le langage humain basée sur trois
caractéristiques :
1) Un système sensorimoteur, qui permet de formuler des
sonorités. C'est une procédure que l'on retrouve chez certains
animaux, par exemple chez les oiseaux chantants. Ce système est
très ancien puisque le premier oiseau à 135 millions
d'années.
2) Un système conceptuel intentionnel, permettant de
prendre connaissance des éléments du monde, de se
représenter le monde en le catégorisant. Il donne une culture. On
s'est aperçu sur un plan phylogénétique que certaines
espèces d'animaux arrivent à associer deux niveaux, à
savoir la sonorité avec des connaissances du monde. On pense que ce
système s'acquiert par imitation intra-espèce.
3) Un système permettant la récursivité.
C'est le seul de ces 3 aspects qui est spécifiquement humain. Le mot au
sens humain apparaît au moment où la syntaxe apparaît. La
syntaxe (capacité grammaticales, maitrise de l'usage de la langue) est
une propriété du langage au sens étroit.
Ces trois systèmes créent une faculté de
langage spécifique à une espèce. Noam Chomsky
conceptualise le langage comme un système puissant permettant de se
représenter d'agir sur le monde.
Ainsi, l'acquisition du langage chez l'enfant est
innée. Bien sûr, l'environnement de l'enfant aura un impactsur son
développement, car si un enfant est peu stimulé par ses parents
il aura de grandes chances d'avoir des lacunes au niveau du langage, mais il
l'aura tout de même acquis.
1) Théorie de
l'esprit
L'humain acquiert notamment des connaissances grâce au
développement de la notion d'état mental. La théorie de
l'esprit entre en compte dans le développement de la communication et du
langage chez l'enfant. Elle concerne les processus cognitifs à
l'origine des états mentaux qui expriment nos croyances et perception
au-delà des comportements directement observables. Pour connaître
les objets, les êtres humains et leurs relations, il faut être
capable de distinguer le « semblant » et le
« pour de vrai », entre l'apparence et la
réalité, c'est-à-dire entre la réalisation mentale
et la réalisation effective.
La théorie de l'esprit désigne ainsi la
capacité de se mettre à la place d'autrui : l'enfant prend
conscience de ses propres états mentaux et d'autre part, il prend
conscience qu'autrui n'a pas toujours le même point de vue que le sien.
Il comprend que les connaissances, c'est-à-dire les croyances de chacun
peuvent être exactes ou fausses. L'attribution d'états mentaux de
type intentionnel, émotionnel et épistémique permet de
faire des prédictions et de comprendre les comportements observables.
Il existe deux niveaux de représentations dans la
théorie de l'esprit : un niveau simple quand on attribue des
intentions (du type « il veut/il ne veut pas »), ou des
états de connaissance (du type « il sait/il ne sait
pas »). Ces attributions de niveau simple impliquent des
raisonnements inférentiels qui permettent de dire « Il n'a pas
vu donc il ne sait pas ». Les représentations sont de
deuxième degré lorsqu'elles mettent en jeu des intentions et/ou
des croyances (du type » A croit que B à l'intention de faire
X »).
Pour Houdé et Pidinielli, la théorie de l'esprit
concerne les connaissances et expériences métacognitives,
liées aux activités cognitives qui peuvent être plus ou
moins conscientes. Ces capacités cognitives relèvent d'un
processus de développement au niveau phylogénétique et
ontogénique. A partir de 2 ans, au niveau ontogénétique,
les enfants peuvent attribuer des désirs à autrui. C'est à
4 ans qu'ils attribuent des fausses et vraies croyances à autrui. Les
croyances du second ordre tel que « X croit que Z croit »
apparaît seulement vers 6 ans. Bassano affirme que cette évolution
est prouvée par l'utilisation des verbes croire et savoir.
La construction de la théorie de l'esprit se fait
grâce aux interactions sociales. Elle est essentielle pour la
communication verbale et non-verbale, et pour la construction cognitive et
sociale, car l'enfant se découvre en découvrant
simultanément les autres.
