Quelle cohérence entre finance carbone et politiques de développement dans les pays du sud? Cas du Sénégal et du Kenya( Télécharger le fichier original )par Yaye Ngouye DIAGNE Institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement ( AgroParisTech ) - Mastère spécialisé en politiques publiques et stratégies pour l'environnement 2013 |
2. Le changement climatique dans la stratégie de développement sectoriel : une politique énergétique moins ambitieuse et peu cohérenteLes principaux axes stratégiques de la politique sectorielle du Sénégal mis en exergue dans la Lettre de Politique de Développement Sectoriel de l'Energie (LPDSE) 2012 sont : la maîtrise de la consommation énergétique des ménages et la diversification des sources énergétiques. Il faut noter que par rapport aux objectifs dégagés dans la vision stratégique de l'Etat, la réduction de la pollution due au transport et l'efficacité énergétique des industries,bien que constituant les 2ème et 3ème sous-secteurs les plus émetteurs de GES, ne sont pasprises en compte dans la politique sectorielle. La maîtrise de la demande énergétique des ménages, une politique peu efficace pour réduire les émissions de GES Pour rappel, le diagnostic des émissions des gaz à effet de serre, analysé dans la première partie de ce document, présente les ménages comme les principaux consommateurs en énergie et les premiers émetteurs de gaz à effet de serre. L'Etat du Sénégal s'engage dans le cadre de la lettre de politique sectorielle, à maîtriser la demande en énergie des ménages. Dans le cadre de cette stratégie, trois axes importants sont à noter : - La création en juillet 2011 de l'Agence pour l'Economie et la Maîtrise de l'Energie. Elle a pour mission de promouvoir l'utilisation rationnelle de l'énergie dans tous les secteurs d'activité ainsi que proposer et conseiller le gouvernement sur des stratégies de maîtrise de l'énergie. La mise en place de cette Agence fait suite à l'élaboration en 2010 du Programme de Maîtrise de la Demande Energétique (PMDE) centré sur la consommation des ménages. Les propositions de ce programme sont entre autres l'introduction massive de foyers améliorés, le développement de centrales hydrauliques, la construction d'une centrale solaire de 20 MW et le reboisement de 43 millions d'hectares e forêts. Il faut noter cependant que l'Agence pour la Maîtrise de l'Energie mise en place tarde à être opérationnelle. Aucune action d'envergure n'a jusqu'ici été initiée par cette dernière. - La poursuite de la défiscalisation du gaz butane malgré l'arrêt des subventions, pour le promouvoir comme alternative au bois et charbon de bois au niveau des ménages.Il faut rappeler que la déforestation engendrée par l'utilisation du bois et du charbon de bois est la principale source d'émission de gaz à effet de serre.Les études menées par le Ministère ont montré que la politique de « butanisation » visant à subventionner le gaz pour le promouvoir comme combustible de cuisson au niveau des ménages, a eu un effet important sur la préservation des forêts. Selon ces études, la politique de « butanisation » a eu comme effet de préserver des dizaines de milliers d'hectares de forêt de 2000 à 2009. Selon les analyses coûts/bénéfices présentées dans le rapport SIE sénégal 2010, le coût évité de reboisement reste important : 25 millions d'euros par an de 2000 à 2009.Cependant les études sur le gaz butane au Sénégal12(*)ont montré qu'il est nécessaire,pour le rendre compétitif par rapport au charbon de bois, d'intégrer dans le prix de vente de ce dernier, les coûts rééls de renouvellement et de production du bois sur pied. - L'interdiction avec le décret de janvier 2011, de l'importation de lampes à incandescence en promouvant les lampes basse consommation. Des études menées par le Ministère de l'énergie ont montré que l'utilisation généralisée des lampes à économie d'énergie (environ 3.500.000 unités) permet de réduire substantiellement la demande d'énergie et d'économiser le coût d'une centrale d'environ 70 MW. Cependant et comme montré précédemment, l'électrité ne représente que 5 % de la consommation énergétique des ménages et concerne prioritairement le milieu urbain. Dès lors, une maîrise de la demande en électricité de ménages aura peu d'impact sur la consommation énergétique globale et donc sur les émissions de gaz à effet de serre qui concernent plus les ménages ruraux gros consommateurs de bois. La promotion des énergies renouvelables : des lois votées mais non opérationnelles Un diagnostic élaboré par les experts du Ministère de l'Energie au Sénégal montre : - Un potentiel hydroélectrique important : le potentiel de production des deux fleuves sénégal et gambie est estimé à 1 400 mégawatt par an13(*). - Un potentilel en