La patrimonialisation des paysages devient, de plus en plus,
importante. Le paysage dans ses entités matérielle et
emblématique peut représenter l'identité d'une
société et d'un territoire. Dans certains cas, la
matérialité (l'objet) du paysage peut lui-même avoir une
valeur identitaire, ce qui renforce, encore plus, la représentation
mentale et son ancrage dans la mémoire collective. Ce sont les cas
où l'objet matériel du paysage soit focalisé sur un
patrimoine bâti, un monument historique ou un site urbain ou même
un site archéologique, qui forme avec ses abords un paysage exceptionnel
représentatif de l'identité locale, nationale ou même ayant
une particularité témoignant une période, un
événement ou un personnage en relation avec toute
l'humanité.
Le patrimoine bâti marque le territoire par sa
présence matérielle, fonctionnelle et significative en
créant un lieu offert à l'expérience humaine,
cristallisant la mémoire collective de la société (cf
chapitre 2). Par contre, dans ce chapitre on parle beaucoup plus de la
représentation paysagère, de l'image. On parle, donc, de
l'exposition et la diffusion d'une valeur identitaire issue d'une
expérience collective au large public, dont les objectifs peuvent
être d'appartenance, de fierté et surtout d'attraction
touristique.
A l'exemple du mont saint Michel à la région
française de la Basse Normandie, qui soit considéré comme
un paysage représentatif de l'identité sociale et territoriale de
cette région et même l'une des plus importantes images
représentant la France, du fait de son classement sur la liste du
patrimoine mondial de l'UNESCO. Même s'il n'existe aucune
expérience directe entre ce monument, ce lieu et d'autres
sociétés, ces dernières apprécient l'image par sa
beauté, sa signification à travers sa diffusion médiatique
représentative, qui encourage la curiosité du touriste à
venir le découvrir. Exactement comme le paysage urbain de Ghardaïa
représentant tout le M'Zab et même l'Algérie, ou comme le
paysage contenant la tour Eiffel représentant la ville de Paris. Il
s'agit, donc, d'une représentation sélective qui puisse
être associée au patrimoine bâti et la
notoriété de ce patrimoine dégage une image exceptionnelle
représentant l'identité nationale. Le patrimoine bâti
devient «une image de marque» d'une ville ou d'un pays, d'une
société ou d'une nation.
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Le monument historique et ses abords, une
représentation paysagère de l'identité
CHAPITRE
sociale et territoriale TROISIEME
Il s'agit, donc, d'un passage de l'expérience du
paysage à la découverte du paysage. La première s'inscrit
dans la recherche de l'identité sociale et territoriale, où le
patrimoine bâti joue le rôle d'unificateur de sens
représentatifs de la mémoire collective, qui réunisse les
individus sous le toit de l'appartenance sociale, c'est une
«représentation sensible »92 de
l'identité. La deuxième marque l'intérêt à
l'image représentative de l'identité sociale et territoriale, qui
joue le rôle d'une «publicité » pour promouvoir
la culture locale ou nationale au monde entier, afin de marquer la
singularité sociale et territoriale dans un cadre de tourisme culturel,
où le patrimoine bâti devient un moyen concrétisant le
« désir » de la représentation et la diffusion
identitaire d'une société. Ce désir est l'une des impacts
de la surmodernité, car, face aux excès du monde contemporain, on
cherche toujours l'identité et on l'expose pour se différencier
du reste de ce monde où les cultures et les identités sont
menacées par la mondialisation. François Walter dit que
«ces images emblématiques paraitraient ensuite figées ou
pour le moins stabilisées, ce qui peut contraster violement avec
l'évolution des mentalités et des réalités
sociospatiales. Parfois, elles semblent même se vider de leur contenu
symbolique pour devenir un simple support publicitaire parce que la
société de la consommation a aussi besoin de jalons identitaires
ou, comme le dit joliment Alain Corbin, de "mise accord de l'espace et du
désir" »93. Walter explique un autre point de vue
sur les représentations paysagères, qui s'articule avec
l'idée d'image figée dans le temps menaçant le
développement urbain et territorial d'une ville. Dans ce cas, le paysage
représentatif perd, peu à peu, sa valeur pour devenir un objet de
carte postale. Le patrimoine bâti associé à ce genre
d'image peut lui aussi être menacé de dégradation, suite
à l'usage, parfois excessif, de consommation touristique.
Le patrimoine bâti crée, alors, un paysage
exceptionnel mais vulnérable. Exceptionnel du fait que sa
représentation mentale et le produit de sa forme, sa fonction et sa
signification identitaire. Vulnérable du fait que cette même
représentation puisse être la raison de sa dégradation dans
la mesure où l'exploitation est excessive avec une absence d'entretien
et de prise en charge. De plus, un paysage ne peut être aussi
«ponctuel », à l'échelle du monument historique, le
cadrage de l'étendue perçue est très important pour ce
genre d'appréciation. Ce cadrage s'explique comme le contexte visuel,
perceptif, mémoriel et maintenant paysager qui soit assuré par
les abords du patrimoine bâti.
92 WALTER François, op. Cit. P171
93 Ibid. P193.
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LA BASILIQUE ST-AUGUSTIN ET SES ABORDS A ANNABA
Pour une reconnaissance politique et sociale des valeurs des
abords du patrimoine bâti en Algérie