Selon Forguson et Gopnik, il existe un réalisme de sens
commun qui se développe entre 18 mois et 5 ans. Il permet de
reconnaître qu'il existe un monde commun à tous et
indépendant de nos pensées et expériences. L'enfant tente
de comprendre que ce qu'il connaît de ce monde, n'est pas
nécessairement ce qu'en connaît autrui. Une étape est
d'acquérir les représentations mentales de second ordre où
l'on prend conscience de nos représentations mentales personnelles et de
celles, différentes, d'autrui. On comprend que le monde n'est pas tel
qu'il apparaît puisque chacun en a une perception, une
représentation différente. L'enfant doit comprendre la grande
diversité possible des représentations mentales chez lui et
surtout chez autrui pour parvenir à attribuer des fausses croyances
à autrui. Les enfants de 3 ans distinguent les rêves, images,
pensées et objets réels entre eux, ils ont donc la
capacité de former et comprendre des représentations de second
ordre, ils distinguent donc les représentations et la
réalité.
Pour Tomasello, le début de la construction des
états mentaux débute quand l'enfant se rend compte qu'autrui peut
avoir une intentionnalité différente de la sienne. Il distingue 3
étapes dans le développement de l'enfant : tout d'abord,
jusqu'à 9 mois, l'enfant développe l'attention visuelle. Entre 9
et 18 mois, il développe la compréhension d'autrui ; les
personnes peuvent avoir une perception différente de la sienne. Puis,
entre 18 et 24 mois, le langage de l'enfant varie selon ses interlocuteurs, ce
qui prouve qu'il distingue l'autre comme une personne singulière, ayant
des intentions et des croyances.
Pour tester la théorie de l'esprit chez les enfants,
S.Baron-Cohen, A.M. Leslie et U.Frith (1985) ont inventé le test de
Sally et Anne. Il consiste à présenter à l'enfant deux
poupées prénommées Sally et Anne.On construit un
scénario où Sally et Anne se trouvent dans une pièce.
Sally cache une bille dans une boîte, puis elle sort de la pièce
pour partir se promener. Pendant ce temps, Anne prend la bille dans la
boîte et va la cacher dans un panier. Quand Sally revient de sa
promenade, on demande alors à l'enfant ce qu'il a compris.Dans cette
expérience, les enfants de trois ans pensent que Sally sait que la bille
a été transférée de la boîte dans le panier.
Les enfants de deux à quatre ans n'arrivent pas à attribuer
à autrui des fausses croyances. Ils parviennent pourtant à
comprendre la simulation, notamment dans l'expérience des Smarties
(A.Gopnik et J.W. Astington,1988). Ici,on présente à l'enfant une
boîte de smarties, on lui demande s'il reconnaît cette boîte
et ce qu'elle contient. Il répond « des smarties ».
On lui montre que la boîte contient des crayons. On lui
demande ensuite « si un copain à toi arriveet qu'il voit la
boîte, qu'est ce qu'il va penser qu'il y a dedans ? ». Les
enfants de trois ans pensent que leur camarade absent est lui aussi
informé de la présence des crayons dans la boîte. Ils
attachent la croyance que la boîte est une boîte de crayons
à tout le monde. Alors qu'à partir de quatre ans ils comprennent
que l'enfant absent n'a pu voir le subterfuge.
L'enfant de trois ans attribue donc la fausse croyance
à sa situation mais n'arrive pas à l'attribuer à celle
d'autrui, car il ne fait pas de relation entre les croyances et leurs causes,
ni entre les états mentaux et l'environnement. L'enfant qui acquiert la
théorie de l'esprit acquiert donc la capacité à se
décentrer et comprend que la vision d'autrui d'une situation
dépend de sa position dans le contexte et fait la différence
entre l'action et l'intention. Les enfants de 4 ans comprennent leurs fausses
croyances et celles des autres. Leurs performances corrèlent avec leur
compréhension des termes « penser » et
« savoir ». Pour Flavell, lesenfants acquièrent ces
connaissances à la même période. A 2/3 ans, l'enfant
comprend que l'esprit contient des entités mentales invisibles
(pensées).A 4 ans il comprend l'activité mentale lorsqu'il
acquiert une théorie représentationnelle de l'esprit. Il comprend
alors qu'il faut analyser et interpréter les situations et que c'est
pour cela que chaque individu a sa propre réalité construite par
des représentations dans son esprit.
Il existe un lien très fort entre la théorie de
l'esprit et le développement des capacités communicatives et
langagières (Veneziano, 2010). Assurément, l'enfant doit avoir la
capacité d'attribuer à ses locuteurs des intentions
communicatives pour être compétent dans ses échanges.
Veneziano explique qu'il doit savoir attribuer croyances et connaissances
à l'interlocuteur pour comprendre le sens des énoncés, et
adapter ses énoncés propres en fonction de ces attributions.
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