énergie solaire important : le Sénégal dispose en moyenne de 3 000 heures d'ensolleillement annuel. L'énergie solaire reçu est estimée à 2000 kilowatt heure par m2 et par an, soit un potentiel journalier extractible estimé à 1,5 kilowatt heure par m214(*). Un des objectifs majeurs de la LPDSE 2012, est d`introduire un mix énergétique avec une part importante donnée aux énergies renouvelables et aux biocarburants. Ce mix énergtique devra associer le gaz naturel, l'hydroélectricité et les énergies renouvelables et sera accompagné de la baisse progressive du soutien de l'Etat aux hydrocarbures.La LPDSE prévoit de hisser la part des biocarburants et des énergies renouvelables à 15% au moins à l'horizon 2020 (comparé à moins d'unpour cent en 201115(*)). L'Etat a mis l'accent entre autres, sur le développement des potentiels énergétiques nationales etla diversification énergétique. D'une manière générale, sur le plan international, deux politiques majeures de soutien direct des prix de l'électicité à partir des énergies renouvelables ont eté instaurées durant ces 20 dernières années: le système de prix de rachat garanti et le système de quota. Le Sénégal a opté pour le système de rachat garanti de l'électricité produite par les énergies renouvelables. C'est dans ce cadre que 2 importantes lois ont été promulguées : · La Loi d'orientation sur les biocarburants et décrets y afférents (décembre 2010) qui a pour objectifde réduire les gaz à effets de serre et de promouvoir une autosuffisance énergétique nationale, en favorisant l'instauration d'une incitation fiscale pour la production de biocarburants.Les décrets d'application concernant cette loi tardent cependant à être pris. Un programme biocarburant avait pourtant été initié en 2007 avec pour objectif la production d'huile raffinée à partir du Jatropha Curcas (Poughère). Cependant les initiatives prises restent circonscrites à des exploitations sommaires et offrent peu de perspectives en termes de production d'envergure pour se positionner comme alternative au diesel. Chapitre III - Politique incitative de la filière des biocarburants. Article 7. - structure des prix de biocarburants. Article 8. - Régime fiscal et douanier des activités effectuées dans le cadre des biocarburants. Article 21. - Puits de carbone et politique de développement propre. · La Loi d'orientation sur les énergies renouvelables (décembre 2010) qui vise à mettre en place un cadre juridique suffisamment incitatif pour permettre la production en quantité suffisante d'énergies renouvelables. Il s'agit ainsi de « mettre en place un cadre incitatif favorable à l'achat et à la rémunération de l'électricité produite à partir d'énergies renouvelables ». Selon le Ministère, cette option permet de répondre aux exigences économiques mais aussi de préserver l'environnement et le climat dans le cadre des activités de production et de consommation d'énergie. Deux décrets d`application sont ainsi pris en décembre 2011 relatifs aux « conditions d'achat et de rénumération de l'électricité produite à partir de sources d'énergies renouvelables » et aux « conditions d'achat et de rénumération du surplus d'énergie électrique d'origine renouvelable résultant d'une production pour consommation propre ». Dans lapratique, l'application de cette loi et des décrets y afférents pose problème, les conditions et prix d'achat des énergies produites n'ayant pas été définis.De même, les taxes d'importation surles composantes de technologies renouvelables exercentune pression et rendent les énergies renouvelablesplus coûteuses. Une compensation adaptée est mise en place pour couvrir les différences de prix afin de garantir : - un équilibre financier du gestionnaire du réseau. Des jalons importants sont posés au niveau sectoriel à travers la LPDSE 2012. Cependant, la stratégie de développement de l'Energie bien que faisant souvent référence aux impacts des changements climatiques sur le développement et à la nécessité de maîtriser la demande et de diversifier l'offre, présente des faiblesses et des incohérences remettant en question la réelle volonté au niveau sectoriel, de s'engager dans l'atténuation des émissions de GES. Malgré l'adoption de cadres législatifs et réglementaires concernant la filière des biocarburants et les énergies renouvelables, auncun système d'incitation n'est mis en place comme prévu. A contrario, des volumes importants de financement sont mobilisés pour le soutien du Fonds Spécial pour l'Energie, créé en 2011 pour soutenir les hydrocarbures. Aussi, 408 millions d'eurosont déjà été mobilisés par l'Etat à travers différents bailleurs de fonds (AFD, Banque Mondiale...) ; en 2012, plus de 300 millions d'euros du trésor public ont servi à financer ce fonds et ce, malgré les