Suite au besoin de matérialiser la mémoire
à partir de la recherche historique, Pierre Nora nomme cette existence
tangible « les lieux de mémoire ». Ils sont des lieux dans les
trois59 sens du mot : matériel, symbolique et fonctionnel. Un
lieu de mémoire doit être à la fois physiquement
présent, avoir une signification incitant l'imaginaire et une fonction
précise qui le sort du résiduel. Les trois dimensions coexistent
ensemble à titre d'exemple que «Même un lieu d'apparence
purement matériel, comme un dépôt d'archives, n'est lieu de
mémoire que si l'imagination l'investit d'une aura symbolique.
Même un lieu purement fonctionnel, comme un manuel de classe, un
testament, une association d'anciens combattants, n'entre dans la
catégorie que s'il est l'objet d'un rituel. Même une minute de
silence, qui parait l'exemple extrême d'une signification symbolique, est
en même temps comme le découpage matériel d'une
unité temporelle et sert, périodiquement, à un rappel
concentré du souvenir »60. Les lieux de
mémoire sont appréciés suite à une volonté
de mémoire. Le fait qu'ils soient le résultat de l'interaction de
la mémoire et l'histoire, ils deviennent des lieux «mixtes,
hybrides et mutants » car ils sont immédiatement offerts à
l'expérience la plus sensible et, en même temps, relevant de
l'élaboration la plus abstraite, ce qui explique leur complexité.
Ils sont des
58 DAVALLON Jean, op. Cit. P54.
59 NORA Pierre, op. cit. P34.
60 Ibid.
58
LA BASILIQUE ST-AUGUSTIN ET SES ABORDS A ANNABA
Pour une reconnaissance politique et sociale des valeurs des
abords du patrimoine bâti en Algérie
lieux doubles61 : chaque lieu de mémoire
est un lieu clos sur sa propre identité, mais il marque une ouverture
à l'étendue de ses significations. Leurs raisons d'existence est
«d'arrêter le temps, de bloquer le travail de l'oubli, de fixer
un état des choses, d'immortaliser la mort, de matérialiser
l'immatériel pour -- l'or est la seule mémoire de l'argent --
enfermer le maximum de sens dans le minimum de signes »62.
Ce lieu de mémoire est donc une unité significative, d'ordre
matériel, même géographiquement localisée, ou
idéel, dont la volonté des hommes ou le travail du temps à
fait un élément symbolique d'une quelconque communauté. Ce
lieu peut être un monument, un personnage ou un événement
qui déroulait dans un temps passé mort. Ceux qui nous
intéressent, sont les mémoires relatives à la
société, les mémoires des «grands
événements ». Ces événements ont deux
typologies63 : d'une part, les événements qui fut
à peine marqués sur le moment de leur déroulement, et ils
ont, au temps présent, une grande signification rétrospective.
D'autre part, les événements hautement symboliques à
l'instant de leur déroulement et qui gardaient leurs valeurs jusqu'au
temps présent.
De ce fait, les lieux de mémoire n'ont pas tous la
même valeur, vu l'importance du temps à rappeler, mais aussi
relativement à leur matérialité. Pierre Nora, en
développement de cette idée, parle des « lieux
monumentaux ou architecturaux » qui tiennent leur signification des
rapports complexes entre leurs éléments de construction, de temps
et de signification. C'est une progression de la relation que l'homme
établie avec son lieu et qui soit en parallèle au
développement culturel de la société. Le lieu de
mémoire peut être, étroitement, lié à la
notion de patrimoine.