«Commémorer, c'est d'abord jouer au
présent le théâtre du passé ». (Gérard
Namer, mémoire et société, 1987).
Commémorer signifie le fait de rappeler un souvenir collectif, une
mémoire sociale relative à un événement, une
période historique, un personnage marquant, une activité ancienne
ou un fait national. Le mot commémoration est lié, aux
dictionnaires, à la célébration. On célèbre
une mémoire collective qui marque l'identité de la
société. C'est, d'une sorte, la matérialisation de la
mémoire collective dans un processus de répétition qui
cherche à mettre en scène une reconstruction du passé.
Mais pourquoi commémorer ? Quel en est le besoin ? C'est un autre
phénomène lié au monde contemporain où le risque
d'oublier les mémoires collectives est de plus en plus menaçant,
face à l'excès d'individualisation. Les figures d'excès
entrainent une rapidité dans la vie des individus, qui perdent leur
continuité temporelle, ce qui affecte négativement
l'identité et la valeur de leur attachement et appartenance à
leur société, surtout à l'ombre de l'uniformisation des
pratiques et modes sociaux gérés par la mondialisation. Un rappel
des valeurs et des mémoires est dûment nécessaire. C'est
à partir de la seconde guerre mondiale que la pratique
commémorative a eu son essor. La destruction des monuments et des lieux
construits ou naturels qui représentaient une valeur identitaire pour la
société, sont soudainement disparus. Une reconstruction du
passé pour remplir l'écart, produit par la guerre, était
nécessaire. De plus, on constatait la commémoration de la guerre
elle même pour se rappeler de la cause de l'écart mémoriel.
A cette période là, l'intérêt particulier au
patrimoine visait la sauvegarde des mémoires collectives des nations
européennes.
Selon Pierre Nora, le monde contemporain ou à partir
des années d'après guerre, est l'ère de
commémoration. Il précise qu'il existe deux types de
commémoration52 :
Commémoration volontaire et
délibérée : exprime la volonté
de commémoration liée, particulièrement, à la
célébration et la fierté. Une décision de
commémorer un événement qui marque l'histoire de la
société et forge son identité, telles les journées
nationales, 5 Juillet et ler
Novembre en Algérie, 14 Juillet en France ou le 14
Juillet aux états unis. Ces grandes commémorations nationales
visent la célébration de triomphe, d'indépendance et
marquent un état de fierté et d'appartenance à la nation,
une mémoire éternelle. Cette commémoration de
célébration peut être accompagnée par une
commémoration physique et bâtie qui marque
l'événement à célébrer ou de
52 NORA Pierre, «les lieux de mémoire », Paris,
Vol. 3 : les France, 1984, Gallimard, P979.
53
Le monument historique et ses abords, un lieu de
cristallisation de la mémoire CHAPITRE
collective DEUXIEME
fierté sur les lieux et dans le paysage. Tel le
mémorial du martyr à Alger, construit en 1982 pour
commémorer le 20ème anniversaire de
l'indépendance nationale (le 5 Juillet 1962) et pour rendre hommage aux
martyrs de la guerre de l'indépendance, pour que leur mémoire ne
quitte jamais l'esprit des générations futures.
Commémoration involontaire et
même inconsciente : loin d'être une
décision de commémorer, ce type exprime une certaine
auto-identification d'un fait historique que la société
commémore inconsciemment, du fait qu'il devient une forme identitaire ou
une idée représentative de l'identité collective. Pierre
Nora, donne l'exemple de la manifestation sociale de Mai 1968, où la
jeunesse étudiante est sortie protestant la situation politique et
culturelle gérée par le capitalisme impérialiste. Cet
événement est considéré comme l'un des plus
importants mouvements sociaux de l'histoire de la France. Il représente,
pour les français, un événement de fierté et de
changement idéologique de leur pays. Cette année, ce mois, cet
événement est commémoré inconsciemment dans la
société française, une date inoubliable.
Quelque soit son type, la commémoration vise un
objectif précis. On peut dire que la commémoration a des
différentes fonctions. Selon Monique Dolbeau, l'intérêt de
la commémoration est de chercher un temps perdu et/ou une production
d'une «fiction dramatique »s3 :
A la recherche du temps perdu :
une reconstruction d'un certain passé où la
commémoration est une réactualisation d'une ancienne
mémoire collective. Cette reconstruction peut être, excessivement,
nostalgique où on cherche le retour vers le passé par des
fêtes et des célébrations ou même des lieux
reconstruits, qui s'inscrivent dans un contexte social de
«réactivation du passé ». Une façon de revisiter
une mémoire perdue.
Une « fiction dramatique
» : cela veut dire, la mise en scène
théâtrale de reconstruction d'une mémoire collective. Une
commémoration visible qui incite l'imagination de la
réalité du passé, tels les monuments mémoriaux.
Cette commémoration peut être une marque de prestige et de
compensation visant à rappeler un passé idéalisé,
comme elle peut être un acte pour légitimer le présent
en
53 DOLBEAU Monique, « la mémoire du
métier » : maréchal-ferrant, un passé
retrouvé, Paris, 2012, l'Harmattan, P138.
54
LA BASILIQUE ST-AUGUSTIN ET SES ABORDS A ANNABA
Pour une reconnaissance politique et sociale des valeurs des
abords du patrimoine bâti en Algérie
exposant la continuité temporelle de la
société. Il s'agit ici d'une commémoration dans un temps
fictif où passé, présent et avenir sont réunis.
En général, la commémoration est un
rappel matériel de la mémoire collective qui façonne
l'identité de la société. Ces mémoires, comme bien
mentionné avant, peuvent être positives, qui ont relation avec un
passé heureux et de fierté, comme elles peuvent être
négatives, qui ont relation avec un passé triste, tragique et de
souffrance. L'une ou l'autre est considérée comme un facteur
très important de la cohésion sociale et de l'attachement de
l'homme à son lieu. On ne peut pas échapper la valeur
commémorative du patrimoine bâti, du fait qu'il marque un savoir
et un savoir faire ancien qui génère, en permanence, une
mémoire affective et de découverte de soi pour toute la
société. C'est la raison pour laquelle le patrimoine bâti
reste la forme la plus manifestée de la mémoire collective. La
commémoration liée au patrimoine bâti est inconsciente et
involontaire pour la simple raison qu'il fut édifié pour autres
fonctions que mémorielle (voir le passage du monument au monument
historique du premier chapitre).
On cherche, alors, un fait historique qui suscite une
mémoire collective, laquelle est matérialisée sur un lieu.
Ce trio : mémoire, histoire et lieu est révélateur d'une
dynamique spatio-temporelle causant la naissance des lieux de
mémoire en reconnaissant, très particulièrement
à notre problème posé, la valeur mémorielle des
abords qui assurent la continuité spatio-temporelle du monument
historique.