nombreuses contraintes budgétaires. Section 2 - Dépenses éligibles. - approvisionnement en combustibles et achat d'énergie pour la fourniture d'électricité ; - reversement de la compensation tarifaire ; Aussi, bien que l'Etat sénégalaisse soit engagé dans une politique de désengagement progressive du sous secteur des hydrocarbures, force est de reconnaitre que la mise en place et le maintien du Fonds Spécial pour l'Energie visant à financer jusqu'ici exclusivement les hydrocarbures, ne concourrent pas à l'atteinte de cet objectif. Dans le même ordre d'idée, la LPDSE 2012 met l'accent sur l'ambition du Sénégal de se positionner comme hub pétrolier régional qui sera sous-tendu par une politique d'expansion des capacités de raffinage et de stockage. Pour y parvenir, une des mesures importantes sera de faciliterl'installation des pétroliers pour exploiter le bassin sédimentaire sénégalais notamment pour l'offshore (accélération du traitement des demandes, simplification du code fiscal). Cette nouvelle dynamique va clairement à l'encontre des engagements d'atténuation des émissions de gaz à effets de serre pris pour le secteur de l'Energie. Elle est en porte à faux avec les engagements de l'Etat par rapport à l'efficacité énergétique et à la promotion des énergies renouvelables. Dans le secteur des insdutries de production d'électricité, les émissions de gaz à effet de serre vontprobablement augmenter durant les prochaines années, en raison de l'option dugouvernement de satisfaire la demande d'énergie à court terme en s'appuyant sur lescentrales à charbon. Cette option est le résultat conjugué de la pression qu'exercent sur lesfinances publiques, l'alimentation en combustibles fossiles et l'inexistence d'une productionimportante d'énergies renouvelables. Le recours aux centrales à charbon va augmenter considérablement les émissions de GES du Sénégal. Dans le cadre de la politique sectorielle et comme analysé plus haut, la pollution liée au transport n'est pas prise en compte. Pourtant en 2003, le décret 2001-72, portant réglementation de l'importation des véhicules d'occasion (volonté de l'Etat de réduire l'importation de voitures de plus de 5 ans), a permis de redresser la tendance au vieillissement du parc automobile. : près de 43% entre 2003 et 2005.En 2012, le décret n° 2012-444 du 12 avril 2012 a augmenté l'âge d'importation de véhicules de 5 à 8 ans et marque un recul important par rapport aux engagements en matière de réduction de la pollution de l'air. Par ailleurs, aucune stratégie d'amélioration du transport en commun n'est étudiée ni ne figure dans la politique de développement sectoriel de 2012. D'une manière générale, l'analyse comparative entre les mesures d'atténuation présentées par le Sénégal dans sa Communication au CCNUCC de 2010 et les axes prioritaires retenus dans la lettre de politique de développement du secteur énergétique, montre clairement que la volonté de l'Etat de prendre en compte les enjeux d'atténuation ne transparait pas dans les priorités du secteur de l'Energie, secteur clé pour la réduction des émissions de CO2. Le logigramme simplifié ci-dessous présente les théories d'actions de la politique. Figure 7: logigramme politique Sénégal Augmentation de GES 251670016 251667968251666944Réduction des émissions de gaz à effet de serre 251648512251665920251664896251663872251662848251661824251660800Enjeu 4 : attirer les investisseurs et faire du Sénégal un hub pétrolier 251656704Subventionner les hydrocarbures (FSE) 251652608Mettre en place cadre de facilitation pour les pétroliers 251654656Recourir aux centrales à charbon 251657728Enjeu 2 : maîtriser la demande énergétique des ménages 251649536Enjeu 3 : satisfaction demande en électricité 251655680Enjeu 1 : intégrer les enjeux climatiques au niveau national et local 251650560Interdire les lampes à incandescence en faveur des LBC 251647488« Décentraliser» les questions climatiques 251646464Mettre en place un cadre institutionnel et réglementaire 251651584 Le logigramme ci-dessous montreque les réalisations et mesures prises par le Sénégal dans le cadre de sa politique sectorielle,restent contradictoires.La politique énergétique est incohérente et reste peu ambitieuse. Le tableau qui suit nous permet de mieux apprécier les effets des politiques et mesures sur l'atténuation du changement climatique. Il indique que ces dernières ont globalement un impact négatif sur les émissions de GES. Tableau 3 : politique sectorielle et effets sur l'atténuation du changement climatique
* 12Etude sur le gaz butane au Sénégal /Direction des hydrocarbures et des combustibles domestiques/ PRSE/Octobre 2010 * 13Minvielle, 1999 * 14youm et al. 2000 ; Camblong et al. 2009 * 15Etude ENR Bases Technologies PERACOD, Sénégal |
|